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Peintres du signe

Les Peintres du signe sont des artistes algériens nés dans les années 1930 qui, au début des années 1960, s'inspirent dans leur démarche abstraite des rythmes de l'écriture arabe. L'expression est créée à leur propos par le poète Jean Sénac en 1970. Elle a par la suite été employée de façon plus générale pour des peintres algériens, mais aussi maghrébins ou moyen-orientaux, appartenant aux générations suivantes.

Historique

« Les peintres de la Nahda Â»

Jean SĂ©nac anime durant quelques mois en 1964 Ă  Alger la « Galerie 54 Â» . Il y organise en avril une première exposition collective rĂ©unissant Aksouh, Baya, Benanteur, Bouzid, Guermaz, Khadda, Maisonseul, Maria Manton, Martinez, Nallard et ZĂ©rarti. « Dans cette galerie 54, qui se veut une galerie de recherche et d'essai en contact permanent avec le peuple, nous avons regroupĂ© des artistes de nationalitĂ© algĂ©rienne ou ayant des attaches charnelles avec notre pays Â», Ă©crit-il dans sa prĂ©sentation. « Nous pouvons affirmer, avec Mourad Bourboune, que nos artistes n'exhument pas seulement le visage saccagĂ© de la Mère, mais, dans le plein feu de la Renaissance (La Nahda), façonnent une nouvelle image de l'Homme dont ils scrutent inlassablement le Nouveau Regard Â», conclut-il [1]. Suivront Ă  la Galerie 54 des expositions personnelles de ZĂ©rarti, Martinez, de Maisonseul, Aksouh et Khadda.

Affinant la dĂ©nomination esquissĂ©e dans sa prĂ©sentation, qui lui semble convenir Ă  l'ensemble des tendances diverses de la peinture de l'AlgĂ©rie renaissante, qui puise surtout dans son art berbère millĂ©naire, SĂ©nac, dans sa prĂ©face Ă  ZĂ©rarti, le qualifie de « peintre de l'enracinement, de la Nahda (comme ses amis Benanteur, Khadda, Aksouh, Martinez, Guermaz, Baya ou Racim) Â»[2]. Parmi les « Ă  paraĂ®tre Â» « du mĂŞme auteur Â» placĂ©s en tĂŞte de « Citoyens de beautĂ© Â», recueil publiĂ© en 1967[3], figurera encore le titre « Peintres de la Nahda, essai Â» qui reprend la formule, SĂ©nac songeant alors Ă  rĂ©unir ses prĂ©faces et articles sur les peintres ou Ă  en refondre les analyses en un seul et mĂŞme texte.

« L'École du NoĂ»n Â»

En 1964, dans sa prĂ©face Ă  une exposition de Khadda Ă  Lyon, Jean SĂ©nac souligne combien, en se dĂ©gageant de leur grille première, ses peintures, « lourdes de densitĂ©s agglomĂ©rĂ©es Â», se sont ouvertes Ă  « une Ă©closion de signes Â». « Après s'ĂŞtre enrichi, occidĂ©, des leçons les plus subtiles de la peinture contemporaine, il rĂ©cupère et sublime, avec une graphique arabe, les bruns, les roux, les ocres et les bleus de sa terre, une vision de l'homme en Ă©veil, un univers charnu, irradiĂ© d'espace et de racines Â». « Le Signe, remontant des siècles, des douars reculĂ©s, du chant des meddahs, tĂ©moigne de la permanence au Maghreb de ce qu'on pourrait appeler l'École du NoĂ»n Â»[4].

Cette nouvelle dĂ©nomination que SĂ©nac emploie Ă©galement Ă  propos de Benanteur dans son poème Pour conjurer le chant funèbre, Ă©crit entre 1964 et 1966[5], semble dans son vocabulaire Ă©volutif correspondre de façon plus restreinte aux seules Ĺ“uvres liĂ©es Ă  la recrĂ©ation du « Signe Â». L'une des origines de l'expression est sans doute la parentĂ© qu'il observe entre certains des signes qui transparaissent, plus particulièrement dans leurs dessins, chez les deux peintres et la lettre de l'alphabet arabe dont il reprend le nom.

Dans le Diwân du NoĂ»n qu'il Ă©crit parallèlement et qui sera publiĂ© dans Avant Corps, SĂ©nac revient sur la formule. Ă€ partir du titre d'une peinture, de nouveau, de Khadda « Les Casbahs ne s'assiègent pas Â» (conservĂ©e au MusĂ©e des beaux-arts d'Alger), il Ă©voque ses « beaux dessins oĂą il essaie de « recharner l'arabesque de ses ancĂŞtres Â» comme l'Ă©crivait Berque des illustrations de La Rose et l'Ortie[6]. Benanteur, lui parti du Signe, semble ne vouloir en prĂ©server que la trace, l'aura (...). Khadda engage le NoĂ»n dans son dĂ©passement lyrique, Benanteur le ramène Ă  son point de minutie. Avec eux l'École du NoĂ»n dĂ©bouche sur une mĂ©taphysique (...) C'est en cela que tous les deux sont grands Â»[7].

« Peintres du Signe »

Ă€ l'occasion d'une rĂ©trospective de son Ĺ“uvre graphique au MusĂ©e d'art moderne de la ville de Paris, SĂ©nac publie en un texte sur « Abdallah Benanteur et la peinture algĂ©rienne Â» qui devait ĂŞtre son dernier article d'ensemble sur les peintres algĂ©riens.

« Ce que le peintre maghrĂ©bin d'aujourd'hui voit lorsqu'il interroge son espace et, surmontant les pièges de l'intelligence, dĂ©busque son instinct, c'est, dans la plupart des cas, une vieille musique originelle improvisant vers un futur menacĂ©. L'ombre s'anime d'Ă©criture. Ă€ travers ses poteries, ses tapis, ses bijoux, ses bandeaux de mosquĂ©e ou ses fresques millĂ©naires, une civilisation relève les dĂ©fis cubiste, abstrait, « pop Â»  ou autres. Dire de Benanteur qu'il est algĂ©rien serait oublier que, artiste, il ne peut que ramener Ă  la surface les formes qui fidèlement le peuplent depuis son premier geste, formes qui sont la caractĂ©ristique d'une nation, d'une culture et que rien ne peut aliĂ©ner. (...) Une musique passe oĂą nous reconnaissons la flĂ»te, le luth, la derbouka, et module dans une infinie variĂ©tĂ© de modes, une couleur, un signe, qui ne peuvent ĂŞtre que du Maghreb. Car Benanteur, Khadda, Aksouh, Akmoun, entre autres, au dĂ©tour du nĂ´un qui les hante, sont bien ces peintres du Signe oĂą tout un avenir rĂ©sume le passĂ©. (...) En la renouvelant, ils perpĂ©tuent la tradition la plus enracinĂ©e du signe, un alphabet vital qui est « souvenir de demain Â» Â»[8].

Retouchant en 1971, pour une nouvelle exposition de ZĂ©rarti au Centre Culturel Français d'Alger, un texte qu'il avait Ă©crit sur le peintre en 1968, SĂ©nac y inclut un court paragraphe dans lequel il fait Ă  nouveau allusion aux « peintres du Signe Â», tentant cette fois de mieux caractĂ©riser les orientations de l'ensemble des diffĂ©rentes tendances de la peinture en AlgĂ©rie : « Benanteur, Khadda, Aksouh, Akmoun n'ont cessĂ© de ranimer le Signe, Baya ou Martinez la Magie. Avec Issiakhem, ZĂ©rarti exhume et libère le symbole Â», Ă©crit-il [9].

« Ă‰cole du NoĂ»n Â» et « peintres du Signe Â» : les deux expressions se trouveront associĂ©es, se confondront parfois, et l'on Ă©voquera une « Ă‰cole du Signe Â». C'est cependant la seconde formulation de SĂ©nac, la plus exacte, qui rencontrera les plus larges Ă©chos.

« Aouchem Â»

Denis Martinez et Choukri Mesli animent le groupe Aouchem (Tatouage) qui expose à Alger et Blida en 1967, 1968 et 1971. Rassemblant une dizaine d'artistes, peintres et poètes, il s'oppose aux imageries jugées démagogiques que présente la galerie officielle de l’Union Nationale des Arts plastiques, fondée en 1963 mais dont la plupart des peintres actifs ont été exclus. « Aouchem est né il y a des millénaires, sur les parois d'une grotte du Tassili. Il a poursuivi son existence jusqu'à nos jours, tantôt secrètement, tantôt ouvertement, en fonction des fluctuations de l'Histoire. (...) Nous entendons montrer que, toujours magique, le signe est plus fort que les bombes », déclare leur « Manifeste ».

En dépit des violences,notamment politique qui a voulu depuis l'independance en 1962 une algérie arabo-musulmane epurée de son essence berbère, les traditions plastiques des signes populaires ont réussi à se maintenir dans les gestes qui modèlent et peignent l’argile, tissent la laine, décorent les murs, gravent le bois ou le métal : c’est sur ces survivances qu’« Aouchem » veut s’appuyer.

Les nouveaux peintres du Signe

Sous le titre « Peintres du Signe », une exposition est prĂ©sentĂ©e en Ă  la « FĂŞte de l'HumanitĂ© » de La Courneuve puis en province, rĂ©unissant quelques-uns des premiers « Peintres du Signe Â», les animateurs d'« Aouchem Â» et les artistes de plus jeunes gĂ©nĂ©rations. Se trouvent ainsi prĂ©sentĂ©es, selon l'ordre du catalogue, des Ĺ“uvres de Mesli, Martinez, Baya, Khadda, KoraĂŻchi, Samta Ben Yahia, Silem, Sergoua, Mohand, Yahiaoui et Tibouchi.

Denis Martinez pense cependant que « le qualificatif « Peintres du Signe » est trop général pour caractériser la diversité de notre peinture »[10].

Notes et références

  1. Jean Sénac, Visages d'Algérie, Écrits sur l'art, textes rassemblés par Hamid Nacer-Khodja, préface de Guy Dugas, Paris, Paris-Méditerranée / Alger, EDIF 2000, 2002, p. 164 (ISBN 2-84272-156-X).
  2. Jean Sénac, Visages d'Algérie, p. 199.
  3. Jean Sénac, Citoyens de beauté, Rodez, Subervie, 1967.
  4. Jean Sénac, Visages d'Algérie, p. 180.
  5. Jean Sénac, Citoyens de beauté, p.45.
  6. Jean Sénac, La Rose et l'ortie, avec une couverture et 10 ardoises gravées de Mohammed Khadda, Paris-Alger, Cahiers du monde intérieur, Rhumbs, 1964
  7. Jean Sénac, Avant-Corps, précédé de Poèmes iliaques et suivi du Diwan du Noûn, Paris, Gallimard, 1968, p. 119-120; Visages d'Algérie, p. 191.
  8. Jean Sénac, Visages d'Algérie, p. 189-191
  9. Jean Sénac, Visages d'Algérie, p. 201
  10. Nourredine Saadi, Denis Martinez, peintre algérien, Alger, Barzakh et Manosque, Le bec en l'air, 2003, p. 104.

Bibliographie

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  • Mohammed Khadda, ÉlĂ©ments pour un art nouveau, SNED, Alger, 1972. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Mohammed Khadda, Feuillets Ă©pars liĂ©s, SNED, Alger, 1983. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • AlgĂ©rie, Expressions multiples : Baya, Issiakhem, Khadda, (prĂ©faces de Jean PĂ©lĂ©gri, Benamar Mediene et Michel-Georges Bernard), Cahiers de l’ADEIAO n°5, Paris, 1987 (ISBN 290626704X) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Signes et dĂ©sert : Baya, Larbi, Silem, Koraichi, Martinez, Mesli, (prĂ©faces de Silem, Christiane Achour, Rachid Boudjedra, Malika Bouabdellah, Michel-Georges Bernard et Françoise Liassine), Ipso, Bruxelles, 1989. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Peintres du Signe, (textes de Pierre Gaudibert, Nourredine Saadi, Michel-Georges Bernard et Nicole de Pontcharra), FĂŞte de l’HumanitĂ©, La Courneuve, (exposition itinĂ©rante). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Kamel Yahiaoui, Conversation avec le vent, (prĂ©faces de Benmohamed, Michel-Georges Bernard, Nabile Farès, Nicole de Pontcharra, Nourredine Saadi, Hamid Tibouchi et Fatma Zohra Zamoum », Éditions Artcom, Paris, 1999 Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article (ISBN 2912741513). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Baya, (prĂ©faces de Lucette Albaret, Michel-Georges Bernard et François Pouillon), Cahiers de l’ADEIAO n° 16, Paris, 2000 (ISBN 2906267163). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • AlgĂ©rie, Lumières du Sud : Khadda, Guermaz, Aksouh, (prĂ©faces de Lucette Albaret, Pierre Rey et Michel-Georges Bernard), Cahiers de l’ADEIAO n° 20, Paris, 2002 (ISBN 290626721X). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Jean SĂ©nac, Visages d’AlgĂ©rie, Regards sur l’art, (textes rĂ©unis par Hamid Nacer-Khodja), EDIF 2000, Alger, et Paris-MĂ©diterranĂ©e, Paris, 2002 (ISBN 284272156X). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Le XXe siècle dans l’art algĂ©rien, (textes de Ramon Tio Bellido, Malika Dorbani Bouabdellah, Dalila Mahammad Orfali et Fatma Zohra Zamoum), Château BorĂ©ly, Marseille / Orangerie du SĂ©nat, Paris, avril- (ISBN 2950676812). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Baya, (prĂ©faces de Michèle Moutashar, Edmonde Charles-Roux, Michel-Georges Bernard et Lucette Albaret), MusĂ©e RĂ©attu, Arles, 2003. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Michel-Georges Bernard, Khadda, Enag Éditions, Alger, 2002. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Khadda, (prĂ©face de Michel-Georges Bernard), UNESCO, DjazaĂŻr, Une annĂ©e de l’AlgĂ©rie en France, Paris, 2003. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Nourredine Saadi, Martinez, peintre algĂ©rien, Éditions Barzach, Alger et Le bec en l’air, Manosque, 2003. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Françoise Liassine, Mesli, Enag Éditions, Alger, 2002.
  • Tibouchi, (prĂ©face de Michel-Georges Bernard), Cahiers de l’ADEIAO n° 17, Paris, 2000 (ISBN 290626718X). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Signes d'AlgĂ©rie, Les MĂ©diterranĂ©es, Arearevue, n° 5, Paris, 2003.
  • Michel-Georges Bernard, Aksouh, Paris, Lelivredart, 2010 (ISBN 978-2-35532-097-2) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article

Voir aussi

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