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Rascar Capac

Rascar Capac est un personnage de fiction des Aventures de Tintin, créé par Hergé. La momie de cet empereur inca est au centre de l'intrigue des Les Sept Boules de cristal, la treizième aventure de la série, dont la prépublication commence dans Le Soir le , avant de paraître en album en 1948 aux éditions Casterman.

Rascar Capac
Personnage de fiction apparaissant dans
Tintin.

Origine Inca
Activité Empereur inca

Créé par Hergé
SĂ©ries Les Aventures de Tintin
Albums Les Sept Boules de cristal
Le Temple du Soleil
Première apparition Les Sept Boules de cristal (1943)

Le personnage dans l'œuvre d'Hergé

Le nom de l'Inca Rascar Capac est cité dès le premier strip des Sept Boules de cristal[1], publié dans le quotidien belge Le Soir le [2]. Le lecteur apprend au moyen d'une coupure de presse dont Tintin fait la lecture que le tombeau de cet Inca a été fouillé par les membres de l'expédition ethnographique Sanders-Hardmuth et que ces derniers ont rapporté sa momie, encore coiffée du « borla », un diadème royal en or massif, en Europeplanche_1,_case_3_3-0">[alpha 1]. Elle est conservée chez le professeur Hippolyte Bergamotte[1]. Dans les jours qui suivent, les membres de l'expédition semblent frappés d'une mystérieuse de malédiction : tour à tour, ils sombrent dans un état de léthargie et des éclats de cristal sont retrouvés à leurs côtésplanches_8_à_24_4-0">[alpha 2].

Tintin, le capitaine Haddock et le professeur Tournesol se rendent alors chez le professeur Bergamotte, un ami de ce dernier et dernier rescapé de l'expédition, dont la maison est sous étroite protection policièreplanche_26_5-0">[alpha 3]. Bergamotte considère l'affaire des boules de cristal avec un certain scepticisme et, tandis qu'un orage éclate, il révèle à Tintin la traduction d'une partie des inscriptions qui figuraient dans le tombeau de Rascar Capac :

« Dans des milliers de lune viendront sept étrangers au visage pâle, et ils profaneront la demeure sacrée de Celui-qui-déchaîne-la-foudre. Et ces profanateurs emporteront le corps de l'Inca dans leur lointain pays. Mais la malédiction divine s'attachera à leurs pas et les poursuivra par-delà les mers et les monts…planche_30_6-0">[alpha 4] »

Gravure en noir et blanc prĂ©sentant un intĂ©rieur du XIXe siècle dans lequel circule une boule de feu Ă  la vue d'une famille affolĂ©e.
Une gravure illustrant le phénomène de foudre en boule.

Un phénomène de foudre en boule s'introduit soudain dans la cheminée et fait disparaître la momie, dont il ne reste que les bijoux[1] - planche_31_7-0">[alpha 5]. Affolé, le professeur Bergamotte comprend que la prophétie se réalise et dévoile à ses invités la teneur de la malédiction en demandant à Tintin de lire la suite de son rapport :

« Et le jour où, dans un éclair éblouissant, Rascar Capac aura déchainé sur lui-même le feu purificateur et sera retourné à son élément primitif, ce jour-là sonnera pour les impies l'heure du châtimentplanche_32_8-0">[alpha 6] »

La nuit-même, Rascar Capac apparaît en rêve à Tintin, Haddock et Tournesolplanches_32-33_9-0">[alpha 7], tandis que le professeur Bergamotte est à son tour frappé de léthargieplanches_35-36_10-0">[alpha 8]. Le lendemain, après avoir mis à son bras le bracelet de la momie qu'il retrouve dans le jardin, Tournesol est enlevéplanche_40_11-0">[alpha 9][1].

Sources d'inspiration

Pour les besoins de son scénario, Hergé réunit une abondante documentation littéraire et iconographique, aidé notamment de son assistant et collaborateur Edgar P. Jacobs[3] - [4]. Le nom de Rascar Capac serait composé à partir de ceux de Manco Cápac et Huascar, respectivement le premier et le dernier des rois incas identifiés dans les recherches de l'auteur[5].

Les recherches des spĂ©cialistes de l'Ĺ“uvre d'HergĂ© laissent penser que le dessinateur a pris pour modèle une momie rapportĂ©e du PĂ©rou en Belgique avec deux autres spĂ©cimens vers 1840 et qu'il a dĂ©couverte pour la première fois en 1926 en visitant une exposition consacrĂ©e Ă  l'art prĂ©colombien[6]. Cette momie est depuis exposĂ©e dans la section « Cinquantenaire » du MusĂ©e Art et Histoire de Bruxelles[7]. Les recherches entreprises par le conservateur Serge Lemaitre et sa consĹ“ur archĂ©ologue Caroline Tilleux dĂ©montrent que la momie en question est celle d'un homme de 1,52 mètre-1,53 mètre, chasseur d'otaries Ă  crinière, dont l'âge est compris entre 30 et 40 ans. La datation au carbone 14 situe la momification entre 1480 et 1560 et la localise Ă  Arica, dans la rĂ©gion chilienne d'Arica et Parinacota[8].

Analyse

Rascar Capac et la narration fantastique

Le fantastique constitue le cœur du récit Sept Boules de cristal, au point que l'aventure est décrite par de nombreux spécialistes comme le « plus effrayant album jamais conçu par Hergé »[9]. L'apparition nocturne et fantomatique de la momie de Rascar Capac en est l'un des éléments les plus inquiétants[10] - [9] : pour Philippe Marion, cette séquence est « une des plus traumatiques de la saga tintinesque »[11].

Il explique que cet épisode « est exemplaire en ce qui concerne la tension narrative et la dramatisation, pour la manière dont il distille une émotion de peur étroitement liée à l'intensification du trouble fantastique »[11]. Selon lui, « La momie matérialise la figure centrale de l'altérité menaçante. Elle renvoie aussi à l'effrayant inconnu d'un monde transitoire, intercalé entre la vie et la mort »[11]. Pour l'historien Jean-Marie Embs, de même que pour Harry Thompson, l'apparition nocturne de Rascar Capac est un symbole manifeste de la « peur de l'inconnu » qui frappe Hergé au moment de la rédaction de l'aventure, dans le contexte de guerre mondiale et d'occupation que connaît son pays[12] - [13]. Par ailleurs, le dessin qui montre la momie dans l'encadrement de la fenêtre, avant qu'elle fasse irruption dans la chambre de Tintin, pourrait évoquer un souvenir d'enfance d'Hergé : à la mort de son grand-père maternel, le dessinateur était persuadé d'avoir aperçu une tête de mort à la fenêtre lors de la veillée mortuaire. Plusieurs chercheurs s'accordent à penser que cet évènement a pu être le véritable élément fondateur de l'histoire des Sept Boules de cristal[14].

Cette séquence fait aussi écho aux œuvres de Gaston Leroux ou de l'écrivain belge Jean Ray, et plonge le lecteur dans une atmosphère d'angoisse irrépressible et irrationnelle. Comme le souligne Jean-Marie Embs, Hergé bouscule ainsi « la frontière qui sépare l'artifice du véritable prodige »[15]. Pour Benoît Grevisse, professeur d'université, le regard vide et inexistant de la momie est l'un des nombreux exemples du rôle du regard comme vecteur du fantastique qui peuvent être relevés à travers le récit[16].

Selon Vanessa Labelle, qui étudie la représentation des phénomènes paranormaux dans l'œuvre d'Hergé, l'auteur ajoute au fantastique « une dimension initiatique » dans Les Sept Boules de cristal[17] : le climat de terreur mis en place tout au long du récit est propice à la « transformation ontologique » du lecteur tant par son identification aux héros que par la peur qui, selon le psychanalyste Bruno Bettelheim, est formatrice pour le jeune lecteur[18] - [17]. L'atmosphère macabre, angoissante et terrifiante que répand Rascar Capac, tant chez le professeur Bergamotte après l'apparition de la boule de feu qui volatilise la momie que dans le cauchemar collectif de Tintin, Haddock et Tournesol, renforcée par le caractère onirique des évènements, permet aux lecteurs d'en ressortir transformés[17].

Le profane et le sacré

L'essayiste Jean-Marie Apostolidès développe l'idée que la momie de Rascar Capac est au centre de l'opposition entre deux sociétés : l'une, celle des Incas, étant fondée sur le sacré et le refus du monde contemporain, l'autre, celle des Européens, sur le profane et l'ouverture au monde[19]. Le viol de la sépulture de Rascar Capac rompt l'équilibre de la société inca, un équilibre qui ne peut être rétabli que par l'accomplissement de la vengeance inscrite dans la prophétie qui orne le tombeau de la momie[19]. Cette vengeance n'est pas immédiatement interprétée par les scientifiques européens sur qui la magie, les croyances ancestrales et les pratiques occultes n'ont pas de prise. Jean-Marie Apostolidès rappelle que « le message sacré de Rascar Capac n'a pas de sens pour eux », et que le professeur Bergamotte manifeste d'abord un profond scepticisme avant d'être frappé à son tour par la malédiction, ce que le sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle explique du fait que « les Européens et leur surdité postcoloniale ont maille à partir avec les croyances magiques des traditions secrètement cultivées par les autochtones, cruellement exploités des siècles durant »[20].

Dans ce cadre, la vengeance de Rascar Capac apparaît comme « le triomphe de l'univers archaïque »[19]. Objet de culte pour les uns, la momie de Rascar Capac est pour les autres l'instrument de leur châtiment : « Sa présence, bénéfique au Pérou, devient maléfique en Europe, où [Rascar Capac] réintroduit le sacré par le négatif, comme punition collective »[19].

La problématique de l'identité

Le psychanalyste Serge Tisseron, qui étudie la problématique de l'identité et de la filiation dans les Aventures de Tintin, affirme que le secret qui entoure la figure du père sous-tend l'ensemble de l'œuvre d'Hergé : le père et l'oncle de l'auteur, nés de père inconnu, seraient issus d'une ascendance illustre, des éléments qu'Hergé exploite de manière inconsciente dans ses albums. Serge Tisseron met en avant l'omniprésence dans les noms de personnages masculins du signifiant /KAR/, présenté dans Le Sceptre d'Ottokar comme la traduction de « roi » en syldave. Ainsi, Rascar Capac s'inscrit dans la longue liste des figures masculines « qui sont d'abord menaçantes, puis de plus en plus sympathiques au fil de la succession des albums ». Pour Serge Tisseron, cette séquence phonétique apparaît « comme un rappel sonore de la question des origines » dans l'œuvre d'Hergé[21].

Postérité

En 2019, Tintin et le mystère de la momie Rascar Capac, un documentaire réalisé par Frédéric Cordier et co-écrit par Philippe Molins, montre l'enquête menée par Serge Lemaitre, conservateur de la collection « Amérique » du Musée Art et Histoire de Bruxelles, et par l'archéologue Caroline Tilleux pour retrouver l'identité de la momie qui a inspiré celle de Rascar Capac[22]. Co-produit par Un film à la patte, Panoramique Terre Productions, Moulinsart, Arte et la RTBF, avec le soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée, de la région Grand Est et de la Procirep, ce documentaire intègre la sélection de plusieurs festivals et reçoit le Prix Jules Verne du Festival du film d'archéologie d'Amiens en 2020[22]. Bien qu'il montre l'ensemble du travail d'investigation archéologico-médico-légale mené par les deux spécialistes, le réalisateur ne s'attarde pas en revanche sur le processus de création de l'œuvre d'Hergé[23].

En 2020, le parc zoologique Pairi Daiza suscite la polémique en exposant une momie qu'il présente comme celle ayant inspiré Hergé. La momie présentée par le parc zoologique avait intégré l'exposition intitulée « Le musée imaginaire de Tintin », organisée en 1979 pour le cinquantième anniversaire du premier album de la série. Pour l'archéologue Serge Lemaitre, cette momie avait été achetée par un collectionneur belge dans les années 1960, soit bien après la parution des Sept Boules de cristal. De même, elle comporte un certain nombre de différences avec le dessin d'Hergé, puisque la momie de Rascar Capac apparaît, sous les traits du dessinateur, sans cheveux et les genoux très repliés, comme la momie de Musée Art et Histoire[24].

Rascar Capac est un des surnoms de King Ju (Julien Barthélémy), fondateur du groupe de musique Stupeflip, qui mélange rap, rock et ritournelle de variétés.

Notes et références

Références

  • Version en album des Sept Boules de cristal :
  1. planche_1,_case_3-3" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planche 1, case 3.
  2. planches_8_Ă _24-4" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planches 8 Ă  24.
  3. planche_26-5" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planche 26.
  4. planche_30-6" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planche 30.
  5. planche_31-7" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planche 31.
  6. planche_32-8" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planche 32.
  7. planches_32-33-9" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planches 32-33.
  8. planches_35-36-10" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planches 35-36.
  9. planche_40-11" class="mw-reference-text">Les Sept Boules de cristal, planche 40.
  • Autres rĂ©fĂ©rences :
  1. Cyrille Mozgovine, De Abdallah Ă  Zorrino : Dictionnaire des noms propres de Tintin, Casterman, , 283 p. (ISBN 978-2203017115), p. 183.
  2. Assouline 1996, p. 323.
  3. Le Mystère des boules de cristal, p. 80.
  4. Benoît Peeters, Hergé, fils de Tintin, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », , 627 p. (ISBN 978-2-08-123474-1), p. 280.
  5. Le Mystère des boules de cristal, p. 12.
  6. Le Mystère des boules de cristal, p. 72.
  7. Sergio Purini, « Une momie péruvienne aux Musées royaux d’Art et d’Histoire », sur koregos.org (consulté le ).
  8. Tintin et le mystère de la momie Rascar Capac [Documentaire], FrĂ©dĂ©ric Cordier (rĂ©alisateur), Philippe Molins (coauteur) (, 52 minutes) Un Film Ă  la Patte, Panoramique Terre Productions, Moulinsart, Arte, RTBF.
  9. Olivier Delcroix, « Le Tour du monde en 24 albums », dans Tintin reporter du siècle, Le Figaro, , 114 p., p. 24-41.
  10. Assouline 1996, p. 325.
  11. Jean-Luc Marion, « Étoile mystérieuse et boule de cristal : Aspects du fantastique hergéen », Textyles, no 10 « Fantastiqueurs »,‎ , p. 205-221 (lire en ligne).
  12. Harry Thompson, Tintin : Hergé and His Creation, Londres, Hachette UK, , 336 p. (ISBN 978-1-84854-673-8), p. 124.
  13. Jean-Marie Embs, « Les clés du songe », dans Tintin et les forces obscures, p. 11-13.
  14. Philippe Goddin, « Hergé ou la vie en clair-obscur », dans Tintin et les forces obscures, p. 122.
  15. Jean-Marie Embs, « Visions hallucinées », dans Tintin et les forces obscures, p. 21-23.
  16. Benoît Grevisse, « Le mystère de la grande Pyramide ou le fantastique discret d’Edgar P. Jacobs : Référents historiques et vecteur du regard », Textyles, no 10 « Fantastiqueurs »,‎ , p. 193-203 (lire en ligne).
  17. Vanessa Labelle, La représentation du paranormal dans les Aventures de Tintin (thèse), Université d'Ottawa, , 148 p. (lire en ligne [PDF]).
  18. Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Robert Laffont, coll. « Pocket », , p. 20-23.
  19. Jean-Marie Apostolidès, Hergé, Paris, Flammarion, coll. « Champs », , 435 p. (ISBN 978-2-08-120048-7), p. 248-254.
  20. Pierre Fresnault-Deruelle, Hergé ou le retour de l'Indien : Une relecture des 7 Boules de cristal, Sépia, coll. « 1000 Sabords », , 128 p. (ISBN 979-1033401803), Introduction.
  21. Serge Tisseron, Tintin et les secrets de famille, Aubier, , 192 p. (ISBN 9782700721683), p. 17-18.
  22. « Tintin et le mystère la momie Rascar Capac », sur unfilmalapatte.fr (consulté le ).
  23. Frédéric Potet, « « Tintin et le mystère de la momie Rascar Capac », sur Arte : sur les traces de l’homme inca qui inspira Hergé », sur Le Monde, (consulté le ).
  24. « Polémique en Belgique : où se trouve l'authentique momie de Rascar Capac, personnage effrayant d'un album de Tintin ? », sur France Info, (consulté le ).

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

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