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Nouvelle gestion publique

La nouvelle gestion publique (également appelée nouveau management public, de l'anglais new public management) est un concept né dans les années 1970.

Elle nie — ou en tout cas minimise — toute différence de nature entre gestion publique et gestion privée. En conséquence, elle réclame une approche pragmatique des problèmes et un meilleur partage des rôles entre :

  • le niveau du pilotage (le pouvoir politique qui prend les dĂ©cisions stratĂ©giques et fixe les objectifs) ;
  • le niveau d'exĂ©cution (le pouvoir de l'administration ou du gestionnaire qui prend les dĂ©cisions opĂ©rationnelles).

Ceci afin d'améliorer le rapport coût/efficacité du service grâce à une modernisation accrue et un plus grand pragmatisme de gestion au sein des administrations publiques.

En Europe, selon Denys Lamarzelle[1], la Commission et la réglementation européenne s'efforcent de promouvoir un nouveau cadre et un nouvel esprit de gestion publique basée sur la culture du résultat, même si cette culture se décline différemment à l'intérieur de chaque État.

Questionnement de la gestion publique traditionnelle

L'idée de base de la nouvelle gestion publique est que les formes classiques d'organisation de l'État doivent être profondément repensées pour plusieurs raisons :

  • multiplication des missions de l'État : l'État-providence centralisĂ© serait devenu « obèse et lourd », donc plus suffisamment efficace pour piloter l'administration face Ă  un monde fortement Ă©volutif, de plus en plus diversifiĂ©, et donc complexe ;
  • extension dĂ©mesurĂ©e et mal contrĂ´lĂ©e des moyens :
    • empilement des structures (le « mille-feuille administratif » : en France, superposition de l'Ă©chelon Ă©tatique, rĂ©gional, dĂ©partemental, inter-communal et communal) qui enchevĂŞtre, dilue les responsabilitĂ©s et finalement gĂŞne ou retarde les dĂ©cisions,
    • insuffisante culture de programmation et d'Ă©valuation par les rĂ©sultats : en France, application frĂ©quente de la reconduction des services votĂ©s,
    • difficultĂ© Ă  Ă©quilibrer les dĂ©penses en regard de recettes fluctuantes, quand la conjoncture Ă©conomique gĂ©nĂ©rale se dĂ©grade : impact des crises Ă©conomiques comme en 1973, 1993 ou en 2008,
    • controverse rĂ©currente Ă  propos des avantages/inconvĂ©nients du statut et de la gestion de la fonction publique « Ă  la française »,
    • effets dĂ©sastreux du clientĂ©lisme Ă©lectoral ou de l'Ă©conomie souterraine dans les pays les moins rigoureux, illustrĂ© en particulier par les difficultĂ©s Ă©conomiques et budgĂ©taires de la Grèce ;
  • la mondialisation des Ă©changes commerciaux et financiers : les tendances poussant aux dĂ©règlementations sont susceptibles de dĂ©grader la compĂ©titivitĂ© et l'attractivitĂ© des pays. D'oĂą les pressions adressĂ©es aux États pour rĂ©former leur administration, offrir de meilleures conditions de production et de consommation et attirer/retenir sur leur territoire le capital et la main d'Ĺ“uvre qualifiĂ©e.

Les « nouvelles » orientations de la gestion publique

Les principes de base

La nouvelle gestion publique nie — ou en tout cas minimise — toute différence de nature entre « secteur public/gestion publique » et « secteur privé/gestion privée ».

L'Échelon des clients et usagers

Les citoyens sont considérés comme des consommateurs de services publics pour lesquels l'État doit rendre le meilleur service au moindre coût. La relation et la prestation doivent reposer sur la liberté de choix : Il ne s'agit pas d'imposer directement une prestation standardisée.

Dans la mesure du possible, les usagers se voient attribuer les moyens financiers et informationnels d'acquérir la prestation qu'ils souhaitent.

L'Échelon central

Selon l'expression d'Osborne et Gaebler, les pouvoirs publics doivent « moins se préoccuper de ramer que de tenir le gouvernail ».
En application du principe de subsidiarité, l'État régalien se concentre sur le pilotage de l'action publique. Ses prérogatives doivent se limiter à la fixation des priorités collectives, à la formulation des missions et au ménagement des ressources financières ; l'État n'a plus à s'investir dans les détails de leur réalisation car le niveau de l'exécution est délégué par lui à des entités autonomes.

Ce transfert est censé assurer une exécution plus efficace et/ou plus efficiente (à moindre coût) que la sienne.

L'Échelon des services

Les services administratifs chargés de la réalisation opérationnelle des politiques ont besoin de disposer d'une liberté suffisante dans l'affectation des ressources à leur disposition (dotation budgétaire par enveloppes).

La nouvelle gestion publique prône donc l'application au secteur public de méthodes de gestion issues du secteur privé.

Pour ce faire, il convient :

  • d'introduire dans la gestion des affaires publiques des mĂ©thodes de dĂ©cision et de gestion reposant sur une « approche de marchĂ© », censĂ©e ĂŞtre plus efficace que les approches de programmation ou la planification lorsque celles-ci reposent sur une trop stricte vision « a priori » ou « top-down » ;
  • de renouveler la gestion traditionnelle des processus bureaucratiques, en s'inspirant des techniques d'amĂ©lioration continue telles que l'assurance qualitĂ©, la recherche du zĂ©ro dĂ©faut.

Les formulations

Selon Matthias Finger[2], la nouvelle gestion publique est caractérisée par cinq processus de transformation :

  • distanciation, autonomisation ou dĂ©senchevĂŞtrement de l'administration vis-Ă -vis de la politique traditionnelle ;
  • rapprochement de l'administration vis-Ă -vis du citoyen, qui de ce fait devient Ă©galement client ;
  • dynamisation et de transformation organisationnelle de l'administration ;
  • dĂ©concentration ;
  • orientation plus grande vers les rĂ©sultats.

Pour François-Xavier Merrien[3], la mise en œuvre de la nouvelle gestion publique dans le monde s'est articulée autour des réformes organisationnelles suivantes :

  • crĂ©ation de marchĂ© ou quasi-marchĂ© pour les secteurs autrefois considĂ©rĂ©s comme biens publics ;
  • sĂ©paration entre le dĂ©cideur et l'exĂ©cutant. Le politique fixe les objectifs, les organisations publiques cherchent librement Ă  les atteindre ;
  • dĂ©concentration de l'État, grâce Ă  la crĂ©ation d'agences publiques sous contrat avec l'État ;
  • remplacement des procĂ©dures hiĂ©rarchisĂ©es par des procĂ©dures contractuelles ou semi-contractuelles (fixation d'objectifs, contrats de prestation) ;
  • les agences publiques sont mises en concurrences entre elles ou avec des agences privĂ©es pour la fourniture des services au pouvoir politique central ;
  • les agences sont responsables de leur gestion face Ă  l'État et aux citoyens. Elles sont Ă©valuĂ©es en permanence Ă  l'aide d'indicateurs de gestion ;
  • les employĂ©s des agences cessent d'ĂŞtre des fonctionnaires statutaires. Ils sont Ă©valuĂ©s et rĂ©munĂ©rĂ©s au mĂ©rite plutĂ´t qu'Ă  l'anciennetĂ©. Les mĂ©thodes de gestion de ressources humaines s'inspirent très largement de celles du secteur privĂ© ;
  • les usagers du service public deviennent des clients qui payent un service (par leurs impĂ´ts ou le paiement de droits d'accès). Ils peuvent mettre en concurrence le secteur public et le secteur privĂ© pour la fourniture de certains services.

Mise en Ĺ“uvre

La nouvelle gestion publique a très largement inspiré les réformes de l'État au Royaume-Uni (programme « Next steps » de 1988), en Nouvelle-Zélande ou en Suède.

Les programmes menés dans certains pays ont conduit à la réalisation d'économies, importantes notamment dans la gestion des activités les moins qualifiées : enlèvements des ordures, nettoyage, entretien des bâtiments…

Limites et critiques

La mise en Ĺ“uvre de la nouvelle gestion publique a fourni quelques constats :

Différences entre secteurs public et privé

Des différences fondamentales demeurent entre secteur public et secteur privé[2] :

  • le secteur public, en dĂ©mocratie, pose une fin qui est claire : gouverner par le peuple et pour le peuple. Alors que le secteur privĂ©, pose une autre fin, celle du profit.
  • les missions de service public se dĂ©finissent en termes politiques et non en termes entrepreneuriaux ;
  • le service public parait plus apte Ă  viser l'intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral et le secteur privĂ© des intĂ©rĂŞts d'ordre plus spĂ©cifique ;
  • la responsabilitĂ© d'un service public face au gouvernement ou aux citoyens est diffĂ©rente de la responsabilitĂ© d'un dirigeant d'entreprise face Ă  ses actionnaires qui attendent des profits sans toujours fixer les missions Ă  poursuivre de manière très prĂ©cise ;
  • les services publics ne choisissent pas leur clientèle : tous les citoyens-clients doivent ĂŞtre satisfaits. Alors que les entreprises privĂ©es peuvent sĂ©lectionner — sinon discriminer — certains segments du marchĂ©.

Les résistances et limites

Dans les États ayant des organisations très anciennes, ces organisations ont développé des résistances historiques spécifiques qu'il est difficile de contourner. Par exemple, logiquement, de nombreux pays prévoient un droit différent (le droit public) pour répondre aux besoins spécifiques (intérêt général) de leur administration, dans d'autres, où les syndicats de la fonction publique sont forts, il existe des compromis historiques entre technocrates et fonctionnaires au détriment des intérêts à court terme des grands groupes. Il existe également une forte résistance au changement dans les administrations liée à leur organisation bureaucratique et à leur protection vis-à-vis des appétits marchands (monopoles ou cartels).

Controverses sur les effets obtenus

Le débat reste ouvert concernant la « nouvelle gestion publique » : La pertinence des orientations a été contestée et les applications faites ont soulevé des difficultés, sinon provoqué des effets pervers inattendus : l'application de la nouvelle gestion publique n'a pas eu que des effets bénéfiques — voire certaines fois désastreux — sur la performance de l'administration : les économies ne sont pas toujours au rendez-vous et/ou ont pu être accompagnées d'une dégradation du service rendu[4].

À l'usage, certains effets négatifs inattendus ont pu apparaître et les analystes pointent les éléments suivants :

Au niveau global

  • la capacitĂ© du pouvoir central Ă  coordonner et Ă  planifier l'action publique peut ĂŞtre rĂ©duite au-delĂ  du souhaitable : La conception d'un État minimaliste peut ĂŞtre rapprochĂ©e de celle de l'État-gendarme cher aux Ă©conomistes libĂ©raux et classiques ;
  • l'intention de marchandisation Ă  grande Ă©chelle — voire de dĂ©mantèlement du service public — a Ă©tĂ© prĂŞtĂ©e aux promoteurs de « la nouvelle gestion publique » ;
  • le coĂ»t rĂ©el final du changement (Ă©tudes, coĂ»ts directs et indirects de la rĂ©organisation) se rĂ©vèle parfois ĂŞtre supĂ©rieur aux Ă©conomies gĂ©nĂ©rĂ©es ;
  • l'absence de fiabilitĂ© des indicateurs de pilotage retenus dans le cadre du « nouveau management » peut entraĂ®ner des biais importants : les services ou agences concentrent leurs efforts sur la production des donnĂ©es statistiques attendues au dĂ©triment de l'action concrète et de l'Ă©valuation rĂ©elle des rĂ©sultats. D'oĂą des phĂ©nomènes de rĂ©sistance possible parmi les agents. Un exemple typique en est fourni, en France, par la politique de sĂ©curitĂ© suivie depuis 2002[5] ;
  • l’équitĂ© n'est pas toujours garantie : les inĂ©quitĂ©s de traitement — mĂŞme ciblĂ©es par les rĂ©formes — n'ont pas disparu ;
  • la nouvelle gestion repose sur un prĂ©supposĂ© hautement discutable : l'idĂ©e que les mĂ©canismes de marchĂ© apportent toujours la solution optimale. Les travaux de nombreux Ă©conomistes (comme : Oliver Williamson) montrent que le marchĂ© n'est pas toujours la solution la plus efficiente.

Dans les services ou agences

  • perte d'expertise pour les services sous-traitĂ©s, qui provoque Ă  terme une rĂ©duction de la capacitĂ© d'adaptation de l'organisation (cas de l'informatique par exemple) ;
  • mauvaise mise en Ĺ“uvre organisationnelle constatĂ©e dans certaines administrations, qui renforce la rĂ©sistance au changement du personnel et jette le discrĂ©dit sur les projets de rĂ©organisation ;
  • les agences :
    • deviennent de plus en plus autonomes et ont tendance Ă  Ă©chapper aux directives du pouvoir politique,
    • du fait de leur spĂ©cialisation, sont incapables de faire face aux problèmes nouveaux ou transverses qui dĂ©passent leur mandat (bien que ce problème concerne de façon similaire les administrations centrales),
    • privilĂ©gient leur efficience interne, parfois au dĂ©triment des besoins de la sociĂ©tĂ©.

Inspiration

Selon l'historien Johann Chapoutot, qui l'affirme dans son essai Libres d'obéir[6], le New Public Management prendrait en partie son inspiration dans un ouvrage Das tägliche Brot des management publié en 1978 de Reinhard Höhn, ancien cadre nazi. Il trouverait son origine en Allemagne à l’époque du Troisième Reich[7]. En effet, l’organisation administrative en agences chargées d’une politique publique précise est une invention de Reinhard Höhn, premier adjoint de Reinhard Heydrich, chef du Sicherheitsdienst (SD), service de renseignement de la Schutzstaffel (SS). La création des Anstalten (agences) correspondait à la volonté de réformer l’État, institution jugée trop statique, pour convertir l’Administration au vitalisme national-socialiste : « De même que le NSDAP est moins parti que mouvement, de même l’État « ne doit pas se scléroser, mais demeurer toujours et partout ouvert aux mouvements de la vie » ». Hans Franck va plus loin : « L'État est un moyen en vue d’une fin », répète-t-il à la suite de Adolf Hitler et de Frick. Mais il ajoute : « Il est une agence (anstalt) au service du peuple. » Reinhard Höhn, qui sera après 1945 l’un des pères du Management, « se fait dès les années 1930 le théoricien de cette conception déconcentrée, mobile et ad hoc de l’État, fractionné en agences labiles et souples, aussi dynamiques et actives que l’État était inerte, tout embarrassé de sa compacité statique »[8].

Sources

Bibliographie

  • J. E Lane, New Public Management : An Introduction, Londres, Routledge,

Articles connexes

Documents

  • François-Xavier Merrien, Nouvelle gestion publique : un concept mythique, vol. no 41, coll. « Lien social et Politiques » (lire en ligne [PDF])
  • OCDE, Revue de l’OCDE sur la gestion budgĂ©taire (lire en ligne [PDF])
  • UniversitĂ© de Genève, Nouvelle gestion publique, chances et limites d'une rĂ©forme de l'administration, (lire en ligne [PDF])
  • Denys Lamarzelle, Le management public en Europe, coll. « Europa », (lire en ligne)
  • Laurent BONELLI et Willy Pelletier, L'État dĂ©mantelĂ©. EnquĂŞte sur une contre-rĂ©volution silencieuse, coll. « Cahiers libres, la dĂ©couverte »,
  • Marie-Christine Steckel, La performance publique en France : Un jeu d’influences croisĂ©es entre le national et le local, vol. 6, coll. « Revue Gestion et Finances publiques », , p. 420-423
  • Christophe Favoreu et Marie-Christine Steckel, Le paradoxe du modèle nordique de performance publique : La construction d’un modèle en dĂ©construction, vol. 7, coll. « Revue Gestion et Finances publiques », , p. 517-520
  • L’État dĂ©mantelĂ©, 27 juin 2009 [prĂ©sentation en ligne]

Liens externes

Notes et références

  1. Denys Lamarzelle, « Le management public en Europe » - Europa, 2008
  2. Le New Public Management - reflet et initiateur d'un changement de paradigme dans la gestion des affaires publiques - Matthias Finger - IDHEAP
  3. Lien social et Politiques no 41 - printemps 1999
  4. Rapports de l'Efficency Unit, agence britannique d'Ă©valuation des agences
  5. Jean-Hugues Matelly et Christian Mouhanna, Police : des chiffres et des doutes, Paris, Michalon, 2007
  6. Johann Chapoutot, Libres d'obéir : le management, du nazisme à aujourd'hui, Paris, Gallimard, , 176 p. (ISBN 978-2-07-278924-3)
  7. interview par Antoine Garapon dans l’émission « Esprit de justice : étudier le nazisme pour comprendre le droit », diffusée le 30 octobre 2014 à 15h sur France Culture : http://www.franceculture.fr/emissions/esprit-de-justice/etudier-le-nazisme-pour-comprendre-le-droit
  8. Johann Chapoutot, La loi du sang, penser et agir en nazi, coll. Bibliothèque des histoires, Gallimard 2014.
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