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Purges ciblant les personnes LGBT au Canada pendant la guerre froide

Les purges ciblant les personnes LGBT au Canada pendant la guerre froide sont des opérations menées par les services de sécurité publique au Canada consistant à identifier, surveiller et éliminer les gays et lesbiennes dans la fonction publique et dans l'armée durant les années 1950-1990. Nombre des personnes « détectées » homosexuelles ont été ainsi licenciées ou placardisées. Cette campagne de « dépistage » s'est déroulée dans le contexte de la Guerre froide : les personnes LGBT étant considérées comme faibles, isolées, les services de sécurité pensaient que les agents communistes les manipuleraient plus facilement.

Cet épisode historique a été étudié notamment par Patrizia Gentile et Gary Kinsman dans un livre paru en 2010 — The Canadian War on Queers : National Security as Sexual Regulation (La Guerre canadienne contre les Queers : Sécurité nationale et régulation sexuelle).

En 2017, le gouvernement fédéral canadien reconnaît le caractère discriminatoire de la politique ciblant les personnes LGBT, leur présente des excuses officielles, et prévoit un plan d'indemnisation de 145 millions de dollars.

Contexte historique

En 1945, une commission du gouvernement canadien conclut après enquĂŞte que des fonctionnaires canadiens communiquent des informations sensibles Ă  l'Union soviĂ©tique[1].

En 1946, un Conseil de sĂ©curitĂ© est chargĂ© de repĂ©rer les fonctionnaires potentiellement suspects[1]. Les enquĂŞtes sont menĂ©es, dès 1948, par la Gendarmerie royale du Canada[1], qui enveloppe dans son opĂ©ration de purge anticommuniste les personnes catĂ©gorisĂ©es comme ayant des « faiblesses de caractère Â»[1]. Sont d'abord incluses dans cette catĂ©gorie des personnes adultères ou alcooliques ; puis les gays et lesbiennes sont ajoutĂ©es Ă  la liste personnes jugĂ©es influençables, donc plus susceptibles que d'autres, aux yeux de la Gendarmerie royale, d'ĂŞtre enrĂ´lĂ©es par des agents soviĂ©tiques[1]. Une autre justification allĂ©guĂ©e pour ce classement est que les personnes qui ont des activitĂ©s clandestines (liaison sexuelle, boisson) peuvent subir un chantage de la part d'agents soviĂ©tiques, qui les menaceront de trahir leur secret, et qu'elles sont donc plus susceptibles que d'autres de cĂ©der[1].

L'homosexualité est considérée à l'époque comme une infraction criminelle, et le licenciement en raison de l'orientation sexuelle est alors une action légale[1].

Des enquêtes similaires sont menées à la même époque aux États-Unis, que le gouvernement canadien a imités par plusieurs aspects[2] ; voir l'article Peur violette.

EnquĂŞtes et purges

Dans les annĂ©es 1950, le Conseil de sĂ©curitĂ© fait appel Ă  un professeur de psychologie pour Ă©laborer des tests de dĂ©tection « scientifiques Â» des homosexuels, le plus cĂ©lèbre Ă©tant la « fruit machine » (« trieuse Ă  fruits » ; le terme « fruit (en) » est un terme insultant en anglais pour dĂ©signer les homosexuels)[1].

De nombreux autres procĂ©dĂ©s de surveillance et d'identification des gays sont utilisĂ©s ; la Gendarmerie royale du Canada repère les fonctionnaires LGBT dans les bars gays, les parcs publics, et a recours Ă  des informateurs gays[1].

En 1964‑1965, la Gendarmerie royale du Canada a Ă©tabli des « dossiers » concernant la vie d'environ 6 000 employĂ©s LGBTQ, surtout des gays[1]. En 1966, le nombre de dossiers passe Ă  7 500[1] et en 1967‑1968, Ă  9 000[1]. Les fonctionnaires du ministère des Affaires Ă©trangères et des ambassades canadiennes dans le monde sont particulièrement touchĂ©s par ces opĂ©rations d'espionnage et de purge[1]. L'armĂ©e, avant mĂŞme la Guerre froide, Ă©liminait les homosexuels de ses rangs, les jugeant inaptes au service ; elle poursuit plus activement ses purges pendant la Guerre froide, et demande aux militaires considĂ©rĂ©s de suspects de « choisir » entre la dĂ©mission et le jugement en cour martiale, qui conduirait Ă  une exclusion pour cause d'indignitĂ©[3]. L'armĂ©e a recours Ă  ce type de mĂ©thode jusque dans les annĂ©es 1980[3].

L'estimation du nombre de personnes atteintes par ces purges n'est pas Ă©tabli avec certitude, les spĂ©cialistes de la question parlent de centaines de personnes, peut-ĂŞtre un millier pour la fonction publique (hors armĂ©e)[4]. Ă€ partir de la fin des annĂ©es 1960, le nombre de licenciements baisse, en revanche, des fonctionnaires n'obtiennent pas l'avancement qu'ils auraient pu espĂ©rer et se voient refuser l'affectation Ă  des postes sensibles en raison de leur orientation sexuelles supposĂ©e. Les discriminations ciblant les fonctionnaires LGBT se poursuivent au-delĂ  des annĂ©es 1960, jusqu'au dĂ©but des annĂ©es 1990[1]. Ainsi, en 1973, selon le premier ministre Pierre Trudeau, « l’homosexualitĂ© prĂ©sumĂ©e demeure l’un des facteurs pris en compte par le gouvernement avant de permettre Ă  un employĂ© du gouvernement fĂ©dĂ©ral d’avoir accès Ă  documents classifiĂ©s »[1].

Dans l'armée s'applique au début des années 1970 l’Ordonnance administrative 19-20 des Forces canadiennes qui prohibe la « présence de déviants sexuels dans les forces armées » ; les mesures d'exclusion deviennent plus nombreuses et affectent désormais les femmes, jusque-là épargnées, ceci en dépit de la dépénalisation partielle de l'homosexualité en 1969[3]. En 1982, de manière officielle, la présence des homosexuels dans l'armée est déclarée inadmissible ; la justification de cette politique discriminatoire est que des militaires LGBT pourraient causer des « conflits interpersonnels », nuire à « l’efficacité des opérations » ; une autre raison alléguée par l'armée est que les homosexuels pourraient être des cibles de la violence homophobe au sein de l'institution - raison paradoxale qui fait l'impasse sur le fait que l'armée favorise cette même homophobie dont elle prétend vouloir protéger les homosexuels[3]. C'est en 1992 seulement que les purges ciblant les personnes LGBT prennent fin au sein de l'institution militaire, à la suite de l'affaire Michelle Douglas (en), une militaire « libérée » pour homosexualité qui poursuit l'armée devant les tribunaux[3].

Excuses et indemnisation

Les détails sur la surveillance et les licenciements d'homosexuels sont publiés dans The Globe and Mail en 1992[1] - [4].

En 2017, le premier ministre Justin Trudeau prĂ©sente des excuses officielles Ă  la Chambre des communes pour ces discriminations et annonce 145 millions de dollars d'indemnisation pour les personnes dont la carrière a Ă©tĂ© affectĂ©e par ces campagnes[1]. Les personnes LGBT qui avaient un casier judiciaire en raison de leur orientation sexuelle bĂ©nĂ©ficient dĂ©sormais de la Loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques[5]. Le premier ministre a Ă©voquĂ© les personnes placĂ©es dans une situation humiliante par leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques qui se permettaient de les interroger sur leurs pratiques sexuelles[5]. Justin Trudeau a exprimĂ© sa reconnaissance Ă  l'Ă©gard des militants et des militantes qui ont fait la lumière sur cet Ă©pisode de l'histoire du pays, notamment Ă  l'Ă©gard du groupe national de dĂ©fense des droits des LGBT, Egale Canada (en), auteur d'un rapport analysant cette discrimination systĂ©mique[5]. Il a ainsi dĂ©clarĂ© : « Aux pionniers qui ont luttĂ©, Ă  ceux qui se sont battus pour que nous arrivions jusqu’ici : merci pour votre courage et merci d’avoir prĂŞtĂ© votre voix Ă  cette cause »[5].

Bibliographie

Références

  1. « Purges dans le service public canadien pendant la guerre froide : le cas des personnes LGBTQ | l'Encyclopédie Canadienne », sur www.thecanadianencyclopedia.ca (consulté le )
  2. Marcel Martel et Geneviève Deschamps, Une brève histoire du vice au Canada depuis 1500, Presses de l'Université Laval, (ISBN 978-2-7637-2524-6, lire en ligne), p.132
  3. « Purges dans les Forces armées canadiennes pendant la Guerre froide : le cas des personnes LGBTQ | l'Encyclopédie Canadienne », sur www.thecanadianencyclopedia.ca (consulté le )
  4. Guillaume Bourgault-Côté, « Quand le Canada rejetait les homosexuels », sur Le Devoir, (consulté le )
  5. « Justin Trudeau vient de présenter des excuses aux Canadiens LGBTQ2 », sur Global Citizen (consulté le )

Voir aussi

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