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Samain (mythologie)

Samain (forme du vieil-irlandais, Samhain en irlandais moderne, en gaĂ©lique Ă©cossais : Samhainn ou Samhuinn, en mannois : Sauin) est la premiĂšre des quatre grandes fĂȘtes religieuses de l’annĂ©e gaĂ©lique, issue du cycle de l'annĂ©e celtique protohistorique, qui utilisait le mot *Samonios. Il s'agit d'une pĂ©riode autant que d'une fĂȘte, dont l'acmĂ© se situait aux environs de notre . C'est aussi le nom de la fĂȘte qui correspond Ă  peu prĂšs au Halloween anglo-saxon, et au mois de novembre dans les langues gaĂ©liques (Samhain signifiant notamment « novembre » en irlandais). En brittonique, *samonios a donnĂ© le breton heven (dans des composĂ©s), tandis que l'antique notion de fĂȘte des Esprits- souffles explique l'expression Gouel an Anaon qui est l'Ă©quivalent d'une festivitĂ© majeure du *samonios celtique.

Calendrier dit de Coligny présentant une inscription du mois gaulois SAMON [IOS].

Elle se place aprĂšs Lugnasad et avant Imbolc (ou Imolg) et marque le dĂ©but de la pĂ©riode sombre (pour les Gaels, comme pour les anciens Celtes et leurs ancĂȘtres indo-europĂ©ens, l’annĂ©e Ă©tait composĂ©e de deux saisons fondamentales : une saison sombre et une saison claire). C’est une fĂȘte de transition — le passage d’une annĂ©e Ă  l'autre — et d’ouverture vers l’Autre Monde, celui des dieux et des mĂąnes. Elle est mentionnĂ©e dans de nombreux rĂ©cits Ă©piques irlandais car, par dĂ©finition, elle est propice aux Ă©vĂ©nements magiques et mythiques.

Son importance chez les Celtes est incontestable, puisqu'on la retrouve en Gaule sous la mention Tri nox Samoni (les trois nuits de Samoni-), durant le mois de Samonios (approximativement le mois de novembre), sur le calendrier de Coligny.

Description

Carte de la colline de Tara, en Irlande, un site prĂ©historique vieux de plusieurs milliers d'annĂ©es qui fut rĂ©utilisĂ© comme lieu d'assemblĂ©e par les Gaels lors de Samain et d'autres fĂȘtes religieuses.

On pense qu'Ă  l'origine, *Samonios est une fĂȘte oĂč la sociĂ©tĂ© celtique se rassemble Ă  l'occasion de banquets rituels ; son caractĂšre sacrĂ© la place sous l’autoritĂ© de la classe sacerdotale des druides et la prĂ©sidence du roi. Selon l’idĂ©ologie tripartite des Indo-EuropĂ©ens dĂ©finie par Georges DumĂ©zil, les trois classes de la sociĂ©tĂ© (sacerdotale, guerriĂšre et artisanale) sont associĂ©es aux cĂ©rĂ©monies[1]. Cette assemblĂ©e religieuse et sociale a progressivement disparu avec la christianisation, mais elle reste attestĂ©e jusqu'au XIIe siĂšcle et bien aprĂšs dans la littĂ©rature mĂ©diĂ©vale irlandaise. En effet, bien que la mythologie gaĂ©lique (goidĂ©lique) soit issue de la tradition orale, elle a Ă©tĂ© consignĂ©e par les moines irlandais du Moyen Âge, qui ont consignĂ© images et scĂ©narios, ce qui a permis de nombreuses Ă©tudes de mythologie et de religions comparĂ©es. Leurs Ă©crits peuvent nĂ©anmoins nous donner beaucoup d'indices sur la nature de la fĂȘte de Sam(h)ain et sur la maniĂšre dont elle Ă©tait cĂ©lĂ©brĂ©e chez les Celtes d'Irlande.

La mythologie irlandaise nous apprend que Samhain est l'une des quatre fĂȘtes de l'annĂ©e. La Tochmarc Emire, un rĂ©cit du Xe siĂšcle qui raconte comment CĂșchulainn fit la cour Ă  Emer, prĂ©sente Samain comme le premier de ces « quatre jours »[2]. Chez les Gaels, Samain Ă©tait associĂ© Ă  l'assemblĂ©e de Tara, qui se tenait pendant une semaine aux alentours du 1er novembre actuel. La derniĂšre fois que cette trĂšs vieille assemblĂ©e se serait tenue aurait Ă©tĂ© en 560[3]. Toutefois, les motifs de Samain, comme ceux de l'assemblĂ©e de Tara, restent difficiles Ă  Ă©valuer. Selon les sources Ă©crites, il peut s'agir de voter des nouvelles lois, de rendre la justice, de cĂ©lĂ©brer la fin des moissons, de cĂ©lĂ©brer des mariages officiels[4].

La notion de passage se retrouve aussi Ă  ce moment, entre le monde des humains et l’Autre Monde rĂ©sidence des dieux (le Sidh). On a relatĂ© l’aventure de hĂ©ros, ou d’hommes exceptionnels, qui se rendent dans le Sidh (gĂ©nĂ©ralement Ă  l’invitation d’une Bansidh), et y passent quelques agrĂ©ables heures. Le temps des dieux n’étant pas le mĂȘme, leur sĂ©jour est, en fait, de plusieurs siĂšcles et, quand ils reviennent chez eux, ils ne peuvent vivre puisqu’ils sont morts depuis longtemps.

La fĂȘte elle-mĂȘme dure en fait une semaine pleine : trois jours avant la pleine lune de novembre, le jour de la pleine lune lui-mĂȘme, puis trois jours aprĂšs[5]. Pour les Celtes, cette pĂ©riode est entre parenthĂšses dans l’annĂ©e : elle est une transition, « un intervalle »[6]. C’est le passage de la saison claire Ă  la saison sombre, qui marque une rupture dans la vie quotidienne : la fin des combats pour les guerriers et la fin des travaux agraires pour les agriculteurs-Ă©leveurs.

Étymologie

Le mot Samain est gaĂ©lique. Il est issu du vieil irlandais samuin (variations : samain ou samfhuin). Beaucoup le considĂšrent comme composĂ© des racines *sam (« Ă©tĂ© ») et *fuin (« fin »)[7]. Bien que sĂ©duisante, plusieurs raisons font que cette Ă©tymologie reste controversĂ©e. D'abord, le gĂ©nitif des langues gaĂ©liques fonctionne plus ou moins comme celui des langues latines : le complĂ©ment du nom se place aprĂšs le nom. Samain voudrait donc dire « Ă©tĂ© de la fin » et non « fin de l'Ă©tĂ© ». D'autre part, pour les Gaels, l'Ă©tĂ© se terminait au mois d'aoĂ»t, avec les fĂȘtes de Lug, qui donne d'ailleurs son nom au mois (irlandais: LĂčnasa, gaĂ©lique Ă©cossais: an LĂčnasdal).

Alexander MacBain cite une autre racine possible: *som (« mĂȘme »), qui donne aussi samhuil (« ressemblance »)[7] - [8]. Il mentionne aussi la thĂšse de Whitley Stokes, qui en 1907, suggĂ©rait l’étymologie proto-celtique *samani (« assemblĂ©e »), apparentĂ©e au sanskrit sĂąmana et au germanique samana. Cette thĂšse est, elle aussi, sĂ©duisante Ă  cause de l'assemblĂ©e de Tara, qui se tenait chaque annĂ©e pendant plusieurs jours aux environs du 1er novembre[3]. La confusion serait donc nĂ©e de la ressemblance entre le mot celtique insulaire pour « assemblĂ©e », samani ou samoni (qui est prĂ©sent sur le calendrier de Coligny sous la forme "Mid Sam"), et le mot gaĂ©lique pour « Ă©tĂ© ». En 1959, J. Vendryes reconsidĂšre l'Ă©tymologie suggĂ©rĂ©e par Stokes et conclut que samain n'est pas apparentĂ© Ă  la racine *sem- (« Ă©tĂ© »)[9].

Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que le cognat samain donne son nom au mois de novembre en irlandais (Mí na Samhna), en gaélique écossais (An t-Samhain) et en mannois (Sauin or Sounaghyn). Il est aussi intéressant de considérer l'étymologie du nom du mois de mai en gaélique écossais. Contrairement à l'irlandais Bealtaine et au mannois Boaldyn, qui font référence à Beltaine, le mois de mai se dit An CÚitean en gaélique écossais, soit mot à mot le « premier de l'été », ou la « premiÚre assemblée »(de cét + sam-) [10].

Philippe JouĂ«t[11] prĂ©cise : "Il y a sans doute eu conflation entre deux mots de sens diffĂ©rents, sam « assemblĂ©e » et « estival », devenus homophones en vieil-irlandais. Un parallĂšle continental est fourni par le Samoni- du Calendrier de Coligny. (...) On relĂšve une opposition avec Giamoni- « hiver » (Ir. geimhreadh, Ga. gaeaf, Br. go(ui)añv). ConsidĂ©rant que le sens premier du mot *samonios est « assemblĂ©e, rĂ©union », nous l’estimons Ă©tymologiquement proche, par son premier Ă©lĂ©ment, du Gr. HĂĄidĂȘs « rassemblement des morts », expliquĂ© comme*sáčƒ-uid- par Paul.Thieme (R. Schmitt, Dichtung 50-51) : fĂȘte de rencontre avec les mĂąnes. Le celtique *samonios se retrouve dans Ir. meithreamh, Ga. Mehefin « 1er mai », et le breton mezheven « juin » < *medio-samonios « milieu de l’étĂ© ». Samain a Ă©tĂ© rĂ©interprĂ©tĂ© populairement comme « fin de l’étĂ© » (sam + fuin, d’oĂč sam(fh)uine, LEIA S-22 s ; ZCP XXIII, 249-284). Suivant le Glossaire de Cormac (Three Irish Glossaries , Ă©dition Stokes, 1862,11 et 40), vIr. cĂ©temain, cĂ©tamain, cĂ©tsoman est le « premier mai », cĂ©tsamain est le « premier mouvement du temps d’étĂ© », samrad « Ă©tĂ© », samfuin « affaiblissement de l’étĂ© ». Le rĂ©cit Tochmarc Émire donne comme Ă©quivalent Ă  samfhuin un composĂ© samsĂșain « sommeil de l’étĂ© » et prĂ©cise que l’étĂ© va de Beltine Ă  Samain. En mIr. on appelle aussi la fĂȘte FĂ©ile Moingfhinne, du nom d’une fĂ©e des neiges « snow goddess » (Dinneen, FĂłcloir 937).

Le jour de Samain prend place au dĂ©but du mois de novembre et l’on retient le premier de ce mois comme date conventionnelle. Les Ă©lĂ©ments de chronologie fournis par les textes permettent cependant d’envisager un complexe mythico-rituel Ă©tendu. Des variations s’observent localement : la « vieille Samain » prenait place le 7 (anglais pop. Old Hallowe’en), le 11 ou le [12]."

L'amalgame entre Samhain et Halloween

Il ne fait aucun doute que des liens culturels existent entre Samain et Halloween, mais il est difficile de dĂ©mĂȘler ce qu’on sait rĂ©ellement de l’évolution de l’ancienne fĂȘte paĂŻenne de la fiction tant les mystifications nĂ©o-paĂŻennes autour de Samain sont nombreuses et dĂ©taillĂ©es. La plus connue est probablement celle de la mĂšre d'Oscar Wilde, Lady Jane Francesca Wilde, qui au XIXe siĂšcle publie Ancient legends, mystic charms, and superstitions of Ireland, une Ɠuvre qui prĂ©sentait la mythologie de la « vieille race » irlandaise, y compris de nombreux rites et lĂ©gendes concernant la nuit du au premier novembre (« November eve »)[13]. Ce traitĂ© est encore parfois citĂ© en tant que rĂ©fĂ©rence.

À la fin du XIXe siĂšcle, l'amalgame de Samhain et de Halloween sert le sentiment national irlandais. Dans les annĂ©es 1890, le Conradh na Gaeilge, dont l'objectif est de promouvoir la langue des Gaels, remet la mythologie celtique au goĂ»t du jour. W.B. Yeats, par exemple, choisit le nom Samhain pour le nouveau magazine de l'Irish National Theatre Society, car selon lui, c'est « l'ancien nom du dĂ©but de l'hiver » et « parce que cette annĂ©e, nos piĂšces se dĂ©roulent en octobre et que dans sa forme prĂ©sente, notre thĂ©Ăątre touche Ă  sa fin »[14]. En 1910, le journal du Sinn FĂ©in dirigĂ© par Arthur Griffith emboĂźte le pas Ă  Lady Wilde en fusionnant dĂ©libĂ©rĂ©ment Samhain et Halloween. Un an plus tard, on cĂ©lĂšbre Samhain au siĂšge du Conradh, surnommĂ© « Sinn Fein House » en raison de sa proximitĂ© avec le mouvement nationaliste irlandais. À cette occasion sont relancĂ©s d'anciens « jeux et coutumes », tradition provenant nĂ©cessairement d'Halloween, puisque personne ne connait vraiment les coutumes des premiers Celtes. De mĂȘme, en 1912, le directeur de l'Ă©cole St. Enda, PĂĄdraig Pearse, prononce un discours Ă  l'occasion de Samhain. Ainsi, l'amalgame entre Samhain et Halloween devient une norme approximative du cĂŽtĂ© des nationalistes irlandais.

Philippe JouĂ«t prĂ©cise que « c’est une erreur d’utiliser les noms des fĂȘtes irlandaises pour les fĂȘtes brittoniques. Il convient d’employer les Ă©quivalents »[15], dont il donne le tableau suivant :

FĂȘtes gaĂ©liques FĂȘtes brittoniques : gallois ; breton
Samain Kala Gaeaf ; (Heven), Anaon, Kala-goañv
Imolg Canhwyllau ; Goulou(deiz), Gouel Berc'hed
Beltaine, Cétsoman Cyntefyn ; Kala Mae, °Kenteven
Lugnåsad GƔyl Awst ; Goueleost

Il ajoute ceci : « Le solstice d’hiver est Br. (deiz ou noz) Keverzu / Kerzu, celui d’étĂ© Br. (deiz ou noz v-) Mezheven ou hañvnoz (vxBr. ham nos, Fleuriot, Dictionnaire des gloses en vieux-breton 206). Équinoxe : Br. kehedez, kedez. Idiomatisme breton. Ema ar bloaz en noz : « C’est l’hiver. » La ou les aurores (et spĂ©cialement la nuit de NoĂ«l) : ar pellgent- (Ga. pylgain), le point de lumiĂšre « le plus Ă©loignĂ© » (dans la journĂ©e / dans l'annĂ©e). »

Continuité en France et dans les pays voisins

Nadine Cretin relate une croyance bretonne qui aurait durĂ© jusqu'au dĂ©but du XXe siĂšcle, oĂč les Ăąmes des morts revenaient la nuit Ă  la veille de la Toussaint et lors des nuits de solstice. Avant d'aller se coucher, on leur laissait de la nourriture sur la table et une bĂ»che allumĂ©e dans la cheminĂ©e pour qu'ils puissent se chauffer[16] (cf. les « tĂȘtes en citrouilles » du Cheval d'orgueil par Per-Jakez HĂ©lias, puis son adaptation par Claude Chabrol). Cette croyance, qui n'est pas chrĂ©tienne, serait une survivance de la fĂȘte de *samonios.

La fĂȘte de milieu d'automne est Ă©galement fĂȘtĂ©e en Lorraine sous le nom de Rommelbootzennaat (nuit des betteraves grimaçantes)[17].

Anecdotes

La biĂšre Ă©vĂšnementielle des brasseries Lancelot, la XI.I (novembre, 1er), est brassĂ©e durant cette seule nuit de l'annĂ©e en hommage Ă  cette fĂȘte.

Notes et références

  1. Christian-J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux, Les FĂȘtes celtiques, p. 35 Ă  82, Ouest-France UniversitĂ©, coll. « De mĂ©moire d’homme : l’histoire », Rennes, avril 1995, (ISBN 978-2-7373-1198-7).
  2. Anonyme - Kuno Meyer / Electronic edition compiled by Beatrix FĂ€rber, Tochmarc Emire, Cork, Ireland., Corpus of Electronic Texts, University College Cork, (lire en ligne)
  3. (en) Ginnell, Laurence, The Brehon laws; a legal handbook, Londres, T. Fisher Unwin, (lire en ligne), p. 43-50
  4. (en) Lisa L. Spangenberg, What is Samain or Samhain? in Celtic Studies Resources (lire en ligne)
  5. Françoise Leroux et Christian Guyonvarc'h, Les FĂȘtes Celtiques, Ouest France, (ISBN 2-7373-1198-5)
  6. (en) Claude Sterckx, Mythologie du monde celte, Paris, Marabout, , 469 p. (ISBN 978-2-501-05410-2), p. 142.
  7. (en) Alexander MacBain, An etymological dictionary of the Gaelic language, Stirling, Eneas Mackay, , p. 301
  8. Whitley Stokes, Goidelica : Old and Early-middle-Irish Glosses, Prose and Verse, Londres, TrĂŒbner, (lire en ligne), p. 14
  9. Vendryes, Joseph, Édouard Bachallery et Pierre-Yves Lambert,, Lexique etymologique de l'irlandais ancien, 7 vols, Dublin, Dublin Institute for Advanced Studies, 1959-96 (oeuvre inachevĂ©e)
  10. (en) MacBain, Alexander, An Etymological Dictionary of the Gaelic Language, p. 79
  11. Philippe JouĂ«t, Dictionnaire de la mythologie et de la religion celtiques, Fouesnant, Yoran, , 1041 p., s.v. FĂȘtes
  12. Philippe Jouët, L'Aurore celtique, Fouesnant, Yoran,
  13. Lady Jane Francesca Wilde, Ancient legends, mystic charms, and superstitions of Ireland, Boston, Ticknor and co., (lire en ligne)
  14. « Hallowe’en: Customs, Myths and Messiness », sur Limercik100 - Researching Limerick 100 years ago, Slavery, Memory, Powe,
  15. op. cit.
  16. Inventaire des FĂȘtes de France, Nadine Cretin, 2003
  17. « Rommelbootzennaat 31 octobre », sur www.culture-bilinguisme-lorraine.org (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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