Serge Berna
Serge Berna est un poÚte français ou italien, né à Venise vers 1924 ou 1925.
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Avec Michel Mourre, Ghislain Desnoyers de Marbaix, Jean-Louis Brau, Claude-Pierre Matricon et Jean Rullier[1], il est l'un des jeunes lettristes auteurs du « Scandale de Notre-Dame ».
Proche d'un cercle de jeunes radicaux autour d'Isidore Isou, il fait partie de la scission qui quitte Isou pour fonder en 1952 l'Internationale lettriste (I.L.)[2], précurseur de l'Internationale situationniste. Il en est exclu l'année suivante, et, aprÚs quelques écrits publics, renonce à toute manifestation.
Actuellement, trÚs peu de choses sont connues sur la vie de Serge Berna si ce n'est que différents articles de presse le citant lors de l'épisode de Notre-Dame le jour de Pùques 1950 lui attribuent vingt cinq ans d'ùge et une naissance à Venise en Italie[3] - [4].
Le Scandale de Notre-Dame
ĂvĂšnement de portĂ©e internationale, cette manifestation radicale constitue l'acmĂ© du climat d'agitation insufflĂ© par la frange la plus avancĂ©e des troupes lettristes agrĂ©gĂ©es derriĂšre Isidore Isou dans le cadre du mouvement lettriste qu'il a initiĂ© au lendemain de la guerre 1939-1945. L'idĂ©e en aurait germĂ© quelque temps auparavant, le , lors du «Grand Meeting des RatĂ©s», oĂč, Ă l'invitation notamment de Serge Berna, Ă©taient conviĂ©s dans la Salle des SociĂ©tĂ©s savantes les «incapables, inutiles, oisifs, va-nu-pieds»[5].
Le scandale lui-mĂȘme est organisĂ© avec Ghislain de Marbaix, Jean Rullier et Michel Mourre, mais c'est Berna qui rĂ©dige le texte[6] nietzschĂ©en et anticatholique sur une table du cafĂ© Mabillon (Paris VIe)[7], qui fut dĂ©clamĂ© par Michel Mourre le dimanche , jour de PĂąques en la cathĂ©drale Notre-Dame de Paris, en pleine messe.
Déguisé en dominicain et accompagné par Berna et leurs deux complices qui faisaient office de gardes du corps, Mourre est monté en chaire pour y annoncer « la mort du Christ-Dieu pour qu'enfin vive l'Homme », interrompu avant la fin du discours par les grandes orgues. Ils échappÚrent au lynchage par la foule grùce à l'intervention de la police, qui les conduisit au commissariat du quartier Saint-Gervais[8].
L'Adresse de Notre-Dame[9]
- Aujourdâhui, jour de PĂąques en lâAnnĂ©e sainte,
- Ici, dans lâinsigne Basilique de Notre-Dame de Paris,
- Jâaccuse
- lâĂglise Catholique Universelle du dĂ©tournement mortel de nos forces vives en faveur dâun ciel vide ;
- Jâaccuse
- lâĂglise Catholique dâescroquerie ;
- Jâaccuse
- lâĂglise Catholique dâinfecter le monde de sa morale mortuaire,
- dâĂȘtre le chancre de lâOccident dĂ©composĂ©.
- En vérité je vous le dis : Dieu est mort.
- Nous vomissons la fadeur agonisante de vos priĂšres,
- car vos priÚres ont grassement fumé les champs de bataille de notre Europe.
- Allez dans le dĂ©sert tragique et exaltant dâune terre oĂč Dieu est mort
- et brassez Ă nouveau cette terre de vos mains nues,
- de vos mains dâorgueil,
- de vos mains sans priĂšre.
- Aujourdâhui, jour de PĂąques en lâAnnĂ©e sainte,
- Ici, dans lâinsigne Basilique de Notre-Dame de France,
- nous clamons la mort du Christ-Dieu pour quâenfin vive lâHomme[10].
Dans un texte dactylographiĂ© remis Ă Henry de BĂ©arn, Serge Berna s'est expliquĂ©, dans un style mĂȘlant exaltation et poĂ©sie, sur les motivations de cette Ă©quipĂ©e pleinement assumĂ©e le concernant, mĂȘme si Michel Mourre s'en dĂ©marquera ensuite[11]. D'ailleurs, dans la continuitĂ© de cet anticlĂ©ricalisme radical, il rĂ©cidive le dimanche en compagnie d'un petit groupe de lettristes dont Albert-Jules Legros[12] et se trouve de nouveau arrĂȘtĂ© pour entrave Ă la libertĂ© de culte pour avoir troublĂ© une cĂ©rĂ©monie Ă laquelle assistait Mgr Feltin Ă lâĆuvre des Orphelins dâAuteuil. Remis, conformĂ©ment Ă la loi, en libertĂ© provisoire aprĂšs cinq jours de dĂ©tention prĂ©ventive[13], il est dans un premier temps condamnĂ© Ă quatre mois de prison et 6 000 francs d'amende. Ce jugement ayant Ă©tĂ© prononcĂ© par dĂ©faut en raison de son incarcĂ©ration Ă Rome pour avoir manifestĂ© contre les cortĂšges de pĂšlerins venus pour l'AnnĂ©e Sainte[14] et Serge Berna y ayant fait opposition[15], il est condamnĂ© finalement par la 14e chambre correctionnelle de Paris Ă 10 jours de prison et 10 000 francs d'amende pour rĂ©bellion Ă agent[16].
Il participe ensuite aux récitals lettristes donnés en octobre et décembre, notamment à la Rose rouge et au premier numéro de la revue Ur ()[5] - [17].
L'Internationale lettriste
Alors qu'il vient d'arriver Ă Paris Ă l'automne 1951 pour se mĂȘler aux lettristes dont il a fait connaissance lors du Festival de Cannes en avril prĂ©cĂ©dent, le jeune Guy-Ernest Debord noue vite contact dans les nombreux cafĂ©s de Saint-Germain-des-PrĂšs qu'il frĂ©quentent tous deux avec Serge Berna, et dont il a eu connaissance, depuis Cannes oĂč il habitait, par la presse et les informations que lui faisait parvenir son ancien camarade de classe HervĂ© Falcou depuis Paris, de ses faits d'armes passĂ©s qui l'ont durablement impressionnĂ©[18].
Ils figurent ensemble au sommaire de l'unique numĂ©ro de la revue lettriste Ion, N° SpĂ©cial sur le cinĂ©ma qui paraĂźt en avec le premier scĂ©nario (avec images) du film de Debord Hurlements en faveur de Sade et l'article « Jusqu'Ă l'os » de Berna, et enregistrent tous deux en ce mĂȘme mois d'avril la premiĂšre partie d'un projet d'Ă©mission radiophonique, Les environs de Fresnes[19]. Le , Serge Berna enregistre une des voix de la bande-son du film de Debord, Ă prĂ©sent sans image, qui sera projetĂ© une premiĂšre fois au cinĂ©-club d'Avant-Garde du musĂ©e de l'Homme le 30 (sĂ©ance interrompue au bout de dix minutes) puis en intĂ©gralitĂ© le au cinĂ©-club du Quartier latin, dans la salle des SociĂ©tĂ©s savantes[20].
Le , il est partie prenante de la premiÚre manifestation publique de l'Internationale lettriste fondée « arbitrairement » par Debord et Gil J Wolman à Bruxelles en juin, avec l'attaque de la conférence de presse tenue à l'hÎtel Ritz par Charlie Chaplin pour la sortie de son film Les Feux de la rampe avec diffusion du tract Finis les pieds plats cosigné par Debord, Wolman, Berna et Jean-Louis Brau, pour l'I.L.. Désavoués publiquement dans Combat par Isidore Isou, les quatre adressent à ce journal un droit de réponse Position de l'Internationale lettriste qui ne sera pas publié[21]
Le , en compagnie de Guy Debord, Jean-Louis Brau et Gil Joseph Wolman, il participe Ă Aubervilliers, Ă la premiĂšre confĂ©rence de lâInternationale lettriste dont le document final, consignĂ© sur une feuille, est dĂ©chirĂ© puis introduit dans une bouteille jetĂ©e dans le canal Saint-Denis. Jean-Louis Brau la repĂȘche le lendemain. Peu aprĂšs, au matin du , Berna est arrĂȘtĂ© Ă son domicile afin de purger une peine de prison de six mois prononcĂ©e assortie de sursis en 1949 pour vol de livres[22]. Il est incarcĂ©rĂ© au fort de Cormeilles-en-Parisis sous le matricule no 2797.
LibĂ©rĂ© le suivant[22], il fait publier en Ă Paris, aux Ă©ditions Arcanes, collection « Voyants » sous le titre Vie et mort de Satan le feu suivi de Textes mexicains pour un nouveau mythe et en les prĂ©façant, 43 feuillets de notes et fragments dâAntonin Artaud retrouvĂ©s dans un grenier et datant de 1935-1936 rachetĂ©s Ă un chiffonnier en 1952[23]. Ă la suite de cette opĂ©ration, il est exclu de l'Internationale lettriste en pour "suspicion de dĂ©viation vers la littĂ©rature"[24].
AprĂšs cela, il paraĂźt sâĂȘtre graduellement Ă©loignĂ© du milieu artistique de Saint-Germain-des-PrĂ©s. DĂ©but 1955, il publie une nouvelle revue En marge, La revue des refus, Pour une nouvelle participation qui n'aura qu'un seul numĂ©ro[25]. En , on le retrouve partageant lâaffiche d'une exposition intitulĂ©e Nouvelle Ăcole de Paris : Berna, Brau, Wolman au Salon des Arts de La Garde-Freinet (Var). Ses derniĂšres traces identifiables semblent ĂȘtre deux lettres adressĂ©es Ă RenĂ© Ătiemble en 1955 et le Ă AndrĂ© Breton depuis Marseille.
Notes et références
- Christophe Bourseiller, Vie et Mort de Guy Debord 1931-1994, Paris, Plon, 1999, page 36
- « La Conférence d'Aubervilliers » [PDF], sur le site des éditions Allia, .
- L'Aurore du 10 avril 1950, p. 3 est le seul journal Ă le signaler, aprĂšs son arrestation, comme italien et ĂągĂ© de 21 ans â sur Retronews.
- Les autres journaux comme La Croix, ou L'HumanitĂ©, le mentionnent comme nĂ© Ă Venise et ĂągĂ© de 25 ans â cf. par exemple ce dernier article sur Retronews.
- Les environs de Fresnes (1952-1953) in Guy Debord, Enregistrements magnétiques (1952-1961), nrf Gallimard, Paris, 2010, p. 15
- Michel Mourre, Malgré le blasphÚme, Julliard, 1951.
- la scÚne a été immortalisée par Raymond Hains dont le cliché est reproduit dans l'ouvrage de Greil Marcus, Lipstick Traces, Une histoire secrÚte du vingtiÚme siÚcle publié chez Harvard University Press en 1989 et chez Allia en 1998 et 2018 (cf. p. 349 de cette seconde édition)
- In Combat, 12 avril 1950.
- Ainsi qualifiée par Berna et publiée par Marcel Mariën in "Le Chemin de la croix", revue Les LÚvres Nues no 4, Bruxelles, janvier 1955.
- Littérature lettriste
- Reproduit en fin du dossier sur Le scandale de Notre-Dame complétant la réédition 2018 de livre de Jean-Michel Mension La Tribu paru initialement chez Allia en 1998.
- internationale lettriste, Visages de l'avant-garde, Jean-Paul Rocher Ă©diteur, Paris, 2010, nouvelle Ă©dition La Nerthe, Toulon, 2020, p. 52 n. 19
- LâAurore du , p. 7
- Qui ? DĂ©tective du , p. 9
- Paris Presse du , p. 3
- LâAurore du , p. 4
- internationale lettriste, Visages de l'avant-garde, Jean-Paul Rocher Ă©diteur, Paris, 2010, nouvelle Ă©dition La Nerthe, Toulon, 2020, pages 52-53 n. 20
- Dans une lettre au biographe de François Truffaut Gilles Cahoreau d'avril 1989, évoquant cette affaire de Notre-Dame, il maintient que ce scandale, «expression des voyous les plus radicaux de Saint-Germain-des-Prés ... a compté parmi les actes qui ont amené la formation du mouvement situationniste».
- Cf. Guy Debord, Enregistrements magnétiques (1952-1961), nrf Gallimard, Paris, 2010, p. 19 à 34. La seconde partie sera enregistrée, par Guy-Ernest Debord seul, en mars 1953, Serge Berna se trouvant alors incarcéré pour six mois au fort de Cormeilles-en-Parisis.
- Le scénario de chacune des deux versions du film contient un hommage à Serge Berna, Debord évoquant dans l'un « le monument élevé à la mémoire de Serge Berna » qui devient dans l'autre « plusieurs cathédrales » !!
- « Internationale lettriste no 1 », dans Guy Debord, Ćuvres, Gallimard, coll. « Quarto », , p. 84 Ă 87.
- Guy Debord, Lettres Ă Gil J Wolman, edition- privee-hors-commerce@mail.com, nouvelle Ă©dition 2020, p. 20.
- Jean-Louis Brau, Antonin Artaud, Ă©ditions de la Table Ronde, collection Les Vies perpendiculaires, Paris, 1971, pages 190-191
- Histoire de l'Internationale lettriste, 1956, in Guy Debord, Enregistrements magnétiques, Nrf Gallimard, Paris, 2010, page 46
- à cette occasion, il cherche, vainement, à rentrer en contact avec Guy Debord. Cf. Guy Debord, Lettres à Gil J Wolman, éditions privée hors commerce, 2020, p. 83-84.
Publications, revues, contributions cinématographiques
- "Cri", poÚme paru dans la revue Janus, cahiers mensuels bilingues de la jeune poésie française et américaine, no 1, .
- Ratés, carton d'invitation au "Grand Meeting des ratés", organisé par Berna, et signé avec Maurice-Paul Comte, Jacques Patry [Michel Mourre] et Madeleine Auerbach, Paris, 8 rue Serpente, .
- "Du lĂ©ger dĂ©calage quâil y a entre le Tam du cĆur et son Ă©cho aux tempes" et "Un nommĂ© Berna Serge, nĂ© Ă âŠ" , parus dans la revue lettriste Ur, no 1, . (Cf. Visages de l'avant-garde, 1953. Jean-Paul Rocher Ă©diteur, Paris, 2010 ; nouvelle Ă©dition revue et augmentĂ©e, La Nerthe, Toulon, 2020.)
- : Berna rĂ©pond Ă lâenquĂȘte de la revue Le Soleil noir Positions, no 1, "La rĂ©volte en question" (qui porte en bandeau : « Ceci est un effort pour comprendre Camus », qui lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente avait publiĂ© L'Homme rĂ©voltĂ©) : « 1) La condition dâhomme rĂ©voltĂ© se justifie-t-elle ? 2) Quelle serait, dâaprĂšs vous, la signification de la rĂ©volte face au monde dâaujourdâhui ?" Sa rĂ©ponse, qui revient assez briĂšvement sur le scandale de Notre-Dame, porte le titre "Comment ? » et paraĂźt dans la rubrique « TĂ©moignages ».
- "Jusqu'à l'os", paru dans la revue lettriste ION, centre de création, numéro spécial sur le cinéma, no 1, .
- Contribution vocale au film de Guy Debord, Hurlements en faveur de Sade, .
- Tract La Nuit du cinĂ©ma oĂč est annoncĂ© le film en cours de prĂ©paration de Berna, Du lĂ©ger rire qu'il y a autour de la mort (1952).
- Tract contre Charlie Chaplin, Finis les pieds plats, , cosigné avec Jean-Louis Brau, Guy Debord et Gil J Wolman.
- Préface à Antonin Artaud, Vie et mort de Satan le feu, suivi de Textes mexicains pour un nouveau mythe, Paris, Arcanes, . La couverture porte la mention : « Manuscrit retrouvé et préfacé par Serge Berna ».
- En marge. La revue des refus. Pour une nouvelle participation. Rédacteur : Serge Berna. 1re année. no 1, janvier-, Paris, Galerie de la Huchette (seul numéro paru).
- En , il participe avec Jean-Louis Brau et Gil J Wolman à une exposition intitulée « Nouvelle école de Paris : Berna, Brau, Wolman » au Salon des arts à La Garde-Freinet (Var).
- Dans le fonds André Breton conservé par la BibliothÚque littéraire Jacques-Doucet se trouve une lettre autographe de Serge Berna de trois pages adressée de Marseille le à André Breton (cote BRT C Sup 75 ; sujet : Marseille).
Liens externes
- Notice sur Serge Berna, La Revue des ressources.