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Notre-Dame de Grâce (icône)

Notre-Dame de Grâce (ou la Vierge de Cambrai) est une petite icône (35,7 × 25,7 cm) italo-byzantine de type éléousa (ou Vierge de Tendresse), réalisée vers 1340, et actuellement conservée à la cathédrale Notre-Dame de Grâce de Cambrai.

Notre-Dame de Grâce
(La Vierge de Cambrai)
Artiste
anonyme
Date
vers 1340
Type
Technique
tempera sur panneau de cèdre
Dimensions (H × L)
35,7 × 25,7 cm
Localisation
Coordonnées
50° 10′ 20″ N, 3° 14′ 00″ E
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L'importance de cette œuvre dépasse également sa valeur esthétique : elle constitue un pont entre la tradition des icônes byzantines et le Quattrocento italien, et a inspiré les artistes flamands du XVe siècle, en devenant notamment un instrument privilégié de l'exaltation de la ferveur religieuse dans le but de collecter des fonds pour la reconquête de Constantinople.

Quand la peinture est amenée en 1450 de Rome à Cambrai, alors dans la partie du Saint-Empire romain germanique dirigée par les ducs de Bourgogne, elle est considérée comme de la main de saint Luc, saint patron des artistes, pour lequel Marie elle-même aurait posé. Elle est en conséquence traitée comme une relique suscitant immédiatement une réelle ferveur. Cette ferveur a été renouvelée au XXe siècle par son association au personnage de Bernadette Soubirous, et aux visions de celle-ci.

Description

La peinture est réalisée à la tempera sur un panneau de cèdre, doublé par un support moderne. Elle mesure 35,7 × 25,7 cm et est dans un bon état de conservation générale, malgré quelques retouches localisées[1]. Elle est considérée par les spécialistes comme une icône éléousa, en raison de la tendresse avec laquelle est figurée la Vierge, qui en fait une sorte de portrait intime mettant en évidence la force du lien qui l'unit à son Enfant. Cette proximité et ce dévouement mutuel de la mère et l'enfant, issus de la tradition byzantine, s'accordent également aux idéaux du Quattrocento[2].

Sur un fond d'or et cadrée à la taille, Marie est vêtue d'une robe bleu foncé aux bordures dorées et rouges, qui lui couvre également les cheveux à la manière d'un voile. Deux rosaces dorées ornent cette robe, sur l'épaule droite et en haut du capuchon. Son front est également ceint d'une coiffe rouge formant bandeau. Par les manches de son manteau bleu dépassent celles d'une robe rouge, également ornée de bordures aux poignets. Ses yeux largement fendus en amande, son nez long et droit, sa bouche petite et son menton court lui confèrent une expression de douce mélancolie[3]. Sa tête, inclinée vers sa gauche, vient se blottir contre la joue et le front de l'Enfant, presque comme dans un baiser. Le jeune garçon, délicatement soutenu par les deux mains aux doigts déliés de sa mère, la droite sous les fesses, la gauche dans le dos, qui la maintient contre son cœur, est représenté comme un vrai bébé, les proportions justifiant les petites dimensions de sa tête. Il est enveloppé d'un drap rouge pâle qui lui laisse libres le bras et la jambe gauches. Quoique tournant les yeux vers le spectateur, il répond par son attitude au soin affectueux de sa mère. De la main gauche, il saisit au niveau du cou la bordure du capuchon de sa mère, alors que la droite, tendue vers le haut, vient lui soutenir le menton en l'effleurant par le dessous. Sa jambe gauche est repliée vers la poitrine de sa mère, tandis que la droite est tendue. Deux nimbes désignant le caractère saint et sacré des personnages entourent les têtes de la Vierge et l'Enfant, quadrillé pour la mère, rayonnant pour le fils[4].

Les initiales « MR, DI, IHS, XRS » portées en rouge sur le fond d'or à côté des deux personnages, renvoient au latin « Mater Dei, Jesu Christus », « Mère de Dieu, Jésus Christ »[1].

L'origine italo-byzantine

Icône de la Vierge éléousa, Venise, milieu du XIVe siècle

L'icône présente encore des caractéristiques typiques des œuvres de dévotion byzantines, notamment le fond d'or, mais aussi la représentation du corps du Christ, dont la forte carrure et la taille bien trop grande pour un nouveau-né font davantage penser à un homme adulte en miniature qu'à un nourrisson réel[2].

L'origine italienne de l'œuvre se traduit en revanche par « le modelé plus subtil des visages, le volume des drapés aux plis doux, les inscriptions latines et le travail élaboré de ciselure des auréoles[5]. » Un certain nombre de détails singuliers récurrents dans les différentes versions italiennes de l'icône indiquent que celles-ci proviennent d'une source unique : essentiellement la proximité des visages des deux personnages et leur étreinte, ainsi que la concentration inhabituelle des traits du visage de l'enfant dans une petite partie de sa tête, donnant l'impression d'un front particulièrement allongé[6].

L'œuvre qui en est à l'origine trouve vraisemblablement sa source en Toscane vers 1300, et a inspiré un très grand nombre de peintures des siècles suivants, tout comme des sculptures florentines des années 1440–1450[6]. La version que constitue la Madone de Cambrai, peut-être de l'école siennoise[7], a à son tour été largement copiée à travers l'Italie : la Vierge de Tarquinia de Filippo Lippi réalisée en 1447 en est un célèbre exemple.

Histoire de l'œuvre

L'arrivée à Cambrai et la légende de l'œuvre

La Vierge de Cambrai est acquise par cardinal Jean Allarmet, qui la lègue à sa mort en 1426 à Rome à son secrétaire Fursy de Bruille, chanoine du chapitre de la cathédrale de Cambrai. De Bruille la rapporte à Cambrai en 1440, la tenant pour une œuvre peinte par saint Luc[8]. À sa mort en 1450, il la lègue à son tour à la cathédrale de Cambrai, où elle est installée en grande pompe dans la Chapelle de la Sainte Trinité le de l'année suivante, l'avant veille de la fête de l'Assomption. Presque immédiatement, elle devient l'objet d'un fervent pèlerinage, traduisant le goût de l'époque pour les images iconiques[9] — son origine légendaire lui donnant de surcroît des vertus miraculeuses[10]. Une confrérie est fondée en 1453 pour les « soins et la vénération » de la relique, qui est, pour la première fois en 1455, portée en procession à travers la ville lors de l'Assomption, le [1].

La légende veut que l’icône ait été secrètement vénérée à Jérusalem pendant les persécutions des chrétiens relatées dans le Nouveau Testament. Elle aurait été offerte à Pulchérie, la fille de l'empereur romain d'Orient Arcadius en 430, et conservée dans une église construite par la sainte à Constantinople, où elle aurait été adorée publiquement au cours des siècles[11].

À Cambrai, l'œuvre attire des milliers de pèlerins, dont les ducs de Bourgogne Philippe le Bon — qui encourage la culte de l'icône en en commandant plusieurs copies après la Chute de Constantinople, dans l'espoir de susciter une réelle ferveur religieuse pour lancer une nouvelle croisade[8] — et Charles le Téméraire, les rois de France François Ier, Louis XI, qui quitte son royaume pour la voir en 1468, 1477 et 1478[12], Henri IV et Louis XIV, ainsi que les empereurs Maximilien Ier et Charles Quint. Fénelon, évêque de Cambrai, célébrait même chaque samedi la messe à son autel[13].

Fortune de l'œuvre dans la peinture flamande du XVe siècle

Les Vierges byzantines, et leurs dérivées italiennes, ont été largement utilisées comme prototypes par les Primitifs flamands à partir des années 1420, notamment par Robert Campin et Jan van Eyck. Il s'agit d'une période où le commerce et le désir de piété et de salut, parfois accompagnés de considérations politiques, ont influencé les commanditaires d'œuvres de dévotion. Parmi les peintres qui ont explicitement adapté la Vierge de Cambrai se trouvent Petrus Christus, à qui ont été commandées en 1454 trois copies distinctes de l'icône[7], Rogier van der Weyden[14], Dieric Bouts[10], ou encore Gerard David, qui s'est d'ailleurs vraisemblablement plus inspiré des versions et variantes de Dieric Bouts, que directement de l'icône de Cambrai[15]. En général, les artistes flamands ont cherché à humaniser l'image à travers des dispositifs tels que le prolongement du bras de l'enfant vers sa mère et la représentation de l'enfant d'une manière plus réaliste.

Une première série de copies est probablement liée à la collecte de fonds de Philippe le Bon pour tenter de reprendre Constantinople, ce qui donnerait à l'icône un intérêt aussi bien politique qu'esthétique[8]. L'évêque de Cambrai de 1439 à 1479 était Jean de Bourgogne, son demi-frère illégitime, et en , le chapitre de la cathédrale a commandé à Hayne de Bruxelles pour la somme de vingt livres douze copies, dont l'une est vraisemblablement actuellement conservée au Nelson-Atkins Museum of Art de Kansas City. Comme sur la version de van der Weyden conservée au Musée des beaux-arts de Houston, celui-ci interprète librement l'original de Cambrai dans un style flamand plus contemporain : les visages de la Vierge sont d'un type d'Europe du nord, et leurs corps plus complets. Dans ces deux adaptations, le regard de la Vierge a été modifié de façon significative : elle regarde maintenant directement l'enfant et non le spectateur vers l'extérieur.

Les trois copies de Petrus Christus (toutes perdues) ont été commandées par Jean, comte d'Étampes, « garde et conseiller de la cathédrale », qui était à la fois le cousin germain par son père de Philippe le Bon (et neveu de l'évêque), et son beau-fils. Les deux séries de copies pourraient avoir été conçues pour être données aux courtisans, soit pour promouvoir les contributions à la collecte de fonds de Philippe, soit comme récompense offerte à ceux qui avaient déjà contribué. Les trois copies coûtent vingt livres flamandes au comte, alors que les douze du chapitre coûtent seulement un livre chacune, ce qui a suscité de nombreuses discussions parmi les spécialistes[16].

Une miniature de Simon Bening réalisée vers 1520, et désormais au Musée des beaux-arts de Gand[17], présente une interprétation du modèle dans un style plus tardif[18]. D'autres copies de différentes périodes, dont certaines appartiennent aux œuvres de commande mentionnées ci-dessus, suivent parfois l'original de façon beaucoup plus exacte[19]. De telles utilisations parallèles de styles sont caractéristiques de cette période : il y avait une industrie considérable pour l'importation en Europe d'icônes à bon marché de l'École crétoise, qui pouvait tout aussi bien fournir en style grec ou latin[20].

Influence et adaptations de la Vierge de Cambrai dans la peinture flamande et hollandaise des XVe siècle et XVIe siècle

La Révolution et son déplacement dans la l'actuelle cathédrale Notre-Dame de Grâce de Cambrai

Notre-Dame de Grâce, sainte patronne du diocèse de Cambrai dans la Cathédrale Notre-Dame de Grâce de Cambrai

La cathédrale gothique de Cambrai ayant été désaffectée au cours de la Révolution française, l'icône mariale resta quelque temps à sa place dans l'édifice avant d'être déménagée avec d'autres oeuvres d'art dans l'église Saint Aubert (Actuelle église Saint Gery). À la suite d'une pétition signée par les paroissiens de l'Eglise St Sépulcre en 1797, l'îcone est alors réinstallée au sein de l'ancienne abbatiale St Sépulcre, avant même qu'elle ne soit consacrée "Cathédrale Notre Dame de Grâce" en 1801[21].Elle est installée dans une armoire-autel située dans une chapelle néo-baroque aménagée à grands frais, et calquée sur celle occidentale de l'ancienne cathédrale. Le , elle est solennellement couronnée par le pape Léon XIII.

Notre-Dame de Grâce et Bernadette Soubirous

Aujourd'hui encore, l'icône Notre-Dame de Grâce continue d'attirer l'attention des fidèles et des touristes, ce qui n'est pas sans rapport avec Bernadette Soubirous, la visionnaire de Lourdes. Celle-ci rejetait à son époque la statue de Joseph-Hugues Fabisch et toutes les autres propositions pour représenter l'image de la « Dame » qui lui était apparue dans la grotte de Massabielle. Mais quand on lui a montré un album contenant des représentations mariales d'époques différentes en lui demandant de désigner celle qui était la plus ressemblante, elle aurait montré une reproduction de l'icône de Cambrai. André Malraux raconte cet épisode à Pablo Picasso[22], qui saisit alors l'occasion, dans le cadre de son dépassement de la perspective « illusionniste » par le cubisme, de s'intéresser plus étroitement à cette icône en particulier, et à l'art des icônes en général. L'anecdote est restée célèbre et s'est également répandue à Cambrai. Le théologien catholique René Laurentin, qui a consacré sa vie à l'étude des apparitions mariales, réduit cependant cette histoire à son noyau vérifiable, à savoir, que Bernadette aurait montré une icône « de la main de saint Luc », et qu'elle aurait accordé à celle-ci, peut-être en raison de sa pieuse humilité, une certaine ressemblance[23].

Pour le 550e anniversaire de l'arrivée de l'icône à Cambrai, une copie d'1,57 m de haut a été installée en 2002 à Lourdes, dans le chœur de l'église sainte Bernadette érigée en face de la grotte aux apparitions[24].

Expositions

L'icône a fait partie de la grande exposition byzantine du Metropolitan Museum of Art de New York en 2004, où elle tenait, selon le rapport du New York Times du , la toute première place[25].

Notes et références

  1. Evans 2004, p. 582
  2. Parshall 2007-2008, p. 18
  3. Destombes 1871, p. 53
  4. Destombes 1871, p. 54
  5. « […] the more subtle modeling of the faces, the volumetric aspect of the draperies with soft folds, the Latin inscriptions, and the elaborate punchwork of the halos correspond to contemporary fourteenth-century Italian aesthetic modes. » Evans 2004, p. 584
  6. Parshall 2007-2008, p. 19
  7. Upton 1989, p. 52
  8. Ainsworth 1998, p. 259
  9. Harbison 1991, p. 159–160
  10. Ainsworth et Christiansen 2009, p. 139
  11. Jean-Emmanuel Drochon, Histoire illustrée des pèlerinages français de la très Sainte Vierge, Paris, Plon, (lire en ligne), p. 83
  12. Evans 2004, p. 582–583
  13. « Attachement sans faille de son arrivée à Cambrai… jusqu'à ce dernier siècle », Doyenné de Cambrai, (consulté le )
  14. Ainsworth 1998, p. 104
  15. Ainsworth 1998, p. 274
  16. Evans 2004, p. 581-586 (catalogue no 350)
  17. Cartel en ligne sur le site Vlaamseprimitieven. Page consultée le 16 janvier 2016.
  18. Evans 2004, p. 587-588 ; voir le no 352
  19. Evans 2004, p. 585
  20. (en) Maria Constantoudaki-Kitromilides, « Taste and the market in Cretan icons in the fifteenth and sixteenth centuries », dans Acheimastou-Potamianou, From Byzantium to El Greco : Greek Frescoes and Icons, Athènes, Byzantine Museum of Arts, , p. 51-52
  21. Société d'émulation de Cambrai, Mémoires de la Société d'Emulation de Cambrai, Tome 31, première partie, Cambrai, Imprimerie de Simon, , 491 p., p. 280
  22. Malraux 1976
  23. Pour une approche détaillée et documentée de ce paragraphe, voir l'étude de Claude Pillet en lien externe. Le consentement de Bernadette se serait limité à la phrase : « Il y a quelque chose, mais ce n’est pas ça, non ce n’est pas ça. »
  24. « De Cambrai à Lourdes », Doyenné de Cambrai, (consulté le )
  25. Kimmelman 2004

Traductions

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Maryan Wynn Ainsworth, Gerard David : Purity of Vision in an Age of Transition, New York, Metropolitan Museum of Art, (ISBN 0-87099-877-3, lire en ligne)
  • (en) Maryan Wynn Ainsworth (dir.) et Keith Christiansen (dir.), From Van Eyck to Bruegel : Early Netherlandish Paintings in the Metropolitan Museum of Art, New York, Metropolitan Museum of Art, , 452 p. (ISBN 978-0-87099-870-6 et 0-87099-870-6, lire en ligne)
  • (en) Cyrille Jean Destombes, Notre Dame de Grace et le culte de la Sainte Vierge à Cambrai et dans le Cambrésis, Cambrai, L. Carion, (lire en ligne)
  • (en) Helen C. Evans (dir.), Byzantium : Faith and Power (1261–1557), New Haven, Metropolitan Museum of Art/Yale University Press, (ISBN 1-58839-114-0, lire en ligne), p. 582-588 (de Maryan W. Ainsworth), catalogue no 359
  • (en) Craig Harbison, The Art of the Northern Renaissance, Londres, Laurence King Publishing, , 176 p. (ISBN 1-78067-027-3)
  • (en) Craig Harbison, Jan van Eyck : The Play of Realism, Londres, Reaktion Books, , 228 p. (ISBN 0-948462-18-3, lire en ligne)
  • (en) Michael Kimmelman, « Decay and Glory : Back to Byzantium (Art review) », The New York Times, New York, (lire en ligne, consulté le )
  • (en) Peter Parshall, « Fra Filippo Lippi and the Image of St. Luke », Simiolus : Netherlands Quarterly for the History of Art, Stichting Nederlandse Kunsthistorische Publicaties, vol. 33, nos 1/2, 2007-2008, p. 14-21 (JSTOR 20355346)
  • (en) Joel Morgan Upton, Petrus Christus : His Place in Fifteenth-Century Flemish Painting, University Park (Pa.)/London, Pennsylvania State University Press, , 130 p. (ISBN 0-271-00672-2, lire en ligne)

Liens externes

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