Prodigiosine
La prodigiosine est une pyrrole de formule C20H25N3O, rencontrée dans la nature comme la substance rouge que produisent de nombreuses souches de Serratia marcescens[1] - [2], ainsi que d'autres gammaprotéobactéries à Gram négatif telles que Vibrio psychroerythrus et Hahella chejuensis. Elle est responsable de la teinte rose apparaissant dans des dépÎts qui se forment sur la porcelaine, mal entretenue, telle que celle des baignoires, éviers ou cuvettes de toilettes. Elle fait partie de la famille des prodiginines que produisent certaines gammaprotéobactéries à Gram négatif, ainsi que certaines actinobactéries à Gram positif (par exemple Streptomyces coelicolor)[3]. Le nom prodigiosine est dérivé de prodigieux (c'est-à -dire quelque chose de merveilleux).
MĂ©tabolite secondaire
La prodigiosine est un métabolite secondaire de Serratia marcescens. Parce qu'il est facile à détecter, il a été utilisé comme systÚme modÚle pour étudier le métabolisme secondaire. On sait depuis longtemps que la production de prodigiosine est améliorée par une limitation en phosphate. En effet, dans des conditions de faible teneur en phosphate, il a été montré que les souches pigmentées croissent à une vitesse plus élevée que les souches non pigmentées[4].
Fonction religieuse
La capacitĂ© des souches pigmentĂ©es de Serratia marcescens Ă pousser sur du pain a conduit les scientifiques Ă faire de ce phĂ©nomĂšne une explication possible des miracles mĂ©diĂ©vaux de transsubstantiation, dans le contexte desquels le pain eucharistique est converti en Corps du Christ. De tels miracles ont conduit le pape Urbain IV Ă instituer la fĂȘte du Corpus Christi en 1264. Cela faisait suite Ă la cĂ©lĂ©bration d'une messe Ă Bolsena en 1263, dirigĂ©e par un prĂȘtre bohĂ©mien qui avait des doutes concernant la transsubstantiation[3]. Pendant la messe, l'eucharistie semblait saigner et chaque fois que le prĂȘtre essuyait le sang, il en apparaissait davantage. Cet Ă©vĂ©nement est cĂ©lĂ©brĂ© dans une fresque du Palais pontifical de la CitĂ© du Vatican, peinte par RaphaĂ«l[5].
Activité biologique
La prodigiosine a reçu un regain d'intĂ©rĂȘt[3] - [6] du fait de son large Ă©ventail d'activitĂ©s biologiques, telles que des activitĂ©s antipaludiques[7], antifongiques[8], immunosuppressives[9] et antibiotiques[10]. La fonction pour laquelle elle est la plus connue est peut-ĂȘtre sa capacitĂ© Ă dĂ©clencher l'apoptose des cellules cancĂ©reuses malignes. Le mĂ©canisme exact de cette inhibition est trĂšs complexe et n'est pas entiĂšrement Ă©lucidĂ©, mais pourrait impliquer plusieurs processus, y compris l'inhibition de la phosphatase, le clivage par le cuivre de l'ADN double brin, ou la perturbation du gradient de pH par le transport transmembranaire des ions H+ et Clâ[11]. En consĂ©quence, la prodigiosine est une piste mĂ©dicamenteuse et est en phase d'Ă©tude prĂ©clinique pour le traitement du cancer du pancrĂ©as[12]. La prodigiosine s'est rĂ©cemment avĂ©rĂ©e avoir une excellente activitĂ© contre Borrelia burgdorferi en phase stationnaire, l'agent causant la maladie de Lyme[13].
Production
BiosynthĂšse
Transformations chimiques et clusters de gĂšnes pour les voies de biosynthĂšse de la prodiginine[14]. |
Figure 1 : Structure de la prodigiosine 1 mettant en Ă©vidence les anneaux de pyrrole A, B et C. |
La biosynthÚse de la prodigiosine[15] - [16] et des analogues apparentés, les prodiginines[3] - [14], implique le couplage convergent de trois anneaux de type pyrrole (marqués A, B et C sur la figure 1) à partir de L-proline, L- sérine, L-méthionine, pyruvate et 2-octénal[17].
L'anneau A est synthétisé à partir de la L-proline par la voie de la synthase peptidique non ribosomique (NRPS) (figure 2), dans laquelle l'anneau pyrrolidine est oxydé, avec la flavine adénine dinucléotide (FAD+) comme coenzyme pour donner l'anneau pyrrole A. Dans la premiÚre étape, la proline est attachée à une protéine peptidyl porteuse (PCP) appelée pigG par l'action de l'enzyme pigI puis l'enzyme pigA effectue l'oxydation.
L'anneau A est ensuite Ă©tendu via la voie de la polykĂ©tide synthase pour incorporer la L-sĂ©rine dans l'anneau B (figure 3). Le fragment de cycle A est transfĂ©rĂ© de la protĂ©ine porteuse de peptidyle (PCP) Ă la protĂ©ine porteuse d'acyle (ACP) par un domaine cĂ©to-synthase (KS), suivi d'un transfert vers la malonyl-ACP via une condensation de Claisen dĂ©carboxylative catalysĂ©e par l'enzyme pigJ. Ce fragment est alors capable de rĂ©agir avec le carbanion masquĂ© formĂ© Ă partir de la dĂ©carboxylation mĂ©diĂ©e par le phosphate de pyridoxal (PLP) de la L-sĂ©rine, qui se cyclise dans une rĂ©action de dĂ©shydratation pour donner le second cycle pyrrole. Cet intermĂ©diaire est ensuite modifiĂ© par oxydation de l'alcool primaire en aldĂ©hyde, catalysĂ©e par pigM, et mĂ©thylation (qui incorpore un groupe mĂ©thyle de la L-mĂ©thionine sur l'alcool en position 6) catalysĂ©e par pigF et pigN. Cela donne la structure cyclique centrale AB prĂȘte pour d'autres transformations, y compris en tambjamines[18] ainsi qu'en prodiginines.
Le cycle C est formĂ© Ă partir de l'addition dĂ©carboxylative mĂ©diĂ©e par le pyrophosphate de thiamine (TPP) du pyruvate au 2-octĂ©nal, catalysĂ©e par pigD ; pigE convertit ensuite l'intermĂ©diaire en une amine (Ă l'aide d'un acide aminĂ© et de PLP) prĂȘt pour la condensation intramolĂ©culaire ; pigB oxyde l'anneau rĂ©sultant Ă l'aide d'oxygĂšne et de FAD+, donnant le pyrrole.
Enfin, les deux piÚces sont combinées par pigC et son cofacteur adénosine triphosphate (ATP) dans une réaction de déshydratation qui établit un systÚme conjugué sur les trois anneaux et achÚve la synthÚse de la prodigiosine.
Laboratoire
Les détails de la premiÚre synthÚse totale de prodigiosine ont été publiés en 1962, confirmant la structure chimique. Comme pour la biosynthÚse, l'intermédiaire-clé était l'aldéhyde AB illustré à la figure 5[19]. Cet aldéhyde a ensuite été préparé par d'autres méthodes et utilisé pour fabriquer de la prodigiosine et des produits naturels apparentés[16].
Utilisations
Les utilisations pharmaceutiques potentielles de la prodigiosine, ou son utilisation comme teinture, ont conduit à étudier sa production à partir de Serratia marcescens, éventuellement aprÚs modification génétique[20].
Voir aussi
- Obatoclax, un médicament expérimental avec une structure chimique apparentée.
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Prodigiosin » (voir la liste des auteurs).
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