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Pierre Poujade

Pierre Poujade, né le à Saint-Céré (Lot) et mort le à La Bastide-l'Évêque (Aveyron), est un homme politique, responsable syndical et résistant français.

Il a donné son nom au poujadisme, mouvement qui, entre 1953 et 1958, réclame la défense des commerçants et artisans et condamne l'inefficacité du parlementarisme tel que pratiqué sous la IVe République. Le poujadisme peut se définir surtout comme rébellion sectorielle étendue en vision du monde : révolte des petits contre les « gros », le fisc, les notables et nombre d'intellectuels considérés comme ayant perdu contact avec le réel.

Biographie

Avant la Libération

Pierre Poujade est le cadet de sept enfants et doit interrompre ses études au collège Saint-Eugène d'Aurillac, à seize ans, à la suite du décès de son père, architecte et sympathisant maurrassien[1], militant à l'Action française[2]. Après s'être essayé à divers métiers, comme celui d'apprenti typographe, de moniteur d'éducation physique, de docker ou de goudronneur, il milite quelque temps au sein de l'Union populaire des jeunesses françaises, filiale du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, avant de devenir, durant la guerre, chef de compagnie d'un mouvement de jeunesse vichyste, les Compagnons de France[2]. Avec l'invasion de la « zone libre » par les Allemands fin 1942, il décide de rejoindre, via l'Espagne, les Forces françaises libres[2]. Il est incarcéré pendant six mois en Espagne[3]. Engagé dans les Forces aériennes françaises libres à Alger, il rencontre sa future femme Yvette Seva (décédée en 2016), infirmière chargée de ses soins, qu'il épouse en et avec qui il eut cinq enfants[4]. Il rejoint ensuite un camp d'entraînement de la Royal Air Force en Angleterre où il termine la guerre[3].

Après la Libération

À la Libération, il devient représentant en livres religieux, puis s'installe comme libraire-papetier dans sa ville natale de Saint-Céré (d'où son surnom de « papetier de Saint-Céré »)[5]. En 1953, il est élu au conseil municipal de Saint-Céré sous l'étiquette « indépendant ex-RPF »[6]. L'historien Jean-Pierre Rioux note que Poujade continue pendant cette période de manifester un « nationalisme à relent vichyste »[7].

Fondation du mouvement poujadiste

Pierre Poujade accède brutalement à la notoriété en 1953 lorsqu'il prend la tête d'un groupe de commerçants qui s'opposent de manière musclée à un contrôle fiscal prévu le dans cette petite localité du sud-ouest de la France[6]. Les contrôleurs renoncent à leur mission et le mouvement s'étend aux départements voisins. Le « papetier de Saint-Céré », excellent orateur et devenu entre-temps conseiller municipal, accompagne cette révolte fiscale qui marque le début du mouvement poujadiste Au nom des « petits », il dénonce avec véhémence « l'État vampire » et ses « soupiers » (les grands commis qui « vont à la soupe »), les « éminences » et les « apatrides » qui occupent la « maison France »[8]. Jean-Pierre Rioux, dans L'Histoire, no 32, , le décrit comme "un Français moyen acclamé comme un chef ... Inusable ... courageux ... méprisant les élites et les médias ... bon orateur ... vengeur, plébéien et madré, il dépasse Tartarin ... aussi rusé qu'un vieux routier de la politique." Son mouvement est très antiparlementaire[9].

Pierre Birnbaum relève que Pierre Poujade exprime « la thèse future du capitalisme monopoliste d'État qui oppose les seuls monopoles, les « gros bonnets » à tous les petits, à nous autres », ce qui « explique le soutien que Poujade trouve auprès du parti communiste pendant une durée assez longue, jusqu'au », date d'un édito réprobateur de Waldeck Rochet qui, jusqu'alors, le soutenait[10]. Il cultive également des amitiés auprès des radicaux et des gaullistes[7]. À la suite d'un dessin de Victor Weisz (en) dans The Daily Mirror, représentant Adolf Hitler qui lui glisse à l'oreille : « Vas-y petit, pour moi aussi au début, ils rigolaient », et dont L'Express du se fait largement l'écho, il sera couramment qualifié du sobriquet « Poujadolf »[11]. Ses attaques répétées contre l'homme politique d'origine juive Pierre Mendès France, « qui n'a de français que le mot ajouté à son nom », sont sans équivoque. Devant l'ampleur des mobilisations de masse, les communistes, isolés alors sur le plan politique, proposent un Front républicain pour les élections de et dénoncent « l'hitlérien Poujade »[1].

Percée aux législatives de 1956

Son mouvement syndical, l'Union de dĂ©fense des commerçants et artisans (UDCA), connaĂ®t un grand succès dans le contexte dĂ©primĂ© et dĂ©liquescent de la IVe RĂ©publique, ainsi que sa version Ă©lectorale, l'Union et fraternitĂ© française (UFF). Ce qui lui permet d'envoyer 52 dĂ©putĂ©s (2,4 millions de suffrages, soit 11,6 %) Ă  l'AssemblĂ©e nationale lors des Ă©lections lĂ©gislatives de 1956, avec une loi Ă©lectorale qui accorde 70 dĂ©putĂ©s au MRP avec pourtant près de 230 000 voix de moins. Parmi eux se trouve Jean-Marie Le Pen, qui va devenir la figure marquante de l'extrĂŞme droite en France. Les deux hommes se brouillent rapidement. Jean-Marie Le Pen est exclu de l'UFF et Pierre Poujade refuse jusqu'au bout toute affinitĂ©. Le mouvement gagne en popularitĂ© auprès des partisans de l'AlgĂ©rie française et dĂ©passe dès lors le simple stade de la lutte anti-fiscale. Le discours poujadiste se radicalise et la haine des « mĂ©tèques » et des juifs s'y retrouve de plus en plus frĂ©quemment[7].

En janvier 1957, Pierre Poujade se présente personnellement aux élections partielles de la première circonscription de la Seine. Mais, en dépit des moyens mis en œuvre et de la signification que celui-ci entend donner à cette élection, son échec est « écrasant »[12]. Cette défaite aura des conséquences pour l'ensemble du mouvement poujadiste. L'arrivée de la Ve République en 1958 fait rapidement baisser l'influence de Pierre Poujade, bien que Georges Pompidou se l'attache. Il sera ainsi l'un des inspirateurs de la loi Royer ayant pour but de réglementer l'urbanisme commercial et protéger le petit commerce[1].

Il est candidat à deux reprises aux élections européennes : en 1979 sur la liste de Philippe Malaud, puis en 1984 sur une liste socio-professionnelle de l'Union des travailleurs indépendants pour la liberté d'entreprise (UTILE) de Gérard Nicoud[13], mais sans être élu. Il préside l'UDCA jusqu'en 1983, date à laquelle il s'est retiré de la vie politique pour étudier et promouvoir la culture des topinambours, dans l'intention d'en extraire des biocarburants, afin d'apporter l'indépendance énergétique à la France et d'apporter des ressources directes et renouvelables à l'agriculture et à tout le monde rural[14].

Il est nommé membre du Conseil économique et social de 1984 à 1999, par François Mitterrand et membre de la Commission nationale consultative pour les carburants de substitution depuis 1984 et vice-président de la Confédération des syndicats producteurs de plantes alcooligènes (CAIPER). Il est également chargé de mission en Roumanie après la révolution de 1989. Il anima également une association visant à la promotion de la Roumanie, au travers de tournées en France de lycéens roumains présentant des spectacles folkloriques.

En 1994, tandis qu'il fête ses noces d'or avec sa femme, Yvette, il reçoit une lettre de félicitations signée par François Mitterrand, alors président de la République[15].

Bien que généralement classé à la droite voire à l'extrême droite de l'échiquier politique, il a soutenu indifféremment des candidats de gauche comme de droite aux élections présidentielles successives. Il a par ailleurs soutenu à chaque présidentielle le candidat vainqueur (Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand par deux fois et Jacques Chirac), à l'exception de celle de 2002, où il a choisi Jean-Pierre Chevènement, au 1er tour, puis Jacques Chirac plutôt que Jean-Marie Le Pen, au second.

Citations

Citations de Pierre Poujade

  • Dans une interview sur RTL, en mai 1978, lorsque Pierre Poujade prend la tĂŞte d'une liste aux Ă©lections europĂ©ennes : « Nous allons avoir des Ă©lections au Parlement europĂ©en. Les responsabilitĂ©s du Parlement europĂ©en sont extrĂŞmement importantes pour la France en gĂ©nĂ©ral, et pour les classes moyennes en particulier. Il ne faut pas attendre que les partis classiques dĂ©fendent nos intĂ©rĂŞts. Nous n'avons rien Ă  attendre d'eux. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncĂ© la couleur : je prends la tĂŞte d'une liste de dĂ©fense des classes moyennes. Je suis lĂ , je ne suis pas vieux. J'ai certes vieilli, mais ce vieillissement m'a donnĂ© une certaine expĂ©rience. »

Citations sur Pierre Poujade

  • Seule rĂ©action du monde politique Ă  la mort de Pierre Poujade, celle du prĂ©sident du Front national, Jean-Marie Le Pen, dans un communiquĂ© : « Avec lui disparaĂ®t une figure qui fut emblĂ©matique de la lutte des classes moyennes contre le bureaucratisme et le fiscalisme et, plus gĂ©nĂ©ralement, contre la dĂ©cadence française qu'incarnait la IVe RĂ©publique finissante ». InterrogĂ© sur RTL, le leader du Front national a nĂ©anmoins pris ses distances avec le fondateur de l'UDCA : « Le poujadisme et le lepĂ©nisme n'ont rien Ă  voir. Je suis un leader politique. Pierre Poujade Ă©tait un leader syndical. Il a menĂ© une opĂ©ration commando sur la politique qui lui a Ă©tĂ© offerte en quelque sorte par l'opportunitĂ©. En son for intĂ©rieur, il n'Ă©tait pas un homme politique. »
  • « Fort de ses dizaines de milliers de militants ultra mobilisĂ©s et dans le contexte crĂ©pusculaire d'une Quatrième rĂ©publique dĂ©liquescente, Pierre Poujade aurait pu aisĂ©ment — en particulier Ă  l'occasion de l'impressionnant meeting de la Porte de Versailles en — envahir l'ÉlysĂ©e ou le Palais Bourbon… De surcroĂ®t, le simple fait d'avoir donnĂ© son nom Ă  un mouvement politique et de s'ĂŞtre imposĂ© comme une rĂ©fĂ©rence historique indĂ©lĂ©bile constitue, aux yeux des innombrables ministricules incapables de se survivre Ă  eux-mĂŞmes, le crime absolu de lèse-majestĂ©. » in Cedi Infos[16].

Boris Vian dédie ironiquement sa chanson Le Petit Commerce à Pierre Poujade par ces mots d'introduction : « Pour consoler monsieur Poujade : l'histoire d'un artisan qui a réussi ».

Postérité dans le langage courant

Dérivés du nom de Pierre Poujade, les termes de poujadisme ou poujadiste (par extension) sont devenus des qualificatifs péjoratifs, désignant des formes jugées démagogiques de corporatisme. Ils ont pris progressivement un sens proche de celui de « populisme ».

Publications

Pierre Poujade a publié deux ouvrages durant sa vie, et une autobiographie est parue à titre posthume :

  • J'ai choisi le combat, Saint-CĂ©rĂ©, SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale des Ă©ditions et des Publications, 1954 ;
  • Ă€ l'heure de la colère, Albin Michel, 1992, 250 p. (ISBN 2-402-61772-1) ;
  • L'histoire sans masque, Elystis, 2003, 317 p. (ISBN 2-914659-24-5) - son autobiographie.

Notes et références

  1. Philippe Parroy, « 1953 : Poujade, le rebelle contre le fisc », La Nouvelle Revue d'histoire, n° 75 de novembre-décembre 2014, p. 60-62.
  2. Gilles Richard, Histoire des droites en France (1815-2017), Place des Ă©diteurs, (ISBN 978-2-262-07074-8, lire en ligne)
  3. « Qui est M. Pierre Poujade ? », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. « La mort de Pierre Poujade, précurseur d'un nouveau populisme », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. Renaud Dély, « Pierre Poujade ferme sa boutique. », sur Libération, (consulté le ).
  6. Romain Souillac, Le mouvement Poujade, Paris, Presses de Sciences Po, , 416 p., p. 29-67
  7. Jean-Pierre Rioux, Histoire de l’extrême droite en France, Points, , p. 223-224.
  8. « 12 janvier 1956 - Poujade sème la panique - Herodote.net », sur www.herodote.net (consulté le )
  9. « Les Français et la tentation antiparlementaire (1789-1990) », sur www.lhistoire.fr (consulté le )
  10. Pierre Birnbaum, Genèse du populisme : Le peuple et les gros, Paris, Fayard/Pluriel, coll. « Pluriel », , 288 p. (ISBN 978-2-8185-0225-9), p. 95-96.
  11. Annie Collovald, « Histoire d'un mot de passe : le poujadisme. Contribution à une analyse des « ismes » », Genèses, no 3,‎ , p. 112-113 (lire en ligne, consulté le ).
  12. Jean Touchard et Louis Bodin, L'élection partielle de la première circonscription de la Seine, Revue française de science politique, Année 1957, 7-2, pp. 271-312
  13. Ă©mission sur Antenne 2 - 29/05/1984 sur le site de l'INA.
  14. Voir article dans Le Monde du 28 août 2003.
  15. « Poujade...il savait parler », sur ladepeche.fr (consulté le )
  16. Cedi Infos no 20, octobre 2003, .

Voir aussi

Bibliographie

  • Maurice Bardèche (dir.), Le Poujadisme, Les Sept Couleurs, 1956 (n° spĂ©cial de DĂ©fense de l'Occident)
  • Annie Collovad, « Les poujadistes, ou l'Ă©chec en politique », Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome 26, janvier-, p. 113-133, lire en ligne.
  • AndrĂ© Siegfried, De la IIIe Ă  la IVe RĂ©publique, Grasset, Paris, 1956.
  • Roland Barthes, Mythologies, Seuil, Paris, coll. Points, 1957 ; voir les chapitres « Quelques paroles de M. Poujade » (p. 79-82) et « Poujade et les intellectuels » (p. 170-177).
  • Dominique Borne, Petits bourgeois en rĂ©volte ? Le mouvement Poujade, Flammarion, 1977
  • F. Fonvieille-Alquier, Une France poujadiste ? De Poujade Ă  Le Pen et Ă  quelques autres, Paris, Éditions Universitaires, 1984.
  • Thierry Bouclier, Les annĂ©es Poujade - Une histoire du poujadisme (1953-1958), Éditions Remi Perrin, 2006 (ISBN 2913960235)
  • Romain Souillac, Le mouvement Poujade : de la dĂ©fense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), Paris, Presses de Sciences Po, , 415 p. (ISBN 978-2-7246-1006-2, prĂ©sentation en ligne), [prĂ©sentation en ligne].
  • Franck Buleux, Pierre Poujade & l'Union pour la FraternitĂ© française : 1956 : ceux qui firent trembler le Système, Paris, Synthèse Éditions, coll. Cahiers d'Histoire du nationalisme, , 186 p. (ISBN 978-2-36798-072-0)

Liens externes

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