Schole palatine
Les scholĂŠ palatinĂŠ, (garde palatine ou scholes, en grec : ÎŁÏολαί ) furent une unitĂ© militaire dâĂ©lite, dont la fondation est attribuĂ©e Ă lâempereur Constantin pour remplacer les Equites Singulares Augusti, la division Ă©questre de la garde prĂ©torienne. Troupes dâĂ©lite du IVe au VIIe siĂšcle, les scholae se transformĂšrent en armĂ©e de parade lorsque les empereurs cessĂšrent de commander eux-mĂȘmes les troupes sur le champ de bataille. Elles offrirent alors une perspective de carriĂšre aisĂ©e pour les jeunes de bonne famille. Elles subsistĂšrent dans lâEmpire dâOccident jusquâĂ leur dissolution par ThĂ©odoric le Grand. Dans lâEmpire dâOrient, elles furent rĂ©formĂ©es par Constantin V pour devenir des tagmata (sing. tagma), unitĂ©s de cavalerie lourde stationnĂ©es prĂšs de Constantinople et constituant le cĆur des forces expĂ©ditionnaires impĂ©riales. Elles furent dissoutes Ă la fin du XIe siĂšcle par lâempereur Alexis Ier ComnĂšne.
Bas-Empire romain : les scholes comme garde impériale du IVe au VIIe siÚcle
Histoire et structures
Au cours des guerres civiles qui marquĂšrent la fin de la tĂ©trarchie, le cĂ©sar Flavius ValĂ©rius SĂ©vĂ©rus, obĂ©issant aux ordres de lâempereur GalĂšre (emp. 305-311), tenta mais sans succĂšs dâabolir la garde prĂ©torienne, laquelle sâĂ©tait rĂ©voltĂ©e pour rejoindre en 306 les rangs du prĂ©tendant Maxence aprĂšs que son camp de Rome eut Ă©tĂ© fermĂ© par lâempereur[1]. Lorsque Constantin Ier se lança Ă la conquĂȘte de lâItalie en 312, la garde prĂ©torienne constituait le fer de lance de Maxence lors de la bataille du pont Milvius. Peu aprĂšs sa victoire dĂ©finitive, Constantin abolit la garde prĂ©torienne qui sâĂ©tait trop souvent immiscĂ©e dans la succession impĂ©riale. Bien quâil nâexiste pas de preuve formelle Ă cet effet, il est probable quâil remplaça alors celle-ci par un nouveau corps de cavalerie, appelĂ© scholĂŠ ou « schole »[2] - [3]. Toutefois, certaines unitĂ©s, comme la schola gentilium (schole composĂ©e de barbares, appelĂ©s « gentils » par les Romains) et la schola scutariorum, sont attestĂ©es avant 312 et pourraient avoir Ă©tĂ© crĂ©Ă©es au cours des rĂ©formes de lâempereur DioclĂ©tien (emp. 284-305)[4].
Le terme schola, frĂ©quemment traduit par « schole », Ă©tait couramment utilisĂ© au IVe siĂšcle pour dĂ©signer les corps civils aussi bien que militaires qui accompagnaient lâempereur. Il tire son origine du fait que chacun de ces corps occupait des piĂšces ou chambres spĂ©cifiques du palais. DâaprĂšs la Notitia dignitatum[N 1], datant de la fin du IVe siĂšcle, il y avait cinq scholes dans la partie occidentale de lâempire et sept dans la partie orientale. Au temps de Justinien (emp. 527-565), les scholes Ă©taient cantonnĂ©es dans les environs de Constantinople ainsi que dans certaines villes de Bithynie et de Thrace, servant par rotation au palais[5].
Chaque unitĂ© formait un rĂ©giment de cavalerie dâĂ©lite comprenant environ 500 soldats[N 2]. Au total, les scholes durent comprendre environ 3 500 hommes en Orient et 2 500 en Occident[6]. Bon nombre dâentre eux, appelĂ©s scholares en latin et ÏÏολΏÏÎčÎżÎč (scholarioi) en grec, Ă©taient recrutĂ©s parmi les tribus germaniques[5]. En Occident, il sâagissait surtout de Francs et dâAlamans[N 3] alors quâen Orient, il sâagissait surtout de Goths. Toutefois, ces derniers furent en grande partie remplacĂ©s par des ArmĂ©niens et des Isauriens au Ve siĂšcle, rĂ©sultat des politiques anti-Goths du gouvernement impĂ©rial. De nombreux indices dans les sources montrent cependant que la prĂ©sence de Romains nâĂ©tait pas nĂ©gligeable. Parmi les soldats dont les noms sont mentionnĂ©s pour le IVe siĂšcle, dix sont sans contredit romains, quarante probablement romains, alors que cinq sont dĂ©finitivement barbares et onze probablement barbares[7].
Chaque schole Ă©tait commandĂ© par un tribun (tribunus) qui avait rang de comte (comes)[N 4] de premiĂšre classe et qui, au moment de la retraite, se retirait avec un rang Ă©gal Ă celui dâun gouverneur militaire (dux) de province[8]. Chaque tribun avait sous ses ordres des officiers seniors appelĂ©s domestici ou protectores[9]. Contrairement Ă lâĂ©poque des gardes prĂ©toriennes, il nây avait pas de commandant en chef des scholes autre que lâempereur, qui exerçait ainsi directement son contrĂŽle. Cependant, aux fins de lâadministration, les scholes furent Ă©ventuellement placĂ©es sous la juridiction du maitre des offices (magister officiorum)[10].
En raison de leur statut de garde dâĂ©lite, les soldats se voyaient octroyer un salaire plus Ă©levĂ© et des privilĂšges plus importants que les autres unitĂ©s de lâarmĂ©e rĂ©guliĂšre ; ainsi, ils recevaient un supplĂ©ment de rations (annonae civicae), Ă©taient exempts de la taxe de recrutement (privilegiis scholarum) et Ă©taient souvent utilisĂ©s par les empereurs aux fins de missions civiles Ă travers lâempire[9]. Ă la longue, les empereurs cessant avec ThĂ©odose de mener eux-mĂȘmes leurs troupes au combat et la vie de palais aidant, ces unitĂ©s perdirent leur aptitude au combat[11]. Dans lâEmpire dâOrient, ils furent Ă©ventuellement remplacĂ©s par les excubites, crĂ©Ă©s par lâempereur LĂ©on Ier le Thrace (emp. 457-474) ; en Occident, ils furent dissous par le roi goth ThĂ©odoric le Grand (rĂšgne en Italie de 493 Ă 526)[12] - [13]. Sous le rĂšgne de lâempereur ZĂ©non (emp. 474-491), il ne sâagissait plus que dâune armĂ©e de parade, oĂč les jeunes de bonnes familles pouvaient faire carriĂšre moyennant finance pour acquĂ©rir le statut social et les bĂ©nĂ©fices monĂ©taires qui y Ă©taient attachĂ©s. Au dĂ©but du VIe siĂšcle, les scholes nâĂ©taient considĂ©rĂ©es que comme soldats Ă temps partiel, sâagissant de gens fortunĂ©s qui avaient achetĂ© leur commission uniquement pour le prestige[14]. On dit que lâempereur Justinien jeta la stupeur dans leurs rangs en les envoyant au front lors des campagnes chez les Perses, en Afrique et en Italie. Certains gardes prĂ©fĂ©rĂšrent abandonner leur solde plutĂŽt que dâaller se battre. Le mĂȘme empereur renvoya Ă©galement quatre scholĂŠ (donc 2 000 soldats) constituĂ©es par Justin, probablement pour lever des fonds[15].
Quarante membres des scholes, appelĂ©s candidati en raison de leur Ă©clatante tunique blanche, furent choisis pour former la garde personnelle de lâempereur[16]. Mais si, au IVe siĂšcle, ils accompagnĂšrent certains empereurs dans leurs campagnes, comme ce fut le cas pour Julien (emp. 361-363) en Perse, ils ne jouaient plus au VIe siĂšcle quâun rĂŽle cĂ©rĂ©monial[17].
Liste des scholes selon la Notitia dignitatum
Dans lâEmpire dâOccident :
- Scola scutariorum prima ;
- Scola scutariorum secunda ;
- Scola armaturarum seniorum ;
- Scola gentilium seniorum ;
- Scola scutatorum tertia.
Dans lâEmpire dâOrient :
- Scola scutariorum prima ;
- Scola scutariorum secunda ;
- Scola gentilium seniorum (probablement la mĂȘme unitĂ© dĂ©jĂ mentionnĂ©e pour lâEmpire dâOccident, transfĂ©rĂ©e aprĂšs que la liste de lâEmpire dâOrient eut Ă©tĂ© compilĂ©e) ;
- Scola scutariorum sagittariorum (unitĂ© dâarchers Ă cheval) ;
- Scola scutariorum clibanariorum ;
- Scola armaturarum iuniorum ;
- Scola gentilium iuniorum.
Soldats connus ayant appartenu aux scholes
- Serge et Bacchus, officiers de la schola gentilium sous lâempereur Maximien[18] ;
- Martin de Tours, officier dans la schole du CĂ©sar Julien ;
- Mallobaud, un roi franc, tribunus armaturarum, et plus tard magister militum ;
- Claudius Silvanus, tribun franc et plus tard usurpateur ;
- Bacurius, prince dâIbĂ©rie du Caucase, tribunus sagittariorum lors de la bataille dâAndrinople[19] ;
- Cassio, tribunus scutariorum (probablement de la premiĂšre schole dâĂ©lites) Ă la bataille dâAndrinople[19] ;
- Justinien, qui servait Ă titre de candidatus en 518 lors de la mort de lâempereur Anastase et de lâaccession de son oncle Justin Ier.
Période méso-byzantine : les Scholes comme tagma du VIIIe au XIe siÚcle
Les scholes tout comme les excubites continuĂšrent d'exister au VIIe puis au dĂ©but du VIIIe siĂšcle sous un format plus petit et comme unitĂ©s purement cĂ©rĂ©monielles. Toutefois, vers 743, aprĂšs avoir rĂ©primĂ© une importante rĂ©bellion des troupes thĂ©matiques, Constantin V rĂ©forma les vieilles unitĂ©s de la garde de Constantinople pour en faire des tagmata (rĂ©giments) qui fournirent Ă l'empereur un noyau de troupes loyales et professionnelles[20]. Les tagmata Ă©taient des unitĂ©s professionnelles de cavaliers lourds positionnĂ©s dans et autour de la citĂ© impĂ©riale, formant la rĂ©serve centrale du systĂšme militaire byzantin et le cĆur des forces expĂ©ditionnaires impĂ©riales. En outre, comme leurs ancĂȘtres de la fin de l'Empire romain, elles Ă©taient une Ă©tape importante dans la carriĂšre militaire des jeunes aristocrates qui conduisait Ă des commandants militaires ou Ă des offices civils majeurs[21].
La taille exacte des tagmata est l'objet de controverses. Les estimations vont de 1 000[22] Ă 4 000 hommes[23]. Les diffĂ©rents tagmata ont la mĂȘme structure. Seule la nomenclature de certains titres varient, reflĂ©tant les origines des diffĂ©rentes unitĂ©s. Les scholes Ă©taient dirigĂ©s par le domestikos tĆn scholĆn (ÎŽÎżÎŒÎÏÏÎčÎșÎżÏ Ïáż¶Îœ ÏÏÎżÎ»áż¶Îœ, « domestique des scholes »), attestĂ© pour la premiĂšre fois en 767[24]. Ă l'image de l'ancienne fonction du magister officiorum qui devint un poste de magistros plus ou moins cĂ©rĂ©moniel, le domestique Ă©tait Ă©tabli comme commandant indĂ©pendant des scholes. Il dĂ©tenait le rang de patrice et Ă©tait considĂ©rĂ© comme l'un des plus importants gĂ©nĂ©raux de l'empire, seulement prĂ©cĂ©dĂ© par le stratĂšge des Anatoliques[25]. Au Xe siĂšcle, il en vint Ă devenir le gĂ©nĂ©ral le plus important et Ă ĂȘtre l'Ă©quivalent du commandant en chef de l'armĂ©e byzantine. Vers 959, le poste et l'unitĂ© furent divisĂ©s en deux commandements sĂ©parĂ©s : un pour l'Orient (domestikos [tĆn scholĆn tÄs] anatolÄs) et un pour l'Occident (domestikos [tĆn scholĆn tÄs] dyseĆs)[26].
Le domestique des scholes Ă©tait assistĂ© par deux officiers appelĂ©s TopotÄrÄtÄ (ÏÎżÏÎżÏηÏηÏÎźÏ, « lieutenant »), qui commandaient chacun une moitiĂ© de l'unitĂ©, un chartulaire (ÏαÏÏÎżÏ Î»ÎŹÏÎčÎżÏ, « secrĂ©taire ») et un proexÄmos ou proximos (« messager en chef »)[27]. Le tagma Ă©tait divisĂ© en unitĂ©s plus petites appelĂ©es bandon (banda au singulier), dirigĂ©es par un komÄs (ÎșÏÎŒÎ·Ï [Ïáż¶Îœ ÏÏÎżÎ»áż¶Îœ], « comte des scholes »). Ă la fin du Xe siĂšcle, il y avait trente banda dont les effectifs sont inconnus. Chaque komÄs dirigeait cinq « sous-domestiques », Ă©quivalant au kentarchoi (« centurions ») dans l'armĂ©e rĂ©guliĂšre[28]. Il y avait aussi quarante porteurs de drapeaux (bandophoroi) divisĂ©s en quatre catĂ©gories diffĂ©rentes. Dans les scholes, il sâagissait des protiktores (ÏÏÎżÏÎŻÎșÏÎżÏΔÏ, « protecteurs »), des eutychophoroi (ΔáœÏÏ ÏÎżÏÏÏÎżÎč, « porteurs de lâeutychia », le terme eutychia Ă©tant une dĂ©formation du terme ptychia), des skÄptrophoroi (« porteurs de sceptres ») et des axiĆmatikoi[29] - [30].
Notes et références
Notes
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Scholae Palatinae » (voir la liste des auteurs).
- Document administratif romain de la toute fin du IVe siÚcle-début du Ve siÚcle qui présente, sous la forme d'une liste, toutes les dignités tant civiles que militaires de l'Empire romain, dans ses deux composantes, occidentale et orientale.
- Ces nombres correspondent Ă ceux que lâon trouve Ă lâĂ©poque de Justinien (VIe siĂšcle) dans le Codex Justinianus, IV.65 & XXXV.1.
- Ammien Marcellin mentionne que les Francs Ă©taient particuliĂšrement nombreux parmi les gardes du palais. HistoriĂŠ, XV.5.11.
- Pour les titres et fonctions, se référer à l'article « Glossaire des titres et fonctions dans l'Empire byzantin ».
Références
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- Treadgold 1995, p. 10.
- Burckhardt 1949, p. 341-342.
- Jones 1986, p. 54.
- Haldon 1999, p. 68.
- Treadgold 1995, p. 49.
- Elton 1996, p. 151-152.
- Codex Theodosianus, VI.13.
- Treadgold 1995, p. 92.
- Southern et Dixon 1996, p. 57.
- Jones 1986, p. 614.
- Southern et Dixon 1996, p. 56.
- Jones 1986, p. 256.
- Treadgold 1995, p. 161.
- Jones 1986, p. 284 et 657.
- Jones 1986, p. 613-614 (vol. 1) et 1253 (vol. 2).
- Ammien Marcellin, HistoriĂŠ, XXV.3.6.
- Woods 2005.
- Ammien Marcellin, HistoriĂŠ, XXXI.12.16.
- Haldon 1999, p. 78.
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- Bury 1911, p. 50-51.
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Bibliographie
Sources primaires
- Ammien Marcellin, HistoriĂŠ.
- Codex Theodosianus [lire en ligne (page consultée le 14 août 2015)].
Sources secondaires
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- (en) Jacob Burckhardt, The Age of Constantine the Great, New York, Dorset Press, , 400 p. (ISBN 0-88029-323-3).
- (en) John B. Bury, The Imperial Administrative System of the Ninth Century : With a Revised Text of the Kletorologion of Philotheos, Oxford University Publishing, .
- (en) Hugh Elton, Warfare in Roman Europe, AD 350-425, Oxford University Press, , 312 p. (ISBN 978-0-19-815241-5).
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