Relations entre la Chine et le Tibet durant la dynastie Ming
La nature exacte des relations sino-tibĂ©taines pendant la Dynastie Ming (1368â1644) de Chine est incertaine. L'analyse de ces rapports n'est pas facilitĂ©e par les conflits politiques modernes et l'application du concept de la souverainetĂ© westphalienne[3] Ă une Ă©poque oĂč ce concept n'existait pas encore. Certains historiens modernes habitant et travaillant en RĂ©publique populaire de Chine affirment que la Dynastie Ming jouissait d'une souverainetĂ© incontestĂ©e sur le Tibet, en se fondant sur la distribution par la Cour des Ming de divers titres aux dirigeants tibĂ©tains, l'acceptation complĂšte par les TibĂ©tains de ces titres, et un processus de renouvellement pour les successeurs de ces titres qui a impliquĂ© de se rendre dans la capitale des Ming. Les historiens de la RPC prĂ©tendent aussi que le Tibet fait partie intĂ©grante de la Chine depuis le XIIIe siĂšcle, et donc de l'Empire Ming. Mais la plupart des historiens hors de la RPC, par exemple Turrell V. Wylie, Melvin C. Goldstein, et Helmut Hoffman, disent que la relation Ă©tait celle de la suzerainetĂ©, que les titres Ming Ă©taient seulement nominaux, que le Tibet restait une rĂ©gion indĂ©pendante hors du contrĂŽle Ming, et qu'il a simplement payĂ© un tribut jusqu'au rĂšgne de Jiajing (1521â1566), qui mit fin aux relations avec le Tibet.
Certains historiens notent que les dirigeants tibĂ©tains durant la dynastie Ming se sont engagĂ©s frĂ©quemment dans la guerre civile et ont dirigĂ© leur propre diplomatie Ă©trangĂšre avec les Ă©tats avoisinants comme le NĂ©pal. Certains lettrĂ©s soulignent l'aspect commercial de la relation entre les Ming et les TibĂ©tains, notant que la Dynastie Ming manquait de chevaux pour la guerre expliquant l'importance du commerce de cheval avec le Tibet. D'autres prĂ©tendent que la signification de nature religieuse de la relation de la Cour des Ming avec les lamas tibĂ©tains est sous-estimĂ©e dans l'Ă©rudition moderne. Dans l'espoir de ranimer la relation particuliĂšre du prĂ©cĂ©dent dirigeant Mongol Kubilai Khan (r. 1260â1294) et de son supĂ©rieur spirituel Drogön Chögyal Phagpa (1235â1280) de l'Ă©cole Sakyapa du bouddhisme tibĂ©tain, l'Empereur Ming chinois Yongle (r. 1402â1424) a fait un effort concertĂ© pour construire une alliance sĂ©culiĂšre et religieuse avec Deshin Shekpa (1384â1415), le Karmapa de l'Ă©cole tibĂ©taine Karma Kagyu. Cependant, les tentatives de Yongle restĂšrent infructueuses.
Les Ming ont lancĂ© des interventions armĂ©es sporadiques au Tibet au XIVe siĂšcle, mais n'ont pas eu de garnison ni de troupes permanentes lĂ -bas. De temps en temps, les TibĂ©tains ont utilisĂ© aussi la rĂ©sistance armĂ©e contre les incursions Ming. L'empereur Wanli (r. 1572â1620) a fait des tentatives pour rĂ©tablir des relations sino-tibĂ©taines aprĂšs l'alliance tibĂ©to-mongole inaugurĂ© en 1578, qui a affectĂ© la politique Ă©trangĂšre subsĂ©quente de la dynastie Qing (1644â1912) de la Chine dans leur soutien au dalaĂŻ-lama de l'Ă©cole des Gelugpa. Vers la fin du XVIe siĂšcle, le Mongols furent les protecteurs armĂ©s du dalaĂŻ-lama, aprĂšs avoir augmentĂ© leur prĂ©sence dans la rĂ©gion de l'Amdo. L'apogĂ©e en fut la conquĂȘte du Tibet de 1637â1642 par GĂŒshi Khan (1582â1655).
ArriĂšre-plan historique
Empire mongol
L'empire tibĂ©tain (VIIe-IXe s.) fut une grande puissance contemporaine de la dynastie Tang (618â907) et son concurrent principal pour la domination de lâAsie centrale jusquâĂ sa chute[4] - [5]. Les souverains tibĂ©tains de la dynastie Yarlung signent des traitĂ©s de paix avec les Tang, dont un en 821 fixant les frontiĂšres entre les deux pays[6]. Durant la pĂ©riode suivante des Cinq Dynasties et Dix Royaumes (907â960), les dynasties qui se partagent la Chine Ă©clatĂ©e ne voient plus comme une menace le Tibet oĂč la division fĂ©odale a remplacĂ© l'empire ; les relations entre les deux pays sont au point mort[7] - [8]. La dynastie Song (960â1279) qui arrive ensuite a laissĂ© peu de documents concernant les relations sino-tibĂ©taines[8] - [9], ses empereurs Ă©tant surtout prĂ©occupĂ©s par la lutte contre les Khitans de la dynastie Liao (907â1125) et les Jurchen de la dynastie Jin (1115â1234)[9].
En 1207, le Mongol Genghis Khan (r. 1206â1227) conquiert le royaume tangout des Xia Occidentaux (1038â1227)[10] et envoie la mĂȘme annĂ©e des reprĂ©sentants au Tibet pour Ă©tablir des relations diplomatiques[11]. AlarmĂ©s par la chute des Xia, les TibĂ©tains se rĂ©solvent Ă payer le tribut[10]. Ils cessent nĂ©anmoins Ă la mort de Gengis Khan, et son successeur Ăgedei Khan (r. 1229â1241) dĂ©cide lâinvasion du Tibet[12]. Les troupes de Qöden, petit-fils de Gengis Khan, pĂ©nĂštrent jusque Lhassa[10] - [13]. Durant le raid, en 1240, Qöden fait venir Ă son camp situĂ© dans lâactuel Gansu Sakya Pandita (1182â1251), hiĂ©rarque Sakya[10] - [13]. Sakya Pandita manifeste sa bonne volontĂ© en se rendant au camp mongol en 1247. le Tibet est officiellement inclus dans lâEmpire mongol durant la rĂ©gence de Töregene Khatun (1241â1246)[13] - [14]. Une relation protecteur - conseiller religieux est ainsi Ă©tablie entre les Mongols et les Sakya, bien que l'investiture de ces derniers nâait dans un premier temps que « peu dâimpact rĂ©el », le Tibet Ă©tant trĂšs fragmentĂ©[10].
Kubilai, qui a reçu en 1236 un grand apanage en Chine du Nord de son frĂšre Ăgedei Khan et sera Ă son tour Khagan de 1260 Ă 1294[15], poursuit la politique mongole de contrĂŽle par l'intermĂ©diaire de potentats locaux. Il souhaite Ă©tablir des contacts avec Karma Pakshi (1203â1283), hiĂ©rarque de Karma Kagyu et second Karmapa, mais ce dernier ayant rejetĂ© son invitation, il fait venir en 1253 Ă sa cour Drogön Chögyal Phagpa (1235â1280), successeur et neveu de Sakya Pandita[16] - [17] - [18]. Une relation privilĂ©giĂ©e sâĂ©tablit entre Phagpa et Kubilai, le premier reconnaissant les qualitĂ©s politiques du second et Kubilai considĂ©rant Phagpa comme son premier conseiller religieux[16] - [18] - [19]. Drogön Chögyal Phagpa est nommĂ© rĂ©gent ou vice-roi (sde srid) du Tibet divisĂ© en treize myriarchies[18] - [19] - [20].
Le Tibet entre donc dans l'Empire Mongol avant la proclamation de la dynastie Yuan (1271â1368)[18]. Selon Van Praag, la chute des Song du Sud en 1279 « marque la fin de la Chine indĂ©pendante » qui se retrouve alors sous le contrĂŽle des Yuan au mĂȘme titre que le Tibet, la Mongolie, une partie de la CorĂ©e, de la SibĂ©rie et de la Birmanie[21]. Selon Morris Rossabi, « Kubilai voulait ĂȘtre vu comme Khagan mongol tout autant qu'empereur de Chine. Bien que ce soit avec ce dernier pays que son destin se trouve liĂ© dĂšs les annĂ©es 1260, il n'abandonna pas ses prĂ©tentions au Khanat universel. ». NĂ©anmoins, « malgrĂ© ses succĂšs en Chine et en CorĂ©e, il ne fut jamais rĂ©ellement acceptĂ© comme tel[22]. » C'est ainsi qu'il s'identifia de plus en plus Ă un empereur de Chine[23].
Fin des dominations Sakya et Yuan
En 1358, Janchub GyaltsĂ€n (Byang chub rgyal mtshan) (1302â1364), myriarche de la lignĂ©e Phagmodru, vainc les Sakya[21] - [24] - [25] et les Yuan se voient obligĂ©s dâaccepter leur hĂ©gĂ©monie de fait sur le Tibet[21] - [24] - [25]. En 1368, la rĂ©volte des Turbans rouges menĂ©e par des Chinois Han vient Ă bout des Yuan et Zhu Yuanzhang devient lâempereur Hongwu (r. 1368â1398) de la dynastie Ming[26].
On ne sait pas Ă quel point la cour des Ming Ă©tait au courant des luttes entre les lignĂ©es bouddhistes tibĂ©taines, mais les empereurs voulaient Ă©viter que ce pays ne devienne une menace comme sous les Tang et souhaitaient maintenir des relations avec des TibĂ©tains influents[24] - [27]. Hongwu ne reconnaĂźt pourtant pas officiellement le pouvoir des Phagmodru, approchant plutĂŽt le karmapa dont la lignĂ©e est bien implantĂ©e dans le Kham et le Sud-Est du Tibet, rĂ©gions plus proches de la Chine. Il envoie des reprĂ©sentants au Tibet durant les hivers de 1372â1373 pour demander que les titulaires de fonctions attribuĂ©es par les Mongols renouvellent leur titre et leur allĂ©geance[24]. NĂ©anmoins, Rolpe Dorje (1340â1383), 4e karmapa, rejette son invitation Ă la cour de Nankin, nâenvoyant que quelques disciples[24]. Bien que les Ă©dits de Hongwu manifestent son souci de maintenir le lien bouddhiste avec le Tibet[28] - [29], et qu'il envoie une mission en 1378â1382 Ă la recherche de textes bouddhistes (menĂ©e par son conseiller religieux le moine Zongluo)[28] - [29] contrairement aux souverains Mongols, il ne favorise pas le bouddhisme tibĂ©tain. La conversion Ă cette forme de religion est d'ailleurs interdite pendant une pĂ©riode au dĂ©but de la dynastie[30] ; on connaĂźt peu de moines et encore moins de laĂŻcs chinois pratiquants du bouddhisme tantrique avant lâĂ©poque rĂ©publicaine (1912â1949)[30]. Selon Morris Rossabi, il faut attendre le rĂšgne de Yongle (r. 1402â1424) pour assister Ă une rĂ©elle tentative de dĂ©veloppement des relations sino-tibĂ©taines[31].
Informations provenant des Annales des Ming
Les Annales des Ming compilĂ©es en 1739 sous les Qing (1644â1912) mentionnent lâĂ©tablissement de la MarĂ©chalerie civile et militaire dâElisi (non loin de lâactuelle Leh)[32] pour le contrĂŽle du Tibet occidental et des commanderies itinĂ©rantes dâU-Tsang (çæèéœææźäœżćž) et du Dokham (Amdo-Kham) (æ”çèĄéœææźäœżćž) couvrant respectivement le Tibet central et oriental[33] - [34] Ces administrations supervisaient une commanderie itinĂ©rante (ææźäœżćž), trois services de pacification (柣ć°äœżćž), six services dâexpĂ©dition (æèšćž), quatre services des myriarchies responsables de 10 000 foyers (èŹæ¶ćș), dix-sept services de chiliarchies responsables de 1000 foyers (ćæ¶æ)[35].
La cour Ming dĂ©cerne des titres aux lamas distinguĂ©s : les plus importants sont trois Princes du Dharma (æłç) suivis de cinq Princes (ç), sans oublier les habituels Grand PrĂ©cepteur national (性ććž«) et PrĂ©cepteur national (ććž«). Karma Kagyu, Sakya et Gelug sont ainsi distinguĂ©s[36] - [37]. Ces titres Ă©tant dĂ©cernĂ©s par le gouvernement central chinois, leurs titulaires Ă©taient thĂ©oriquement tenus de respecter les lois de lâempire dans lâexercice de leurs fonctions[38], mais rĂ©gnait alors le systĂšme lĂ©gal typiquement tibĂ©tain mis en place par les Phagmodru[39]. Des historiens sont dâavis que ces titres nâĂ©taient pas accompagnĂ©s dâun pouvoir rĂ©el au contraire de ceux donnĂ©s par les Mongols[40] - [41].
Turrell V. Wylie et Li Tieh-tseng ont mis en doute la crĂ©dibilitĂ© des Annales des Ming au regard des recherches modernes[42]. Selon Van Praag les nombreuses missions tibĂ©taines Ă la cour des Ming sont mentionnĂ©es dans les Annales comme porteuses de tribut[43], mais il sâagissait certainement dâachats de chevaux, la source mongole Ă©tant inaccessible en raison de conflits[43].
Débat académique contemporain
Transition des Yuan aux Ming
Les opinions des historiens divergent quant à la nature exacte des relations entre le gouvernement Ming et le Tibet. Selon Van Praag, approuvé par Xagabba Wangqug Dedai, les historiens officiels Chinois voyaient le Tibet comme une nation étrangÚre tributaire, et les relations entre les potentats étaient de nature protecteur-conseiller religieux[44] - [45].
Wang Jiawei et Nyima Gyaincain sâopposent eux Ă cette vision des choses, citant lâenvoi dâĂ©dits impĂ©riaux au Tibet dans les deux premiĂšres annĂ©es de rĂšgne Ming comme la preuve que lâempereur considĂ©rait le Tibet comme une partie du territoire Ă pacifier[44].
Ils mentionnent Ă lâappui de leur thĂšse la visite Ă la cour de Nankin du prince mongol Punala, administrateur hĂ©rĂ©ditaire de certaines rĂ©gions du Tibet, venu muni du sceau de fonctionnaire remis par les Yuan porter sa part de tribut et faire allĂ©geance[46]. Les lamas titulaires dâun titre princier dĂ©cernĂ© par les Yuan, quâils semblaient accepter puisquâils se dĂ©signaient ainsi, Ă©taient tenus de venir Ă la cour des Ming pour en obtenir le renouvellement ; on peut donc dire selon eux que les Ming avaient « pleine souverainetĂ© sur le Tibet ». Les Ă©dits impĂ©riaux envoyĂ©s aux administrateurs civils et militaires dĂ©tenant leurs fonctions des Yuan, leur demandant de venir Ă la cour renouveler leur dĂ©lĂ©gation de pouvoir, obtinrent la soumission de ces officiels et le Tibet fut incorporĂ© dans le rĂ©gime Ming, donnant Ă cette dynastie le mĂȘme pouvoir sur le Tibet que celui possĂ©dĂ© par les Yuan[47].
Selon Thomas Laird, Wang et Nyima expriment le point de vue du gouvernement chinois, prĂ©sentant la dynastie Yuan comme une dynastie chinoise ordinaire comme celle des Ming qui lui a succĂ©dĂ©, alors que la Chine des Yuan Ă©tait en rĂ©alitĂ© une partie de lâEmpire mongol[48]. Il affirme que les dirigeants mongols administraient Ă la fois le Tibet et la Chine comme deux entitĂ©s sĂ©parĂ©es, Ă la façon dont lâEmpire britannique contrĂŽlait lâInde et la Nouvelle-ZĂ©lande sans que cela fĂźt du premier pays une part du second[49]. Il ajoute que les Ă©crits mongols et tibĂ©tains ultĂ©rieurs sur la conquĂȘte mongole du Tibet « comme tous les Ă©crits non chinois, ne reprĂ©sentent jamais les faits comme une domination chinoise sur le Tibet»[49]."
La Columbia Encyclopedia fait une distinction entre la dynastie Yuan et les autres khanats de lâempire mongol (Ilkhanat, Khanat de DjaghataĂŻ , Horde d'or), dĂ©finissant la premiĂšre comme « Une dynastie mongole qui rĂ©gna sur la Chine entre 1271 et 1368, Ă©galement partie du vaste empire conquis par les Mongols. Elle fut fondĂ©e par Kubilai Khan, qui choisit en 1271 le nom dynastique chinois de Yuan[50]. » LâEncyclopedia Americana la dĂ©crit comme « la lignĂ©e mongole en Chine » et ajoute que les Mongols « proclamĂšrent une dynastie de style chinois nommĂ©e Yuan Ă Khanbaliq (actuelle PĂ©kin)[51]. » Selon un document du Metropolitan Museum of Art, les empereurs mongols de la dynastie Yuan « adoptĂšrent les modĂšles culturel et politique chinois et rĂ©gnĂšrent depuis Dadu (PĂ©kin) en empereurs de Chine[52]. » tout en notant que malgrĂ© leur transformation en empereurs de Chine, les souverains mongols imposĂšrent une discrimination sĂ©vĂšre contre les lettrĂ©s et les Chinois du Sud[52].
Selon Morris Rossabi, professeur dâhistoire asiatique au Queens College de New York[53], Kubilai « crĂ©a des institutions gouvernementales semblables, voire identiques aux institutions chinoises traditionnelles » et « souhaitait signaler aux Chinois quâil adoptait lâapparence et le style dâun empereur de Chine[54]. » Cependant, il mentionne aussi le systĂšme ethnique accordant un statut plus Ă©levĂ© aux Mongols et ethnies associĂ©es quâaux Hans majoritaires. Ces derniers fournirent bien des conseillers parmi les plus influents, mais ne jouissaient pas dâun statut bien dĂ©fini. Kubilai avait dâailleurs aboli le systĂšme des examens impĂ©riaux favorisant les Hans ; il fut rĂ©tabli par Renzong (1311-1320) sous une forme simplifiĂ©e[55]. Toujours selon Rossabi, Kubilai Ă©tait conscient que pour gouverner la Chine il devait « employer des conseillers et fonctionnaires chinois, mais pas exclusivement car il devait conserver lâĂ©quilibre fragile entre la civilisation sĂ©dentaire de la Chine et les valeurs et traditions mongoles[22]. » « Tout en ayant lâintĂ©rĂȘt de ses sujets Chinois Ă lâesprit, il songeait aussi Ă exploiter les ressources du pays Ă son propre profit, et ses motivations et objectifs variĂšrent de ce fait durant tout son rĂšgne[56]. » Selon Van Praag, les TibĂ©tains et les Mongols adhĂ©raient Ă une vision duale du pouvoir dans laquelle les khans jouaient le rĂŽle de chakravartin, monarques bouddhistes universels. Le Tibet Ă©tait une partie de lâempire mongol distincte de la Chine comme en tĂ©moigne lâexistence dâun marchĂ© frontalier agrĂ©Ă© sous les Yuan[18].
Attribution de titres aux Tibétains
Selon le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres de la RPC, les Ming administraient le Tibet suivant ses propres coutumes en distribuant des titres aux TibĂ©tains influents et crĂ©ant des organismes administratifs[57]. Selon le bureau de lâInformation de la RPC, la commanderie du Ă-Tsang contrĂŽlait la plus grande part du Tibet. Les Ming dĂ©clarĂšrent ne plus reconnaitre lâadministration mise en place par les Yuan et abolirent le rĂ©gime des prĂ©cepteurs impĂ©riaux (dĂŹshÄ« ćžćž«, chefs des affaires religieuses), mais reprirent lâhabitude dâattribuer des titres aux chefs religieux tibĂ©tains se soumettant Ă leur autoritĂ©[1]. Ainsi, un Ă©dit de lâempereur Hongwu datant de 1373 appointe dans les termes suivants le chef tibĂ©tain Choskunskyabs gĂ©nĂ©ral de la myriarchie[58] militaire et civile de mNgav-ris :
« Nous, souverain de lâempire, traitons avec courtoisie les habitants de lâensemble de lâempire amis de la justice et faisant allĂ©geance Ă la cour, et leur attribuons des postes officiels. Nous avons appris Ă notre satisfaction que vous, Chos-kun-skyabs, rĂ©sidant dans les rĂ©gions occidentales, inspirĂ© par notre pouvoir et notre rĂ©putation, ĂȘtes loyal Ă la cour et capable de sauvegarder le territoire dont vous avez la charge. Aussi vous nommons-nous Ă la tĂȘte du bureau militaire et civil de la myriarchie de mNgav-ris rĂ©cemment Ă©tabli avec le titre de gĂ©nĂ©ral Huaiyuan, persuadĂ© que vous ĂȘtes le plus qualifiĂ© pour ce poste. Nous attendons de vous encore plus de diligence que par le passĂ©, et que vous mainteniez la discipline et preniez soin de vos hommes, afin de garantir la sĂ©curitĂ© et la paix dans votre rĂ©gion. »
Selon Chen Qingying, professeur dâhistoire et directeur de lâinstitut de recherches historiques du centre de recherche tibĂ©tologique de Chine, les Ming confĂ©rĂšrent de nouveaux titres â infĂ©rieurs Ă ceux de lâĂ©poque Yuan â aux chefs Phagdru Kargyu[59]. Les chefs des dzong (cantons) de Neiwo et Renbam furent dĂ©signĂ©s officiers supĂ©rieurs de la commanderie de l'Ă-Tsang. Les postes de myriarche et milliarche (1 000 foyers, ćæ¶) rĂ©instaurĂ©s par les Ming Ă lâimitation des Yuan, et les postes dâofficiers ordinaires et supĂ©rieurs Ă©taient hĂ©rĂ©ditaires, mais la confirmation de la succession de certains postes importants devait ĂȘtre sollicitĂ©e de lâempereur et le renouvellement des mandats devait ĂȘtre demandĂ© Ă la cour.
NĂ©anmoins, selon le tibĂ©tologue John Powers, les sources tibĂ©taines mentionnent au contraire lâattribution de titres tibĂ©tains aux dignitaires chinois et Ă lâempereur. Les missions Ă la cour des Ming nâavaient pas pour seul but lâĂ©change dâun tribut contre des titres, mais remplissaient une importante fonction commerciale, avec des transactions effectuĂ©es Ă diffĂ©rents stades du voyage. Quant aux chefs religieux titrĂ©s, ils envoyĂšrent presque toujours des subalternes Ă la cour sans faire le dĂ©placement eux-mĂȘmes et aucun ne sâest dĂ©clarĂ© sujet de lâempereur. Selon Hans Bielenstein, dĂ©jĂ sous les Han (202 av.J.-C. â 220 ap.J.-C.), les dirigeants des Ă©tats dĂ©pendants et citĂ©s-Ă©tats des oasis occidentales (appelĂ©s è„żć, , composĂ©es du bassin du Tarim et oasis de Turfan) se voyaient dĂ©cerner des sceaux et insignes de dĂ©lĂ©gation de pouvoir de la part du gouvernement chinois, permettant Ă ce dernier de les prĂ©senter comme ses hommes.
Annexes
Notes et références
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- Melvyn C. Goldstein, Snow Lion and the Dragon: China, Tibet and the Dalai Lama (Berkeley: University of California Press, 1997), 1.
- Denis Twitchett, "Tibet in Tang's Grand Strategy", in Warfare in Chinese History (Leiden: Koninklijke Brill, 2000), 106â179.
- Michael van Walt van Praag, The Status of Tibet: History, Rights, and Prospects in International Law (Boulder: Westview Press, 1987), 1â2.
- Josef Kolmas, Tibet and Imperial China: A Survey of Sino-Tibetan Relations Up to the End of the Manchu Dynasty in 1912: Occasional Paper 7 (Canberra: The Australian National University, Centre of Oriental Studies, 1967), 12â14.
- Van Praag, The Status of Tibet, 4.
- Kolmas, Tibet and Imperial China, 14â17.
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- Goldstein, The Snow Lion and the Dragon, 3.
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- Rossabi, Khubilai Khan, 14â41.
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- Turrell V. Wylie, "The First Mongol Conquest of Tibet Reinterpreted", Harvard Journal of Asiatic Studies 37, no. 1 (juin 1997): 104.
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- äżćæè»æ°ć ćž„ćș
- Mingshi-Geography I «æćČâąć°çäžÂ»: æ±è”·æéźźïŒè„żæćçȘïŒćć ćźćïŒćè·ć€§çŁ§ă
- Mingshi-Geography III «æćČâąć°çäžÂ»: äžćčŽäžæçœźè„żćźèĄéœèĄæŒæ€ïŒé æČłć·ăæ”çăçæŻèăäžèĄă
- Mingshi-Military II «æćČâąć ”äș»
- Mingshi-Western territory III «æćČâąććłçŹŹäșçŸćäžè„żćäžÂ»
- Les hiĂ©rarques Kagyupa sont dabaofawang 性äčæłç, ceux des Sakyapa dachengfawang 性äčæłç, ceux des Gelugpa dacifawang 性æ æłç.
- Wang & Nyima, The Historical Status of China's Tibet, 38
- Van Praag, The Status of Tibet, 7
- Helmut Hoffman, "Early and Medieval Tibet", in The History of Tibet: Volume 1, The Early Period to c. AD 850, the Yarlung Dynasty (New York: Routledge, 2003), 65.
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