Oxyde mixte de bismuth, de calcium, de cuivre et de strontium
L'oxyde mixte de bismuth, de calcium, de cuivre et de strontium (en anglais, Bismuth strontium calcium copper oxide ou BSCCO, prononcĂ© « bisko ») est un type de cuprate supraconducteur ayant la formule chimique gĂ©nĂ©ralisĂ©e Bi2Sr2Canâ1CunO2n+4+ÎŽ, le composĂ© dĂ©fini par n = 2 Ă©tant le plus Ă©tudiĂ© bien que les composĂ©s pour lesquels n = 1 ou n = 3 aient Ă©galement reçu une attention significative. DĂ©couverte en tant que famille de composĂ©s en 1988[1], la structure BSCCO a Ă©tĂ© le premier supraconducteur Ă haute tempĂ©rature qui ne contenait aucune terre rare. Les cuprates semiconducteurs sont une importante famille de supraconducteurs Ă haute tempĂ©rature partageant une structure pĂ©rovskite bidimensionnelle en couches avec une supraconductivitĂ© se dĂ©roulant dans un plan d'oxyde de cuivre. Les supraconducteurs BSCCO et YBCO sont les plus Ă©tudiĂ©s de cette famille.
On nomme généralement les différents composés BSCCO à l'aide des nombres d'ions métalliques qui les constituent. Ainsi, Bi-2201 est le composé défini par n = 1 de formule Bi2Sr2CuO6+Ύ, Bi-2212 est le composé défini par n = 2 de formule Bi2Sr2CaCu2O8+Ύ et Bi-2223 est le composé défini par n = 3 de formule Bi2Sr2Ca2Cu3O10+Ύ.
La famille BSCCO est analogue Ă une famille de supraconducteurs Ă haute tempĂ©rature au thallium appelĂ©e TBCCO et ayant pour formule gĂ©nĂ©rale Tl2Ba2Canâ1CunO2n+4+ÎŽ ainsi qu'Ă une famille HBCCO au mercure de formule HgBa2Canâ1CunO2n+2+ÎŽ. Il existe un certain nombre d'autres variantes de ces familles supraconductrices. En gĂ©nĂ©ral, leur tempĂ©rature critique, Ă laquelle ils deviennent supraconducteurs, augmente pour les premiers termes puis diminue ; ainsi, la tempĂ©rature critique de Bi-2201 vaut Tc â 33 K, celle de Bi-2212 vaut Tc â 96 K, celle de Bi-2223 vaut Tc â 108 K et celle de Bi-2234 vaut Tc â 104 K. Ce dernier terme est trĂšs difficile Ă synthĂ©tiser.
Fils et bandes
BSCCO a Ă©tĂ© le premier matĂ©riau HTS Ă ĂȘtre utilisĂ© pour fabriquer des fils supraconducteurs pratiques. Tous les HTS ont une longueur de cohĂ©rence extrĂȘmement courte, de l'ordre de 1,6 nm. Cela signifie que les grains d'un fil polycristallin doivent ĂȘtre en trĂšs bon contact (ils doivent ĂȘtre atomiquement lisses). De plus, Ă©tant donnĂ© que la supraconductivitĂ© rĂ©side essentiellement uniquement dans les plans cuivre-oxygĂšne, les grains doivent ĂȘtre alignĂ©s cristallographiquement. Le BSCCO est donc un bon candidat car ses grains peuvent ĂȘtre alignĂ©s soit par fusion ou par dĂ©formation mĂ©canique. La double couche d'oxyde de bismuth n'est que faiblement liĂ©e par les forces de van der Waals. Ainsi, comme le graphite ou le mica, la dĂ©formation fait glisser sur ces plans BiO et les grains ont tendance Ă se dĂ©former en plaques alignĂ©es. De plus, Ă©tant donnĂ© que BSCCO a n = 1, 2 et 3 termes, ceux-ci ont naturellement tendance Ă s'adapter aux limites de grains Ă faible angle, de sorte qu'ils restent en effet atomiquement lisses. Ainsi, les fils HTS de premiĂšre gĂ©nĂ©ration (appelĂ©s 1G) sont fabriquĂ©s depuis de nombreuses annĂ©es par des sociĂ©tĂ©s telles que l'American Superconductor Corporation (AMSC) aux Ătats-Unis et Sumitomo au Japon, bien que AMSC ait maintenant abandonnĂ© le fil BSCCO au profit de fil 2G basĂ© sur YBCO.
Typiquement, les poudres prĂ©curseurs sont emballĂ©es dans un tube en argent, qui est ensuite extrudĂ© en diamĂštre. Ceux-ci sont ensuite reconditionnĂ©s sous forme de tubes multiples dans un tube en argent et Ă nouveau extrudĂ©s en diamĂštre, puis Ă©tirĂ©s davantage et enroulĂ©s en un ruban plat. La derniĂšre Ă©tape assure l'alignement des grains. Les bandes sont ensuite mises Ă rĂ©agir Ă haute tempĂ©rature pour former une bande conductrice multifilamentaire Bi-2223 dense, alignĂ©e cristallographiquement, appropriĂ©e pour enrouler des cĂąbles ou des bobines pour transformateurs, aimants, moteurs et gĂ©nĂ©rateurs[2] - [3]. Une nappe typique de 4 mm de largeur et 0,2 mm d'Ă©paisseur supporte un courant de 200 A Ă 77 K, donnant une densitĂ© de courant critique dans les filaments Bi-2223 de 5 kA/mm2. Cela augmente nettement avec la baisse de la tempĂ©rature, de sorte que de nombreuses applications sont mises en Ćuvre entre 30 et 35 K, mĂȘme si Tc â 108 K.
Pour fabriquer des puces supraconductrices, il a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ© qu'en raison des progrĂšs de la technologie du laser bleu, notamment des diodes monomodes 445, 450 et 405 nm, il pourrait ĂȘtre possible de pousser sĂ©lectivement les atomes de Sr dans le Bi-2223 pour former prĂ©fĂ©rentiellement des matĂ©riaux Ă haute Tc conçus pour les puces informatiques. Si c'est le cas, la configuration pour les fabriquer en vrac peut ĂȘtre trĂšs simple, comme une surface de pastille d'isolant Mott modifiĂ©e avec BSCCO via MOVCD, puis recuite au laser sous oxygĂšne Ă un ensemble trĂšs spĂ©cifique de champs Ă©lectrostatiques, de tempĂ©ratures et de longueurs d'onde sĂ©quentiellement, avec la polarisation alignĂ©e aux joints de grains. Si la variante 2223 est utilisĂ©e, alors Tc peut augmenter considĂ©rablement et ainsi rendre le matĂ©riau appropriĂ© pour un capteur quantique, SQUID et d'autres applications nĂ©cessitant ces paramĂštres. Cette idĂ©e a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©e sur Twitter et un document est en cours de compilation avec de plus amples informations Ă publier vers le 3T 2018 et d'autres discussions sur 4HV.org. L'idĂ©e originale a Ă©tĂ© inspirĂ©e par le seul atome de strontium incandescent assis entre des plaques Ă©lectrostatiques dans le vide, ce qui a d'ailleurs valu Ă un doctorant responsable un prix[4].
Applications
- Conducteurs 1G fabriqués à partir de bandes multifilamentaires Bi-2223, par exemple :
- Projet de supraconducteur Holbrook.
- Test des bandes BSCCO au CERN[5].
DĂ©couverte
Le BSCCO en tant que nouvelle classe de supraconducteurs a été découvert vers 1988 par Hiroshi Maeda et ses collÚgues[1] au National Research Institute for Metals au Japon, bien qu'à l'époque ils n'aient pas pu déterminer sa composition et sa structure précises. Presque immédiatement plusieurs groupes, et notamment Subramanian[6] et al. chez Dupont et Cava[7] et al. chez AT&T Bell Labs, ont identifié Bi-2212. Le terme n = 3 s'est révélé assez difficile à atteindre et n'a été identifié qu'un mois plus tard par Tallon[8] et al. dans un laboratoire de recherche gouvernemental en Nouvelle-Zélande. Il n'y a eu que des améliorations mineures à ces matériaux depuis. Un premier développement clé a consisté à remplacer environ 15 % du bismuth par du plomb, ce qui a considérablement accéléré la formation et la qualité du Bi-2223.
Propriétés
Le BSCCO doit ĂȘtre dopĂ© par un excĂšs d'atomes d'oxygĂšne (Ă©cart Ă la stĆchiomĂ©trie notĂ© ÎŽ dans la formule) afin de pouvoir ĂȘtre supraconducteur. Comme dans tous les supraconducteurs Ă haute tempĂ©rature (HTS), la tempĂ©rature critique Tc est sensible au niveau de dopage exact : la Tc maximale pour Bi-2212 (comme pour la plupart des HTS) est atteinte avec un excĂšs d'environ 0,16 trous par atome de Cu[9] - [10]. C'est ce qu'on appelle le dopage optimal. Les Ă©chantillons avec un dopage infĂ©rieur (et donc basse Tc) sont gĂ©nĂ©ralement dits sous-dopĂ©s, tandis que ceux avec un excĂšs de dopage (Ă basse Tc Ă©galement) sont dits surdopĂ©s. En modifiant la teneur en oxygĂšne, la Tc peut ainsi ĂȘtre modifiĂ©e Ă volontĂ©. Selon de nombreuses mesures, les HTS surdopĂ©s sont de puissants supraconducteurs, mĂȘme si leur Tc est moins optimale, mais les HTS sous-dopĂ©s deviennent extrĂȘmement faibles. L'application d'une pression externe Ă©lĂšve gĂ©nĂ©ralement la Tc dans les Ă©chantillons sous-dopĂ©s Ă des valeurs qui dĂ©passent largement le maximum Ă pression ambiante. Ceci n'est pas entiĂšrement compris, bien qu'un effet secondaire soit que la pression augmente le dopage. Le cas Bi-2223 est plus compliquĂ© car il prĂ©sente trois plans cuivre-oxygĂšne distincts au niveau atomique. Les deux couches externes cuivre-oxygĂšne sont gĂ©nĂ©ralement proches d'un dopage optimal, tandis que la couche interne restante est nettement sous-dopĂ©e. Ainsi, l'application d'une pression sur du Bi-2223 rĂ©sulte en une augmentation de la Tc atteignant un maximum d'environ 123 K en raison de l'optimisation des deux plans extĂ©rieurs. AprĂšs une baisse prolongĂ©e, la Tc remonte ensuite vers 140 K en raison de l'optimisation du plan intĂ©rieur. Un dĂ©fi majeur consiste donc Ă dĂ©terminer comment optimiser simultanĂ©ment toutes les couches de cuivre-oxygĂšne. Les propriĂ©tĂ©s supraconductrices pourraient encore ĂȘtre significativement amĂ©liorĂ©es en utilisant de telles stratĂ©gies.
BSCCO est un supraconducteur de type II (en). Le champ critique supĂ©rieur (en) Hc2 des Ă©chantillons polycristallins Bi-2212 Ă 4,2 K a Ă©tĂ© mesurĂ© Ă 200 ± 25 T, contre 168 ± 26 T pour les Ă©chantillons polycristallins YBCO[11]. En pratique, les HTS sont limitĂ©s par le champ d'irrĂ©versibilitĂ© H*, au-dessus duquel les tourbillons magnĂ©tiques fondent ou se dĂ©couplent. MĂȘme si le BSCCO a un champ critique supĂ©rieur plus Ă©levĂ© que le YBCO, il a un H* beaucoup plus faible (gĂ©nĂ©ralement plus petit d'un facteur 100)[12], limitant ainsi son utilisation pour fabriquer des aimants Ă champ Ă©levĂ©. C'est pour cette raison que les conducteurs de YBCO sont prĂ©fĂ©rĂ©s Ă BSCCO, bien qu'ils soient beaucoup plus difficiles Ă fabriquer.
Références
- (en) H. Maeda, Y. Tanaka, M. Fukutumi et T. Asano, « A New High-Tc Oxide Superconductor without a Rare Earth Element », Jpn. J. Appl. Phys., vol. 27, no 2,â , L209âL210 (DOI 10.1143/JJAP.27.L209, Bibcode 1988JaJAP..27L.209M)
- (en) C. L. Briant, E. L. Hall, K. W. Lay et I. E. Tkaczyk, « Microstructural evolution of the BSCCO-2223 during powder-in-tube processing », J. Mater. Res., vol. 9, no 11,â , p. 2789â2808 (DOI 10.1557/JMR.1994.2789, Bibcode 1994JMatR...9.2789B)
- (en) Timothy P. Beales, Jo Jutson, Luc Le Lay et MichelĂ© Mölgg, « Comparison of the powder-in-tube processing properties of two (Bi2âxPbx)Sr2Ca2Cu3O10+ÎŽ powders », J. Mater. Chem., vol. 7, no 4,â , p. 653â659 (DOI 10.1039/a606896k)
- « Photographed: The Glow from a Single, Hovering Strontium Atom »
- Test des bandes BSCCO au CERN
- M. A. Subramanian, « A new high-temperature superconductor: Bi2Sr3âxCaxCu2O8+y », Science, vol. 239, no 4843,â , p. 1015â1017 (PMID 17815702, DOI 10.1126/science.239.4843.1015, Bibcode 1988Sci...239.1015S)
- R. J. Cava, « Structure and physical properties of single crystals of the 84-K superconductor Bi2.2Sr2Ca0.8Cu2O8+ÎŽ », Physical Review B, vol. 38, no 1,â , p. 893â896 (PMID 9945287, DOI 10.1103/PhysRevB.38.893, Bibcode 1988PhRvB..38..893S)
- J. L. Tallon, « High-Tc superconducting phases in the series Bi2.1(Ca,Sr)n+1CunO2n+4+ÎŽ », Nature, vol. 333, no 6169,â , p. 153â156 (DOI 10.1038/333153a0, Bibcode 1988Natur.333..153T)
- M. R. Presland, « General trends in oxygen stoichiometry effects in Bi and Tl superconductors », Physica C, vol. 176, nos 1â3,â , p. 95 (DOI 10.1016/0921-4534(91)90700-9, Bibcode 1991PhyC..176...95P)
- J. L. Tallon, « Generic Superconducting Phase Behaviour in High-Tc Cuprates: Tc variation with hole concentration in YBa2Cu3O7âÎŽ », Physical Review B, vol. 51, no 18,â , (R)12911â4 (PMID 9978087, DOI 10.1103/PhysRevB.51.12911, Bibcode 1995PhRvB..5112911T)
- (en) A. I. Golovashkin, « Low temperature direct measurements of Hc2 in HTSC using megagauss magnetic fields », Physica C: Superconductivity, vol. 185â189,â , p. 1859â1860 (DOI 10.1016/0921-4534(91)91055-9, Bibcode 1991PhyC..185.1859G)
- (en) K. Togano, « Properties of Pb-doped Bi-Sr-Ca-Cu-O superconductors », Applied Physics Letters, vol. 53, no 14,â , p. 1329â1331 (DOI 10.1063/1.100452, Bibcode 1988ApPhL..53.1329T)