Accueil🇫🇷Chercher

Tueries et massacres de la guerre israélo-arabe de 1948

Les tueries et massacres de la guerre israélo-arabe de 1948 font référence aux meurtres de civils ou de soldats désarmés, palestiniens et israéliens, qui se produisirent entre et durant la Première Guerre israélo-arabe[1].

La guerre causa la mort d’environ 20 000 personnes, civils et militaires rĂ©parties dont environ 5 800 Juifs (sur une population d'environ 630 000 personnes en ) et 12 000 Arabes (sur une population d'environ 870 000 personnes), soit environ 1 % de la population des deux communautĂ©s impliquĂ©es dans les combats. Sur ces 20 000 victimes, environ un millier perdirent la vie lors de massacres[2].

Cette article se fonde sur les travaux de Nouveaux historiens israéliens et des historiens palestiniens.

Événements

Contexte

Après une trentaine d’années de conflit nationaliste en Palestine mandataire entre Arabes palestiniens et Juifs sionistes et tandis qu’aucun accord ne peut être trouvé entre les parties, les Britanniques décident en de remettre à l'ONU le mandat qui leur a été donné pour administrer le pays.

À la suite de cette décision, le , l’Assemblée générale des Nations unies vote le Plan de partage de la Palestine alors sous mandat britannique.

Le vote est immédiatement suivi d’une flambée de violence où les Arabes palestiniens, soutenus par l’Armée de libération arabe, et les Juifs palestiniens s’affrontent tandis que les Britanniques cessent de maintenir l'ordre.

Le , une guerre régulière succéda à la guerre civile quand la Jordanie, l’Égypte, la Syrie et l’Irak envoient des corps expéditionnaires en Palestine pour y combattre les Israéliens.

Massacres

En fonction des sources et de la dĂ©finition qu’on donne au terme, entre 10 et 70 massacres se produisirent durant la guerre de 1948[1] - [3] - [4].

Selon Benny Morris, les IsraĂ©liens furent responsables de 24 massacres durant la guerre[5]. Aryeh Yizthaki rapporte 10 massacres majeurs (c’est-Ă -dire qui firent plus de 50 victimes chacun)[6]. Le chercheur palestinien Salman Abu-Sitta en rapporte 33, dont la moitiĂ© se produisirent durant la pĂ©riode de guerre civile[6], c'est-Ă -dire avant l'intervention des armĂ©es arabes dans le conflit. Enfin, Saleh Abdel Jawad liste 68 villages oĂą des actes de tueries sans discrimination de prisonniers et de civils ne prĂ©sentant aucune menace contre les soldats israĂ©liens furent commis[7].

Les massacres principaux perpĂ©trĂ©s par les Arabes palestiniens et les soldats arabes furent ceux de la raffinerie d’HaĂŻfa quand 39 Juifs furent tuĂ©s et le massacre de Kfar Etzion oĂą un nombre indĂ©terminĂ© des combattants faits prisonniers furent massacrĂ©s par des irrĂ©guliers arabes[1]. Le massacre du convoi de l’hĂ´pital Hadassah est souvent citĂ© comme autre exemple de massacre car, bien qu’il visât un convoi de ravitaillement armĂ©, il inclut dans ses 79 victimes de nombreux membres dĂ©sarmĂ©s du personnel mĂ©dical et des patients[1] - [8] - [9].

Sur l’ensemble de la guerre « les troupes du Yichouv assassinèrent probablement plus de 800 civils et prisonniers de guerre arabes[1] ». La plupart des tueries et des massacres se produisirent lors de la capture de villages durant la pĂ©riode de guerre civile et durant les opĂ©rations Dani, Hiram et Yoav[1]. Rosemary Esber rapporte l’affirmation d’Aryeh Yitzhaki, un historien israĂ©lien qui fut directeur des archives de Tsahal et qui Ă©crit que « dans presque chaque village conquis (…), les forces sionistes commirent des crimes de guerre tels que des tueries sans discrimination, des massacres et des viols[6] ». Selon Ilan PappĂ©, dans le contexte de ce qu’il nomme un nettoyage ethnique qui « apporta avec lui des actes atroces de tueries en masse et de boucheries, des milliers de Palestiniens furent impitoyablement et sauvagement tuĂ©s par des soldats israĂ©liens de toutes conditions, rangs et âges[10]. »

Tant les archives israéliennes que les témoignages palestiniens attestent que des atrocités se produisirent dans de nombreux villages[6].

Les « pires exemples » furent les massacres de Saliha (70 Ă  80 morts), de Deir Yassin (environ 120 morts), de Lydda (en) (environ 250 morts), d’al-Dawayima (en) (des centaines de morts) et d’Abou Shousha (en) (70 morts)[11]. De son cĂ´tĂ©, Saleh Abdel Jawad rapporte le tĂ©moignage du mukhtar du village d’al-Dawayima[12] selon lequel 455 personnes, dont 170 femmes et enfants furent tuĂ©s au cours du massacre commis dans son village[13].

Il y a une controverse quant à savoir si un massacre fut perpétré ou non à al-Tantoura[14] - [15].

Attentats Ă  la bombe

Au dĂ©but de la guerre civile, les milices juives organisèrent plusieurs attentats Ă  la bombe. Le , l’Irgoun fit exploser une voiture piĂ©gĂ©e en face de la porte de Damas, provoquant la mort de 20 personnes[16]. Le , le Lehi fit exploser un camion devant l’hĂ´tel de ville de Jaffa abritant le quartier gĂ©nĂ©ral d'al-Najjada, tuant 15 personnes et en blessant 80 dont 20 gravement[17] - [18] - [19]. La nuit du 6 au , Ă  Qatamon dans la banlieue de JĂ©rusalem, la Haganah fit exploser l’hĂ´tel Semiramis dont ses services de renseignement avaient signalĂ© qu’il abritait des miliciens arabes ; 24 personnes sont tuĂ©es[20]. Le , Ă  JĂ©rusalem, des membres de l’Irgoun lancèrent une bombe Ă  un arrĂŞt de bus, tuant 17 personnes[21]. Le , une bombe de l’Irgoun explosa dans le marchĂ© de Ramla, provoquant la mort de 7 personnes et en blessant 45[22]. Le , le Palmach, troupe d'Ă©lite de la Haganah, commit un attentat Ă  la voiture piĂ©gĂ©e dans un garage arabe Ă  HaĂŻfa, faisant 30 morts et 70 blessĂ©s dans le camp arabe[23].

Le , des hommes d’Abd al-Kader al-Husseini organisèrent avec l’aide de dĂ©serteurs britanniques trois attaques contre des Juifs . Des voitures piĂ©gĂ©es explosèrent devant les bureaux du Palestine Post, dans le marchĂ© de la rue Ben Yehuda et dans l’arrière-cour des bureaux de l’Agence juive. Ils firent respectivement 22, 53 et 13 victimes juives[24] - [25].

Pendant les premiers mois de 1948, la ligne de chemin de fer entre Le Caire et HaĂŻfa fut souvent prise pour cible. Le , elle fut minĂ©e près de Binyamina, une implantation juive au voisinage de CĂ©sarĂ©e. L’explosion tua 40 personnes et en blessa 60. Les pertes furent toutes civiles, principalement arabes bien qu’il y eut quelques soldats dans le train qui ne furent pas blessĂ©s. Le Palestine Post et le New York Times attribuèrent les attaques au Lehi[26] - [27].

Causes

Benny Morris considère que les tueries et les massacres qui se produisirent lors de la guerre sont un événement qui accompagne toujours les guerres dans des circonstances analogues[1].

Pendant la guerre civile, la Haganah avait reçu l’ordre d’éviter toute action à l’encontre des femmes et des enfants mais l’Irgoun et le Lehi ne pratiquèrent quant à eux aucune discrimination[1]. De l’autre côté, les « milices arabes palestiniennes ciblaient souvent délibérément les civils[1] ». Du fait que les Britanniques ne s’étaient pas encore retirés, les deux camps ne purent pas établir des camps de prisonniers et en conséquence, n’en firent pas[1].

Pendant la guerre régulière, après le , les armées combattantes furent plus ou moins disciplinées et les « tueries de civils ou de prisonniers de guerre stoppèrent quasiment, à l’exception d’une série d’atrocités commises par les troupes de l’armée israélienne[1] ».

Le , deux jours avant la fin du mandat britannique, la LĂ©gion arabe n'empĂŞcha pas des milices de massacrer des prisonniers juifs Ă  la suite de la chute de Kfar Etzion.

Selon Benny Morris, en dépit de leur rhétorique, les armées arabes perpétrèrent peu d’atrocités et aucun massacre de prisonniers à grande échelle bien qu’ils eurent l’occasion de le faire quand ils prirent la Vieille Ville de Jérusalem ou les implantations d’Atarot (en), Neve Yaakov, Nitzanim, Gezer (en) et Mishmar-Hayarden[1]. Au contraire d’ailleurs, le , quand les combattants et les habitants de la Vieille Ville se rendirent et tandis qu’ils craignaient pour leur vie, les soldats de la Légion arabe les protégèrent de la foule et abattirent des émeutiers arabes pour éviter des débordements[28].

En ce qui concerne les massacres perpétrés par l’armée israélienne à la fin de la guerre et particulièrement durant l’Opération Hiram au cours de laquelle une dizaine de massacres se produisirent, un manque de discipline ne peut pas expliquer les événements[29]. Yoav Gelber souligne « les sentiments durs [des soldats] à l’encontre des Palestiniens » et le fait que ces derniers n’avaient pas fui comme lors des opérations précédentes[29]. Benny Morris pense que les massacres furent motivés par un sentiment de « vengeance générale et un désir des commandants locaux de précipiter l’exode des Palestiniens[1] ».

Pour expliquer la diffĂ©rence dans le nombre de tueries et de massacres de part et d’autre, Benny Morris souligne que « ce fut probablement dĂ» aux circonstances qui ont fait que les IsraĂ©liens, victorieux, capturèrent près de 400 villages et villes arabes entre avril et novembre 1948 tandis que les Arabes palestiniens et l’ArmĂ©e de libĂ©ration arabe Ă©chouèrent dans la prise de quelques implantations et que les armĂ©es arabes qui envahirent Ă  la mi-mai capturèrent moins d’une demi-douzaine d’implantations juives[1] ». Il considère aussi que les belligĂ©rants se comportèrent relativement bien et que la « [guerre] de 1948 est notable pour le relativement faible nombre de victimes civiles tant Ă  la suite des batailles elles-mĂŞmes qu'Ă  la suite des atrocitĂ©s qui les accompagnèrent [en comparaison, par exemple,] avec la Guerre de Yougoslavie des annĂ©es 1990 ou les Guerres civiles soudanaises des 50 dernières annĂ©es[1] ».

Conséquences

Selon les historiens, qu’ils soient délibérés ou non, les massacres eurent une influence importante sur l’exode de la population arabe palestinienne au cours de la guerre par la terreur qu’ils suscitèrent dans cette dernière, souvent livrée à elle-même, faute de structures dirigeantes et sujette à la propagande adverse.

Le massacre de Deir Yassin participa également fortement à la décision des États arabes d’intervenir contre Israël le alors que ceux-ci n’en avaient pas la ferme intention. Le chef de la Ligue arabe, Abdul Rahman Hassan Azzam déclara que « le massacre de Deir Yassin fut pour une grande part la cause de l’indignation des nations arabes et le facteur le plus important pour l’envoi des armées arabes »[30].

Évolutions historiographiques

Ă€ l'encontre des Juifs de Palestine

Après le vote du plan de partage, certains dirigeants arabes menacèrent la population juive, invoquant « de jeter les Juifs à la mer » ou de débarrasser la Palestine « du fléau sioniste[31] ».

Selon l’historiographie israélienne traditionnelle, ces propos reflétaient les intentions arabes[32] - [31]. Bien que Benny Morris considère l’image à donner aux intentions arabes comme plus complexe, notamment parce qu’ils étaient bien conscients qu’ils ne pourraient vaincre les Juifs[31], il souligne que le Yichouv était menacé d’extermination et craignait ce qui se passerait si les Arabes venaient à gagner[33]. Yoav Gelber voit néanmoins ces déclarations publiques comme « sans signification » et considère que « les actions [de leurs armées] impliquent que les objectifs de l’invasion arabe étaient limités et focalisés sur le sauvetage des Arabes de Palestine d’une domination juive totale. »[34].

Ă€ l'encontre des Juifs d'en dehors de Palestine

Dans le contexte du vote du plan de partage, les populations juives des pays arabes en dehors de Palestine furent Ă©galement menacĂ©es. Le , le dĂ©lĂ©guĂ© Ă©gyptien aux Nations unies dĂ©clara que « la solution proposĂ©e pourrait mettre en danger un million de Juifs vivant dans les pays musulmans. Le partage de la Palestine pourrait crĂ©er dans ces pays un antisĂ©mitisme encore plus difficile Ă  dĂ©raciner que l’antisĂ©mitisme que les AlliĂ©s essayèrent d’éradiquer en Allemagne[35]. » Dans les faits, la dĂ©claration de partition servit de prĂ©texte Ă  un pogrom Ă  Aden oĂą le , 82 Juifs furent massacrĂ©s[36].

Dans son édition du , le New York Times rapporta un mémorandum du Congrès juif mondial exprimant ses craintes relatives à cette situation dans un article intitulé : « Jews in grave danger in all Moslem lands: Nine hundred thousand in Africa and Asia face the wrath of their foes. »[37] Au Caire en Égypte, entre juin et , plusieurs attentats à la bombe eurent lieu. Certains suivaient les attaques aériennes de la ville par l’armée israélienne et causèrent la mort d’une centaine de Juifs[38].

« Pureté des armes »

Au cours du conflit entre Juifs et Arabes en Palestine avant la guerre, le concept de « Pureté des armes » était utilisé pour distinguer les attitudes respectives de l’Irgoun , du Lehi et de la Haganah à l’encontre des Arabes, la Haganah se vantant de leur adhésion au principe[39]. De manière générale, le précepte requiert que les « armes restent pures [et qu’]elles ne soient utilisées que pour l’auto-défense et [jamais] contre des civils innocents ou des gens sans défense[40]. » Toutefois, s’il était « une valeur centrale dans l’éducation », il resta « plutôt vague et intentionnellement flou » au niveau pratique[39].

En 1946, à une conférence tenue entre lui et les chefs de la Haganah, Ben Gourion prophétisa la confrontation avec les Arabes de Palestine et les États arabes. En ce qui concerne le concept de « Pureté des armes », il souligna que : « la fin ne justifie pas les moyens. Notre guerre est basée sur des principes moraux[41] » et durant la guerre de 1948, le Mapam, le parti politique qui était la structure politique du Palmach, demanda « une observation stricte du [principe] juif de la « Pureté des armes » pour garantir le caractère moral de la guerre[42] ».

Selon Avi Shlaim, la « Pureté des armes » est un des points clés du « récit conventionnel sioniste ou de la vieille histoire » dont la « version populaire-héroïque-moralisatrice de la guerre de 1948 » est « enseignée dans les écoles israéliennes et utilisée intensivement à l’étranger dans sa quête de légitimité[40] ». Benny Morris ajoute qu’« après la guerre, les Israéliens essayèrent de mettre en avant la « Pureté des armes » de ses miliciens d'avant mai 1948 et de ses soldats après l'indépendance, en contraste avec la barbarie arabe, qui à l’occasion s’exprima dans la mutilation de corps de juifs capturés. » Selon lui, « elle renforça l’image auto-gratifiante des Israéliens et les aida à « vendre » le nouvel État à l’étranger et diabolisa l’ennemi[1] ».

Dans les faits, les massacres et attentats commis par les Juifs palestiniens, en particulier par l’Irgoun et le Lehi, puis ceux commis par les soldats israéliens remet en cause l’application sur le terrain de la « Pureté des armes ». Ilan Pappé et plusieurs historiens palestiniens estiment même que les massacres furent commandités, de manière à provoquer la panique dans la population arabe et son exode[43].

L’historiographie israĂ©lienne a voulu attribuer la responsabilitĂ© des massacres aux groupes extrĂ©mistes de la droite israĂ©lienne uniquement. David Ben Gourion fut Ă©galement critiquĂ© par les membres du Mapam, parti marxiste de gauche très influent en 1948, pour l’exode de la population arabe dont ils rejetaient la responsabilitĂ© morale. L’historien Yoav Gelber souligne que David Ben Gourion leur rappela les Ă©vĂ©nements de Lydda et Ramle, oĂą 250 Arabes furent massacrĂ©s, et le fait que c’étaient des officiers du Palmach, le groupe paramilitaire associĂ© au Mapam, qui furent responsables de l’« outrage qui avait encouragĂ© la fuite des arabes, [ce qui] mit le parti mal Ă  l’aise[42] ».

Événements d'al-Tantoura

Durant la nuit du 22 au , les hommes de la brigade Alexandroni prirent d’assaut le village d’al-Tantoura. Les combats se soldèrent par la mort de plusieurs dizaines de combattants arabes et de 14 soldats israĂ©liens. Il existe une controverse sur les Ă©vĂ©nements qui suivirent[44].

Ilan PappĂ© considère que les tĂ©moignages des anciens soldats de la brigade Alexandroni ainsi que ceux des rĂ©fugiĂ©s palestiniens prouvent qu’au moins 200 villageois non armĂ©s furent tuĂ©s. Selon ses analyses, les exĂ©cutions furent perpĂ©trĂ©es par revanche pour les victimes de tirs de snipers palestiniens après la bataille, et plus tard quand certains habitants, accusĂ©s de cacher des armes, furent abattus[45]. Selon les analyses de Yoav Gelber, le dĂ©compte entre le nombre d’habitants avant l’assaut et celui des rĂ©fugiĂ©s, des prisonniers de guerre et des victimes des combats, ne laisse aucune personne manquante ; ce qui lui fait conclure Ă  l’absence de massacre[44]. L’analyse de Benny Morris conclut que la documentation et les interviews rĂ©alisĂ©s auprès de tĂ©moins ne prouvent pas qu’un massacre s’est produit mais que l’hypothèse ne peut pas ĂŞtre rejetĂ©e pour autant[46].

Historiographie palestinienne

Nadine Picaudou a étudié l’évolution de l’historiographie palestinienne de la guerre de 1948. Elle avance que si le massacre de Deir Yassin est longtemps resté le seul discuté, « comme s’il suffisait pour résumer la tragédie des victimes palestiniennes. » Elle pense que durant la période pour laquelle « la mémoire collective se mobilisait autour du nationalisme palestinien, un événement exemplaire suffisait pour exprimer la tragédie. » En référence à l’étude publié en 2007 par Saleh Abdel Jawad, Zionist Massacres: the Creation of the Palestinian Refugee Problem in the 1948 War, elle écrit que les massacres n’intéressèrent les historiens palestiniens que relativement tard mais que quand les « Palestiniens commencèrent à écrire leur histoire, la problématique des massacres devint inévitablement un des facteurs prépondérants dans l’étude de l’exode de masse[47] ».

Nadine Picaudou souligne également que « l’historiographie palestinienne ne retient que le paradigme de la Nakba, qui attribue aux Palestiniens le statut de victimes passives des politiques israéliennes, comme [illustré] par l’attention limitée accordée par les chercheurs aux batailles de 1947-48[47]. »

« Batailles » ou « massacres » ?

Dans le contexte de la guerre de 1948, plusieurs historiens ont souligné la nuance, parfois de manière polémique, qui peut exister entre une « bataille » et un « massacre ».

Massacre de Deir Yassin

En 1948, le village de Deir Yassin se situe dans les faubourgs de JĂ©rusalem. Il ne prĂ©sente nĂ©anmoins pas d’importance stratĂ©gique et ses habitants n’ont fait preuve d’aucune hostilitĂ©, au contraire. Le , environ 120 hommes de l’Irgoun et du Lehi attaquent pourtant le village dans le contexte de l’OpĂ©ration Nahshon. Les habitants opposent une rĂ©sistance inattendue Ă  l’attaque. Les assaillants souffrent de lourdes pertes et des civils sont tuĂ©s dans les Ă©changes de tirs. Les miliciens prennent ensuite les habitations une Ă  une, les nettoyant souvent Ă  la grenade et des civils dĂ©sarmĂ©s sont abattus Ă  vue. Après les combats, quelques villageois sont exĂ©cutĂ©s après avoir Ă©tĂ© exhibĂ©s dans les rues de JĂ©rusalem. Un groupe de prisonniers sont abattus dans une carrière des environs et d’autres Ă  Sheikh Bader. Sur les 100 Ă  120 victimes des combats, environ 70 % sont des civils[48] - [49] - [50].

En 2007, Uri Milstein a publié un livre controversé « Blood Libel at Deir Yassin (en) » dans lequel il souligne que les événements de Deir Yassin furent avant tout le résultat d’une bataille et non un massacre. Toutefois, il va plus loin et nie également la réalité des atrocités qui suivirent la prise du village et qui sont prises comme exemple par les autres historiens pour décrire le massacre[51]. Nadine Picadou nuance également les mêmes événements et considère que dans l’historiographe palestinienne « le massacre de Deir Yassin a éclipsé la bataille de Deir Yassin[47] ». Benny Morris, quant à lui, considère que la prise du village, insignifiante sur le plan militaire, peut difficilement être qualifiée de « bataille[50] ».

Massacre de Kfar Etzion

Le massacre de Kfar Etzion eut lieu le , durant la guerre de Palestine quand le Goush Etzion, un bloc de 4 colonies juives situé à mi-chemin entre Jérusalem et Hébron fut pris par la Légion arabe transjordanienne et des irréguliers arabes palestiniens. Sur les 131 personnes présentes, 127 parmi lesquelles 21 femmes sont tuées dans les combats ou massacrées après s'être rendues. Deux tiers étaient des habitants du village, le dernier tiers étaient des soldats de la Haganah et du Palmach[52]. Les 3 autres implantations se rendent sur ces entrefaites et l'ensemble est ensuite pillé et rasé[53] - [54].

Massacre du mont Scopus

En 1948, l’hĂ´pital Hadassah est situĂ© dans l’enclave du Mont Scopus Ă  JĂ©rusalem d’oĂą il domine plusieurs quartiers arabes. Le , un convoi devant permettre le transport de personnel et de quelques blessĂ©s mais Ă©galement de renforts et de munitions rejoint l’enclave. Il est protĂ©gĂ© par l’emblème de la Magen David Adom, reconnu par la Croix-Rouge, et par des soldats armĂ©s et des vĂ©hicules blindĂ©s. Les Arabes sont informĂ©s par un soldat australien que le convoi aurait pour mission de renforcer la position pour permettre Ă  la Haganah d’attaquer et de couper la route de Ramallah. Plusieurs centaines de combattants arabes parviennent Ă  immobiliser des vĂ©hicules et bloquent le convoi. Les autoritĂ©s britanniques tardent Ă  intervenir et les occupants ne sont secourus qu’après plusieurs heures de combats au terme desquels on dĂ©nombre 79 morts. Ă€ la suite des Ă©vĂ©nements, Jacques de Reynier exige que tous les convois soient placĂ©s sous protection de la Croix-Rouge et dĂ©sarmĂ©s, ce qui se fera ensuite, et que l’enclave soit dĂ©militarisĂ©e, ce que les autoritĂ©s sionistes refusent[55].

Bien que l’ensemble des événements sont généralement vus comme un massacre, Benny Morris considère qu’il s’agit plutôt d’une bataille étant donné que l’opération arabe était militaire et visait un convoi de ravitaillement armé. Il souligne toutefois la mort massive de membres du personnel médical non armés[1].

Massacre de Lydda

En , les Israéliens lancent l’opération Dani dont le but est la conquête des villes de Lydda et Ramle. La première attaque contre Lydda se produit l’après-midi du quand une colonne de véhicules blindés et de jeeps du 89e bataillon traverse la ville en « mitraillant tout ce qui bouge. » « Des douzaines d’arabes (peut-être pas moins de 200) » sont tués[56]. Selon Benny Morris, la description de ce raid par un des soldats « combine les éléments d’une bataille et d’un massacre[56] ».

Plus tard, les troupes israĂ©liennes entrent et prennent position dans le centre-ville. La seule rĂ©sistance vient du fort de police tenu par « un petit contingent de lĂ©gionnaires et d’irrĂ©guliers. » Des centres de dĂ©tention sont mis sur pied dans les mosquĂ©es et les Ă©glises pour les mâles adultes et entre 300 et 400 soldats israĂ©liens prennent garnison dans la ville. Le matin du , la situation est calme mais vers 11 h 30, un incident se produit. Deux ou trois vĂ©hicules blindĂ©s israĂ©liens entrent dans la ville et des Ă©changes de tirs se produisent. Les escarmouches font penser aux habitants que la LĂ©gion arabe contre-attaque et probablement quelques douzaines de snipers[57] tirent sur les occupants. Les soldats israĂ©liens se sentent menacĂ©s et vulnĂ©rables parce qu’ils sont isolĂ©s parmi des milliers de citadins hostiles et sont « en colère parce qu’ils considèrent que la ville s’est rendue. » « On leur ordonne de tirer sur toute cible visible » (ou sur « quiconque aperçu dans les rues »). Les habitants arabes de leur cĂ´tĂ© paniquent et beaucoup, qui se ruent Ă  l’extĂ©rieur de leurs maisons, sont abattus[58].

Il existe une controverse entre historiens pour ce qui concerne les Ă©vĂ©nements qui suivent. Selon Benny Morris, des prisonniers qui tentent de s’évader de la mosquĂ©e Dahaimash, sans doute par crainte d’être massacrĂ©s, sont abattus en masse[58]. L’historiographie palestinienne dĂ©crit les Ă©vĂ©nements diffĂ©remment. Selon elle, ce sont des civils qui se sont rĂ©fugiĂ©s dans la mosquĂ©e, pensant que les IsraĂ©liens n’oseraient pas profaner le sanctuaire. Mais les IsraĂ©liens tuent 176 personnes qui s’y trouvaient[59]. Alon Kadish et Avraham Sela Ă©crivent qu’il y a une confusion entre deux mosquĂ©es. Selon eux, les dĂ©tenus sont seulement rassemblĂ©s dans la grande mosquĂ©e, oĂą aucun incident ne se produit tandis que c’est un groupe de 50 Ă  60 Arabes armĂ©s qui se sont barricadĂ©s dans la mosquĂ©e Dahaimash. La prise du bâtiment se solde par la mort de 30 miliciens et civils, dont des vieillards, des femmes et des enfants[60].

Les morts du sont vus dans le monde arabe et par plusieurs historiens comme résultant d’un massacre. Walid Khalidi parle d’une « orgie de tuerie sans discrimination[61] ». Benny Morris écrit que « des Palmachniks nerveux massacrent des détenus dans le complexe de la mosquée[62] ». Selon Yoav Gelber, ce fut un « massacre plus sanglant que Deir Yassin[63] ». Alon Kadish et Avraham Sela écrivent que ce fut « une bataille intense où la démarcation entre civils, combattants irréguliers et unités de l’armée régulière n’existait pas[60] ».

Annexes

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. (en) Benny Morris, 1948. A History of the First Arab-Israeli War, Yale University Press, 2008, p. 404-406.
  2. (en) Benny Morris, 1948. A History of the First Arab-Israeli War, p. 406 cite les chiffres de 5 700 Ă  5 800 morts chez les Juifs pour une population de 628 000 personnes et rapporte les chiffres de Mohammed Amin al-Husseini qui parle de 12 000 morts chez les Palestiniens ; il cite Ă©galement le chiffre de 800 personnes massacrĂ©es cĂ´tĂ© Palestiniens ; p. 405, il rapporte cĂ´tĂ© juif 150 prisonniers massacrĂ©s Ă  Kfar Etzion et 39 civils lors des incidents de la raffinerie de HaĂŻfa. Avec les 79 morts du convoi de l’hĂ´pital Hadassah, on arrive Ă  environ 1 000 personnes massacrĂ©es durant la guerre. Sur l’ensemble de la guerre plus de 800 civils et prisonniers de guerre arabes sont tuĂ©s.
  3. (en) Jawad (2007), Zionist Massacres: the Creation of the Palestinian Refugee Problem in the 1948 War, in E. Benvenisti & al, Israel and the Palestinian Refugees, Berlin, Heidelberg, New-York : Springer, p. 59-127.
  4. Rosemary Esber, Under the Cover of War: The Zionist Expulsion of the Palestinians, Section Massacres, Psychological Warfare and Oblitaration, 2009, p. 355–359.
  5. Morris, Benny (2004), interviewé par Ari Shavit, Survival of the fittest, Haaretz.
  6. (en) Rosemary Esber (2009), p. 356.
  7. (en) Saleh Abdel Jawad (2007), Zionist Massacres: the Creation of the Palestinian Refugee Problem in the 1948 War, in E. Benvenisti & al, Israel and the Palestinian Refugees, Berlin, Heidelberg, New-York : Springer, p. 59-127.
  8. (en) Yoav Gelber (2006), p. 21, p. 77.
  9. Karsh (2002), p. 33, 44 et 51.
  10. (en) Ilan Pappé, The Ethnic Cleansing of Palestine, 2006, p. 197.
  11. (en)Interview with Benny Morris by Ari Shavit, Haaretz, .
  12. (en) Pappé (2006), p. 196.
  13. Saleh Abdel Jawad (2007), Zionist Massacres: the Creation of the Palestinian Refugee Problem in the 1948 War, E. Benvenisti & al, Israel and the Palestinian Refugees, Berlin, Heidelberg, New-York : Springer, p. 59-127.
  14. Pappé (2006), p. 133-137.
  15. Yoav Gelber (2006), Appendix III - Folklore versus History. The Tantura Blood Libel, p. 319-327.
  16. Karsh (2002), p. 32.
  17. Yoav Gelber, Palestine 1948, p. 20.
  18. Walid Khalidi cite le chiffre de 25 civils tuĂ©s en plus des cibles militaire dans Before Their Diaspora, 1984. p. 316 et photos p. 325.
  19. (en) Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947-1949, Cambridge University Press, p. 46.
  20. Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem revisited, p. 123.
  21. Dominique Lapierre et Larry Collins, Ă” JĂ©rusalem, p. 200-204.
  22. Site internet de l’Ambassade d’Israël à Londres se référant à Zeez Vilani, Ramla past and present.
  23. Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem revisited, p. 221.
  24. Yoav Gelber (2006), p. 24.
  25. EfraĂŻm Karsh, 2002, p. 36.
  26. The Palestine Post, .
  27. New York Times, .
  28. (en) Benny Morris, 1948. A History of the First Arab-Israeli War, Yale University Press, 2008, p. 219-220.
  29. Yoav Gelber (2006), p. 227-228.
  30. Tom Segev, 1949: The First Israelis, 1986, p. 89.
  31. Benny Morris (2008), p. 396.
  32. Mitchell Bard, 1948 War, sur le site de la Jewish Virtual Library.
  33. Benny Morris (2004), p. 589-590.
  34. yoav Gelber, The Jihad that wasn’t, Automne 2008, no 34.
  35. Malka Hillel Shulewitz (2000), p. 84.
  36. Reuben Ahroni, The Jews of the British Crown Colony of Aden: history, culture, and ethnic relations, Brill, 1994, p. 210.
  37. New York Times, 16 mai 1948, consultable ici.
  38. Joel Beinin (en), (en)The Dispersion Of Egyptian Jewry Culture, Politics, And The Formation Of A Modern Diaspora, University of California Press, 1998, p. 68-69.
  39. Anita Shapira (1992), p. 252.
  40. Avi Shlaim, The Debate About 1948 [PDF], International Journal of Middle East Studies, 27:3, 1995, p. 287-304.
  41. Anita Shapira (1992), p. 295.
  42. Yoav Gelber (2006), p. 291.
  43. Ilan Pappé, The Ethnic Cleansing of Palestine, 2006.
  44. (en)Folklore versus History: The Tantura Blood Libel [PDF], Appendix III de Yoav Gelber (2006).
  45. Ilan Pappé, « (en)The Tantura case in Israel [PDF] »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), Journal of Palestine Studies, 2001, p. 19-39.
  46. (en)The Tantura "Massacre" [PDF], 9 février 2004, The Jerusalem Report.
  47. Nadine Picaudou, (en)The Historiography of the 1948 Wars, Online Encyclopedia of Mass Violence, novembre 2008.
  48. Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Revisited, p. 237.
  49. Yoav Gelber, Palestine 1948, p. 309-310.
  50. Benny Morris, 1948, p. 125-127.
  51. Uri Milstein, Blood Libel at Dir Yassin « Copie archivée » (version du 3 janvier 2011 sur Internet Archive), sur le site de l’auteur.
  52. I. Levi, Jerusalem in the War of Independence ("Tisha Kabin" - Nine Measures - in Hebrew) Maarachot - IDF, Israel Ministry of Defence, 1986, (ISBN 965-05-0287-4)
  53. Benny Morris, The road to Jerusalem, pp.138-139.
  54. Yoav Gelber, Palestine 1948, 2006, p.96
  55. Henry Laurens, La Question de Palestine : Tome 3 - L’accomplissement des prophéties (1947-1967), t. 3, Paris, Fayard, , 838 p. (ISBN 978-2-213-63358-9), p. 76.
  56. (en) Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited, p. 426.
  57. (en) Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited, footnote 78, p. 473.
  58. (en) Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited, p. 427-428.
  59. (en) Spiro Munayyer, The Fall of Lydda [PDF], Journal of Palestine Studies, vol. 27, issue 4, p. 19.
  60. (en) Alon Kadish et Avraham Sela (2005), Myths and historiography of the 1948 Palestine War revisited: the case of Lydda, The Middle East Journal, 22 septembre 2005.
  61. Walid Khalidi, Introduction to Spiro Munayyer’s The Fall of Lydda [PDF], Journal of Palestine Studies, vol. 27, no 4, p. 80-98, 1998.
  62. Benny Morris (2008), p. 290.
  63. Yoav Gelber, Palestine 1948, Sussex Academic Press, 2006, p. 162, p. 318.
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.