Stratégie de minimisation des risques
La stratégie de minimisation des risques (ou bet-hedging en anglais[1] - [2] - [3]) est un concept d'écologie évolutive décrivant des mécanismes variés de réponse à des stress biotiques ou abiotiques, notamment en ce qui concerne des types de comportements de reproduction et de dynamique de populations de certaines espÚces. Les stress abiotiques sont tous ceux dérivant d'un caractÚre stochastique des conditions environnementales (telles que la quantité de précipitations ou la température) tandis que les stress biotiques peuvent provenir d'interactions biologiques intra spécifiques (par exemple la compétition pour des ressources) ou inter spécifiques (par exemple la prédation).
Introduction
La notion de minimisation du risque est intrinsÚquement reliée à la notion d'aléatoire. En économie et finance, le concept d'aversion au risque fait référence à la tendance de certaines personnes à se contenter de gains inférieurs à la moyenne lorsque l'incertitude dans ces gains est, en échange, réduite.
Transposée à l'écologie, la minimisation de risques est un ensemble de stratégies évolutives dans lesquelles un phénotype est privilégié, non pas parce qu'il est optimal pour les conditions biotiques et abiotiques les plus probables, mais parce qu'il est le moins mauvais dans des environnements particuliÚrement hostiles à la survie et reproduction des individus.
Le terme bet-hedging est adopté à la suite des travaux de Gillespie[4] et Slatkin[5], mais l'idée avait déjà été utilisée dans Cohen[6] et Lewontin & Cohen[7].
Lorsque des individus d'une ou plusieurs espÚces sont confrontés à un environnement stable, la théorie de l'évolution stipule que, sur le long terme, les phénotypes les plus adaptés à cet environnement auront tendance à proliférer tandis que les phénotypes moins adaptés auront tendance à disparaßtre, le tout sous l'effet de la sélection naturelle. L'adaptation d'un phénotype à un environnement donné est mesurée par sa fitness
Cependant, l'environnement peut ĂȘtre amenĂ© Ă changer. Dans certains cas, la variabilitĂ© environnementale est telle que des phĂ©notypes sĂ©lectionnĂ©s Ă un moment donnĂ© peuvent ĂȘtre fortement contre-sĂ©lectionnes Ă un autre moment. DĂšs lors, les espĂšces confrontĂ©es Ă ce type d'environnements doivent dĂ©velopper des stratĂ©gies Ă©volutives adaptĂ©es Ă la survie en conditions potentiellement variables.
Supposons, concrĂštement, qu'une espĂšce est exposĂ©e Ă des environnements changeants , pour lesquels elle a des fitness associĂ©es . Supposons de plus qu'Ă chaque annĂ©e les conditions environnementales sont choisies, de façon indĂ©pendante du passĂ©, selon des probabilitĂ©s . Ătant donnĂ© que la fitness annuelle reprĂ©sente une capacitĂ© Ă survivre et Ă se reproduire, une bonne mesure de fitness sur un ensemble de plusieurs annĂ©es est le produit des fitness annuelles
oĂč est le nombre d'occurrences de l'environnement sur la pĂ©riode. Sur un grand nombre d'annĂ©es, , et donc
Ainsi, lorsque l'Ă©tude est faite sur des longues pĂ©riodes, la fitness du phĂ©notype dĂ©pend de la moyenne gĂ©omĂ©trique des fitness, , cette moyenne Ă©tant prise par rapport Ă la distribution de conditions environnementales. Ce rĂ©sultat s'oppose Ă la fitness moyenne sur chacune des annĂ©es, qui est quant-Ă -elle donnĂ©e par la moyenne arithmĂ©tique des , . Ces deux moyennes Ă©tant diffĂ©rentes, les stratĂ©gies optimales peuvent ne pas ĂȘtre les mĂȘmes selon quelle fitness est optimisĂ©e. En effet, la sensibilitĂ© de varie en fonction des ,
Ainsi, les petites fitness ont une influence accrue sur : des faibles changements dans l'adaptation aux environnements les plus hostiles ont un impact beaucoup plus important que des changements de fitness par rapport aux environnements favorables. Ăcologiquement, la raison est simple: il suffit d'une annĂ©e mauvaise pour dĂ©cimer les populations inadaptĂ©es aux environnements hostiles. Augmenter les chances de survie et de reproduction dans ces annĂ©es-lĂ a donc bien plus d'effet que d'augmenter la fitness sur les annĂ©es dĂ©jĂ favorables.
La moyenne géométrique s'oppose ainsi à la moyenne arithmétique, qui est sensible à tous les environnements sans distinction, car elle ne capture pas d'effet à long terme. En pratique, augmenter la fitness pour un environnement hostile se fait souvent aux dépens de la fitness pour les environnements favorables. DÚs lors, optimiser la moyenne géométrique peut impliquer de réduire la moyenne arithmétique. On dit dans ce cas que l'organisme a adopté une stratégie de minimisation de risques, préférant réduire son taux de développement dans les années favorables pour se protéger lors des années défavorables.
Les différentes stratégies de minimisation de risques sont traditionnellement regroupées sous deux catégories : stratégies conservatrices (conservative bet-hedging ou CBH, en anglais) et diversifiées (diversified bet-hedging ou DBH, en anglais). La différence entre ces deux groupes est liée à la variabilité phénotypique au sein de l'espÚce. Autrement dit, les individus au sein d'une génération sont-ils similaires les uns aux autres ou trÚs différents?
Stratégie conservatrice
Les stratégies conservatrices consistent d'une part à réduire la variabilité phénotypique au sein de l'espÚce (tous les individus se ressemblent fortement), et d'autre part à présenter un phénotype de type généraliste (ils sont capables de supporter un large panel de variations mais leur fitness n'est optimale pour aucune d'entre elles). Le choix est donc d'assurer des taux de reproduction homogÚnes sur l'ensemble des conditions possibles. Ces stratégies sont sélectionnées lorsque les conditions sont changeantes à l'échelle de temps d'un seul individu dans la lignée, et sont donc favorisées par les effets qui contribuent de façon multiplicative à la fitness (comme par exemple des probabilités annuelles de survie)[8].
De nombreuses espÚces de champignons (Fungi) sont par exemple capables de se développer sur une grande diversité d'arbres et de bois, mais sont en revanche de moins bonnes consommatrices de ressources que d'autres espÚces qui, étant spécialistes, ne peuvent survivre que sous certaines conditions[9]. Cela leur permet d'avoir un panel large d'habitats exploitables. En présence d'habitats fragmentés, les spores de ces espÚces sont amenées, aprÚs dispersion, à se développer dans des conditions environnementales trÚs hétérogÚnes. Le phénotype généraliste apparaßt alors comme une stratégie de minimisation du risque.
Stratégie diversifiée
Contrairement aux stratĂ©gies conservatrices, les stratĂ©gies diversifiĂ©es privilĂ©gient une grande variabilitĂ© phĂ©notypique et des individus spĂ©cialistes[10], c'est-Ă -dire pouvant chacun exploiter de façon optimale un type de ressource donnĂ© dans un type d'environnement donnĂ©. Ainsi, quelles que soient les conditions environnementales, une petite partie de la progĂ©niture sera capable de se dĂ©velopper fortement pour maintenir l'espĂšce, mĂȘme si la majoritĂ© des autres phĂ©notypes est contre-sĂ©lectionnĂ©e de par leur caractĂšre spĂ©cialiste. Ces stratĂ©gies sont possibles lorsque la variabilitĂ© s'exprime peu Ă l'Ă©chelle de temps d'un seul individu de la lignĂ©e, mais est contre-sĂ©lectionnĂ©e au profit des stratĂ©gies gĂ©nĂ©ralistes lorsque les conditions sont changeantes dans les Ă©chelles de temps courtes. Elles sont en particulier favorisĂ©es par les effets qui contribuent de façon additive Ă la fitness (comme par exemple des temps de fourragement lorsque celui-ci n'implique pas de danger pour l'individu)[8].
Comparaison des stratégies
L'arbitrage entre les stratĂ©gies conservatrices et diversifiĂ©e peut ĂȘtre vu en considĂ©rant un modĂšle simplifiĂ© de fitness[11]: soit une population caractĂ©risĂ©e par un trait phĂ©notypique continu , dont la fitness des individus est donnĂ©e, en fonction de leur phĂ©notype, par une gaussienne normalisĂ©e
est donc le phĂ©notype optimal, c'est-Ă -dire maximisant la fitness, tandis que dĂ©termine la largeur de la courbe. caractĂ©rise donc la stratĂ©gie adoptĂ©e par l'espĂšce: il est grand pour des individus gĂ©nĂ©ralistes et petit pour des individus spĂ©cialistes. Au contraire, dĂ©pend des conditions environnementales: a chaque environnement est associĂ© un phĂ©notype optimal diffĂ©rent. Pour introduire de la variabilitĂ© dans les phĂ©notypes de l'espĂšce, suit une loi normale, . De mĂȘme, la stochasticitĂ© environnementale est caractĂ©risĂ©e par une distribution normale, . En supposant que , c'est-Ă -dire que la distribution des phĂ©notypes est dĂ©jĂ alignĂ©e sur la distribution environnementale (sous l'effet de la sĂ©lection naturelle, par exemple), la fitness gĂ©omĂ©trique de la population est
-
(Eq. 1)
-
Le but Ă©tant de maximiser cette quantitĂ©, la condition Ă satisfaire est . En d'autres termes: lorsque la variabilitĂ© phĂ©notypique diminue, les individus se doivent d'ĂȘtre plus gĂ©nĂ©ralistes ( augmente), tandis que lorsque les individus deviennent spĂ©cialistes ( diminue) il est nĂ©cessaire d'augmenter la variabilitĂ© phĂ©notypique de la population. Par ailleurs, l'Ă©chelle de variabilitĂ© est fixĂ©e par les fluctuations environnementales .
Dans (Eq. 1) la moyenne sur les phénotypes est prise avant le logarithme: il s'agit donc, contrairement à la moyenne sur l'environnement, d'une moyenne arithmétique. La raison en est que l'arbitrage entre stratégies diversifiées et stratégies conservatrices n'est possible que si les conditions sont stables à l'échelle de temps des individus[8] (c.f paragraphes précédents). La variabilité phénotypique s'exprime ainsi à chaque génération, contrairement à la variabilité environnementale qui s'exprime sur des échelles de temps plus longues.
ModĂšle de Cohen (1966)
Description mathématique
Le travail fondateur de Cohen[6] concerne la reproduction de plantes dans un environnement variable. De nombreuses espĂšces de plantes annuelles sĂ©melpares (c'est-Ă -dire, qui ne se reproduisent qu'une fois par an et meurent aprĂšs la reproduction) ont dĂ©veloppĂ© la capacitĂ© de retarder la germination des graines de plusieurs mois, voire de plusieurs annĂ©es, en attendant des conditions plus propices Ă la survie des descendants. Cependant, ce phĂ©nomĂšne de dormance des graines n'est pas nĂ©cessairement adaptatif: le mĂȘme pourcentage de graines germe alors indĂ©pendamment des conditions externes, ce qui reprĂ©sente un avantage lorsqu'elles sont hostiles, mais un dĂ©savantage compĂ©titif lorsqu'elles sont propices au dĂ©veloppement, la plante produisant moins de descendance que des espĂšces non dormantes.
La stratĂ©gie de dormance est alors une stratĂ©gie de minimisation de risques: l'espĂšce handicape sa reproduction les bonnes annĂ©es pour augmenter les chances de survie lorsque les conditions sont dures. La stratĂ©gie optimale (caractĂ©risĂ©e par un pourcentage de graines germant chaque annĂ©e) est alors celle qui maximise la croissance de la population (mesurĂ©e par son stock de graines) Ă long terme, Ă©tant donnĂ© des probabilitĂ©s dâoccurrence pour chaque type d'environnement externe.
L'Ă©quation maĂźtresse du modĂšle de Cohen pour l'Ă©volution du nombre de graines entre deux reproductions successives est
oĂč
- et sont respectivement le nombre total de graines à l'an et à l'an , juste aprÚs les événements reproducteurs respectifs.
- est le pourcentage de graines présentes à l'année qui germeront avant l'année . Ainsi, graines restent dormantes.
- est le pourcentage de graines dormantes qui ne survivent pas à la saison . Ainsi, est le pourcentage de graines à l'année issues de l'année .
- est le nombre moyen de graines produites, lors de lâĂ©vĂ©nement reproducteur en l'an , par chacune des graines ayant germĂ©. Ce nombre est donc une variable alĂ©atoire capturant la stochasticitĂ© du milieu, car il tient compte en mĂȘme temps de la capacitĂ© des graines germant Ă survivre et de la capacitĂ© des survivants Ă produire des graines.
est ici la variable qui peut ĂȘtre optimisĂ©e par l'espĂšce, les autres quantitĂ©s Ă©tant des paramĂštres. Le modĂšle suppose l'existence de plusieurs conditions environnementales indexĂ©es par et donnant lieu Ă des progĂ©nitures de tailles et des taux de survie . Un de ces environnements est par ailleurs choisi, chaque annĂ©e, avec une probabilitĂ© indĂ©pendamment de l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Dans ce cas le taux de croissance asymptotique de la population est
Ce taux dĂ©croit avec (la mort de graines n'a aucun intĂ©rĂȘt Ă©volutif) et croit avec les (une reproduction accrue n'a, dans ce modĂšle, aucun coĂ»t Ă©volutif). L'influence de est plus complexe, consĂ©quence du compromis Ă l'origine de la stratĂ©gie de minimisation de risques.
La valeur optimale , obtenue en maximisant , est solution de l'Ă©quation
-
(Eq. 2)
-
Dans le cas oĂč serait constant et un seul environnement serait hostile (avec probabilitĂ© ) et les autres trĂšs favorables, i.e. pour tout sauf un certain pour lequel , cette Ă©quation se rĂ©duit Ă dont la solution est . La proportion optimale de graines Ă germer tend donc vers la probabilitĂ© d'avoir une bonne annĂ©e, . Ceci montre Ă quel point les mauvaises annĂ©es peuvent avoir un impact sur le dĂ©veloppement Ă long terme. Si en revanche toutes les valeurs de sont suffisamment importantes, l'Ă©quation n'a pas de solution et la valeur optimale est en fait . La raison en est que les deux environnements Ă©tant favorables il n'y a pas d'intĂ©rĂȘt Ă retarder la germination des graines. Dans le cas gĂ©nĂ©ral il n'existe pas d'expression analytique pour , mais on peut tout de mĂȘme trouver la condition pour que la stratĂ©gie de minimisation de risques existe, c'est-Ă -dire pour que . ConcrĂštement, il faut que
Si cette condition n'est pas satisfaite, la stratégie optimale est de développer toutes les graines, . Il n'y a pas besoin de minimiser le risque. Lorsque la mortalité des graines augmente, minimiser le risque devient de plus en plus compliqué, ce qui traduit le fait que garder des graines, alors que celles-ci ont moins de chances de survivre à la saison, est moins rentable. A contrario, la condition est d'autant plus facile à valider que peut prendre des petites valeurs, car cela fait augmenter l'espérance. En particulier, elle est toujours vérifiée dÚs lors que l'issue (environnement totalement hostile) a une probabilité non nulle d'arriver. En effet, une espÚce ne faisant pas de compromis serait dans ce cas tÎt ou tard éradiquée par un de ces événements catastrophiques.
Prise en compte de la plasticité phénotypique
Le modĂšle prĂ©cĂ©dent suppose un taux de germination constant . Or, les conditions environnementales au moment oĂč les graines doivent 'dĂ©cider' entre germer ou rester dormantes sont souvent corrĂ©lĂ©es, du moins en partie, avec les conditions environnementales futures. Une stratĂ©gie possible pour les graines serait alors de tenir compte de ces corrĂ©lations et d'utiliser l'information au moment oĂč elles germent pour infĂ©rer des probabilitĂ©s sur les conditions futures, et ainsi faire varier, d'annĂ©e en annĂ©e et en rĂ©ponse Ă ces premiers signaux environnementaux, leurs taux de germination[12]. Ce modĂšle dĂ©veloppĂ© suppose ainsi que
- au moment de la germination, les graines ressentent un signal environnemental en fonction duquel elles peuvent s'adapter (par exemple, l'occurrence des premiÚres pluies[13] ou la densité d'individus compétiteurs[14]). Ce signal est une variable aléatoire prenant des valeurs .
- il existe une certaine corrélation entre les valeurs prises par les variables et et les valeurs prises par . Cette corrélation est totalement caractérisée par les probabilités d'observer et au cours de l'année sachant que le signal environnemental au moment de la germination a été .
- les graines peuvent adapter leur taux de germination en fonction du signal . Ainsi, à chaque signal est associé un taux . Elles ne peuvent pas adapter aux valeurs de et qui, au moment de la germination, demeurent inconnues, mais elles peuvent jouer sur les corrélations entre pour trouver la stratégie optimale.
Le taux de croissance asymptotique s'obtient à partir du modÚle initial en réalisant le remplacement . Ici, est la probabilité d'observer le systÚme dans l'état , reliée par la formule de Bayes à au moyen de la probabilité (globale) d'observer au moment de la germination.
La plante peut désormais optimiser sur chacune des valeurs , ce qui donne les conditions
L'optimisation sur est donc indĂ©pendante de celle sur pour , ce qui traduit le fait que les corrĂ©lations sur plusieurs annĂ©es n'ont pas Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es. Cette Ă©quation Ă©tant similaire Ă (Eq. 2) elle peut ĂȘtre traitĂ©e de la mĂȘme façon. En particulier, la condition pour avoir de la minimisation de risques sur est [12] Lorsque cette condition n'est pas respectĂ©e, est optimal. Lorsqu'elle est respectĂ©e, . Deux cas limites sont intĂ©ressants:
- Lorsque est en fait dĂ©corrĂ©lĂ© de , c'est-Ă -dire , on rĂ©cupĂšre la mĂȘme Ă©quation pour tout et donc la mĂȘme proportion optimale de germination tous les ans : la graine n'ayant aucune information sur l'annĂ©e Ă venir il n'y a pas d'optimisation possible Ă court terme.
- Lorsque détermine parfaitement , c'est-à -dire que pour un certain couple (dépendant de ) et pour les autres, il n'y a pas de possibilité de bet-hedging. L'environnement est alors faussement stochastique, car la graine est capable de prédire les valeurs pour l'année en cours. La plante choisit alors soit une germination complÚte si soit une absence totale de germination si .
Ce dĂ©veloppement du modĂšle de Cohen tient donc compte en mĂȘme temps des stratĂ©gies de minimisation de risques et de la plasticitĂ© phĂ©notypique. Lorsque sont dĂ©corrĂ©lĂ©s, on obtient du bet-hedging sans plasticitĂ© comme dans le modĂšle initial. A l'inverse, lorsque la corrĂ©lation est parfaite la stratĂ©gie de la plante relĂšve purement de la plasticitĂ© phĂ©notypique, l'adaptation Ă l'environnement Ă©tant renouvelĂ©e Ă chaque annĂ©e sans vision de futur. Dans le cas gĂ©nĂ©ral, la stratĂ©gie de la plante est un mĂ©lange des deux[15].
Corroboration empirique
La confirmation expérimentale des prédictions du modÚle de Cohen est rendue déclicate par[14] - [16] - [17]:
- les possibles effets de dormance associĂ©s non pas Ă une variabilitĂ© environnementale mais Ă une rĂ©duction de la compĂ©tition entre individus d'une mĂȘme progĂ©niture et avec leurs parents.
- d'éventuels effets maternels, moyennant lesquels le phénotype de la progéniture est corrélé au phénotype du parent.
Tout de mĂȘme, les expĂ©riences tendent Ă confirmer les prĂ©dictions du modĂšle de Cohen[18] - [19] - [20]. ConcrĂštement, les auteurs Ă©tudient le comportement de Bicutella didyma et Bromus fasciculatus. Ces deux espĂšces prĂ©sentent une rĂ©partition gĂ©ographique le long d'un gradient Nord-Sud de prĂ©cipitations en IsraĂ«l. Ainsi, quatre sites ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s, le plus aride Ă©tant le plus septentrional et le plus humide Ă©tant le plus mĂ©ridional. La variation dans les prĂ©cipitations s'accompagne d'un gradient dans leur stochasticitĂ©. Le site le plus humide est celui ou les fluctuations sont les plus faibles, tandis que le site le plus aride est celui oĂč elles sont plus importantes. L'Ă©tude conclut que
- il existe une variabilitĂ© intra spĂ©cifique dans la dormance des graines le long du gradient gĂ©ographique. La germination est plus faible au Nord, oĂč des Ă©pisodes d'ariditĂ© accrue sont plus susceptibles de se produire.
- le taux de germination intra spécifique pour un site donné ne dépend pas significativement de l'année considérée, malgré la variation inter-annuelle dans les précipitations observées.
- lorsque des graines sont transplantĂ©es de leur site d'origine vers un autre site, leurs taux de germination restent hiĂ©rarchisĂ©s de la mĂȘme façon
Ainsi, le taux de dormance dĂ©pend bien de la localisation gĂ©ographique, ce qui est cohĂ©rent avec une influence des fluctuations environnementale. Par ailleurs, le fait que les graines provenant de sites humides germent davantage que les graines provenant de sites arides alors mĂȘme qu'elles ont Ă©tĂ© transplantĂ©es dans des sites arides appuie l'hypothĂšse d'un fort dĂ©terminisme gĂ©nĂ©tique. Ceci est clĂ© pour considĂ©rer que l'on est bien en prĂ©sence d'une stratĂ©gie de minimisation des risques. Enfin, l'absence de corrĂ©lation significative avec les variations environnementales Ă court terme montre que la plasticitĂ© phĂ©notypique n'entre peu ou pas en jeu. Ainsi, pour ces espĂšces, les observations sont donc cohĂ©rentes avec le modĂšle de Cohen[19].
Aspects Ă©volutifs
Un phĂ©nomĂšne Ă©volutif est caractĂ©risĂ© par des extinctions et fixations rĂ©pĂ©tĂ©es dâallĂšles. La nature de lâĂ©volution adaptative varie en fonction de la frĂ©quence des changements environnementaux, lâadaptabilitĂ© de la population (câest-Ă -dire la capacitĂ© de mutation ou de sĂ©lection en rĂ©ponse aux fluctuations) le rapport coĂ»t/bĂ©nĂ©fice des diffĂ©rentes stratĂ©gies etc.[21] Ainsi, une dynamique Ă©volutive doit prendre en compte la probabilitĂ© dâapparition dâun allĂšle (par mutation ou flux de gĂšnes), sa probabilitĂ© de fixation dans la population (qui dĂ©pend de la taille de celle-ci) et la vitesse Ă laquelle cette fixation a lieu. Dans des petites populations, la dĂ©rive gĂ©nĂ©tique peut en effet mener un allĂšle Ă l'extinction alors mĂȘme qu'il a une valeur sĂ©lective forte. Ainsi, pour quâun allĂšle responsable dâune stratĂ©gie de minimisation des risques se fixe dans la population, la dĂ©rive gĂ©nĂ©tique doit ĂȘtre suffisamment lente pour que la sĂ©lection naturelle favorise cet allĂšle adaptĂ© Ă l'environnement changeant[15].
La minimisation des risques coexistant souvent avec dâautres phĂ©nomĂšnes adaptatifs, leur distinction nâest donc pas aisĂ©e. La stratĂ©gie diversifiĂ©e de minimisation des risques, par exemple, se caractĂ©rise par la capacitĂ© Ă gĂ©nĂ©rer une haute frĂ©quence de phĂ©notypes distincts grĂące Ă mĂ©canismes de polymorphisme et de microplasticitĂ©[22], le premier Ă©tant commun avec la plasticitĂ© phĂ©notypique[23]. La microplasticitĂ©, elle, ne rĂ©pond pas aux signaux environnementaux: elle est responsable dâune imprĂ©cision dans le dĂ©veloppement, menant ainsi Ă une proportion Ă©levĂ©e de variance phĂ©notypique. Ainsi, bien que bet-hedging et plasticitĂ© phĂ©notypique soient trĂšs diffĂ©rents d'un point de vue Ă©volutif, leurs bases de fonctionnement se recoupent[23].
Des expĂ©riences en laboratoire ont mis en Ă©vidence lâapparition de stratĂ©gies de minimisation des risques chez les bactĂ©ries lorsque les populations sont soumises Ă des rĂšgles dâexclusion ou des goulots dâĂ©tranglement. Ces deux processus joueraient donc un rĂŽle clĂ© dans lâadaptation Ă une sĂ©lection fluctuante en milieu naturel. Ces expĂ©riences permettent dâĂ©mettre lâhypothĂšse que la minimisation des risques pourrait ĂȘtre une des premiĂšres stratĂ©gies adaptatives mises en place en rĂ©ponse aux environnements variables[21].
Lorsque la valeur adaptative est influencĂ©e par des variances environnementales ayant aussi bien des composantes prĂ©visibles qu'imprĂ©visibles, on peut sâattendre Ă un mĂ©lange de plasticitĂ© phĂ©notypique et de minimisation des risques[23]. Dans ce cas, la rĂ©ponse adaptative prend des valeurs approchant les normes de rĂ©action.
Exemples issus du Vivant
Diapause chez les RotifĂšres
Brachionus plicatilis est une espĂšce de RotifĂšre Monogonte vivant dans des eaux saumĂątres. Pour faire face Ă des conditions environnementales incertaines et une mauvaise prĂ©dictibilitĂ© de lâhabitat, cette espĂšce met en place une stratĂ©gie de minimisation des risques maternelle exprimĂ©e chez la progĂ©niture. Les individus adultes ne vivent en effet gĂ©nĂ©ralement quâune seule saison et re colonisent pĂ©riodiquement les colonnes dâeau. AprĂšs la reproduction, les femelles pondent des Ćufs et les enfouissent dans les sĂ©diments. Leur Ă©closion a lieu en diapause, câest-Ă -dire de maniĂšre graduelle dans le temps. Il existe une corrĂ©lation positive entre la prĂ©dictibilitĂ© de lâhabitat et lâĂ©closion dâĆufs en diapause.
Lorsque la prĂ©dictibilitĂ© dâun habitat est mauvaise, les Ćufs ont un faible taux dâĂ©closion, la survie des nouveaux individus risquant d'ĂȘtre fortement rĂ©duite. Au contraire, lorsque cette prĂ©dictibilitĂ© est bonne, le taux dâĂ©closion est maximal afin de profiter de lâopportunitĂ© quâoffre un habitat favorable. Ainsi, quand lâĂ©tat du milieu nâest pas prĂ©dictible, une Ă©closion asynchrone des Ćufs permet d'assurer la survie d'au moins une partie de la descendance, que l'annĂ©e soit plus ou moins favorable. Lorsque cette stratĂ©gie porte ses fruits, la fitness augmente avec la probabilitĂ© quâau moins un sous-ensemble de la progĂ©niture ait un phĂ©notype avantageux dans lâenvironnement futur. Cela correspond Ă l'adage de « ne pas mettre tous ses Ćufs dans le mĂȘme panier »[24]. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, pour les organismes possĂ©dant des propagules rĂ©sistantes et persistantes (spores, oeufs, graines etc.), le bet hedging diversifiĂ© permet aux populations d'Ă©viter lâextinction grĂące Ă la progĂ©niture retardĂ©e dans le temps, Ă travers diffĂ©rentes saisons[25].
Diversité phénotypique chez les bactéries
La minimisation de risques chez Sinorhizobium meliloti (une bactĂ©rie du genre Rhizobium prĂ©sentant une symbiose avec les FabacĂ©es), se prĂ©sente comme une stratĂ©gie de diversification des phĂ©notypes lors des pĂ©riodes de famine[26]. Lorsquâun nodule devient sĂ©nescent, la bactĂ©rie doit sâĂ©chapper et trouver un nouvel hĂŽte. Deux cas sont possibles: soit elle retrouve directement un hĂŽte, soit elle attend en persistant dans les sols. Dans ce deuxiĂšme cas, les cellules accumulent du PHB (Polyhydroxnybutyrate) pour survivre. Quand elle se retrouve limitĂ©e en carbone, S. meliloti, incapable de prĂ©voir les conditions environnementales futures, se scinde en deux et donne des cellules-filles de phĂ©notypes diffĂ©rents. Ce phĂ©nomĂšne ne relĂšve pas de la pure plasticitĂ© phĂ©notypique. En effet, lâune des cellules-filles possĂšde une faible teneur en PHB, et en cas de courte famine favorise son utilisation immĂ©diate pour se reproduire, augmentant ainsi la compĂ©titivitĂ© pour les ressources exogĂšnes et la nodulation, tandis que lâautre cellule-fille, ayant une haute concentration en PHB, peut survivre plus dâun an en cas de longue famine en favorisant une consommation lente de son stock. Ainsi la production de deux phĂ©notypes diffĂ©rents augmente la valeur sĂ©lective de la lignĂ©e. Le phĂ©nomĂšne n'est pas non plus du pur bet-hedging, car la cellule-mĂšre ne met en place cette stratĂ©gie qu'en cas de pĂ©nurie de carbone. Ce cas est donc un exemple d'une stratĂ©gie mixant minimisation des risques Ă long terme et plasticitĂ© phĂ©notypique Ă court terme.
Accouplement multiple
Lâaccouplement multiple des femelles (ou polyandrie) peut-ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un mĂ©canisme gĂ©nĂ©tique de minimisation de risques. Celui-ci permet aux femelles de rĂ©duire lâincertitude lorsquâelles nâont pas assez dâinformations pour Ă©valuer la qualitĂ© des gĂšnes de leur partenaire. En multipliant le nombre de partenaires, elles augmentent la probabilitĂ© de rencontrer des gĂšnes avantageux dans lâenvironnement, amĂ©liorant ainsi la fitness de leur descendance[27]. Cet accouplement multiple alĂ©atoire peut donc ĂȘtre plus compĂ©titif que lâaccouplement unique alĂ©atoire lorsque la frĂ©quence des mĂąles, la taille de la population de femelles et les coĂ»ts de rĂ©-accouplement sont faibles. Lorsque la frĂ©quence des « bons » mĂąles est Ă©levĂ©e, la stratĂ©gie dâaccouplement multiple nâest pas nĂ©cessaire car la probabilitĂ© de choisir un bon mĂąle est grande. Ă lâinverse, lorsque la frĂ©quence des bons mĂąles est faible il sera avantageux de multiplier les accouplements afin de dâaccroĂźtre la probabilitĂ© de tomber sur un bon mĂąle. Chez Tribolium castaneum, les femelles polyandres ont une fitness plus importante que celles qui ont un partenaire unique[28]. Cette stratĂ©gie de minimisation des risques et la sĂ©lection sexuelle Ă©tant trĂšs ressemblantes, il nâest pas toujours facile de diffĂ©rencier lâune de lâautre, dâautant plus que les deux peuvent coexister.
Notes et références
- Glossaire
- Bet hedging in a guild of desert annuals
- Bet-hedging and the orientation of juvenile passerines in fall migration
- John H Gillespie, « NATURAL SELECTION FOR WITHIN-GENERATION VARIANCE IN OFFSPRING NUMBER », Genetics, vol. 76, no 3,â , p. 601â606 (ISSN 1943-2631, DOI 10.1093/genetics/76.3.601, lire en ligne, consultĂ© le )
- Montgomery Slatkin, « Hedging one's evolutionary bets », Nature, vol. 250, no 5469,â , p. 704â705 (ISSN 0028-0836 et 1476-4687, DOI 10.1038/250704b0, lire en ligne, consultĂ© le )
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