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Pseudo-Longin

Pseudo-Longin (en grec ancien Î›ÎżÎłÎłÎŻÎœÎżÏ‚ / LoggĂ­nos) est le nom donnĂ© par les modernes Ă  un Ă©crivain grec anonyme du Ier siĂšcle, auteur du TraitĂ© du sublime, (en grec ancien, ΠΔρ᜶ áœ•ÏˆÎżÏ…Ï‚ / PerĂ­ hypsous), ouvrage qui a longtemps Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  Longin.

Pseudo-Longin
Biographie
Naissance
Lieu inconnu
DĂ©cĂšs
Lieu inconnu
Activités
Période d'activité
Ie siĂšcle
ƒuvres principales
Du sublime (d)

Attribution du Traité du sublime

Son auteur est inconnu. On lit, en tĂȘte du manuscrit de rĂ©fĂ©rence[1], les mots « Dionysius ou Longinus », inscription que le copiste mĂ©diĂ©val a lu comme Ă©tant « par Dionysius Longinus », si bien que lorsque le manuscrit a Ă©tĂ© imprimĂ©[2], l'ouvrage a Ă©tĂ© initialement attribuĂ© Ă  Longin (Cassius Dionysius Longinus, 213-273 ap. J.-C.). Comme la traduction correcte laisse ouverte la possibilitĂ© que l'auteur se soit appelĂ© « Dionysius », l'attribution de l'ouvrage Ă  Denys d'Halicarnasse (Ier siĂšcle av. J.-C.) a Ă©tĂ© proposĂ©e[3].

Il est maintenant admis que l'auteur n'est ni Longin, ni Denys d'Halicarnasse, mais plutĂŽt un auteur inconnu contemporain du rĂšgne de TibĂšre, au Ier siĂšcle ap. J.-C.[4]. En effet, en l'absence de tout indice sur la biographie de l'auteur rĂ©el, aucun de ces deux Ă©crivains ne peut ĂȘtre acceptĂ© car le TraitĂ© dĂ©veloppe des idĂ©es en opposition totale avec les autres ouvrages de Longin, et l'hypothĂšse Denys prĂ©sente des difficultĂ©s chronologiques :

  • Denys d'Halicarnasse, Ă©crivant sous Auguste, a publiĂ© un certain nombre d'ouvrages[5]. Cette hypothĂšse est gĂ©nĂ©ralement Ă©cartĂ©e en raison des diffĂ©rences de style et de pensĂ©e avec le TraitĂ©[6].
  • Longin : crĂ©ditĂ© d'un grand nombre d'ouvrages littĂ©raires, il fut « le plus distinguĂ© Ă©rudit de son temps[7]. » Il est Ă©galement trĂšs douteux qu'il soit l'auteur du traitĂ©, car aucune rĂ©fĂ©rence n'y est faite Ă  une Ɠuvre postĂ©rieure au Ier siĂšcle av. J.-C., la derniĂšre citĂ©e Ă©tant celle de CicĂ©ron. Le TraitĂ© est maintenant usuellement datĂ© de la fin du Ier siĂšcle en raison de thĂšmes abordĂ©s dans le mĂȘme esprit par des auteurs de cette Ă©poque tels que Tacite[8], PĂ©trone ou Quintilien.

Parmi les autres noms proposés, on trouve Hermagoras (un rhéteur vivant à Rome au Ier siÚcle), Aelius Theon (dont les idées sont proches de celles du Traité), et Pompée Geminus (qui fut en relation épistolaire avec Denys).

Enfin, le fait que le Traité du sublime fasse référence à la GenÚse a laissé penser que le pseudo-Longin serait un juif hellénisé ou un familier de la culture juive[9].

Traité du sublime

Le texte du ΠΔρ᜶ áœ•ÏˆÎżÏ…Ï‚ / PerĂ­ hypsous se prĂ©sente sous la forme d'une lettre adressĂ©e Ă  un certain Posthumius Terentianus, dont on ne sait rien sinon qu'il devait ĂȘtre un personnage public romain d'une certaine culture[10]. Sa partie finale est perdue : elle contenait probablement des considĂ©rations sur la libertĂ© de parole, similaires Ă  celles que Tacite expose dans son Dialogue des orateurs.

Le traitĂ© s'appuie sur un ensemble d'exemples littĂ©raires, de plus de 50 auteurs rĂ©partis sur plus de mille ans[11]. Ce traitĂ©, dont n'ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s que les trois quarts environ, est l'un des plus importants traitĂ©s antiques de critique littĂ©raire, avec la PoĂ©tique d'Aristote. Contre la rhĂ©torique cicĂ©ronienne, il rejette la conception purement technique de l’atticisme qui proposait des recettes stylistiques, rĂ©duisant ainsi au « style sublime » la notion de sublime. Pour l'auteur du traitĂ©, le Sublime est « l'Ă©cho d'une grande Ăąme », la substance de grandes idĂ©es conçues par un esprit crĂ©ateur, et non leurs formules figĂ©es et imitables. Il le dĂ©finit d’emblĂ©e comme la foudre (I, 4), comme une force dĂ©vastatrice visant au ravissement ou Ă  l’extase, plus qu’à la persuasion. Le Sublime est prĂ©sent aussi bien chez les poĂštes que chez les orateurs. L’auteur du traitĂ© estime que la valeur littĂ©raire d’une Ɠuvre tient avant tout Ă  la dignitĂ© et Ă  la sincĂ©ritĂ© du sentiment, et revendique les droits de la passion et de l’inspiration[12].

Parmi les moyens de parvenir au sublime, le premier critĂšre proposĂ© est l’élĂ©vation de la pensĂ©e et des sentiments, assortie d’effets pathĂ©tiques et d’expressions de l’enthousiasme ; les images doivent ĂȘtre vives et d’une grande force de suggestion[13]. Les tropes et figures de style Ă  privilĂ©gier sont l’asyndĂšte (absence de liaison), l’anacoluthe (rupture de construction), l’hyperbate (distorsion du phrasĂ© avec l’ordre logique), l’épanaphore (rĂ©pĂ©tition augmentative) et l’amplification (effet d’accumulation). En revanche, l’hyperbole et l’apostrophe devront rester discrĂštes. Le plus grand soin devra ĂȘtre apportĂ© Ă  la composition, pour assurer l’unitĂ© d’ensemble[13]. L’auteur du TraitĂ© du Sublime cite, Ă  titre d’exemple, un poĂšme d’amour de Sappho[14], dans lequel il admire l’ordre successif de prĂ©sentation des tourments et des troubles physiques de l’amour :

« Elle est transie de froid et elle brĂ»le, elle s’égare, si bien que ce n’est pas une passion qui se manifeste [en Sappho], mais un concours de passions. Toutes les Ă©preuves de ce genre, les amants les subissent, mais le choix des traits dominants et leur union dans un tableau d’ensemble ont crĂ©Ă© le sublime. »

— TraitĂ© du Sublime, X, 2-3 (traduction de Henri LebĂšgue)[15]

Le sublime tient aussi Ă  la force de l'expression, Ă  l’éclat des images, Ă  la puissance de l'effet dĂ» Ă  la composition, si bien que cette catĂ©gorie esthĂ©tique a pu faire l'objet d'interprĂ©tations divergentes chez les commentateurs depuis la Renaissance, comme Jean-François de La Harpe et Nicolas Boileau. Ce dernier Ă©crit : « Par sublime Longin n'entend pas ce que les orateurs appellent style sublime, mais cet extraordinaire et ce merveilleux qui frappe dans le discours et qui fait qu’un ouvrage Ă©lĂšve, ravit, transporte[16]. »

Parmi les modĂšles proposĂ©s, certains sont attendus, comme HomĂšre, Thucydide, Platon, Euripide et DĂ©mosthĂšne, et d'autres trĂšs inhabituels pour cette Ă©poque, comme la GenĂšse. Les orateurs attiques, Lysias, HypĂ©ride ou Isocrate, sont jugĂ©s d’une correction mĂ©diocre, d’un style trop lisse et policĂ©, avec des liens syntaxiques trop apparents. Pour un Grec de l'Ă©poque, l’auteur du traitĂ© est d'ailleurs dĂ©nuĂ© de prĂ©jugĂ© national, et compare CicĂ©ron et DĂ©mosthĂšne en dĂ©gageant impartialement leurs qualitĂ©s propres (§ 12) ; cependant l’ampleur de la pĂ©riode cicĂ©ronienne est considĂ©rĂ©e comme un vaste incendie, comparĂ©e au phrasĂ© de DĂ©mosthĂšne qui frappe comme la foudre (XXXIV, 4)[15]. De tels jugements rĂ©vĂšlent l’un des buts de ce petit traitĂ© : il visait Ă  engager une polĂ©mique contre un certain Cecilius qui avait platement parlĂ© de ce sujet, et contre le courant atticiste annonçant Denys d'Halicarnasse[15].

Postérité du Traité

RedĂ©couvert Ă  partir de sa premiĂšre impression par Robortello, le TraitĂ© du sublime fut trĂšs estimĂ© Ă  partir de la Renaissance. L’humaniste Isaac Casaubon le considĂ©rait comme « un petit livre d’or »[13].

La littérature baroque ayant rouvert le débat sur le sublime, le Traité devient au XVIIe siÚcle d'une actualité brûlante, et Nicolas Boileau en publia en 1674 une traduction qui contribua à inscrire le Traité dans l'histoire de la critique littéraire. Le Traité jouira d'un large succÚs jusqu'au XIXe siÚcle, et continue de nourrir la pensée européenne jusqu'à nos jours (voir Thomas Weiskel, Harold Bloom, Laura Quinney...)

Pascal Quignard fait du Pseudo-Longin l'un des fondateurs de la tradition de la rhétorique spéculative : « Du Sublime est encore un recueil d'icÎnes, rassemblant les « cimes » du logos : Le sublime (hypsos) est la cime la plus haute (akrotÚs) du logos »[17].

Bibliographie

Éditions de rĂ©fĂ©rence
  • (grc + fr) Longin, Du sublime, Ă©d. et trad. par Henri LebĂšgue, Paris, 1939 (Collection des universitĂ©s de France. SĂ©rie grecque).
  • (grc) Dionysio Longino, Libellus De sublimitate, Ă©d. par Donald Andrew Russell, Oxford, 1968 [1964] (Oxford Classical Texts).
  • (fr) Longin, Du sublime, trad. par Jackie Pigeaud, Marseille, 1991 (Petite bibliothĂšque Rivages 21) (ISBN 2-86930-420-X).
Autres Ă©ditions
  • (fr) Longin, TraitĂ© du sublime, trad. par Nicolas Boileau, Paris, 1674 (en ligne ; transcr.) : avec introduction et notes par Francis Goyet, Paris, 1995 (ISBN 2-253-90713-8).
  • (en) Longinus, On the Sublime, trad. par Herbert Lord Havell, Londres, 1890 (en ligne).
Études
  • Pierre Somville, « PoĂ©tique », dans Jacques Brunschwig et Geoffrey Lloyd, Le Savoir grec. Dictionnaire critique, Paris, Flammarion, (ISBN 2082103706), p. 486-487. Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article.

Notes et références

  1. Parisinus Graecus 2036.
  2. Édition de Francesco Robortello, Bñle, 1554.
  3. (en) G.M.A. Grube, Longinus : On Great Writing (On the Sublime), New York, The Liberal Arts Press, 1957, chap. XVIII.
  4. Pierre Somville, 1996, p. 486.
  5. D.A. Russell, Longinus : On the Sublime, Londres, Oxford University Press, 1964, chap. XXIII.
  6. Russell, op. cit. chap. XXIV.
  7. Grube, op. cit., chap. XVII.
  8. Dans le Dialogue des orateurs, la discussion rapportée est censée avoir lieu en l'an 78.
  9. Longinus, first century C.E., dans The Norton Anthology of Theory and Criticism, Ed. Vincent B. Leitch, New York, Norton & Co., 2001, pp. 135-154.
  10. Rhys W. Roberts, Longinus on the Sublime, Londres, Carland Publishing, 1987, chap. 19.
  11. Roberts, op. cit., 26.
  12. Jules Humbert et Henri Berguin, Histoire illustrée de la littérature grecque, Didier, 1966, p. 379.
  13. Pierre Somville 1996, p. 486.
  14. Sappho, fragment 2 ; Robert Brasillach, Anthologie de la poésie grecque, Stock+Plus, 1981, p. 127-128.
  15. Pierre Somville 1996, p. 487.
  16. Boileau, Préface de la traduction du Traité du Sublime, 1674.
  17. Pascal Quignard, Rhétorique spéculative, Paris, Gallimard, , 218 p. (ISBN 978-2-07-039420-3), p. 61.

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