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Émulsion

Une émulsion est un mélange hétérogène de deux substances liquides non miscibles, l'une étant dispersée sous forme de petites gouttelettes dans l'autre. Ce sont toujours deux liquides qui ne se mélangent pas spontanément (non miscibles), comme l’eau et l’huile, mais qui vont grâce à des opérations spécifiques (agitation, mélange, ajout de quelques principes actifs) adopter un aspect macroscopiquement homogène, mais microscopiquement hétérogène. L'une des substances sera dispersée dans la seconde substance sous forme de gouttelettes. Le mélange reste stable grâce à un troisième ingrédient appelé « émulsifiant » (vitesse ou cinétique d'évolution du mélange quasi nulle).

A. Deux liquides non-miscibles.
B. Émulsion instable.
C. Les deux liquides se séparent progressivement.
D. Un tensioactif (ou agent de surface) entoure les gouttelettes d'un des liquides, stabilisant l'Ă©mulsion.

Une mousse ressemble à une émulsion mais la seconde substance est un gaz (au lieu d'un liquide), dispersé sous forme de bulles. Une autre différence importante entre mousses et émulsions est la fraction volumique de la phase dispersée (gaz), en général beaucoup plus élevée dans les mousses les plus stables.

En photographie argentique, on désigne également du nom d'« émulsion » une pellicule considérée du point de vue de ses caractéristiques techniques (sensibilité, réciprocité…). Le nom remonte aux premières années de la photographie où l'on étendait une émulsion photosensible sur un support en verre avant de prendre un cliché.

Généralités

Une émulsion est un cas particulier de colloïde. Les deux substances liquides en présence sont appelées des phases. Une des phases est continue. L'autre phase, discontinue, est dispersée dans la première phase sous forme de petites gouttelettes.

Les émulsions sont souvent composées d'une phase aqueuse, semblable à de l'eau, et d'une phase huileuse, semblable à de l'huile.

  • Une Ă©mulsion huile dans eau (H/E ou O/W pour oil in water) est composĂ©e d'une phase huileuse dispersĂ©e dans une phase aqueuse. Il s'agit d'une Ă©mulsion « directe ».
  • Une Ă©mulsion eau dans huile (E/H ou W/O pour water in oil) est composĂ©e d'une phase aqueuse dispersĂ©e dans une phase huileuse. Une Ă©mulsion E/H est plus grasse au toucher, car le toucher correspond majoritairement Ă  la nature de la phase externe. Une telle Ă©mulsion est dite « inverse ».

On peut Ă©galement trouver des Ă©mulsions multiples H/E/H ou E/H/E[1].

Classification

Selon la taille des particules qui les composent, les émulsions peuvent être classées en macroémulsion, miniémulsion et nanoémulsion[2]. Les mots miniémulsion et nanoémulsion sont utilisés fréquemment d'une façon interchangeable pour désigner toutes les émulsions dont la taille des particules est inférieure à celle des macroémulsions. Une miniémulsion est obtenue en mélangeant deux liquides non-miscibles (exemples typiques : hexadécane avec hexadécanol) avec un tensioactif et un co-tensioactif. Le mélange se fait généralement par ultrasonification ou par homogénéisation à haute pression.

Contrairement aux émulsions listées précédemment qui correspondent à la dispersion d'une phase dans une autre sous forme de particules, une microémulsion correspond à une seule phase où il n’y a pas de particules[3] - [4].

MacroémulsionMiniémulsion ou nanoémulsionMicroémulsion
Nombre de tensioactifsAu moins unAu moins deux : un tensioactif et un co-tensioactifAu moins deux : un tensioactif et un co-tensioactif
Pourcentage de tensioactifFaible : < 5 %Moyen : entre 5 et 10 %Élevé : > 10 %
Méthode de fabricationAgitation mécanique vigoureuseAgitation vigoureuse par ultrasonFaible agitation
CouleurBlanche laiteuseBlanche bleuâtre ou incoloreBlanche bleuâtre ou incolore
TransparenceOpaqueTranslucide ou transparenteTranslucide ou transparente
Taille des particules> µm<< µm< 0,1 Âµm
Polydispersité de la taille des particulesMoyenneBasseBasse
Stabilité thermodynamiqueInstableInstableStable
Mode d’augmentation de la taille des particules avec le tempsCoalescence et mûrissement d’OstwaldCoalescence et mûrissement d’OstwaldNe contenant pas de particules, il n'y a ni coalescence ni mûrissement d’Ostwald

Émulsifiants

Les émulsifiants, appelés parfois émulsionnants, stabilisent l'émulsion. Ce sont le plus souvent des tensioactifs ou agents de surface. Cependant, des particules solides (émulsions de Pickering), des polymères synthétiques ou des macromolécules biologiques peuvent aussi jouer ce rôle. Le jaune d'œuf sert d'émulsifiant dans la préparation de sauces en cuisine. Cette propriété est due à la lécithine qu'il contient. La lécithine se trouve également dans le soja et est très utilisée dans les préparations industrielles. La caséine est une protéine du lait qui est émulsifiante.

Émulsifiants dans l'industrie agroalimentaire

Dans l'industrie agroalimentaire, les émulsifiants sont des produits chimiques utilisés pour augmenter l'onctuosité de certains produits, permettant ainsi d'obtenir une texture particulière. Les principaux émulsifiants utilisés dans l'industrie agroalimentaire sont :

  1. La lécithine naturelle, notamment en chocolaterie ;
  2. Les mono- et diglycérides d'acides gras alimentaires que l'on retrouve en particulier dans les glaces et les brioches industrielles.

Les mono- et diglycérides d'acides gras alimentaires (E471, E472c, etc.) sont obtenus par hydrolyse, soit à partir de graisses et produits animaux (panses de bœuf…) soit à partir d'huiles végétales, comme l'huile de palme. Le produit final se présente sous la forme de cristaux liposolubles (c'est-à-dire solubles dans les corps gras), de couleur blanchâtre ou jaune très clair. Les étiquettes détaillant les ingrédients d'un produit ne permettent en général pas de savoir dans quel cas on se trouve (c'est-à-dire si le ou les émulsifiants utilisés sont d'origine animale ou végétale).

Dans la pratique

Dans la vie quotidienne, de nombreux produits sont des émulsions. On peut noter les crèmes et autres cosmétiques, mais aussi la mayonnaise.

Émulsions naturelles

  • Le lait.
  • Des latex vĂ©gĂ©taux, en particulier, ceux de l'hĂ©vea brasiliensis (qui donne le caoutchouc naturel) et du castilla elastica.
  • Le film hydrolipidique est un mĂ©lange de sĂ©bum et de sueur. C'est une Ă©mulsion qui protège la peau.

Vinaigrette

Phase huileuse : huile.
Phase aqueuse : vinaigre.
La vinaigrette est une émulsion instable. L'huile et le vinaigre ont tendance à se séparer. Elle peut être rendue cinétiquement stable en ajoutant de la moutarde. Les cellules de moutarde broyées libèrent des phospholipides, un tensioactif.

La mayonnaise est une Ă©mulsion stable.

Mayonnaise

Phase huileuse : huile.
Phase aqueuse : vinaigre et Ă©ventuellement moutarde.
Émulsifiant : la lécithine du jaune d'œuf est l'émulsionnant (tensioactif).
La mayonnaise est une émulsion cinétiquement stable.

AĂŻoli

Phase huileuse : huile d'olive.
Phase aqueuse : pulpe de l'ail.
À noter que le véritable aïoli se prépare seulement à l'ail et l'huile, et que les tensioactifs se trouvent dans la pulpe d'ail.

Sauce hollandaise et sauce béarnaise

La sauce hollandaise et la sauce béarnaise sont également des sauces émulsionnées selon le même principe, mais chaudes.

Cosmétiques

Crème hydratante.
Phase huileuse : huile et ingrédients solubles dans l'huile.
Phase aqueuse : eau et ingrédients solubles dans l'eau.
Émulsifiant.

Industrie pharmaceutique

L'encapsulation des principes actifs, grâce aux émulsions doubles eau-huile-eau, permet par exemple de délivrer des substances, avec une grande précision spatiale[5]. Elle permet de modifier la distribution de certains médicaments dans l'organisme (ex. : pour diminuer la toxicité rénale de l'amphotéricine B).

Technologie

Pour permettre de rendre une Ă©mulsion stable dans le temps, il est nĂ©cessaire de rĂ©duire la taille des particules de la phase discontinue (loi de Stokes). Plus la taille recherchĂ©e sera petite, plus il faudra d'Ă©nergie pour l'obtenir. Il existe plusieurs appareils capables de rĂ©aliser une Ă©mulsion ; depuis l'agitateur jusqu'Ă  l'homogĂ©nĂ©isateur Ă  haute pression, en passant par le moulin colloĂŻdal et le turbo Ă©mulsionneur. L'homogĂ©nĂ©isateur haute pression est l'une des techniques permettant d'obtenir des tailles de particules les plus petites, puisqu'il peut obtenir des tailles infĂ©rieures Ă  500 nm. Le principe est simple : une pompe Ă  pistons plongeurs va pousser le fluide Ă  Ă©mulsionner Ă  travers un orifice rĂ©glable, appelĂ© groupe homogĂ©nĂ©isant. Plus l'orifice sera faible, plus la pression affichĂ©e sera Ă©levĂ©e. Au passage de cet obstacle le fluide subit diffĂ©rentes contraintes, telles la turbulence, la cavitation, le cisaillement, qui vont gĂ©nĂ©rer la dislocation des particules du fluide de la phase discontinue. Les homogĂ©nĂ©isateurs haute pression sont utilisĂ©s dans l'industrie laitière depuis la fin du XIXe siècle (inventeur Gaulin). D'autres industries utilisent aujourd'hui ces appareils, capables d'atteindre 1 500 bar en production continue (Niro Soavi) telles l'industrie des cosmĂ©tiques, l'industrie pharmaceutique et d'autres industries alimentaires (ingrĂ©dients, boissons, etc.). Les techniques microfluidiques permettent dĂ©sormais d'obtenir des Ă©mulsions dont les tailles de gouttes sont mieux contrĂ´lĂ©es.

La Water Plant Emulsion (WPE) est un exemple de technologie permettant à deux substances liquides non miscibles (comme l'eau et l'huile) de se mélanger pour obtenir une substance homogène. La première substance est dispersée dans la seconde via des petites gouttelettes et ce mélange reste stable grâce à un émulsionnant. Ce procédé est utilisé en parfumerie, cosmétique, aromathérapie et compléments alimentaires notamment, il renforce l’efficacité des actifs dont les ingrédients actifs sont répartis de façon homogène dans le produit[6].

Stabilité

Les émulsions sont instables du point de vue thermodynamique, cependant elles peuvent être stables du point de vue cinétique sur une importante période, ce qui détermine leur durée de vie. Cette durée doit être mesurée, afin d’assurer la bonne qualité du produit pour le client final. « Emulsion stability refers to the ability of an emulsion to resist change in its properties over time », D.J. McClements[7] (« La stabilité d'une émulsion est sa capacité à conserver les mêmes propriétés au cours du temps »).

Phénomènes de déstabilisation

Les déstabilisations peuvent être classées en deux phénomènes majeurs :

  1. Phénomènes migratoires : par lesquels la différence de densité entre la phase continue et dispersée entraînent une séparation de phase gravitationnelle : pour les émulsions, on a du crémage (en) (phase dispersée moins dense que la phase continue poussant celle-ci à migrer vers le haut) ou de la sédimentation. Ces phénomènes sont réversibles ;
  2. Phénomènes d’augmentation de taille : par lesquels la taille des gouttes augmente :
  3. Phénomène inversion de phase.

Technique d'analyse de la stabilité physique

L’analyse visuelle reste aujourd’hui le test le plus utilisé. L’échantillon est placé dans un contenant transparent et observé à l’œil nu à intervalle de temps régulier. Le temps de mesure est directement lié à l’application et il peut être de quelques minutes (vinaigrette) à plusieurs mois ou années (crème cosmétique). Si les observations visuelles mettent en évidence une variation de l’homogénéité (changement de couleur, séparation de phase, migration, etc.) supérieur à un niveau acceptable, alors le produit est jugé comme instable et devra être reformulé ou soumis à un changement du procédé de fabrication.

La norme ISO/TR 13097[8] rĂ©sume l’ensemble des techniques disponibles pour suivre la stabilitĂ© physique des systèmes dispersĂ©s.

Ce document prĂ©sente :

  • les mĂ©canismes de dĂ©stabilisation : variation de taille de particule, migration, inversion de phase, etc. ;
  • les outils de caractĂ©risation (observation visuelle, diffusion de lumière avec ou sans rĂ©solution spatiale, acoustique et Ă©lectroacoustique, etc.) ;
  • les mĂ©thodes d’accĂ©lĂ©ration de la dĂ©stabilisation (accĂ©lĂ©ration thermique par Ă©lĂ©vation de la tempĂ©rature ou mĂ©canique…) ;
  • la prĂ©diction de la stabilitĂ©.

La déstabilisation des systèmes colloïdaux est un processus cinétique, quel que soit le test de stabilité choisi (observation visuelle, granulométrie, diffusion de la lumière, rhéologie, potentiel zeta, etc.), l’évolution du ou des paramètres en fonction du temps doit être pris en compte. Le test de stabilité doit donc être répété dans le temps et à un intervalle régulier afin de détecter les variations inhabituelles par rapport à un produit jugé comme stable.

Le rapport technique insiste sur l’intérêt d’analyser l’échantillon avec des techniques non destructives et présente les limites des méthodes d’accélération.

Méthodes d'accélération pour la prédiction de la durée de vie

Le processus cinétique de déstabilisation peut prendre du temps, d’où l’intérêt des techniques avec une plus grande sensibilité et les méthodes d’accélération. L’élévation de la température est la méthode la plus employée et permet une diminution de la viscosité, augmentation des phénomènes de diffusion/collision… En plus d’augmenter les vitesses de déstabilisation, le stockage à température élevée permet de simuler les conditions de vie d’un produit manufacturé (lors du stockage et transport, les températures peuvent facilement atteindre 40 °C). La température ne doit pas excéder une valeur critique et propre à chaque système (température d’inversion de phase, de dégradation chimique ou d’ébullition) rendant alors ce test non conforme aux conditions réelles. D’autres techniques d’accélération peuvent être utilisées comme la centrifugation, mais doivent être prises avec précaution car les forces exercées sur le système peuvent engendrer des modifications des propriétés originelles de l’échantillon (changement de viscosité, modification du réseau du polymère, ségrégation des particules, etc.) et donc fournir des résultats différents de la réalité.

Notes et références

  1. Qu’est-ce qu’une émulsion ?.
  2. Master 2 Concepts Fondamentaux de la Physique : Chapitre IV : Émulsions [PDF], cours de Sylvie Hénon, 2010-2011 (voir archive).
  3. Bourrel, M et Schechter, RS, Microemulsions and Related Systems, Surfactant Science Series, vol. 34, New York, Marcel Dekker, 1988.
  4. Salager JL, Microemulsions, dans Broze G, éd., Handbook of Detergents — Part A: Properties, New York, Marcel Dekker, 1999, 253-302.
  5. Applications des colloïdes magnétiques, Journal du CNRS, 2007.
  6. (en) « WPE: A Technology for micro-emulsions of an exceptional quality », Export Magazine,‎
  7. Food emulsions, principles, practices and techniques, CRC Press, 2005, 2, M.P.C. Silvestre, E.A. Decker et D.J. McClements, Food Hydrocolloids, 13 (1999) 419-424.
  8. ISO/TR 13097:2013 – Guidelines for the characterization of dispersion stability.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) Fernando LĂ©al-Calderon, VĂ©ronique Schmitt et JĂ©rĂ´me Bibette, Emulsion Science: Basic Principle, Springer, 2007 (ISBN 0-3873-9682-9 et 978-0-3873-9682-8), 227 p.
  • Sous la dir. de P. WehrlĂ©, Pharmacie galĂ©nique : Formulation et technologie pharmaceutique, Maloine, 2012, 2e Ă©d. (ISBN 978-2-224-03142-8).
  • Conception des produits cosmĂ©tiques : La formulation, coordinatrice Anne-Marie PensĂ©-LhĂ©ritier, Cosmetic Valley Éditions, 2022, 3e Ă©d. (ISBN 978-2-490639-40-3).
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