Surgisphere
Surgisphere (ou Surgisphere Corp.) est une société américaine se présentant comme réalisant des analyses de données de santé anonymisées ; la société a été créée en 2008 à Chicago et est basée dans l'Illinois.
Fondation |
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Type | |
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Domaine d'activité | |
Siège | |
Pays |
Directeur |
Sapan Desai (d) |
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Site web |
(en) surgisphere.com |
Elle est l'objet d'une controverse majeure en mai/juin 2020, en raison de la publication d'études sur le COVID-19 qui utilisaient des données fournies par Surgisphere, publiées puis rapidement rétractées (notamment par The Lancet et The New England Journal of Medicine) après avoir servi de fondement à des décisions de politique sanitaire dans plusieurs pays.
Historique
Surgisphere est fondée en 2008 par le chirurgien vasculaire Sapan Desai (en) qui en est aussi le PDG. Ce dernier était employé au Northwest Community Hospital, dans l'Illinois, depuis jusqu'à sa démission le [1]. Sapan Desai est sous le coup de trois procédures en cours pour « fautes professionnelles médicale aux États-Unis ». Deux d'entre elles ont été déposées en [2]. Elisabeth Bik découvre en que dans un article paru en 2004 dans le journal de neurophysiologie, Sapan Desai alors étudiant dans l'Université de l'Illinois a manipulé des images en dupliquant des parties de celles-ci[3].
En 2012, Desai a travaillé sur un projet « Neurodynamics Flow » d'outil de neurofeedback, principe parfois aussi dénommé neurobiofeedback (en) destiné à la neurothérapie, partant de l'hypothèse encore très discutée qu'une personne (en bonne santé) peut, grâce à un affichage en temps réel de son activité cérébrale (électroencéphalographie en général) apprendre à autoréguler certaines de ses fonctions ou réactions cérébrales, améliorer ses capacités cognitives, sa créativité ou sa relaxation[4]. Il a tenté de lancer ce projet avec un financement participatif via Indiegogo[5], mais n'a pas réussi à lever assez de fonds.
Desai s'installe en 2012 au Centre des sciences de la santé de l'Université du Texas à Houston et enregistre Surgisphere Corporation au Texas. Surgisphere édite de 2010 à 2013 un journal médical à comité de lecture (Journal of Surgical Radiology ou J Surg Rad) qui, selon son site Web, aurait eu jusqu'à 50 000 abonnés et près d'un million de pages vues par mois[6].
Fin , Surgisphere Corporation, encore inconnue du grand public et de nombreux professionnels, se retrouve sous le feu des critiques à la suite de la mise en doute de la qualité des données qu'elle a fournies pour une étude sur les risques pour la santé de l'hydroxychloroquine utilisée en traitement contre la COVID-19 publiée dans The Lancet le (vide infra).
Surgisphere aurait par ailleurs promu un « outil de diagnostic rapide » pour la COVID-19, déclarant qu'il était utilisé par plus de 1 000 hôpitaux[7] et qu'il aurait « 93,7 % de sensibilité et 99,9 % de spécificité »[6]. Desai a ensuite déclaré au journal The Scientist que cet outil n'était pas un test mais un « outil de notation de la gravité de la Covid-19 » et « d'aide à la décision pour le triage des patients », comme cela est expliqué sur le site web de l'entreprise[6].
Controverses sur la qualité de la base de données de Surgisphere (en 2020)
Mi-mai, la balance bénéfice-risque et l'intérêt d'introduire l'hydroxychloroquine dans le traitement de la COVID-19 sont encore très discutés. Le besoin d'études statistiquement solides justifie le lancement de plusieurs études, dont certaines se basent sur des données fournies par Surgisphere.
- Les données de dossiers hospitaliers de 96 000 patients hospitalisés dans 671 hôpitaux pour la Covid-19 entre décembre et qui auraient été recueillies par Surgisphere sont ainsi à la base d'une étude publiée en dans The Lancet. Cette étude concluait que les patients souffrant de la Covid-19 et prenant de l'hydroxychloroquine (antipaludique) n'en tiraient pas d'avantage thérapeutique et étaient même plus susceptibles de développer des problèmes cardiaques et de mourir à l'hôpital que d'autres[8].
Après la publication, des doutes sur la qualité des données ont été émis, d'abord sur les réseaux sociaux et dans la presse, puis dans des courriels, puis dans une lettre ouverte à The Lancet et aux auteurs de l’étude (lettre signée par plus de 100 chercheurs). Quelques observateurs ont noté, en premier lieu, que les résultats présentés étaient particulièrement discordants, comparés aux précédentes études sur le sujet. Des chercheurs ont également exprimé leurs doutes sur le fait que Surgisphere ait pu acquérir aussi vite autant de données détaillées sur des patients de la COVID-19, en contexte de crise sanitaire mondiale (63 000 patients COVID-19 accueillis dans 559 hôpitaux d'Amérique du Nord au déjà inclus dans cette vaste base de données, soit la moitié environ des cas déclarés à New York et dans le New Jersey, sur un total de 580 000 cas aux États-Unis au ). Dans une lettre ouverte, des chercheurs demandèrent au Lancet au moins un partage des données agrégées de Surgisphere (pour vérification des covariables et des résultats).
Les autorités australiennes ont déclaré au Guardian la semaine du que le nombre de décès australiens dans le journal Lancet, comptés jusqu'au , dépassait le nombre de décès COVID-19 enregistrés par les autorités sanitaires jusqu'à cette date. Desai a déclaré au Guardian que cela était dû à une erreur ayant entraîné l'inclusion d'un hôpital asiatique dans les statistiques pour l'Australie[9], et a affirmé que les conclusions générales de l'étude ne s'en trouvaient pas affectées.
D'autres sujets d'interrogations, non décisifs, ont été pointés par des chercheurs. Certains se sont ainsi étonné qu'alors que les deux tiers des données étaient supposées provenir d'Amérique du Nord, la moyenne des doses administrées dépassent très sensiblement les recommandations faites par la Food and Drug Administration des États-Unis. D'autres ont jugé que les augmentations du risque de décès par COVID-19 en fonction de l'âge des patients, telles que calculées par les auteurs, étaient incohérentes[1].
En conséquence, The Lancet et The New England Journal of Medicine ont publié des « expressions de préoccupation » concernant les études publiées[10]. Trois auteurs, communs à ces deux articles (Mandeep Mehra, Amit Patel et Sapan Desai), ont chacun basé leurs analyses sur des données fournies par Surgisphere (société fondée et dirigée par l'un d'entre eux : Sapan Desai, beau-frère d'Amit Patel, qui a déclaré via un porte-parole, ne pas pouvoir révéler l'identité des 671 hôpitaux de l'étude Lancet en raison d'accords de confidentialité avec ces derniers). Sapan Depai a lui même fait partie des trois auteurs ayant rétracté leur travail sur le New England Journal of Medicine, mais il n'a pas fait de même pour l'article du Lancet pour lequel trois de ses collègues co-rédacteurs ont rétracté leur travail au motif que Surgisphere a refusé de partager l’ensemble des données (dans le cadre d'un audit suscité par des préoccupations soulevées par des chercheurs extérieurs à l'étude).
- Le , le New England Journal of Medicine (NEJM) publie un EOC (Expression of Concern)[11], et The Lancet fait de même quelques heures plus tard[1]. Le , l'article du New England Journal of Medicine publié début mai et portant sur les effets cardiovasculaires et d'hypertension de l'hydroxychloroquine chez les patients de Covid-19 est rétracté[12] - [13], et trois des quatre auteurs de l'étude publiée dans The Lancet demandent la rétractation de leur article, affirmant ne pas avoir été en mesure de pleinement contrôler les données fournies par Surgisphere[12] - [14]. Le journal Lancet a lui-même publié une correctif à l'étude le , et dans un communiqué a dit prendre « les questions d'intégrité scientifique très au sérieux, et il existe de nombreuses questions en suspens sur Surgisphere et les données qui auraient été incluses dans cette étude ».
Surgisphere affirme disposer de pétaoctets de données provenant de plus de 100 millions de patients, données provenant de quelque 1 200 hôpitaux et institutions réparties sur six continents ; mais sous couvert d'accords de confidentialité ne révèle ni ses sources, ni comment les données sont collectées. Selon The Wall-Street Journal (), de nombreux chercheurs et certains hôpitaux (de New York, du New Jersey et de l'Illinois) ont dit n'avoir jamais entendu parler de Surgisphere[15].
- Un troisième travail de recherche, rétrospectif (de contrôle apparié de patients atteints de coronavirus et ayant reçu différents traitements), s'est appuyé sur une « base de données d'hospitalisation en temps réel » utilisant les données de Surgisphere. Ce travail a été diffusé en prépublication (c'est-à -dire avant validation par des pairs) en , concluant alors que l'ivermectine semblait réduire la mortalité par COVID-19. Cette prépublication a été retirée en [16], mais a néanmoins conduit plusieurs pays d'Amérique latine à utiliser l'ivermectine (antiparasitaire, notamment utilisé par les vétérinaires, et dans certains pays uniquement autorisée pour usage vétérinaire) contre la Covid-19, bien qu'avec des précautions[1], créant une augmentation de la demande dans plusieurs pays. Les résultats de cette troisième étude ont également été critiqués[12] - [17].
Le , un article de la revue Science estime suspect que la base de données de Surgisphere ait pu réunir autant de données en si peu de temps[1]. Arguant de clauses de confidentialité signées avec les hôpitaux, Surgisphere n'a pas rendu publiques les données utilisées dans les deux études, mais le un porte-parole de l'entreprise a déclaré au journal Science qu'il organisait un accord qui permettrait aux auteurs de l'étude NEJM un accès au niveau de détail de données demandé par NEJM, mais à condition de ne pas les divulguer[1].
Le , l'OMS annonce une « pause temporaire » de la branche hydroxychloroquine de l'essai Solidarity[18], et les autorités sanitaires font de même en France avec l'essai Discovery[19], alors que Sanofi (fabricant du Plaquenil) déclare temporairement cesser le recrutement de patients pour deux essais cliniques sur le Plaquenil[1]. Immédiatement après la rétractation de l'article dans The Lancet, l'OMS reprend les essais de l'hydroxychloroquine[20]. Les essais Recovery , en Angleterre, et ORCHID, financé par le National Heart, Lung, and Blood Institute, à Bethesda dans le Maryland, n'ont pas été modifiés[1].
Une enquête du Guardian montre que deux employés de Surgisphere avaient peu ou pas de formation scientifique ; l’un est auteur de science-fiction, et une autre, présentée comme « responsable marketing », était un mannequin de charme et hôtesse d'événements. Le Guardian note que la page LinkedIn de Surgisphere a moins de 100 « followers » et mentionnait seulement six employés, que la société n'a pratiquement aucune présence en ligne, et que son compte Twitter n’a rien posté d' à [21]. Son site Internet a disparu mi-[22].
Références
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- (en-GB) Melissa Davey(in Washington), Stephanie Kirchgaessner (in Washington) et Sarah Boseley (in London), « Governments and WHO changed Covid-19 policy based on suspect data from tiny US company », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
- Peter Aldhaus & Stephanie M.Lee, « Scientists Are Questioning Past Research By The Founder of Surgisphere », sur buzzfeednews.com,
- Nina Omejc, Bojan Rojc, Piero Paolo Battaglini et Uros Marusic, « Review of the therapeutic neurofeedback method using electroencephalography: EEG Neurofeedback », Bosnian Journal of Basic Medical Sciences,‎ (ISSN 1840-4812 et 1512-8601, PMID 30465705, PMCID PMC6716090, DOI 10.17305/bjbms.2018.3785, lire en ligne, consulté le )
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- (en) Catherine Offord, « Disputed Hydroxychloroquine Study Brings Scrutiny to Surgisphere », sur The Scientist Magazine®, (consulté le )
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- (en) Mellissa Davey, « Questions raised over hydroxychloroquine study which caused WHO to halt trials for Covid-19 », The Guardian,‎ (lire en ligne)
- (en) Mellissa Davey, « Governments and WHO changed Covid-19 policy based on suspect data from tiny US company », sur www.theguardian.com,
- (en) Eric J. Rubin, « Expression of Concern: Mehra MR et al. Cardiovascular Disease, Drug Therapy, and Mortality in Covid-19. N Engl J Med. DOI: 10.1056/NEJMoa2007621. », sur New England Journal of Medicine, (ISSN 0028-4793, PMID 32484612, PMCID PMC7269012, DOI 10.1056/NEJMe2020822, consulté le ), NEJMe2020822
- « « The Lancet » annonce le retrait de son étude sur l’hydroxychloroquine », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
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- « Hydroxychloroquine : trois auteurs de l’étude du « Lancet » se rétractent », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
- (en-US) Jared S. Hopkins and Russell Gold, « Authors Retract Studies That Found Risks of Using Antimalaria Drugs Against Covid-19 », Wall Street Journal,‎ (ISSN 0099-9660, lire en ligne, consulté le )
- (en-US) Derek Lowe, « What's Up With Ivermectin? », sur In the Pipeline, (consulté le )
- (en) « Concerns Build Over Surgisphere’s COVID-19 Dataset », sur The Scientist Magazine (consulté le ).
- (en) Elisabeth Mahase, « Covid-19: WHO halts hydroxychloroquine trial to review links with increased mortality risk », sur BMJ, (ISSN 1756-1833, DOI 10.1136/bmj.m2126, consulté le ), m2126
- « Covid-19 : pourquoi le traitement à l’hydroxychloroquine est suspendu en France », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
- « L’OMS reprend son essai sur l’hydroxychloroquine comme traitement potentiel contre le coronavirus », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
- Surgisphere: governments and WHO changed Covid-19 policy based on suspect data from tiny US company , sur theguardian.com (consulté le 6 juin 2020).
- (en) Sarah Owermohle, « Hydroxychloroquine is out », sur POLITICO (consulté le )
Voir aussi
Lien externe
- site web : https://surgisphere.com/ Lien mort (consulté le 27.11.2020).
Articles connexes
Bibliographie
- Nicolas Gutierrez C, « Interview. Le coauteur de l’étude du Lancet, fondateur de Surgisphere, répond aux questions levées par leur publication sur la chloroquine », Sciences et Avenir,‎ (lire en ligne)