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Équation de Boltzmann quantique

L'équation de Boltzmann quantique, également connue sous le nom d'équation d'Uehling-Uhlenbeck, est l'extension de l'équation de Boltzmann classique qui donne l'évolution temporelle hors d'équilibre d'un systÚme de particules quantiques en interaction. L'équation de Boltzmann quantique se distingue formellement de celle classique par le terme de collision, qui donne l'évolution de la distribution de quantité de mouvement d'un gaz localement homogÚne causée par les collisions binaires entre les molécules ; ce terme de collision, qui prend en compte des contraintes de la mécanique quantique, a été initialement formulé par Lothar Nordheim (1928)[1], et par Edwin Uehling (en) et George Uhlenbeck (1933)[2].

L'Ă©quation de Boltzmann-Uehling-Uhlenbeck (BUU)

Forme générale de l'équation de Boltzmann

La forme générale de l'équation de Boltzmann est la suivante :

est la distribution à un corps dans la hiérarchie BBGKY[3] qui donne la densité de probabilité pour une particule quelconque du systÚme de se situer en un point de l'espace des phases. est l'hamiltonien du systÚme ; est le crochet de Poisson.

Lorsque les forces dérivent d'un potentiel, et en explicitant le second terme, on obtient la forme la plus usuelle de l'équation complÚte

avec le produit scalaire ( . ) et l'opérateur usuel gradient pour les positions, qui se formule de maniÚre analogue pour les moments. représente les forces appliquées sur les particules de la distribution : soit forces extérieures, soit forces entre les particules dans la limite du champ moyen.

est l'opĂ©rateur de collision, qui rend compte des interactions directes entre les particules, en gĂ©nĂ©ral les collisions binaires. La mĂ©canique quantique doit ĂȘtre prise en compte dans la forme exacte de , qui dĂ©pend de la physique du systĂšme Ă  modĂ©liser [4].

Lorsque l'on traite des systÚmes de fermions, le principe d'exclusion de Pauli impose des contraintes fortes sur la densité dans l'espace des phases (voir Physique semi-classique) qui doit satisfaire pour tout volume élémentaire

Dans un régime purement hamiltonien (sans collisions binaires), si la contrainte est vérifiée initialement, elle le sera durant toute l'évolution du systÚme (théorÚme de Liouville) ; il est donc nécessaire que le terme de collisions prenne en compte cette limitation.

Terme de collision de Uehling et Uhlenbeck (UU)

La forme la plus usuelle est le terme de Uehling-Uhlenbeck (UU)[2] pour les fermions :

g est le facteur de dégénérescence des niveaux ( pour des fermions de spin 1/2, pour les nucléons avec l'isospin). Les termes indicés caractérisent les particules en voie d'entrée (indices 1 et 2) et en sortie (indices 3,4) ; la section efficace (probabilité) de collision est . Le terme de collision UU établit la conservation de l'énergie et des impulsions dans un choc élastique (les distributions de Dirac ) et le respect du principe d'exclusion de Pauli.

La fonction de distribution est ici normalisée à un maximum égal à l'unité, c'est donc le nombre d'occupation local dans l'espace des phases.

En factorisant le terme de collisions, on obtient la forme synthétique :

avec le terme de gain qui fait croitre le taux d'occupation local jusqu'à la limite bloquée par le principe de Pauli ; le terme de perte fait décroßtre le taux d'occupation[5].

Extension au cas des bosons

Le terme de collisions ci-dessus, défini pour des fermions, est un cas particulier d'une forme générale qui inclut les particules classiques et les bosons[6]. On peut généraliser les termes de blocage spécifique aux fermions dans l'équation ci-dessus, en prenant en compte respectivement les statistiques classiques, de Bose-Einstein et de Fermi-Dirac : ils s'écrivent alors :

avec pour les particules classiques, pour les bosons et pour les fermions. On obtient alors :

Dans la suite, on se limitera Ă  l'Ă©quation pour les fermions.

Blocage de Pauli pour les fermions

Dans l'espace des moments, pour conserver l'Ă©nergie et l'impulsion, les collisions Ă©lastiques entre 2 particules A et B, de moments respectifs et , se traduisent par une rotation alĂ©atoire de leur moment relatif (voir l'article Équation de Boltzmann). Le principe de Pauli en mĂ©canique quantique, implique que pour que la collision soit possible, l'espace des phases pour les impulsions finales et ne soit pas occupĂ© (voir figure). En mĂ©canique classique, la rotation alĂ©atoire peut donc prendre toutes les valeurs de 0 Ă  ; en mĂ©canique quantique, seules les rotations conduisant Ă  des Ă©tats inoccupĂ©s sont possibles et ont donc une probabilitĂ© fortement rĂ©duite.

Illustration dans l'espace des moments des effets du terme de collisions dans un systĂšme hors Ă©quilibre (les 2 cercles grisĂ©s -en rouge et bleu- reprĂ©sentent l'espace initial des impulsions du systĂšme) ; on considĂšre la collision Ă©lastique de 2 particules A et B). À gauche, le cas classique, aprĂšs la collision, les moments des 2 particules peuvent prendre les valeurs sur l'ensemble du cercle en vert (exemple A' et B'). À droite, le cas quantique, seul l'arc du cercle en vert, est permis ; les autres Ă©tant bloquĂ©s par le principe de Pauli (un des Ă©tats ou les deux sont occupĂ©s).

Dans le cas de la figure, on considÚre un systÚme hors équilibre, constitué de deux distributions de fermions identiques (cercles grisés) en interaction (la figure pourrait correspondre à une réaction nucléaire entre 2 noyaux lourds à des énergies supérieures à 70 MeV par nucléon).

Pour la paire de fermions A et B, à gauche, la totalité du cercle (en vert) est accessible avec le terme de collision classique ; seule une trÚs petite partie (en vert à droite) est possible avec le terme de collisions UU ; la probabilité de collisions est réduite d'un ordre de grandeur.

L'Ă©quation de Boltzmann quantique s'applique donc Ă  des systĂšmes fortement hors Ă©quilibre (modes collectifs de grande amplitude, collisions
).

Solutions asymptotiques

Le terme de collision dans l'équation quantique de Boltzmann donne un comportement irréversible à l'évolution du systÚme. L'équation détermine une solution d'équilibre[5] :

Celle-ci satisfait la statistique de Fermi-Dirac. Elle exprime la probabilité pour les particules d'avoir une énergie en fonction de 2 paramÚtres, le niveau de Fermi et la température . Elle correspond au maximum de l'entropie du systÚme.

Comme son équivalent classique, l'équation quantique détermine une flÚche du temps ; c'est-à-dire qu'aprÚs un temps suffisamment long, elle conduit à une distribution d'équilibre qui n'évolue plus macroscopiquement.

Bien que la mĂ©canique quantique soit microscopiquement rĂ©versible dans le temps, l'Ă©quation quantique de Boltzmann donne un comportement irrĂ©versible car l'information de phase est ignorĂ©e[7], seul le nombre moyen d'occupation des Ă©tats quantiques est conservĂ©. La solution de l'Ă©quation quantique de Boltzmann est donc une bonne approximation du comportement exact du systĂšme sur des Ă©chelles de temps courtes par rapport au temps de rĂ©currence de PoincarĂ©, ce qui n'est gĂ©nĂ©ralement pas une limitation sĂ©vĂšre, car le temps de rĂ©currence de PoincarĂ© peut ĂȘtre plusieurs fois l' Ăąge de l'univers mĂȘme dans de petits systĂšmes.

Résolution numérique

Comme son Ă©quivalent classique, l'Ă©quation BUU n'a de solutions analytiques que dans des cas trĂšs spĂ©cifiques. Dans la pratique, on la rĂ©sout par des mĂ©thodes numĂ©riques, soit par des mĂ©thodes eulĂ©riennes sur rĂ©seau, soit par des mĂ©thodes lagrangiennes (voir la section « Les mĂ©thodes de rĂ©solution numĂ©rique directe » de l'article Équation de Boltzmann).

Comme elle traite des problÚmes hors équilibre avec une grande extension dans l'espace des phases; les méthodes lagrangiennes sont particuliÚrement adaptées. De plus, ces méthodes permettent une simulation directe du terme de collision UU (voir infra).

MĂ©thodes pseudo-particulaires

Elles sont basĂ©es sur le fait que la distribution quantique dans l'espace des phases d'un systĂšme de A fermions, supposĂ©e positive, peut ĂȘtre approchĂ©e par celle d'un systĂšme de (pseudo-)particules suivant des trajectoires classiques (avec )[8].

Cela revient Ă  projeter la fonction sur une base dĂ©pendant du temps , par convolution avec une fonction de poids , indĂ©pendante du temps et strictement positive oĂč les fonctions doivent ĂȘtre solutions de l'Ă©quation de Boltzmann sans collisions et reprĂ©senter une base la plus complĂšte possible de l'espace des phases[9]. La solution de l'Ă©quation est donnĂ©e par les trajectoires classiques des fonctions .

En pratique, on effectue un Ă©chantillonnage de type Monte-Carlo et oĂč les sont les coordonnĂ©es des pseudo-particules dans l'espace des phases. Selon le contexte, les fonctions g utilisĂ©es sont soit des distributions de Dirac, soit des gaussiennes[9]. Le calcul explicite des collisions entre les pseudo-particules nĂ©cessite une renormalisation de leur section efficace par rapport Ă  celle des particules physiques.

Applications

Physique des semi-conducteurs

L'Ă©quation de Boltzmann est utilisĂ©e en physique des semi-conducteurs[10]. Un modĂšle typique d'un semi-conducteur peut ĂȘtre construit sur les hypothĂšses suivantes Ă  la base de l'Ă©quation de Boltzmann :

  1. La distribution des Ă©lectrons est spatialement homogĂšne Ă  une approximation raisonnable (donc toute dĂ©pendance x peut ĂȘtre supprimĂ©e) ;
  2. Le potentiel externe est fonction uniquement de la position et isotrope dans l'espace p, et donc peut ĂȘtre mis Ă  zĂ©ro sans perdre davantage de gĂ©nĂ©ralitĂ© ;
  3. Le gaz est suffisamment diluĂ© pour que les interactions Ă  trois corps entre les Ă©lectrons puissent ĂȘtre ignorĂ©es.

Physique nucléaire

À partir des annĂ©es 1980, avec le dĂ©veloppement des accĂ©lĂ©rateurs permettant d'Ă©tudier les rĂ©actions entre noyaux lourds de haute Ă©nergie, une part importante de la physique nuclĂ©aire a Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă  l'Ă©tude de la matiĂšre nuclĂ©aire trĂšs loin de l'Ă©quilibre ; l'Ă©tude thĂ©orique de ces rĂ©actions est trĂšs largement basĂ©e sur les Ă©quations du type Boltzmann quantique[11].

Exemple d'utilisation de l'équation de Boltzmann quantique en physique nucléaire (réaction trÚs inélastique Sn+Xe à 35MeV/u). Les courbes de niveau représentent la densité nucléaire projetée sur le plan de réaction ; en couleurs pour le projectile, pour montrer les échanges de nucléons lors de la réaction.
Exemple d'utilisation de l'équation de Boltzmann quantique en physique nucléaire (réaction trÚs inélastique Sn+Xe à 35MeV/u). Les courbes de niveau représentent la densité nucléaire projetée sur le plan de réaction ; en couleurs pour le projectile, pour montrer les échanges de nucléons lors de la réaction.


La figure ci-contre donne un exemple d'utilisation de l'équation de Boltzmann quantique en physique nucléaire (réaction trÚs inélastique Sn+Xe à 35 MeV/u).

Les courbes de niveau représentent la densité de probabilité des nucléons projetée sur le plan de réaction (cadre de 80 x 60 fermis) ; les courbes sont tracées en couleurs pour le projectile, pour montrer les échanges de nucléons lors de la réaction. L'unité de temps est le fm/c : . La solution de l'équation de Boltzmann donne accÚs aux échanges de nucléons et d'énergie dans la réaction et aux trajectoires des fragments produits.

Physique relativiste

Aux énergies relativistes pour les systÚmes baryoniques, il est nécessaire : d'une part de rendre l'équation invariante par la transformation de Lorentz et d'autre part, de tenir compte de la production de nouvelles particules dont les seuils de production sont dépassés[12] (collisions nucléaires à trÚs haute énergie[13], milieux stellaire...).

Références

  1. L. Nordhiem W. et R. W. Fowler, « On the kinetic method in the new statistics and application in the electron theory of conductivity », Proceedings of the Royal Society of London. Series A, Containing Papers of a Mathematical and Physical Character, vol. 119, no 783,‎ , p. 689–698 (DOI 10.1098/rspa.1928.0126, Bibcode 1928RSPSA.119..689N)
  2. (en) Uehling et Uhlenbeck, « Transport Phenomena in Einstein-Bose and Fermi-Dirac Gases. I », Physical Review, vol. 43, no 7,‎ , p. 552–561 (ISSN 0031-899X, DOI 10.1103/PhysRev.43.552, Bibcode 1933PhRv...43..552U, lire en ligne)
  3. Christian Grégoire, « Effets des collisions sur la dynamique nucléaire » [PDF], sur HAL - Open science, (consulté le )
  4. Filbert, Hu et Jin, « A Numerical Scheme for the Quantum Boltzmann Equation Efficient in the Fluid Regime », ESAIM: M2AN, vol. 46, no 2,‎ , p. 443–463 (DOI 10.1051/m2an/2011051, arXiv 1009.3352)
  5. (en) JĂžrgen Randrup et Bernard Remaud, « Fluctuations in one-body dynamics », Nuclear Physics A, vol. 514, no 2,‎ , p. 339–366 (ISSN 0375-9474, DOI 10.1016/0375-9474(90)90075-W, lire en ligne, consultĂ© le )
  6. (en) Bao, Markowich et Pareschi, « Quantum kinetic theory: modelling and numerics for Bose-Einstein condensation », Modeling and Computational Methods for Kinetic Equations, Series: Modeling and Simulation in Science, Engineering and Technology, modeling and Simulation in Science, Engineering and Technology,‎ , p. 287–320 (ISBN 978-1-4612-6487-3, DOI 10.1007/978-0-8176-8200-2_10)
  7. Snoke, Liu et Girvin, « The basis of the Second Law of thermodynamics in quantum field theory », Annals of Physics, vol. 327, no 7,‎ , p. 1825–1851 (DOI 10.1016/j.aop.2011.12.016, Bibcode 2012AnPhy.327.1825S, arXiv 1112.3009, S2CID 118666925)
  8. (en) Bernard Remaud, « Pseudo-Particle Models for Nuclear Reactions with Heavy Ions », Annales de Physique, vol. 21, no 5,‎ , p. 503–535 (ISSN 0003-4169 et 1286-4838, DOI 10.1051/anphys:199605003, lire en ligne, consultĂ© le )
  9. (en) P. Schuck, R. W. Hasse, J. Jaenicke et C. GrĂ©goire, « Semiclassical and phase space approaches to dynamic and collisional problems of nuclei », Progress in Particle and Nuclear Physics, vol. 22,‎ , p. 181–278 (ISSN 0146-6410, DOI 10.1016/0146-6410(89)90004-5, lire en ligne, consultĂ© le )
  10. Snoke, « The quantum Boltzmann equation in semiconductor physics », Annalen der Physik, vol. 523, nos 1–2,‎ , p. 87–100 (DOI 10.1002/andp.201000102, Bibcode 2011AnP...523...87S, arXiv 1011.3849, S2CID 119250989)
  11. (en) G. F. Bertsch et S. Das Gupta, « A guide to microscopic models for intermediate energy heavy ion collisions », Physics Reports, vol. 160, no 4,‎ , p. 189–233 (ISSN 0370-1573, DOI 10.1016/0370-1573(88)90170-6, lire en ligne, consultĂ© le )
  12. H.-Th. Elze, M. Gyulassy, D. Vasak et Hannelore Heinz, « Towards a relativistic selfconsistent quantum transport theory of hadronic matter », Modern Physics Letters A, vol. 02, no 07,‎ , p. 451–460 (ISSN 0217-7323, DOI 10.1142/S0217732387000562, lire en ligne, consultĂ© le )
  13. Q. Li, J. Q. Wu et C. M. Ko, « Relativistic Vlasov-Uehling-Uhlenbeck equation for nucleus-nucleus collisions », Physical Review C, vol. 39, no 3,‎ , p. 849–852 (DOI 10.1103/PhysRevC.39.849, lire en ligne, consultĂ© le )

Voir aussi

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