Suicide chez les personnes autistes
Le suicide chez les personnes autistes fait l'objet de recherches scientifiques récentes, particulièrement depuis la fin des années 2010, qui ont montré une prévalence très élevée d'idées suicidaires et de passages à l'acte, aussi bien chez les enfants et les jeunes que chez les adultes, y compris à travers des demandes d'euthanasie volontaires. Les taux mesurés varient en fonction des études, et des pays dans lesquels elles sont menées.
Si les causes exactes de la forte prévalence des suicides parmi cette population sont discutées, les témoignages des personnes concernées qui ont survécu à une ou plusieurs tentatives évoquent leur sentiment d'être perçues comme des fardeaux par leur entourage, un rapport contrarié avec l'autisme, un sentiment de traumatisme, ainsi qu'un épuisement découlant du camouflage de leurs traits autistiques en public.
Remonter l'estime de soi et permettre l'inclusion sociale sont deux facteurs reconnus pour diminuer les suicides parmi cette population.
Taux de suicide
Le taux de suicide parmi la population autiste est unanimement reconnu comme élevé, les taux exacts pouvant varier en fonction des études menées à ce sujet, des méthodologies adoptées et des pays dans lesquels ces études sont menées[2] - [3] - [4] - [5] - [6] - [7].
Quatre études menées entre 2014 et 2017, notamment au Royaume-Uni, déterminent un taux de suicide environ six fois plus élevé parmi la population autiste par comparaison à la population générale ; les données d'une étude suédoise concluent à un taux 7,5 fois plus élevé[7].
Les auteurs d'une étude menée sur un échantillon de population danois de plus de 6,5 millions de personnes, avec des observations sur une période de 10 ans, concluent à un risque plus de 3 fois plus élevé chez les personnes autistes pour les tentatives de suicide et les décès, avec des taux significativement plus élevés par rapport à la population générale dans toutes les tranches d'âge, à partir de l'âge de 10 ans[2]. Le taux de suicide par âge le plus élevé est enregistré chez les personnes âgées de 30 à 39 ans[2].
Ces taux sont toujours plus élevés concernant les femmes et les filles autistes, par rapport aux garçons et aux hommes[8] - [2].
En 2023, une étude avec groupe de contrôle menée sur 7 000 enfants autistes à l'Université de l'Iowa conclut que les enfants à la fois autistes et à haut potentiel intellectuel ont un plus grand risque de pensées suicidaires que les enfants autistes dont le QI est dans la norme[9] - [10].
Historique des études
Une étude publiée dans The Lancet en 2014 encourage les professionnels de santé qui accompagnent des personnes autistes dites « Asperger » à se montrer vigilants sur le risque de suicide, longtemps négligé alors qu'il se révèle particulièrement élevé[11]. Plusieurs études concluent que les traits autistiques sont plus élevés chez les adultes ayant fait une tentative de suicide que parmi la population générale[12] - [13]. Il existe aussi des niveaux plus élevés de traits autistiques chez les adultes ayant fait plus d'une tentative de suicide, par rapport aux adultes ayant fait une seule tentative de suicide[13].
Cependant, plusieurs explications de ce fait sont possibles : soit les traits autistiques élevés sont un prédicteur direct de suicidalité, soit l'autisme non diagnostiqué est plus répandu parmi les populations d'adultes ayant fait une tentative de suicide que dans la population générale, soit ce sont des troubles associés à l'autisme qui sont facteurs de risque[13].
En Belgique et aux Pays-Bas, deux pays qui autorisent l'euthanasie et le suicide assisté, les personnes autistes font partie des catégories d'adultes qui y ont le plus recours ; l'étude de Michael M. Waddell postule à ce titre qu'ils constituent un groupe particulièrement vulnérable[14]. En 2020, il n'existe pas d'outil d'évaluation du risque de suicide qui serait spécifique à la population autiste, alors que cela apparaît comme une étape importante pour permettre une diminution de ces taux[15].
En 2020, la journaliste et défenseure des droits des personnes autistes Sara Luterman a dénoncé les écarts de financement entre recherche fondamentale et recherche appliquée à l'autisme, notant que « des millions de dollars sont consacrés à des poissons zèbres et des rats génétiquement modifiés qui se toilettent trop, mais pratiquement rien pour découvrir pourquoi tant d'adultes autistes font des tentatives de suicide »[2].
Facteurs de risque
En 2020, il existe peu de recherches permettant d'identifier les facteurs de risque spécifiques aux personnes autistes[7]. Ces facteurs de risque peuvent être différents de ceux des personnes non-autistes[16]. L'absence d'outils spécifiques à cette population conduit les professionnels de santé à faire éventuellement usage d'outils généraux de prévention du suicide, tels que la Safety Planning Intervention de Stanley et Brown, développée en 2012[17]. Les réponses de médecins américains engagés dans une prévention du suicide de leurs patients montrent qu'ils rencontrent plus de difficultés pour identifier ces risques chez leur patientèle autiste que chez leur patientèle non-autiste[18], mais aussi qu'ils considèrent que leur patientèle non-autiste est davantage à risque de suicide que leur patientèle autiste, opinion allant à rebours des statistiques de suicide chez cette population[15]. Le risque de suicide des personnes autistes apparaît donc sous-estimé par les professionnels de la santé interrogés à ce sujet[15].
Une étude comparative des facteurs de risque entre personnes autistes et non-autistes, publiée en 2020, montre que les personnes autistes ont plus souvent et plus profondément le sentiment d'être perçues comme des fardeaux pour leur entourage, une appartenance contrariée, et un sentiment de traumatisme à vie que les personnes non autistes[19].
Le taux d'auto-mutilations apparaît beaucoup plus élevé chez les enfants et adolescents autistes que chez les non-autistes, sans qu'une association ait été trouvée avec leur risque de suicide[20].
Une étude menée en ligne (avec 86 % de répondantes, âgées de 20 à 23 ans) conclut que le camouflage des traits autistiques est corrélé à l'appartenance contrariée et au risque de suicide[21].
La Pandémie de Covid-19 n'est pas associée à un taux de suicide plus élevé parmi les personnes autistes[22].
La co-occurrence fréquente de l'autisme avec les troubles de l'alimentation et la diversité des genres, dont des taux élevés de dysphorie de genre, constitue une autre piste d'explication[2].
Prévention et facteurs de protection
La promotion de l'estime de soi et de l'inclusion sociale est reconnue comme importante pour prévenir le suicide des personnes autistes[19]. Il est suggéré que les interactions régulières avec un chien (amitié du chien, promenades, etc) puissent réduire le risque de suicide et améliorer le bien-être[23].
South et al. interrogent aussi « la croyance selon laquelle les personnes autistes doivent camoufler ou masquer leurs traits autistiques pour se conformer aux attentes de la société, par exemple en se forçant à établir un contact visuel avec les autres même si cela est inconfortable », soulignant que des études quantitatives et qualitatives « montrent qu'un tel camouflage est épuisant et est associé à une mauvaise santé mentale, y compris à des pensées et des comportements suicidaires »[2].
Notes et références
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Annexes
Articles connexes
Bibliographie
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