Sacerdoce universel
Le sacerdoce universel est une doctrine chrĂ©tienne qui affirme l'Ă©galitĂ© de tous les baptisĂ©s dans la Grande Mission. Cette notion possĂšde plusieurs niveaux. Dans les Ăglises protestantes, elle signifie principalement que tous les croyants ont une relation directe et personnelle avec Dieu et que l'office de la prĂ©dication ne constitue pas une ordination. Dans les traditions libĂ©rales, on insiste sur le fait que chaque croyant de la communautĂ© peut assumer les tĂąches que le pasteur accomplit dans d'autres Ăglises. C'est aussi l'un des principes essentiels du christianisme Ă©vangĂ©lique.
Depuis le concile Vatican II et la constitution dogmatique Lumen Gentium (1964), l'Ăglise catholique professe Ă©galement un « sacerdoce commun » des fidĂšles au sens oĂč les Ćuvres de tous les croyants proclament la puissance de Dieu. Ce « sacerdoce commun » diffĂšre du sacerdoce des prĂȘtres non seulement en degrĂ© mais encore en essence[1].
Origines
Ancien Testament
Lâexistence d'un statut sacerdotal et la pratique cultuelle associĂ©e sont dĂ©veloppĂ©s dans tous les textes de la source sacerdotale de lâAncien Testament. En contrepoint, lâAncien Testament atteste aussi que lâesprit de prophĂ©tie a Ă©tĂ© rĂ©pandu sur tout le peuple dâIsraĂ«l par lâEsprit saint (Livre du prophĂšte JoĂ«l, chapitre 3, verset 1) et que tout lâensemble du peuple dâIsraĂ«l est appelĂ© Ă un ministĂšre sacerdotal vis-Ă -vis des autres peuples (Livre du prophĂšte ĂsaĂŻe, chapitre 61, verset 6)[2].
Nouveau Testament
Les auteurs du Nouveau Testament considĂšrent les prophĂ©ties de lâAncien Testament comme accomplies au travers de JĂ©sus-Christ et de la PentecĂŽte. Dans une Ă©glise composĂ©e Ă la fois de juifs et dâanciens paĂŻens, tous sont unis en Christ par le baptĂȘme, et JĂ©sus-Christ, par son sacrifice dâamour sur la croix et sa rĂ©surrection, est devenu Ă la fois le seul et unique grand prĂȘtre et lâagneau du sacrifice. Lâinnovation introduite par le Nouveau Testament nâest donc pas lâidĂ©e dâun sacerdoce universel mais lâextension de ce sacerdoce aux non-juifs. LâĂ©pĂźtre aux ĂphĂ©siens, chapitre 4, verset 11, qui Ă©numĂšre les fonctions dâapĂŽtre, prophĂšte, Ă©vangĂ©liste, pasteur (berger) et enseignant[3]. De plus, il existe des fonctions dâĂ©vĂȘque, dâancien et de diacre. Dans les Actes des ApĂŽtres, chapitre 20, versets 17 Ă 28, les termes dâ"ancien" et dâ"Ă©vĂȘque" sont apparemment utilisĂ©s de façon interchangeable ; dans le mĂȘme livre, on trouve la trace de la structuration Ă trois niveaux qui sâamorce au dĂ©but du IIe siĂšcle : Ă©piskopos / áŒÏÎŻÏÎșÎżÏÎżÏ (surveillant, Ă©vĂȘque), presbyteros / ÏÏΔÏÎČÏÏΔÏÎżÏ (ancien, pasteur), diakonos / ÎŽÎčÎŹÎșÎżÎœÎżÏ (serviteur, diacre). Dâautre part, dans le Nouveau Testament, l'Ă©piscopat est dĂ©jĂ transmis par l'imposition des mains d'un apĂŽtre ou dâun successeur des apĂŽtres (Actes des ApĂŽtres, chapitre 8, verset 18 ou chapitre 14, verset 23, ĂpĂźtre aux HĂ©breux, chapitre 6, verset 2, DeuxiĂšme Ă©pĂźtre Ă TimothĂ©e, chapitre 1, verset 6).
Historique
Dans divers ouvrages chrĂ©tiens de l'Ăglise primitive (Didascalie des apĂŽtres, DidachĂš, Constitutions apostoliques), il n'y a aucune mention dâun mot grec ou latin dĂ©signant le prĂȘtre ou la prĂȘtrise (alors que ce mot existe dans la langue grecque : ጱΔÏΔÏÏ, utilisĂ© notamment pour traduire le terme hĂ©breu kohen (pl. kohanim) qui dĂ©signe les prĂȘtres et sacrificateurs tant juifs que paĂŻens.)
Des notions tirĂ©es de l'Ancien Testament ou des conceptions grĂ©co-romaines de la prĂȘtrise furent graduellement intĂ©grĂ©es Ă la dĂ©finition de ces trois rĂŽles, en particulier lorsque, Ă partir de la conversion de Constantin au IVe siĂšcle, la croissance du nombre des fidĂšles sâaccentue et que les responsables de lâĂglise chrĂ©tienne sont sollicitĂ©s pour prendre en charge le rĂŽle des prĂȘtres dans lâancienne religion dâĂtat. Cela ajoute Ă leurs responsabilitĂ©s spirituelles et ecclĂ©siales les responsabilitĂ©s morales appartenant jusque-lĂ aux anciens prĂȘtres et fonctionnaires de lâĂtat.
En 1520, la doctrine du sacerdoce universel a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par Martin Luther[4]. Le rĂ©formateur se fonde sur 1 Pierre 2-9 pour affirmer que tous les croyants sont prĂȘtres et Ă©gaux entre eux sur le plan spirituel. Les ecclĂ©siastiques ne sont en ce sens plus supĂ©rieurs aux simples laĂŻcs. Les chrĂ©tiens doivent exercer leur vocation de sacerdoce universel auprĂšs de leur prochain s'ils sont de simples fidĂšles, soit au niveau de la communautĂ© chrĂ©tienne pour les pasteurs. La consĂ©quence de ce principe est que l'Ăglise ne fait plus office d'intermĂ©diaire entre Dieu et le chrĂ©tien. Elle ne peut pas revendiquer non plus le monopole d'interprĂ©tation de la Bible, et encore moins prĂ©tendre Ă l'infaillibilitĂ©. Pour Luther, ce principe implique que le fidĂšle doit disposer de solides connaissances bibliques.
Cette doctrine a également été adoptée par tous les courants du christianisme évangélique [5].
Protestantisme
Le terme de sacerdoce signifie « prĂȘtrise »[2]. Le sacerdoce universel signifie donc que tous les chrĂ©tiens sont des prĂȘtres. DĂšs lors, il n'existe donc plus de catĂ©gorie sacerdotale particuliĂšre, mĂȘme s'il subsiste une diversitĂ© de ministĂšres ou de fonctions dans lâĂglise.
La divergence avec le catholicisme, qui part des mĂȘmes bases que Luther, porte sur le sacerdoce ministĂ©riel qui, selon le catholicisme, s'ajoute au sacerdoce commun[4].
- Il Ă©tablit une mĂ©diation entre Dieu et les fidĂšles. Pour les protestants, il y un seul mĂ©diateur, JĂ©sus Christ. Ils reprochent au catholicisme de confondre les serviteurs avec le maĂźtre, en confĂ©rant au prĂȘtre des fonctions qui appartiennent seulement Ă JĂ©sus.
- Le caractĂšre obligatoire de la mĂ©diation sacerdotale. En l'absence de prĂȘtre, le catholicisme juge les relations entre Dieu et le croyant demeurent incomplĂštes, car imparfaites. Aux yeux des protestants, cette mĂ©diation obligatoire est une atteinte Ă la souverainetĂ© divine comme Ă la libertĂ© humaine.
- La fonction sacerdotale, dans sa conception catholique, implique la célébration d'un sacrifice offert à Dieu lors de la messe. Pour la Réforme, il n'a pas de dimension ou d'aspect sacrificiel car les fidÚles reçoivent tout de Dieu et n'apportent rien, si ce n'est leur louange. L'idée de sacrifice serait contradictoire avec le sola gratia, principe de gratuité de la grùce.
- La quatriĂšme critique concerne la sĂ©paration du clergĂ© d'avec le laĂŻcat. Par son ordination, le prĂȘtre sort - dĂ©finitivement, car l'ordination est irrĂ©versible - de la masse des croyants. Il revĂȘt un caractĂšre sacrĂ© qui s'accompagne de pouvoirs spĂ©ciaux tels que celui de cĂ©lĂ©brer l'eucharistie (avec sa transsubstantiation des espĂšces) ou celui de pardonner les fautes (voir point 1 ci-dessus). Pour la RĂ©forme, tout chrĂ©tien peut remplir toutes les fonctions ecclĂ©siales sous rĂ©serve d'une formation appropriĂ©e.
Luther a abordĂ© le sujet dans trois publications, soit Lettre Ă la noblesse chrĂ©tienne de la nation allemande, De la captivitĂ© babylonienne de l'Ăglise et le traitĂ© de la LibertĂ© chrĂ©tienne. Voici la maniĂšre dont il la prĂ©sente dans la Lettre Ă la noblesse chrĂ©tienne[6] :
« On a inventĂ© que le pape, les Ă©vĂȘques, les prĂȘtres, les gens des monastĂšres seraient appelĂ©s « Ă©tat ecclĂ©siastique » et que les princes, les seigneurs, les artisans et les paysans seraient appelĂ©s Ă©tat laĂŻc, ce qui est, certes, une fine subtilitĂ© et une belle hypocrisie. Personne ne doit se laisser intimider par cette distinction pour cette bonne raison que tous les chrĂ©tiens appartiennent vraiment Ă l'Ă©tat ecclĂ©siastique ; il n'existe entre eux aucune diffĂ©rence, si ce n'est celle de la fonction [...]. Nous avons un mĂȘme baptĂȘme, un mĂȘme Ă©vangile, une mĂȘme foi et sommes de la mĂȘme maniĂšre chrĂ©tiens, car ce sont le baptĂȘme, l'Ă©vangile et la foi qui seuls forment l'Ă©tat ecclĂ©siastique. Ce que fait le pape ou l'Ă©vĂȘque, Ă savoir l'onction, la tonsure, l'ordination, la consĂ©cration [...] peuvent transformer un homme en cagot ou en idole barbouillĂ©e d'huile, mais ils ne font pas le moins du monde un membre du sacerdoce ou un chrĂ©tien. En consĂ©quence, nous sommes absolument tous consacrĂ©s prĂȘtres par le baptĂȘme. »
Catholicisme
La notion de sacerdoce universel existe chez les catholiques. Par le baptĂȘme, le Christ appelle chaque baptisĂ© Ă devenir « prĂȘtre, prophĂšte et roi », notamment avec l'onction du saint chrĂȘme que fait le cĂ©lĂ©brant, et l'appelle Ă la participation Ă son sacerdoce unique.
« Le sacerdoce universel des fidÚles et la dignité royale sont donnés aux hommes et aux femmes. Sur ce point, il est particuliÚrement éclairant de lire attentivement certains passages de la PremiÚre Lettre de saint Pierre (2, 9-10) et de la constitution conciliaire Lumen Gentium (nn. 10-12; 34-36). » (Jean-Paul II, Lettre à l'occasion du Jeudi saint de 1995)
Le catholicisme privilĂ©gie toutefois l'expression « sacerdoce commun », malgrĂ© l'usage de l'adjectif « universel » par Jean-Paul II. La distinction fondamentale est que le sacerdoce ministĂ©riel de la prĂȘtrise est au service du sacerdoce commun des fidĂšles (Lumen Gentium, no 10).
« Le sacerdoce commun des fidĂšles et le sacerdoce ministĂ©riel ou hiĂ©rarchique, qui ont entre eux une diffĂ©rence essentielle et non seulement de degrĂ©, sont cependant ordonnĂ©s lâun Ă lâautre : lâun et lâautre, en effet, chacun selon son mode propre, participent de lâunique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministĂ©riel jouit dâun pouvoir sacrĂ© pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rĂŽle du Christ, le sacrifice eucharistique et lâoffrir Ă Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidĂšles eux, de par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent Ă lâoffrande de lâEucharistie et exercent leur sacerdoce par la rĂ©ception des sacrements, la priĂšre et lâaction de grĂąces, le tĂ©moignage dâune vie sainte, leur renoncement et leur charitĂ© effective. » Lumen Gentium no 10, concile Vatican II.
Voir aussi
Articles connexes
Lien externe
Notes et références
- Lumen Gentium, 10.
- (en) William H. Brackney, 'Historical Dictionary of the Baptists, USA, Scarecrow Press, , p.456.
- Robert A. Muthiah, The Priesthood of All Believers in the Twenty-First Century: Living Faithfully as the Whole People of God in a Postmodern Context, Wipf and Stock Publishers, USA, 2009, p. 49
- Annick Sibué, Luther et la Réforme protestante, Paris, Eyrolles, , p.108-113.
- SĂ©bastien Fath, Une autre maniĂšre d'ĂȘtre chrĂ©tien en France: socio-histoire de l'implantation baptiste, 1810-1950, Editions Labor et Fides, GenĂšve, 2001, p. 474
- Martin Luther, Weimar Ausgabe, vol. 6, p. 407, lines 19â25 as quoted in Timothy Wengert, "The Priesthood of All Believers and Other Pious Myths," page 12 « Archived copy » [archive du ] (consultĂ© le ).