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Accident ferroviaire de Saujon

L’accident ferroviaire de Saujon a eu lieu le dimanche en France, sur le réseau de l'État, à l'entrée de la gare de cette ville du département de la Charente-Inférieure lorsqu'un train de voyageurs allant de Bordeaux à Royan prit en écharpe un train de marchandises de sens opposé imparfaitement garé sur une voie d'évitement. Survenant moins de deux mois après un autre grave accident à Villepreux sur le même réseau, il suscita l'émotion par son bilan encore plus lourd, et relança les controverses sur l'exercice d'activités industrielles et commerciales par les personnes publiques.

Accident ferroviaire de Saujon
Image illustrative de l’article Accident ferroviaire de Saujon
Catastrophe de Saujon (1910).
Caractéristiques de l'accident
Date
CoordonnĂ©es 45° 39′ 49″ nord, 0° 55′ 37″ ouest
Caractéristiques de l'appareil
CompagnieÉtat
Morts38
Blessés103

GĂ©olocalisation sur la carte : Charente-Maritime
(Voir situation sur carte : Charente-Maritime)
Accident ferroviaire de Saujon

Les circonstances

Tous les dimanches de la saison estivale, le réseau de l'État faisait circuler sur ses voies entre Bordeaux et la station balnéaire de Royan un convoi spécial, dénommé « train G »[note 1]. Celui-ci, toujours très fréquenté, partait le matin à 8 heures de sa gare de la Bastide et effectuait en deux heures le trajet de 140 kilomètres, empruntant d'abord la double voie[1] de la ligne de l'État vers Paris, par Saint-André-de-Cubzac, Cavignac et Jonzac, puis bifurquant à Pons sur sa ligne à voie unique vers Saujon. Là, il retrouvait la double voie, établie en 1899 sur les 9 kilomètres conduisant à Royan[2].

Le dimanche , veille de l'Assomption, le beau temps et la perspective de deux jours fériés consécutifs avaient attiré une affluence exceptionnelle, notamment de membres de patronages et autres mouvements associatifs de Bordeaux ou de ses environs. Aussi, bien que la composition du train ait été forcée au maximum, ses 22 voitures (19 de 3e classe et 3 de 2e) étaient bondées de plus de mille voyageurs[note 2] s'entassant à quinze, voire vingt, par compartiment[3], ou restant debout dans les couloirs. Des bancs avaient même été ajoutés dans les deux fourgons pour y installer des passagers, mais malgré tout, lors du départ, avec vingt minutes de retard[4], plus d'une centaine de personnes[note 3] avaient dû rester sur le quai, faute d'avoir trouvé une place.

Les contraintes d'exploitation de la voie unique imposaient qu'à 9 kilomètres de Royan, en gare de Saujon, un train de marchandises, le 1512, arrivé de Royan à 10 h 35, attende, avant de s'engager vers Pons, à la fois d'être croisé par le spécial venant de Bordeaux, compte tenu de son retard ce jour-là, et doublé par le 98, rapide Royan – Paris, passant à 10 h 53[5].

Photo de la catastrophe de Saujon dans le journal Le Matin

L'accident

Le train G avait marqué l'arrêt réglementaire au signal avancé de Saujon, situé à la halte de La Traverserie, et, approchant de la ville, sortait de la courbe sans visibilité précédant la gare, lorsque le mécanicien constata que si le disque d'entrée lui donnait bien voie libre, la voie 1 sur laquelle il avait été dirigé était interceptée. En effet, juste à l'endroit où elle était traversée en diagonale par une voie de service, se trouvait la locomotive du train 1512, en tête de quelques wagons. Malgré une tentative de freinage en urgence, la machine et le tender du train de marchandises furent pris en écharpe et renversés sur le côté droit de la voie. La locomotive, le tender, le fourgon de tête et la première voiture du train de voyageurs déraillèrent et obliquèrent vers la gauche avant de s'arrêter, légèrement inclinés. Derrière eux, les deuxième et troisième voitures furent poussées contre l'obstacle sous la pression du reste du convoi et se chevauchèrent en s'imbriquant[6]. Les trois suivantes se télescopèrent, mais sans dommages sérieux, alors que toutes les autres, bien que déraillées, restaient intactes.

Secours et bilan

Le chef de gare, M. Cros, avait eu le réflexe de fermer immédiatement le signal d'entrée côté Royan, évitant ainsi un suraccident alors que l'arrivée du rapide 98 était imminente. Les premiers instants de panique passés, les rescapés et les agents de la gare s'efforcèrent d'extraire les victimes de l'entassement des épaves. Ils furent rapidement rejoints par la population des alentours, alertée par le bruit de la collision, semblable à celui d'un coup de canon, selon les témoins[7]. Les premiers soins furent dispensés par le personnel médical d'une maison de santé de la ville, aidé dans les heures qui suivirent par des médecins venus des environs, et notamment de Royan avec un premier train de secours.

Les trois voitures de tĂŞte Ă©taient majoritairement occupĂ©es par un groupe d'environ 70 personnes venues de Barsac dans le cadre du voyage annuel de l'association amicale des anciennes Ă©lèves de l'Ă©cole laĂŻque[8]. Si les compartiments d'extrĂ©mitĂ© de la première et de la troisième avaient Ă©tĂ© relativement Ă©pargnĂ©s[9], le reste formait un inextricable amoncellement de dĂ©bris dans lequel 33 passagers avaient Ă©tĂ© tuĂ©s sur le coup. Leurs corps mutilĂ©s, dont douze n'Ă©taient pas rapidement identifiables, furent dĂ©posĂ©s d'abord dans la salle d'attente de la gare, puis dans la halle des marchandises transformĂ©e en chapelle ardente. Le chauffeur du train de marchandises avait Ă©tĂ© Ă©crasĂ© sous le tender renversĂ©, alors que le mĂ©canicien et le chauffeur du train tamponneur avaient pu sauter avant le choc et s'en tiraient avec des contusions.

Les blessĂ©s, pris en charge sur place par des mĂ©decins venus des alentours, furent, selon leur Ă©tat, directement transportĂ©s dans les hĂ´pitaux les plus proches[note 4], ou embarquĂ©s dans des trains rĂ©guliers ou spĂ©ciaux et hospitalisĂ©s en fin de journĂ©e Ă  Saintes ou Bordeaux[10]. Certains d'entre eux ayant succombĂ© peu après ou dans les jours qui suivirent[11], le bilan de l'accident peut ĂŞtre Ă©tabli Ă  38 morts et 103 blessĂ©s[12].

Après que le prĂ©fet de la Charente-infĂ©rieure, Pierre Landrodie se fut rendu immĂ©diatement sur les lieux, les autoritĂ©s publiques nationales, compte tenu de l'ampleur de la catastrophe, tinrent elles aussi Ă  tĂ©moigner sur place ou par message de leur solidaritĂ© avec les victimes. Le premier Ă  arriver fut Albert Sarraut, sous-secrĂ©taire d'Etat Ă  la guerre, dĂ©jĂ  prĂ©sent Ă  La Rochelle pour reprĂ©senter le gouvernement Ă  des fĂŞtes de gymnastique, que le prĂ©sident du Conseil, Aristide Briand, chargea de « porter aux familles des victimes les condolĂ©ances du gouvernement et de prendre dans leur intĂ©rĂŞt toutes les mesures nĂ©cessaires »[13]. Il fut rejoint le lendemain par le ministre des travaux publics, Alexandre Millerand, rentrĂ© de Suisse en urgence, et le directeur des chemins de fer de l'Etat, M. Raymond Beaugey[14], qui firent avec lui la tournĂ©e des hĂ´pitaux pour visiter les blessĂ©s. Le prĂ©sident de la RĂ©publique, Armand Fallières, en route vers la Suisse pour un voyage officiel, adressa au prĂ©fet le tĂ©lĂ©gramme suivant : « J'apprends Ă  Besançon la terrible catastrophe de Saujon. Je vous prie de faire parvenir aux familles de ceux qui ont trouvĂ© la mort la part très sincère que je prends Ă  leur deuil. Veuillez Ă©galement ĂŞtre auprès des malheureux blessĂ©s l'interprète de ma douloureuse sympathie. » De l'Ă©tranger parvinrent Ă©galement les condolĂ©ances de Robert Comtesse, prĂ©sident de la ConfĂ©dĂ©ration suisse[15], de Guillaume II, empereur d'Allemagne[16], de Victor Emmanuel III, roi d'Italie[17] et de son ministre des Travaux publics, Ettore Sacchi[18].

Bien que dĂ©pourvus de moyens lourds de dĂ©blaiement, et notamment d'une grue, en 48 heures, les ouvriers parvinrent Ă  rĂ©tablir la circulation sur les voies de la gare en dĂ©gageant les Ă©paves des voitures et wagons et en ripant les machines renversĂ©es Ă  l'aide de crics[19].

Suites

Au-delà de la question juridique de responsabilité, l'accident eut aussi un impact politique puisqu'il fut l'occasion de relancer les deux questions, brûlantes à l'époque, des relations de l'État avec les activités économiques d'une part, et la religion catholique d'autre part.

Recherche des responsabilités

Comme lors de tous les accidents causant des victimes, deux enquêtes furent menées simultanément, l'une judiciaire, par M. Aylies, juge d'instruction du tribunal correctionnel de Saintes, l'autre administrative, ouverte à l'initiative de M. Jacques Jouguet[20], directeur du contrôle au ministère des Travaux publics, qui la confia à M. Édouard Brisse, ingénieur en chef de l'exploitation de la compagnie de l'Est.

Si la collision et ses effets catastrophiques résultaient bien de la conjonction de multiples fautes et insuffisances, comme l'affirmait le député André Ballande à la Chambre[21], la justice en imputa la responsabilité exclusive à un seul agent.

Le stationnement malencontreux de la locomotive

À Saujon, le train de marchandises devait prendre et déposer des wagons. Ces opérations nécessitaient de le couper, puis de le reformer, après diverses évolutions sur les voies de la gare. L'essentiel avait déjà été effectué, puisque les wagons formant la nouvelle composition avaient tous été regroupés sur une voie d'évitement. Cependant, avant de faire refouler sa locomotive sur le convoi pour permettre l'attelage de ses différents tronçons, le mécanicien, Fernand Bouissou (44 ans), l'avait quittée, et était parti se ravitailler en eau potable à une pompe située à proximité. Le chef d'équipe Drouineau, qui dirigeait les manœuvres, reconnaissait lui avoir donné l'autorisation de s'absenter momentanément, mais niait être responsable du choix malencontreux de l'endroit de stationnement de la machine[22]. D'aucuns émirent un temps l'hypothèse que si celle-ci empiétait de quelques mètres sur la voie principale, c'était à la suite d'une fausse manœuvre du chauffeur Papillon, tué dans l'accident[23], mais l'enquête le démentit, puisque la position de son corps indiquait qu'au moment du choc il devait se reposer assis sur le coffre du tender. Le mécanicien ne contesta d'ailleurs pas avoir abandonné momentanément sa machine à cet emplacement. Il est en effet probable qu'il croyait disposer d'un temps suffisant, et incidemment être couvert par la signalisation, puisque la réglementation en vigueur imposait que lors des manœuvres, les signaux commandant l'entrée de la gare restent fermés jusqu'à ce que le chef d'équipe donne l'ordre exprès de les rouvrir.

L'arrivée intempestive du train de voyageurs

Au moment de l'accident, la commande des aiguillages et de la signalisation était assurée par l'aiguilleur Desaffit (56 ans), opérant depuis une cabine implantée à la sortie de la gare en direction de Royan et La Tremblade. Celui-ci, constatant que la queue du train de marchandises était arrivée à son niveau sur la voie d'évitement, en avait conclu que l'ensemble du convoi y était bien garé, même si la courbure des voies l'empêchait d'en voir la totalité. Estimant les manœuvres terminées, il avait donc sans plus attendre ouvert le signal d'entrée côté Pons au train de voyageurs en approche.

Celui-ci aurait normalement dû aborder la gare à 15 km/h, mais, sans doute pour réduire son retard, marchait encore à 50 km/h, comme l'indiqua la bande Flaman de la machine saisie par le juge d'instruction[24]. Apercevant l'obstacle, le mécanicien Dieuaide déclencha immédiatement le freinage d'urgence, qui réduisit à environ 10-15 km/h[25] la vitesse au moment de l'impact.

Les déficiences de l'État

Elles furent d'abord dénoncées lors d'interventions à la Chambre en à l'occasion de la discussion du budget des chemins de fer, puis par la défense devant le tribunal correctionnel[26].

  • Le reproche essentiel portait sur la composition du convoi, manifestement constituĂ© d'un assemblage improvisĂ© de vĂ©hicules hĂ©tĂ©roclites pour faire face Ă  l'affluence. Ainsi, le dĂ©putĂ© Fernand Engerand regrettait que les voitures Ă©crasĂ©es, anciennes et d'un poids d'environ 7 Ă  8 tonnes, aient Ă©tĂ© encadrĂ©es par d'autres pesant de 18 Ă  20 t, qui les mirent en miettes lors du choc[27]. Un autre de ses collègues, AndrĂ© Ballande, affirmait que compte tenu de leur vĂ©tustĂ©, elles Ă©taient impropres Ă  figurer dans la composition d'un express[28].
  • Subsidiairement, on pouvait aussi reprocher Ă  l'État, comme le fit le dĂ©putĂ© Ballande, de ne pas avoir installĂ© Ă  Saujon, comme dans de nombreuses gares, un système d'enclenchement solidarisant automatiquement signalisation et aiguillages, dispositif qui aurait Ă©vitĂ© l'accident alors que l'emplacement de la cabine de l'aiguilleur, dans une courbe sans visibilitĂ©, le rendait nĂ©cessaire. De mĂŞme, un autre dĂ©putĂ©, Henri de La Porte rappelait que la Chambre avait invitĂ© un an auparavant le gouvernement Ă  prescrire aux compagnies l'adoption de l'attelage automatique, et que si le train de marchandises en cause en avait Ă©tĂ© muni, ses manĹ“uvres auraient Ă©tĂ© facilitĂ©es et la catastrophe, « peut-ĂŞtre, eĂ»t pu ĂŞtre Ă©vitĂ©e »[29].

La responsabilité exclusive de l'aiguilleur

Si le juge d'instruction avait fait application d'une dĂ©finition extensive de la causalitĂ©, il aurait pu, compte tenu de tous les Ă©lĂ©ments ayant contribuĂ© Ă  la survenance et Ă  la gravitĂ© de l'accident, inculper plusieurs personnes, employĂ©s de la gare, mĂ©caniciens, et mĂŞme cadres techniques ou administratifs. Choisissant d'utiliser une autre mĂ©thode, il considĂ©ra que sur l'ensemble des fautes et erreurs commises, celle de l'aiguilleur Desaffit ouvrant prĂ©maturĂ©ment le signal d'entrĂ©e avait Ă©tĂ© dĂ©terminante et devait ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme l'unique cause du drame. Cet agent fut donc le seul Ă  ĂŞtre traduit devant le tribunal correctionnel pour homicide et blessures par « maladresse, imprudence et inobservation des règlements ». Son procès, au cours duquel il parut « d'intelligence lente » Ă  certains journalistes[30], s'ouvrit Ă  Saintes le mercredi [31]. Le lendemain, le tribunal se transporta sur les lieux afin de procĂ©der Ă  une reconstitution en faisant manĹ“uvrer une locomotive et une rame de wagons, pour vĂ©rifier les conditions de visibilitĂ© en gare, puis finit la journĂ©e en entendant 17 tĂ©moins dans une salle du bâtiment voyageurs[32]. Le mardi suivant, dans son rĂ©quisitoire, le procureur de la RĂ©publique, estimant l'aiguilleur seul responsable, demanda sa condamnation Ă  l'emprisonnement, tempĂ©rant cependant sa sĂ©vĂ©ritĂ© en dĂ©clarant qu'il n'Ă©tait pas opposĂ© au sursis[33]. Après plaidoirie des avocats de la dĂ©fense insistant sur le surmenage du personnel de la gare et les conditions difficiles de son service le jour de l'accident, le tribunal condamna le lendemain Firmin Desaffit Ă  un an de prison et 200 francs d'amende, en lui accordant le bĂ©nĂ©fice du sursis[34]. L'État ayant Ă©tĂ© dans la mĂŞme dĂ©cision dĂ©clarĂ© civilement responsable, fut par la suite condamnĂ© par le tribunal civil de Saintes Ă  indemniser les victimes avec lesquelles un accord amiable n'avait pu ĂŞtre trouvĂ©[35].

Mise en cause de l'État entrepreneur

L'accident avait eu lieu sur une ligne faisant partie depuis sa mise en service du réseau dit des Chemins de fer de l'État constitué « provisoirement » par décrets en 1878 pour pallier la défaillance de certaines compagnies privées[36]. Comme il suivait de peu celui de Villepreux, mettant en cause le même exploitant, il offrit l'occasion de nouvelles controverses entre partisans et adversaires de la gestion publique des chemins de fer, alors que celles sur le rachat par l'État de la Compagnie de l'Ouest en 1908 persistaient encore.

Si le Journal des dĂ©bats politiques et littĂ©raires, dans un Ă©ditorial intitulĂ© « Cruelle journĂ©e », adoptait un ton assez neutre pour Ă©crire : « Nous ne voulons pas insister sur cette circonstance que la catastrophe de Saujon, comme celle de Villepreux, a eu lieu sur le rĂ©seau de l’État, mais le public ne peut s'empĂŞcher d'en ĂŞtre frappĂ© et de se faire cette rĂ©flexion qu'il n'y aurait pas assez d'indignation contre une grande Compagnie qui aurait une malchance si persistante »[37], le reste de la presse s'engageait plus ouvertement selon ses orientations idĂ©ologiques. Ainsi, L'Univers, sous le titre « Questions sociales.Les monopoles d'État », Ă©crivait : « la catastrophe de Saujon a rappelĂ© au public que l'État Ă©tait le plus pitoyable des industriels »[38]. Le Temps qualifiait le rĂ©seau de l'État de « pĂ©taudière tragique » en concluant que des rĂ©formes s'y imposaient « comme des mesures de salut public »[39], alors que dans un Ă©ditorial ironique Le Figaro disait du rĂ©seau de l’État : « c’est le mal qui y est la règle, et le bien qui est l’accident »[40]. Aux critiques sur la piètre qualitĂ© du service, l'Ă©ditorialiste de La Presse, quant Ă  lui, en ajoutait une autre, relative Ă  la moindre indemnisation des victimes et Ă  l'absence d'effet exemplaire de la condamnation d'un État, «être anonyme qui n'a aucune responsabilitĂ© et qui se moque du «quand (sic) dira-t-on» »[41].

À l'inverse, Le Rappel désavouait ces attaques en publiant des tribunes libres de René Besnard (« L'exploitation d'une catastrophe »)[42] et Marcel Régnier (« Réseau d'État »)[43] prenant la défense de l'exploitation publique. Il en allait de même pour L'Humanité, qui, deux jours après le drame, n'hésitait pas à conclure un éditorial de Louis Dubreuilh intitulé « Après Saujon », que « l’heure est décisive pour l’avenir des nationalisations qui s’imposent » [44].

Tensions avec la hiérarchie catholique

Bien que la loi de séparation date de plus de quatre ans, les tensions qu'elle avait soulevées n'étaient pas totalement apaisées. L'accident de Saujon leur offrit une nouvelle occasion de s'extérioriser.

De sa résidence de vacances en Haute-Savoie, Mgr Andrieu, archevêque de Bordeaux adressa à son diocèse par voie de presse une lettre aux termes soigneusement pesés dans laquelle tout en exprimant sa compassion pour les victimes, il évoquait « la leçon qui se dégage de la catastrophe », dénonçant « la voie périlleuse où le monde se précipite » en recherchant le « mirage » des plaisirs terrestres[45]. Par la suite, la presse s'appesantit sur deux faits révélateurs de l'intransigeance des deux camps, survenus lors des cérémonies religieuses consécutives à la catastrophe.

  • Le premier eut lieu le Ă  Royan lorsque le sous-prĂ©fet de Marennes et le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la prĂ©fecture, assistant Ă  la messe d'obsèques du chauffeur Papillon et de quelques autres morts de l'accident, restèrent ostensiblement assis en refusant de se lever Ă  la demande de l'officiant, mĂŞme lors de l'ÉlĂ©vation, attitude jugĂ©e « inconvenante »[46].
  • Le second eut lieu le Ă  l'Ă©glise de Saujon, lors de l'office solennel cĂ©lĂ©brĂ© en mĂ©moire de toutes les victimes, lorsque dans son homĂ©lie, Mgr Eyssautier, Ă©vĂŞque de La Rochelle, qualifia la sĂ©paration de « provisoire » et la DĂ©claration des droits de l'Homme de « tapageuse », provoquant la sortie des reprĂ©sentants de l'État avant la fin de la cĂ©rĂ©monie[47].

Les commentaires suscités par ce dernier incident varièrent selon les convictions de leurs auteurs, certains considérant les propos de l'évêque comme « une grossière incorrection »[48], d'autres estimant au contraire que la sortie prématurée des représentants de l'État prouvait leur « défaut d'intelligence, de tact et de sang-froid »[49]. Le quotidien anticlérical La Lanterne, dans un éditorial intitulé « L'inévitable incident », en concluait que la logique de la séparation interdisait aux représentants de la République de s'associer désormais à toute cérémonie religieuse[50].

Notes et références

Notes

  1. Ce type de train était dit « de plaisir » selon une terminologie devenue habituelle.
  2. Les chiffres donnés dans la presse allaient de 1000 à 1200. Celui indiqué au secrétaire d'État était de 1107
  3. Cinq cents selon certains témoignages.
  4. Neuf Ă  Saujon, sept Ă  Royan, et deux Ă  Saint-Georges-de-Didonne.

Références

  1. Voir La Vie du Rail, n° 925 du 15 décembre 1963, p. 2.
  2. Le Conservateur : Journal politique de l'arrondissement de Marennes du 12 mars 1899, p. 3. Voir Ă©galement l'intervention de M. Pierre Voyer Ă  la Chambre le 10 mars 1911, JO DĂ©bats Chambre, p. 1467
  3. Le Journal des débats politiques et littéraires du 16 août 1910, pp. 1-2.
  4. Selon le juge d'instruction (Le Matin du 17 août 1910, p. 1.); trente cinq minutes, voire une heure (L’Ouest-Éclair du 16 août 1910, p. 1) selon divers témoins.
  5. Selon le témoignage du chef de manœuvre (voir Le Matin du 16 août 1910, p. 3.)
  6. Selon le témoignage de M. Dubois, inspecteur des chemins de fer de l'État, voyageant dans le fourgon de tête du train tamponneur (Le Petit Parisien du 15 août 1910, p. 3.)
  7. Voir Le Journal des débats politiques et littéraires du 16 août 1910, pp. 1-2.
  8. Le groupe, parti de cette ville à 6 heures, comprenait notamment des jeunes filles de l'école normale accompagnées de leur directrice et d'institutrices (Le Journal du 16 août 1910, p. 4).
  9. Voir le témoignage du directeur de l'école de garçons publié par Le Petit Parisien du 17 août 1910, p. 2.
  10. Le Petit Parisien du 18 août 1910, p. 2. Plus tard, lors d'une interpellation à la Chambre le 2 février 1911, André Ballande, député de la Gironde, critiqua les transferts, jugés trop éprouvants pour les blessés, alors que la ville de Royan disposait selon lui de moyens sanitaires suffisants pour les accueillir (lire en ligne)
  11.  Voir La Presse du 6 septembre 1910, p. 1.
  12. Ces chiffres furent annoncés à l'ouverture du procès, en avril 1911 (voir Le Figaro du 6 avril 1911, p. 5 et L'Aurore du 6 avril 19111), mais selon les sources, le nombre des morts était de «plus de quarante» (chiffre annoncé lors des débats sur l'accident à la Chambre des députés ), voire de cinquante trois (Le Petit Parisien du 16 août 1910, p. 1).
  13. Le Journal des débats politiques et littéraires du 16 août 1910, p. 2 .
  14. Voir : Raymond Jean Beaugey.
  15. Le Journal des débats politiques et littéraires du 16 août 1910, pp. 1-2
  16. L'Humanité du 16 août 1910, p. 1.
  17. L'Aurore du 19 août 1910, p. 2.
  18. Le Petit Journal du 16 août 1910, p. 3.
  19. Le Petit Parisien du 17 août 1910, p. 2.
  20. Voir : Jacques Charles Émile Jouguet
  21. JO débats Chambre, séance du 2 février 1911, p. 450
  22. Le Matin du 16 août 1910, p.
  23. Voir Le Journal du 16 août 1910, p. 1.
  24. Le Matin du 17 août 1910, p. 1
  25. Selon le témoignage d'un cadre de l'Etat voyageant dans le fourgon de tête (La Presse du 16 août 1910, p. 1).
  26. L'Humanité du 12 avril 1911, p. 2.
  27. JO Débats Chambre des députés Séance du 2 février 1911, p. 442.
  28. Ibid. p. 450
  29. Intervention lors de la séance du 24 novembre 1910, JO Débats Chambre, p. 2964.
  30. Le Temps du 7 avril 1911, p. 3.
  31. Le Figaro du 6 avril 1911, p. 5.
  32. L'Aurore du 7 avril 1911, p. 3.
  33. L'Humanité du 12 avril 1911, p. 2.
  34. La Presse du 13 avril 1911, p. 1.
  35. Le Figaro du 26 décembre 1911, p. 4.
  36. Voir le décret du 30 novembre 1880, J.O. Lois et Décrets du 23 décembre 1880, p. 12 714
  37. Le Journal des débats politiques et littéraires du 16 août 1910, p. 1.
  38. L'Univers du 19 août 1910, p. 3.
  39. Le Temps du 16 août 1910, p. 1.
  40. « L’Etat c’est ça », par Grosclaude, Le Figaro du 16 août 1910, p. 1
  41. Dans un Ă©ditorial « Aux frais des contribuables », signĂ© Alceste, La Presse du 19 aoĂ»t 1910, p. 1 .
  42. Le Rappel du 22 août 1910, p. 1.
  43. Le Rappel du 28 août 1910, p. 1.
  44. L’Humanité du 16 août 1910, p. 1
  45. Publiée dans L'Univers du 19 août 1910, p. 1.
  46. L'Univers du 26 août 1910, p. 4.
  47. Le Journal du 22 août 1910, p. 4; l'évêque a publié quelques jours plus tard des mises au point dans un Bulletin religieux (Le Journal du 28 août 1910, p. 3), et, surtout, dans La Lanterne du 28 août 1910 (lire en ligne).
  48. Le Rappel du 23 août 1910, p. 1.
  49. La Croix du 23 août 1910, p. 2.
  50. La Lanterne du 23 août 1910, p. 1.

Voir aussi

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