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PĂ©ril jaune

Le pĂ©ril jaune est dĂ©fini Ă  la fin du XIXe siĂšcle comme le danger que les peuples d’Asie surpassent les Blancs et gouvernent le monde[1].

alternative textuelle
« La terreur jaune dans toute sa gloire ».

DĂ©signant dans un premier temps le pĂ©ril chinois, l’expression est employĂ©e au tournant du XIXe siĂšcle pour stigmatiser le Japon lors du conflit qui l'oppose Ă  la Russie en 1904-1905. Traduction de l'allemand Gelbe Gefahr, l'expression s'impose en France en 1895 aprĂšs la publication, dans Le Monde illustrĂ©, d'un article relatif Ă  une reproduction d'un dessin allĂ©gorique du peintre allemand Hermann Knackfuss, Die Gelbe Gefahr[2].

Rhétorique du péril jaune

Le PĂ©ril jaune, estampe d'aprĂšs un tableau d'Hermann Knackfuss.
The Yellow Menace (1916), un serial de 1916 dans lequel des méchants asiatiques menacent l'héroïne[3].

L'idĂ©e de pĂ©ril jaune naĂźt en 1895, Ă©poque marquĂ©e par la popularitĂ© du darwinisme social et de la raciologie[4]. « On craint que les Japonais fusionnent avec les Chinois, les modernisent, en fassent des "citoyens" et ne deviennent ainsi la premiĂšre puissance du monde. C’est ce qu’on appelle le PĂ©ril jaune dont nous dĂ©montrerons la puĂ©rilitĂ© », Ă©crit ainsi en 1904 Austin de Croze[5]. Celui-ci s'ancre aussi sur la peur de maladies venues de Chine et qui menaceraient l'Occident, lui marquĂ© par l'hygiĂ©nisme[6].

De son cĂŽtĂ©, Jacques Novicow analysa le phĂ©nomĂšne en 1897. Le sociologue, qui entend dĂ©montrer non sans ironie l’infondĂ© des craintes du pĂ©ril jaune, oriente sa dĂ©monstration sur le terrain Ă©conomique plutĂŽt que militaire :

« Le pĂ©ril jaune est signalĂ© de toutes parts. Les Chinois sont quatre cents millions. ThĂ©oriquement, ils peuvent mettre trente millions d’hommes sur pied de guerre. Un beau matin, ils devraient envahir l’Europe, massacrer ses habitants et mettre fin Ă  la civilisation occidentale. Cela paraissait un dogme inattaquable. Mais, on s’est aperçu dans ces derniers temps que les Chinois Ă©prouvent une horreur insurmontable contre le service militaire. Depuis qu’ils se sont laissĂ©s battre par les Japonais, dix fois moins nombreux, les pessimistes ont fait volte-face. Le pĂ©ril jaune n’est plus Ă  craindre sous une forme militaire, du moins pour une pĂ©riode qui peut entrer dans nos prĂ©occupations, le pĂ©ril jaune vient surtout de l’ouvrier chinois qui se contente de cinq sous[7]. »

L’Occident, surtout les États-Unis (Californie) et l’Australie, connaissent alors les premiĂšres vagues d’immigration chinoise. Souvent couplĂ©e Ă  la mĂ©taphore entomologique de la « fourmiliĂšre » asiatique, l’expression serait Ă  l’origine allemande, gelbe Gefahr, attribuĂ©e Ă  Guillaume II qui l’aurait forgĂ©e lors de la tentative du souverain allemand de fĂ©dĂ©rer les nations occidentales ayant des colonies en Asie contre le pĂ©ril de la montĂ©e en puissance de la Chine et du Japon[8]. L'empereur fait rĂ©aliser par le peintre Hermann Knackfuss une gravure intitulĂ©e Nations europĂ©ennes, dĂ©fendez vos biens sacrĂ©s !, qui prĂ©sente des troupes asiatiques dĂ©ferlant sur l'Europe, devant l'archange Michel montrant la situation aux nations occidentales personnifiĂ©es. Il envoie cette image Ă  d'autres dirigeants europĂ©ens, comme le tsar Nicolas II. En , dans son discours au corps expĂ©ditionnaire allemand en partance pour la Chine dans le contexte de la rĂ©volte des Boxers (Chine), il compare les troupes allemandes aux Huns et dĂ©clare souhaiter que « le nom des Allemands acquiĂšre en Chine la mĂȘme rĂ©putation, pour que jamais plus un Chinois n'ose regarder un Allemand de travers ». L'universitaire Jean-Louis Margolin note que, « si pour Guillaume II, la lutte est autant religieuse que raciale, c'est surtout ce dernier Ă©lĂ©ment qui caractĂ©rise les discours du pĂ©ril jaune »[4].

À peu prĂšs Ă  la mĂȘme pĂ©riode, l’expression fait fortune dans les pays anglo-saxons. En 1898, l’écrivain anglais Matthew Phipps Shiel fait paraĂźtre une sĂ©rie de courtes histoires intitulĂ©e The Yellow Danger, dont la trame s’inspire du meurtre de deux missionnaires allemands en Chine en 1897. D’aprĂšs l’interprĂ©tation de Jacques Decornoy, le pĂ©ril jaune est donc une invention des « Blancs impĂ©rialistes et colonialistes »[9] et « s’inscrit dans la continuitĂ© du mythe des Barbares avec lequel il partage l’expression occidentale d’une peur de la dĂ©cadence »[10]

En 1904, un article du New York Times du fait état de la réactivation du phénomÚne. Au tournant du siÚcle, en 1901, l'actualité brûlante concerne plus particuliÚrement « les nations européennes engagées dans les affaires de la Chine ». Le Péril Jaune, publié par Edmond Théry[11], fait de la métaphore de la couleur le « combat des races ».

UltĂ©rieurement, le pĂ©ril jaune vient dĂ©signer le danger que le Japon paraĂźt faire courir aux nations occidentales et colonialistes lors du conflit qui l’oppose Ă  la Russie de 1904 Ă  1905[12]. La rhĂ©torique du pĂ©ril jaune prend Ă  cette Ă©poque un nouveau sens et sert Ă  dĂ©signer le pĂ©ril japonais, ultĂ©rieurement dĂ©clinĂ© en dĂ©nigrement du Japon (annĂ©es 1980-90).

En 1908, Émile Driant entame la publication d'une trilogie Ă  succĂšs, L'Invasion jaune, qui imagine un gĂ©nĂ©ral japonais alliĂ© Ă  la Chine, financĂ© par des juifs amĂ©ricains, envahissant l'Europe continentale par la Russie, alors que le Royaume-Uni reste neutre. Ce thĂšme est repris implicitement dans la bande dessinĂ©e Le Secret de l'Espadon (1946-1948), oĂč un « Empire jaune » conquiert le monde avant d'ĂȘtre dĂ©fait par Blake et Mortimer et des Indiens musulmans[4].

Conflit russo-japonais

La guerre russo-japonaise est la « premiĂšre guerre du XXe siĂšcle » et passionne les opinions nationales de Ă  [13]. Les progrĂšs techniques, le tĂ©lĂ©graphe, l’envoi de correspondants de presse ainsi que la prĂ©sence d’observateurs europĂ©ens permettent une importante « couverture » des « Ă©vĂ©nements » malgrĂ© la censure militaire Ă  laquelle sont parfois confrontĂ©s les journalistes[14]. La rhĂ©torique du « pĂ©ril jaune » est examinĂ©e dans un article de Patrick Beillevaire[15] Ă  travers la maniĂšre dont la presse couvre ce conflit alors que l’opinion française est en grande majoritĂ© favorable Ă  la Russie. « L’anĂ©antissement de la flotte russe dans le dĂ©troit de Tsushima les 27 et allait s’inscrire durablement dans les mĂ©moires de l’Occident. Le temps n’est plus Ă  s’interroger sur « l’aptitude des Japonais Ă  la civilisation occidentale », sur leur capacitĂ© Ă  s’approprier « toute une civilisation longuement Ă©laborĂ©e par des peuples d’une autre race ». DĂ©sormais, il faudra compter avec un nouveau prĂ©tendant au partage de l’Asie ». La rhĂ©torique employĂ©e par les quotidiens Ă  gros tirages de l’époque, Le Matin, Le Temps ou Le SiĂšcle mais Ă©galement Le Petit Parisien et Le Petit Journal qui couvrent le conflit est assez rĂ©vĂ©latrice d’une « myopie » dĂ©noncĂ©e Ă  l’époque par exemple par un Louis Aubert[16]. Le SiĂšcle du rend ainsi compte de l’attaque « surprise » du Japon sur la Russie : « Le Japon, c’est un peuple enfant. Maintenant qu’il a ces jouets-colosses (cuirassĂ©s), il n’est pas assez raisonnable, il n’est pas assez vieux pour ne pas les essayer. Il veut savoir comment on s’en sert. Il est comme le « gosse » Ă  qui on a achetĂ© un chemin de fer : il faut absolument qu’il fasse marcher son chemin de fer ». Puis, le : « Orgueil et goĂ»t de la guerre ont pu ĂȘtre pour quelque chose dans la conduite du Japon. On ne manquera pas de reprĂ©senter les Japonais comme des perturbateurs de l’ordre public et de la paix, qu’ils sont incontestablement, comme des barbares, qu’ils sont restĂ©s, malgrĂ© les emprunts faits Ă  l’Europe civilisĂ©e ».

Le Parisien du commente ainsi les Ă©vĂ©nements : « Le succĂšs des soldats du mikado ferait, en effet, inĂ©vitablement Ă©clater ce qu’on a appelĂ© le pĂ©ril jaune ; d’ailleurs, le rĂŽle de la Chine, qui surveille le conflit sommaire et est prĂȘte Ă  entrer dans la lice, reste Ă©nigmatique et plein de surprises possibles ! Le dĂ©but de la guerre a, d’autre part, nettement prĂ©cisĂ© la mentalitĂ© des deux lutteurs : d’un cĂŽtĂ©, la bonne foi, la loyautĂ©, le dĂ©sir sincĂšre d’éviter l’effusion de sang ; de l’autre la duplicitĂ©, le manque de foi, en mĂȘme temps que la volontĂ© dĂ©terminĂ©e de s’affirmer sur des champs de bataille comme une puissance belliqueuse, avide et conquĂ©rante. La Russie reprĂ©sente pour nous non seulement la race blanche en lutte avec la race jaune, mais l’ñme mĂȘme de la civilisation combattant l’esprit de barbarie ».

En France, les commentaires suscitĂ©s par le conflit russo-japonais sont partagĂ©s entre pro-Russes et pro-Japonais. La ligne de partage entre les deux camps est souvent surprenante, pour le moins Ă©volutive, et va se renversant au fil du dĂ©roulement du conflit. Elle n’est pas sans liens avec la volontĂ© partagĂ©e par les partisans de voir dans ce conflit une expression de la « lutte des races » alors qu’il n’oppose en dĂ©finitive que deux puissances ayant chacune des ambitions sur ou pour la Chine, aprĂšs l’Angleterre, l’Allemagne, la France ou les États-Unis. « Ce vif intĂ©rĂȘt de l’opinion internationale repose essentiellement sur deux spĂ©cificitĂ©s marquantes de cet antagonisme : le cadre mondial de la rivalitĂ© des puissances dans lequel il s’inscrit, d’une part ; et d’autre part, le contexte universel d’hĂ©gĂ©monie raciale qu’il recouvre, autrement dit la confrontation d’un pouvoir « blanc », prĂ©tendu supĂ©rieur, Ă  un pouvoir « jaune » jugĂ© infĂ©rieur. Pour la premiĂšre fois sans doute dans l’Histoire, Occident et Orient, colonisateurs et indigĂšnes, sont donc amenĂ©s Ă  suivre, avec une intensitĂ© vĂ©ritablement partagĂ©e, les pĂ©ripĂ©ties de la guerre » [17].

Alors que le « pĂ©ril jaune » semblait devoir venir de la Chine et ĂȘtre provoquĂ© par un afflux massif de ses « 400 000 000 d’ñmes » ainsi que semble indiquer une statistique de l’époque souvent reprise, ce pĂ©ril vient dĂ©sormais du Japon. De chinois, le pĂ©ril devient japonais, sans pour autant perdre sa « couleur » et certains commentateurs vont jusqu’à souhaiter que la Chine puisse se rĂ©vĂ©ler un rempart contre l’inexorable expansion japonaise. « Lors de la guerre russo-japonaise, le « pĂ©ril jaune » devient un vĂ©ritable topique, et on trouverait peu d’auteurs en sympathie avec la Russie, ou seulement attentistes, qui ne lui aient pas consacrĂ© au moins quelques lignes, quand ce ne sont pas des chapitres entiers »[18].

Le Japon est désormais une grande puissance qui peut avoir des ambitions coloniales, ce qui est vu comme un péril[4].

Deux ouvrages caractéristiques

Deux ouvrages sont le reflet de la façon dont une certaine intelligentsia française et « japonophile » interprÚte la signification historique de cette « premiÚre guerre du XXe siÚcle » qui ne tranchera rien de la lutte opposant les « Blancs » aux « Jaunes » :

  • Austin de Croze, PĂ©ril jaune et Japon, Paris, Comptoir gĂ©nĂ©ral d'Ă©d., , 144 p. (lire en ligne) ;
  • Louis Aubert, Paix japonaise, Paris, A. Colin, , 351 p. (lire en ligne).

Austin de Croze, Le péril jaune et le Japon

Le premier est un petit livre de cent dix pages et deux appendices rassemblant les documents Ă©tayant ce qui se prĂ©sente comme une charge pamphlĂ©taire que l’auteur oppose Ă  « cet engouement latin qui nous porte Ă  nous emballer pour ou contre des choses ou des gens que nous connaissons Ă  peine ». Il est Ă©crit par Austin de Croze, un de ces «braves idĂ©alistes » persuadĂ©s que le Japon faisait la guerre « dans le but unique de faire triompher les idĂ©es de progrĂšs, de justice, de libertĂ©, d’humanitĂ© et de civilisation »[19]. Croze s’y fait l’apĂŽtre du Japon, contre une opinion a priori russophile : « Plus que jamais en France, nous crions : « Vive la Russie !». « Vive la Russie !» parfait. Mais pourquoi ajouter : « À bas le Japon !» alors que le Japon est un des meilleurs disciples de la RĂ©volution française ?» VoilĂ  ce que l’auteur Ă©crit dans l’avant-propos Ă  son Le pĂ©ril jaune et le Japon[20], ouvrage qui paraĂźt en 1904 alors que l’issue du conflit est encore incertaine et que la France a pris parti pour la Russie : « Je parlerai de cet Ă©pouvantail : « le pĂ©ril jaune ». Je parlerai surtout de ce Japon, qui fut l’élĂšve volontaire de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne et dont la civilisation Ă©gale aujourd’hui la nĂŽtre. J’en dirai, non pas les mƓurs simples, pittoresques et charmantes, mais son esprit, sa culture intellectuelle, ses ressources agricoles, industrielles et commerciales, sa situation ouvriĂšre. Alors, opposant la libertĂ© qui rĂšgne au pays du Soleil-Levant au despotisme qui pĂšse sur nos frĂšres de Russie, on pourra conclure que le Japon est, en droit et en fait, une grande et noble puissance mondiale, vis-Ă -vis de nous, la SeptiĂšme Puissance »[21]. Austin de Croze livre son interprĂ©tation des enjeux du conflit, dans son chapitre consacrĂ© Ă  une analyse de la « Japonophobie ». « On a affirmĂ©, dans les milieux inspirĂ©s par la chancellerie russe, que le Japon s’étant aperçu que la paix en ExtrĂȘme-Orient ne lui permettait plus l’émigration de ses sujets et l’écoulement de ses produits, il avait voulu risquer une guerre – avec une chance contre dix, ce qui serait assez hĂ©roĂŻque dĂ©jĂ  ! – le privilĂšge du marchĂ© en ExtrĂȘme-Orient, sa suprĂ©matie en CorĂ©e. Le reproche serait puĂ©ril, s’il n’était odieux. Le Japon en CorĂ©e ? Et pourquoi non ? N’est-il pas en droit de rĂ©pondre : Et vous en Tunisie ? Et vous Ă  Madagascar ? Et vous au Tonkin ? Et les Anglais en Égypte, au Transvaal ? N’est-il pas en droit d’invoquer, pour ce qu’il veut faire de la CorĂ©e une nation indĂ©pendante, civilisĂ©e Ă  la moderne, alliĂ©e et liĂ©e Ă  ses intĂ©rĂȘts, ce que les États-Unis ont fait pour Cuba, ce qu’ils viennent de faire pour Panama ? Oui, mais cela gĂȘne l’appĂ©tit que manifeste l’Europe pour les expansions territoriales, et c’est pourquoi sont russophiles, les nations qui prĂ©tendent au partage de la Chine, et c’est pourquoi la presse anglaise elle-mĂȘme – maintenant que les adversaires sont aux prises et s’affaiblissent mutuellement – met une sourdine Ă  ses vƓux japonophiles !»

Cette prise de position tranche avec les dĂ©clarations des russophiles de l'Ă©poque, colportĂ©es par une presse qui se rĂ©vĂšle parfois outranciĂšre Ă  l’instar du rĂ©sumĂ© d’une confĂ©rence sur le thĂšme du « PĂ©ril jaune » donnĂ©e le par Edmond ThĂ©ry, directeur de L’Économiste europĂ©en et auteur, en 1901, d’un ouvrage Ă©galement intitulĂ© Le PĂ©ril jaune [22]. Austin de Croze lui prĂȘte les propos suivant : « Il est Ă  souhaiter que le Japon soit Ă©crasĂ©, afin de dĂ©goĂ»ter la Chine, Ă  nouveau et Ă  tout jamais, de la civilisation europĂ©enne. Car, si la Chine arrivait Ă  se crĂ©er une armĂ©e et surtout une industrie qui lui soient propres, c’en serait fait de nos armĂ©es et de notre industrie nationale ». Et s’emporte une nouvelle fois contre leur auteur : « VoilĂ  donc ce que les japonophobes osent reprocher au Japon, - sa civilisation, qui finira par tenter la Chine. Ah ! ils ont de singuliers raisonnements les Ă©conomistes. VoilĂ  t-il pas un raisonnement d’usurier, déçu dans son petit commerce ? (
) Mais il faudrait alors avoir la franchise de proclamer qu’il y a des peuples qui n’auront jamais droit Ă  la Science et Ă  la Liberté  »
C’est trĂšs prĂ©cisĂ©ment ce que certains « russophiles » ne se privent pas d’affirmer. En tĂ©moignent selon de Croze « les lignes abominables » d’un Charles Richet[23], prĂ©sident de la SociĂ©tĂ© d’arbitrage entre nations, publiĂ©es le dans la « Revue ». DĂ©sireux de prendre part Ă  la polĂ©mique qui oppose Edmond ThĂ©ry[24] Ă  Jean Finot, ce dernier, comme une partie de la gauche progressiste de l’époque, justifie l’action « rĂ©gĂ©nĂ©ratrice » du Japon en Chine[25], Charles Richet Ă©crit ceci : « Il ne me semble pas qu’il soit possible d’hĂ©siter : la suprĂ©matie de la race blanche est une absolue Ă©vidence. Que cette supĂ©rioritĂ© autorise les blancs Ă  ĂȘtre fourbes, menteurs, pillards, cruels, barbares, vous ne me ferez pas l’injure de m’attribuer cette opinion : je prĂ©tends seulement que les blancs sont supĂ©rieurs aux jaunes, et je vais essayer de le prouver. Et d’abord par un argument ad hominen. Si les admirateurs des Japonais Ă©taient pris au mot et qu’on les invitĂąt Ă  s’allier par lĂ©gitime mariage Ă  une Japonaise, ils feraient la grimace, je m’imagine : et les nobles lords anglais, si rĂ©solument partisans, en diplomatie, d’une alliance avec les sujets du Mikado, verraient sans enthousiasme leurs filles s’éprendre d’un des petits bonshommes ridicules qui se pavanent Ă  Tokyo, fussent-ils pourvus de plusieurs galons. 
 Madame ChrysanthĂšme, si l’on veut ! Mais Mme ChrysanthĂšme n’est qu’un petit animal de luxe, Ă©lĂ©gant et docile Ă  ses heures : une humble, et peut-ĂȘtre jolie mousmĂ© qui, dans le fond de la case, charme les loisirs de l’exil, Ă  cĂŽtĂ© du perroquet et du singe. Ce dĂ©dain, que les hommes de race blanche, quoi qu’ils en disent, ont tous pour les hommes de race jaune, est-il justifiĂ© ? L’histoire est lĂ  pour rĂ©pondre, et les conquĂȘtes de la civilisation, encore que bien rudimentaires, prouvent que la race blanche a tout fait. 
 Ces hommes sont des hommes comme nous : ils sont nos frĂšres, cela est certain, mais nos frĂšres infĂ©rieurs. Et cela n’est pas moins certain. Et maintenant, quelle sera ma conclusion ? Elle est trĂšs simple et peut se rĂ©sumer en un mot : la justice. 
 Mais Ă  ces Ă©trangers, Ă  ces barbares d’une autre race que nous, si nous devons justice, nous ne devons pas davantage ; et, lorsqu’ils prĂ©tendent, eux aussi, comme dans le cas actuel, au rĂŽle dĂ©testable de conquĂ©rant et d’envahisseur, il est permis de leur refuser autre chose que la justice.»

Ces « lignes abominables » donnent la mesure de la violence verbale opposant les dĂ©batteurs comme elles permettent de se forger une idĂ©e assez prĂ©cise de l’état d’esprit et de la rhĂ©torique en vogue Ă  cette Ă©poque.

Louis Aubert, Paix japonaise

Louis Aubert est l’auteur du second ouvrage, Paix japonaise[16]. Son livre se veut un ouvrage d’introduction au Japon mais il est publiĂ© en 1906 : le Japon a vaincu la Russie. Se pose alors la question du sens Ă  donner Ă  cette victoire. La victoire du Japon sur la Russie sonne, selon l’auteur « le glas du vieux Japon », autrement dit la modernisation achevĂ©e du Japon issu de la restauration de Meiji. En 1906, Louis Aubert prĂ©voit que « toutes les ambitions du Japon s’ordonnent autour de l’idĂ©e d’une « “Paix japonaise” de l’ExtrĂȘme-Orient » et prĂ©vient qu’en s’installant sur le continent asiatique, « glorieux et endettĂ© », le Japon se trouve devant une situation grandiose non pas en raison de ce que ce pays vient d’accomplir (la victoire sur la Russie) mais pour les possibilitĂ©s qui s’ouvrent Ă  lui. Ce bouleversement annoncĂ©, « si l’Europe et les États-Unis font son jeu », prĂ©cise l’auteur, ne se fera pas sans sacrifices et il conviendrait que les EuropĂ©ens sachent en prendre la mesure. Voici d’abord comment il Ă©voque les sacrifices que le Japon sera immanquablement Ă  faire. « À cette situation neuve, il faut que s’adaptent les mƓurs d’autrefois, lentement formĂ©es pendant deux siĂšcles et demi dans ces Ăźles sĂ©parĂ©s du monde ». En effet, qu’aura donc produit ce long repli du Japon sur lui-mĂȘme ? « La vie s’était alors condensĂ©e en quelques habitudes simples, tenaces. Comme en vase clos ni contrariĂ©es ni compliquĂ©es par des influences Ă©trangĂšres »[26].

La nouvelle de la chute de Port Arthur sonne le « glas du vieux Japon » car ce pays se trouve de facto dans la situation de devoir assumer son
 ambition coloniale, Ă  savoir rĂ©sume-t-il : « administrer la CorĂ©e », « gĂ©rer la Chine », pourvoir Ă  d’énormes marchĂ©s potentiels et tenir « un rĂŽle de protecteur sur l’Asie orientale et dans le Pacifique ». Cela bien entendu si la Chine, l’Europe et les États-Unis ne s’y opposent pas. L’histoire semble donc Ă©crite et, devant ces bouleversements qui s’annoncent trĂšs concrĂštement aprĂšs la victoire japonaise, Louis Aubert souligne l’imprĂ©paration de l’Europe continentale. Elle n’en a pas suffisamment pris la mesure et a dangereusement ignorĂ© le tremblement que ne manquera de provoquer cette intrusion du Japon sur la « scĂšne internationale » et ses ambitions coloniales. L’invocation du « pĂ©ril jaune » pour conjurer sa cĂ©citĂ© n’y suffira probablement pas. « AussitĂŽt aprĂšs la dĂ©claration de guerre, en Russie naturellement, mais aussi en France, en Belgique, surtout en Allemagne, on invoqua le « pĂ©ril jaune», la lutte des races : Blancs contre Jaunes, civilisĂ©s contre barbares, chrĂ©tiens contre paĂŻens. C’était la philosophie des dessins de Guillaume II : l’archange Michel, glaive levĂ©, menaçant les Jaunes ; c’était aussi la philosophie de ses propos sur les États-Unis d’Europe croisĂ©s contre la Barbarie. AprĂšs Liao-Yang, aprĂšs Moukden, confusĂ©ment on se reprĂ©sente le monde jaune – CorĂ©ens, Siamois, Annamites, Chinois, conduits par le Japon – tombant sur les Blancs ; ce serait une catastrophe soudaine, irrĂ©mĂ©diable, Ă  laquelle il faudrait se rĂ©signer, une digue qui se rompt, un flot jaunĂątre recouvrant d’un coup notre civilisation toute blanche »[27]. Et Louis Aubert de conclure : « Il est curieux que nous continuions de nous reprĂ©senter l’Asie et ses hordes avec les mĂȘmes mots et les mĂȘmes images qu’employaient au XIIIe siĂšcle les contemporains de saint-Louis qui entendirent parler des Mongols ou qui les virent »[28] . L’auteur avance plusieurs facteurs pour expliquer l’ignorance dans laquelle l’Europe est restĂ©e de l’Asie (interruption des communications terrestres, interposition de l’Islam, des Turcs, etc.) « Ainsi sĂ©parĂ©s, les deux mondes pendant des siĂšcles s’ignorĂšrent ; les rapports par mer depuis un demi-siĂšcle, depuis les guerres de 1840 et 1860, n’ont pas suffi pour rendre familiĂšre Ă  l’Europe les choses d’ExtrĂȘme-Orient, pour changer les mots et les images qu’évoque le pĂ©ril jaune »[28].

Le gĂ©ographe affirme que cette cĂ©citĂ© vient de coĂ»ter la dĂ©faite Ă  la Russie et n’aura en rĂ©alitĂ© profitĂ© qu’à « deux puissances qui n’ont jamais partagĂ© les prĂ©jugĂ©s anachroniques de l’Europe sur le pĂ©ril jaune, les États-Unis et l’Angleterre », avant de conclure en invitant l’Europe Ă  se ressaisir : « Je crois qu’en dĂ©pit de l’avantage pris par le Japon sur l’Europe, en dĂ©pit de l’attitude anti-europĂ©enne de la Chine, les EuropĂ©ens ont encore un grand rĂŽle Ă  jouer en ExtrĂȘme-Orient, Ă  condition que c’en soit fini de leurs appĂ©tits de conquĂȘte, de leur mĂ©pris et de leur brutalitĂ© de race supĂ©rieure, et qu’ils se consacrent Ă  une Ɠuvre de paix et de civilisation Ă  peine Ă©bauchĂ©e »[28] .

Limites et postérité

Si en Europe la notion de pĂ©ril jaune n'eut aprĂšs les annĂ©es 1900 guĂšre d'intensitĂ©, du fait de la faiblesse de l'immigration asiatique jusqu'aux annĂ©es 1970, la situation est plus tendue aux États-Unis et dans une moindre mesure au Canada. Dans le premier pays, on compte au dĂ©but du XXe siĂšcle 90 000 Chinois et 24 000 Japonais, qui sont confrontĂ©s Ă  des Ă©meutes raciales (en Californie dans les annĂ©es 1870, Ă  Vancouver en 1907), Ă  une loi d'exclusion des Chinois entre 1882 et 1943, Ă  de stricts quotas d'immigration contre les Asiatiques en 1924 ou encore Ă  la dĂ©naturalisation des soldats asiatiques de la PremiĂšre Guerre mondiale en 1925, qui leur avait Ă©tĂ© accordĂ©e en 1918 et leur sera finalement rendue en 1935. La Seconde Guerre mondiale accroĂźt ce sentiment anti-Japonais aprĂšs l'attaque de Pearl Harbor en 1941, conduisant Ă  l'internement des Nippo-AmĂ©ricains. Ces derniers sont par la suite rĂ©habilitĂ©s, Ă  la suite de protestations d'intellectuels comme Pearl Buck et du patriotisme des troupes du 442e Regimental Combat Team. Quant aux Sino-AmĂ©ricains, ils bĂ©nĂ©ficient du fait que la Chine est alliĂ©e des États-Unis et peuvent s'enrĂŽler dans des rĂ©giments non soumis Ă  la sĂ©grĂ©gation[4].

L'idĂ©e de « pĂ©ril jaune » ne toucha pas tous les Occidentaux. Par exemple, le Français Georges Clemenceau Ă©tait fĂ©ru de culture japonaise ; et beaucoup de libĂ©raux et de socialistes n'adhĂ©raient pas Ă  cette forme de xĂ©nophobie, davantage mobilisĂ©e par les nationalistes. Parmi la population occidentale, certains exemples vont aussi Ă  rebours de cette idĂ©e d'affrontement : durant la Seconde Guerre mondiale, des Nippo-AmĂ©ricains expulsĂ©s de Californie furent ainsi accueillis au Wisconsin ; et durant la rĂ©volte des Boxers, l'artilleur français François Deloin rĂ©dige un Journal d'un soldat français en Chine. 1900-1901, oĂč il fait l'Ă©loge des autochtones. A contrario, de nombreux Asiatiques estiment plutĂŽt Ă  cette pĂ©riode avoir affaire Ă  un pĂ©ril blanc, marquĂ© par le colonialisme, des guerres d'agression et des Ă©changes commerciaux inĂ©gaux, alors que la dĂ©mographie europĂ©enne est plus dynamique. Durant les annĂ©es 1930-1940, le Japon insiste pour sa part sur l'opposition entre Blancs et Jaunes dans sa conquĂȘte de l'Asie orientale, tout en massacrant un certain nombre de Chinois. La dĂ©faite du Japon Ă©teint toutefois cet expansionnisme territorial[4].

Le stĂ©rĂ©otype et la rhĂ©torique ont perdurĂ© tout au long du XXe siĂšcle avec l'arrivĂ©e massive de Vietnamiens depuis l'ex-lndochine et encore au XXIe siĂšcle avec des ouvrages comme La Chine m'inquiĂšte de Jean-Luc Domenach. Toutefois, cette thĂ©matique a surtout visĂ© la Chine (par son poids gĂ©ographique et dĂ©mographique) et le Japon (aprĂšs sa victoire militaire en 1905) mais pas la plupart des petits pays d'Asie du Sud et du Sud-Est, mĂȘme aprĂšs leur indĂ©pendance. La forme que prend ce « pĂ©ril », exagĂ©rant le dĂ©veloppement de ces États en prĂ©tentions impĂ©riales mondiales, varie au fil de l'Ă©volution politique de ces pays : la Chine communiste de Mao Zedong et de nos jours sa super-puissance Ă©conomique, tout comme le Japon dans les annĂ©es 1975-1990 aprĂšs le « miracle Ă©conomique ». Dans la seconde moitiĂ© du siĂšcle, cette rhĂ©torique est aussi reprise contre la CorĂ©e du Nord[4].

En , durant la pandĂ©mie de maladie Ă  coronavirus de 2019-2020, Le Courrier picard publia un Ă©ditorial intitulĂ© « Le pĂ©ril jaune ? ». À la suite de rĂ©actions de la communautĂ© asiatique, le journal a prĂ©sentĂ© des excuses « Ă  tous ceux qui ont pu ĂȘtre sincĂšrement choquĂ©s » en indiquant vouloir « relativiser l’éventuelle panique irrationnelle pouvant se rĂ©pandre aprĂšs l’apparition des premiers cas en France »[29] - [30].

Notes et références

  1. A supposed danger that Asiatic peoples will overwhelm the with, or overrun the world. The Oxford English Dictionnary, second Edition 1989.
  2. Régis Poulet, L'Orient : généalogie d'une illusion, Presses universitaires du septentrion, , p. 53.
  3. (en) Gina Marchetti, Romance and the "yellow Peril" : Race, Sex, and Discursive Strategies in Hollywood Fiction, University of California Press, (lire en ligne), p. 3.
  4. Jean-Louis Margolin, « Les scénarios noirs du péril jaune », hors série Le Monde-La Vie, n°11, « L'histoire de l'Occident. Déclin ou métamorphose ? », 2014, pp. 126-127.
  5. Austin de Croze, Le pĂ©ril jaune et le Japon, Comptoir gĂ©nĂ©ral d’édition, Paris, 1904, p. 23.
  6. ClĂ©ment Fabre, « Qui a peur des Ă©pidĂ©mies chinoises ? », L'Histoire,‎ , p. 22-23 (lire en ligne).
  7. Jacques Novicow, Le pĂ©ril jaune, Éditions V.Giard & E.BriĂšre, Paris, 1897, p. 1.
  8. RĂ©gis Poulet, Le pĂ©ril jaune, La revue des ressources, l’illusion orientale, 2005.Consultable Ă  l'adresse http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article499.
  9. Jacques Decornoy, PĂ©ril jaune, peur blanche, Ă©ditions Grasset 1970. Ancien Ă©lĂšve de l'École nationale d'administration, chef de la rubrique Asie du Sud-Est au journal Le Monde.
  10. RĂ©gis Poulet, op.cit.
  11. Edmond Théry, édition Félix Juven, Paris, 1901, p. 298. Texte en ligne.
  12. Le site Visualizing Cultures propose en ligne une série d'images sur le thÚme du péril jaune.
  13. Anatole France y consacre par exemple de nombreuses des pages de son roman Sur la pierre blanche, Calmann-Levy, Paris, 1905. « Russie, pour sa part, occupa la Mandchourie et ferma la CorĂ©e au commerce du Japon. Le Japon qui, en 1894, avait battu les Chinois sur terre et sur mer, et participĂ©, en 1901, Ă  l'action pacifique des puissances, vit avec une rage froide s'avancer l'ourse vorace et lente. Et tandis que la bĂȘte Ă©norme allongeait indolemment le museau sur la ruche nippone, les abeilles jaunes, armant toutes Ă  la fois leurs ailes et leurs aiguillons, la criblĂšrent de piqĂ»res enflammĂ©es. » Ou cet autre passage faisant allusion au « pĂ©ril jaune ». « Ce que les Russes payent en ce moment dans les mers du Japon et dans les gorges de la Mandchourie, ce n'est pas seulement leur politique avide et brutale en Orient, c'est la politique coloniale de l'Europe tout entiĂšre. Ce qu'ils expient, ce ne sont pas seulement leurs crimes, ce sont les crimes de toute la chrĂ©tientĂ© militaire et commerciale. Je n'entends pas dire par lĂ  qu'il y ait une justice au monde. Mais on voit d'Ă©tranges retours des choses; et la force, seul juge encore des actions humaines, fait parfois des bonds inattendus. Ses brusques Ă©carts rompent un Ă©quilibre qu'on croyait stable. Et ses jeux, qui ne sont jamais sans quelque rĂšgle cachĂ©e, amĂšnent des coups intĂ©ressants. Les Japonais passent le Yalu et battent avec prĂ©cision les Russes en Mandchourie. Leurs marins dĂ©truisent Ă©lĂ©gamment une flotte europĂ©enne. AussitĂŽt nous discernons un danger qui nous menace. S'il existe, qui l'a crĂ©Ă© ? Ce ne sont pas les Japonais qui sont venus chercher les Russes. Ce ne sont pas les Jaunes qui sont venus chercher les Blancs. Nous dĂ©couvrons, Ă  cette heure, le pĂ©ril jaune. Il y a bien des annĂ©es que les Asiatiques connaissent le pĂ©ril blanc ».
  14. « Nos lecteurs savent avec quel soin le Petit Journal s'attache Ă  les renseigner aussi exactement que possible sur les graves Ă©vĂ©nements qui, depuis trois mois, se dĂ©roulent lĂ -bas Ă  8 000 lieues, Ă  l'autre bout du monde. DĂšs le dĂ©but des opĂ©rations russo-japonaises, les lecteurs du Petit Journal ont pu lire dans ses colonnes maintes dĂ©pĂȘches importantes Ă©manant de ses envoyĂ©s spĂ©ciaux et suivre les correspondances d'un vif intĂ©rĂȘt qui sont adressĂ©es par eux. Le Petit Journal a pris toutes ses dispositions pour ne pas s'en rapporter exclusivement aux informations souvent tendancieuses des agences et pour contrĂŽler toutes les nouvelles. Outre ses correspondants particuliers installĂ©s depuis longtemps un peu partout, outre les tĂ©lĂ©grammes de source Ă©trangĂšre qu'il s'est mis en mesure de recevoir, le Petit Journal a, aussitĂŽt que les hostilitĂ©s apparurent inĂ©vitables, envoyĂ© en ExtrĂȘme-Orient plusieurs rĂ©dacteurs spĂ©ciaux aptes, par leur connaissance du thĂ©Ăątre des Ă©vĂ©nements et par des Ă©tudes spĂ©ciales, Ă  suivre les belligĂ©rants et Ă  lui fournir sur les faits dont ils seraient les tĂ©moins des apprĂ©ciations originales et personnelles. Ce sont : Ă  Saint-PĂ©tersbourg, M. Aujar de Buzancy, qui, grĂące Ă  ses relations, reçoit le meilleur accueil dans tous les milieux russes ; au Japon, M. Villetard de LaguĂ©rie, l'Ă©crivain bien connu, qui, dĂ©jĂ , en 1894, suivit les pĂ©ripĂ©ties de la guerre sino-japonaise ; Ă  Vladivostok, M. NoĂ«l ; enfin, en Mandchourie, M. Louis Darnet. Quel que soit l'Ă©vĂ©nement qui se produise sur l'un de ces points ou Ă  proximitĂ©, le Petit Journal est ainsi en mesure d'en rendre compte Ă  ses lecteurs, immĂ©diatement, et de la façon la plus exacte, quand, toutefois, la censure russe ou japonaise ne s'en mĂȘle pas ». Le Petit Journal illustrĂ© du 15 mai 1904, sous le titre « Les Ă©vĂ©nements d'ExtrĂȘme-Orient, l'envoyĂ© spĂ©cial du " Petit Journal " en Mandchourie » accompagnant une illustration reprĂ©sentant Louis Darnet.
  15. Patrick Beillevaire, « L’opinion publique française face Ă  la guerre russo-japonaise », in Cipango, cahiers d’études japonaises, numĂ©ro 9, automne 2000, p. 185-232.
  16. Louis Aubert, Paix Japonaise, Ă©dition Librairie Armand Colin, Paris, 1906.
  17. Olivier Fink, « La guerre russo-japonaise vue par la Gazette de Lausanne », in Cipango, cahiers d’études japonaises, numĂ©ro 9, automne 2000, p. 233-262.
  18. Patrick Beillevaire, ibidem, p. 202.
  19. Charles Pettit, Pays des mousmés, pays de guerre, Paris, Félix Juven, 1905, VII, cité par Patrick Beillevaire, article cité.
  20. Austin de Croze, Le pĂ©ril jaune et le Japon, Comptoir gĂ©nĂ©ral d’édition, Paris, 1904. Austin de Croze Ă©tait le directeur de la revue La Vie Cosmopolite, ancien chargĂ© de mission en ExtrĂȘme-Orient par le MinistĂšre de l’Instruction publique et des Beaux Arts. Le livre est le texte de la confĂ©rence que l’auteur a donnĂ© « le 7 avril dernier, Ă  l’universitĂ© populaire, La CoopĂ©ration des IdĂ©es, sous la prĂ©sidence de l’illustre japonisant LĂ©on de Rosny, directeur de l’École des Hautes-Études, qui pour ouvrir et clĂŽturer cette sĂ©ance, prononça les plus belles et les ardentes paroles Ă  la gloire du Japon ».
  21. Opus citĂ©, p. 10. Un avis sur la seconde de couverture avertit le lecteur. « L’auteur, protestant contre la souscription pour les blessĂ©s russes seulement, affectera la moitiĂ© du produit de la vente de cet ouvrage Ă  la souscription de la Croix-Rouge, pour les blessĂ©s japonais ».
  22. Edmond ThĂ©ry, Le pĂ©ril jaune, Ă©dition FĂ©lix Juven, Paris, 1901. À la fin de cet ouvrage consacrĂ© essentiellement Ă  la Chine, l’auteur conclut en avertissant les nations europĂ©ennes du danger que reprĂ©sente cette fois la montĂ©e en puissance du Japon, devant bientĂŽt figurer un nouveau « pĂ©ril jaune » : « Tous les EuropĂ©ens, qui ont Ă©tudiĂ© sur place les nouveaux Ă©lĂ©ments de la marine et de l’armĂ©e japonaise, sont unanimes Ă  constater que le programme de 1896 a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© avec une Ă©nergie et une prĂ©cision des plus remarquables, et que le Japon est devenu aujourd’hui une puissance de premier ordre, dont les nations europĂ©ennes engagĂ©es dans les affaires de la Chine devront respecter les droits » (p. 298). Voir Ă©galement la mise en garde de FĂ©lix Martin, reprise par Edmond ThĂ©ry, op cit, p. 299 : « De tels moyens de combat entre les mains d’une nation dont nous connaissons les instincts ambitieux et guerriers, ayant une haute idĂ©e de sa valeur et du rĂŽle qu’elle est appelĂ©e Ă  jouer dans le monde, constitueront un danger permanent pour la paix en ExtrĂȘme-Orient. À ce point de vue, le pĂ©ril jaune n’est pas un vain mot ! L’Europe qui, dans un aveuglement inconscient, a contraint le peuple japonais Ă  sortir de son immobilitĂ©, qui lui construit des cuirassĂ©s et lui prĂȘtera demain de l’argent pour les payer, l’Europe n’aura-t-elle pas Ă  se repentir d’avoir favorisĂ© l’éclosion Ă  la vie moderne de ce peuple audacieux ? »
  23. Charles Robert Richet (1850-1935), physiologiste français, prix Nobel en 1913, membre fondateur de la SociĂ©tĂ© française d’eugĂ©nisme.
  24. « Les Japonais veulent aujourd’hui avoir une action prĂ©pondĂ©rante en Chine, non pas pour en tirer un simple profit commercial, mais – disent leurs journaux que les Chinois lisent couramment – pour pĂ©trir et façonner le colosse Ă  leur image, et s’en servir pour rĂ©gĂ©nĂ©rer la race jaune tout entiĂšre et prĂ©parer sa revanche sur la race blanche, toujours mĂ©prisĂ©e et dĂ©testĂ©e par eux », Edmond ThĂ©ry, L’Économiste europĂ©en, 23 dĂ©cembre 1903, citĂ© par Austin de Croze, op.cit, p. 40. Les italiques sont dans le texte.
  25. « Cette guerre, certes, a aussi pour cause des intĂ©rĂȘts, mais elle a aussi une Ăąme de justice. Le Japon a la bonne conscience d’ĂȘtre le redresseur du droit international. Pour nous aussi, la guerre sera une leçon de morale politique. Si nous sommes vainqueurs, comme je l’espĂšre, ce sera par la force de nos institutions libĂ©rales. À elles, plus encore qu’à nos armĂ©es, nous devons la reconnaissance. Le pouvoir absolu est dĂ©fendu communĂ©ment par des arguments d’ordre militaire. Nous constaterons, au contraire, qu’un rĂ©gime de libertĂ© permet seul, en cas de guerre, de rĂ©aliser l’unanimitĂ© de la nation ». Propos rapportĂ©s par Le Figaro du 8 avril 1904 de « M.InouyĂ© TĂ©tsujiro, le savant philosophe de la facultĂ© des Lettres de Tokio », citĂ© par Austin de Croze, op.cit., p. 40.
  26. ididem, p. 6.
  27. ididem, p. 7. Sur « les dessins de Guillaume II », voir Muriel DĂ©trie, Une figure paradoxale du pĂ©ril jaune : le Bouddha, in revue Orients ExtrĂȘmes, Carnets de l’exotisme, l’Harmattan, 1995. Actes du colloque « Relations littĂ©raires avec l’extrĂȘme Orient » du 11 mars 1995.
  28. ibidem, p. 7.
  29. « À propos de notre une du 26 janvier », sur Courrier picard, (consultĂ© le ).
  30. « Le « Courrier picard » s’excuse aprĂšs sa une raciste sur l’« Alerte jaune » », sur L'Obs (consultĂ© le ).

Voir aussi

Sources primaires

Bibliographie

  • (en) Christopher Frayling, The Yellow Peril : Dr Fu Manchu & The Rise of Chinaphobia, Londres, Thames and Hudson, , 360 p. (ISBN 978-0-500-25207-9, prĂ©sentation en ligne).
  • (en) Carter F. Hanson, « 1920's Yellow Peril Science Fiction : Political Appropriations of the Asian Racial « Alien » », Journal of the Fantastic in the Arts, International Association for the Fantastic in the Arts, vol. 6, no 4 (24),‎ , p. 312-329 (JSTOR 43310218).
  • (en-US) M. J. Heale, « Anatomy of a Scare : Yellow Peril Politics in America, 1980–1993 », Journal of American Studies, vol. 43, no 1,‎ , p. 19-47 (DOI 10.1017/S0021875809006033).
  • (en-US) Yuko Kawai, « Stereotyping Asian Americans : The Dialectic of the Model Minority and the Yellow Peril », Howard Journal of Communications, vol. 16, n° 2, 2005, p. 109-130, DOI 10.1080/10646170590948974
  • (en-US) Erika Lee, « The « Yellow Peril » and Asian Exclusion in the Americas », Pacific Historical Review, vol. 76, n° 4, , p. 537-562, DOI 10.1525/phr.2007.76.4.537
  • (en-US) Gina Marchetti, Romance and the « Yellow Peril » : Race, Sex, and Discursive Strategies in Hollywood Fiction, University of California Press, 1994, (ISBN 9780520084957)
  • (en-US) Ruth Mayer, Serial Fu Manchu : The Chinese Supervillain and the Spread of Yellow Peril Ideology, Temple University Press, coll. « Asian American History and Culture Series », , 216 p. (ISBN 978-1-4399-1056-6 et 978-1-43991-055-9, prĂ©sentation en ligne).
  • François PavĂ©, « Le pĂ©ril jaune Ă  la fin du XIXe siĂšcle, fantasme ou inquiĂ©tude lĂ©gitime ? », UniversitĂ© du Maine, Nadine Vivier (dir.), 2011, [lire en ligne].
  • (en-US) Urmila Seshagiri, « Modernity's (Yellow) Perils : Dr. Fu-Manchu and English Race Paranoia », Cultural Critique, University of Minnesota Press, no 62,‎ , p. 162-194 (lire en ligne).

Articles connexes

Liens externes

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