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Montreur d'ours

Montreur d'ours est le nom d'un métier itinérant autrefois exercé par une personne faisant réaliser publiquement des tours d'adresse par un ours dressé à cet effet. Connu dès le Moyen Âge, originellement pratiqué par les Tziganes, le métier s'est surtout développé en Europe au XIXe siècle à partir des zones montagneuses particulièrement pauvres comme l’Ariège, les Abruzzes en Italie ou certaines régions des Balkans. Le « gyrovaguisme » de ces populations a ouvert la route des futures migrations de masse, notamment italienne et rom. Autrefois fréquents sur les places publiques, les montreurs d'ours ont aujourd'hui pratiquement disparu, en dehors des cirques et des fêtes.

Montreur d'ours
Montreurs d'ours aux États-Unis (vers 1900)

Historique

Le montreur d'ours est associé au Moyen Âge à la catégorie des amuseurs itinérants regroupés sous le nom de « jongleurs ». Reçu dans les cours seigneuriales au même titre que les autres artistes, il est cependant placé bas dans l'échelle sociale[1]. La tradition du dressage des ours est également particulièrement ancrée dans la culture populaire russe. Elle est développée bien avant le XVIIe siècle par les skomorokhs, saltimbanques russes voyageant à travers tout le pays, qui exploitaient l'animal pour des spectacles et le dressaient en fonction du rythme de la musique. Ils véhiculaient également la croyance que l'ours a la capacité de chasser les Domovoï et les forces surnaturelles diaboliques[2].

Dressage de l'ours

Montreur d'ours Ă  Luchon (1895) par Eugène Trutat - Photothèque du Museum de Toulouse

Animal répandu dans toutes les zones de forêts, l'ours a vu son domaine réduit progressivement aux montagnes où il est resté longtemps un grand prédateur redouté et chassé. Les adultes tués, l'ourson était souvent recueilli et élevé par des gens pauvres qui trouvaient quelques revenus en l'exhibant dans les rues. Ainsi s'est créé le métier de montreur d'ours. Le dressage est généralement réalisé par des personnes spécialisées dans cette fonction. L'animal est ensuite vendu au montreur d'ours qui apprend à son tour à travailler avec son nouveau compagnon.

Dressé, l'ours forme avec son montreur un couple indissociable et ils partagent une vie rude, parcourant de grandes distances. Si certains se déplacent à pied sur des durées limitées et de manière solitaire avec leur animal pour seule compagnie, d'autres, comme les Roms dont l'itinérance est le mode de vie, voyagent en groupe, tirant leur roulotte sur les routes.

RĂ©gions d'origine et de migrations

France

Montreur d’ours à Luchon (photographie d’Eugène Trutat)
Montreur d’ours pyrénéen en Angleterre
Groupe de nomades et leurs ours à Saint-Agrève dans les années 1900

Dans les PyrĂ©nĂ©es, le mĂ©tier de montreur d'ours (oursaillè ou orsalhèr en graphie occitane normalisĂ©e) est devenu dans certains endroits comme l'Ariège, une quasi-industrie du fait du faible revenu des habitants. Le village d'ErcĂ© Ă©tait rĂ©putĂ© au XIXe siècle pour son « Ă©cole des ours ». Des montreurs d'ours ariĂ©geois sont ainsi partis jusqu'en AmĂ©rique. La pratique a pu leur ĂŞtre transmise par les migrants originaires des Balkans Ă  l'occasion de leurs pĂ©rĂ©grinations vers l'Espagne[3]. Parmi les quelque 220 montreurs d'ours venus montrer l'ours en AmĂ©rique entre 1874 et 1914, plus de 90 ont exercĂ© leur art au QuĂ©bec[4]. Certains s'y sont installĂ©s dĂ©finitivement. Afin de pouvoir dresser l'animal, les montreurs d'ours tuaient les ourses pour rĂ©cupĂ©rer leurs petits qu'ils nourrissaient au lait et Ă  la farine de maĂŻs afin de leur Ă´ter l'instinct carnassier. Puis, Ă  l'âge adulte, l'ours est ferrĂ© avec un anneau au niveau du museau auquel Ă©tait attachĂ© une chaĂ®ne. Ainsi, l'ours Ă©tait obligĂ© d'obĂ©ir pour ne pas souffrir[5].

Italie

Certaines régions comme les Abruzzes s'étaient spécialisées dans le dressage des animaux destinés aux orsanti. Les montreurs d'ours italiens sont pour la plupart originaires de la province de Parme dans les Apennins du nord. Un musée (Museo degli orsanti) leur est consacré à Compiano. À Bedonia, dans cette même province, un registre paroissial de 1767 porte la mention d'un don offert par deux frères à leur retour de « deux ans [passés] en Allemagne avec un ours et un singe »[6].

Après un an de dressage de l'animal acquis dans les Abruzzes au prix de la vente de leurs quelques biens, les montreurs d'ours partent pour des « campagnes » souvent de deux ans. Traversant les Alpes à pied, ils se dirigent, via la Lombardie et la Vénétie, vers l'Allemagne ou les pays d'Europe orientale, donnant chaque jour leur spectacle sur les places des villes et villages traversés. Ceux qui ne meurent pas dans ces périples rentrent s'installer au pays après plusieurs campagnes ou repartent vers des contrées plus lointaines comme la Russie, la Finlande, la Norvège ou s'embarquent vers les Amériques. C'est de ces montreurs d'animaux que s'est inspiré Hector Malot pour créer le personnage de Vitalis dans Sans famille. Certains furent les précurseurs des circassiens, qui montèrent des compagnies de plusieurs personnes « montrant » toutes sortes d'animaux, plus ou moins exotiques, plus ou moins savants. D'autres, comme la famille Faccini, s'allièrent par mariage aux Roms Kalderash dans la Russie des Tsars. Du voyage isolé à la « compagnie », de l'ours à la ménagerie, du cirque aux chevaux de bois, on trouve même parmi les descendants des orsanti italiens l'un des promoteurs du Luna Park de New-York. Les montreurs d'ours et autres « giramondi » vont ouvrir la route des migrations de masse que connaîtra l'Italie à la fin du XIXe et au début du XXe siècles[7].

Pays balkaniques

Garçon Rom « Ursar », Hongrie.
Famille Ursari en Transylvanie (Gravure, 1869)

Dans les Balkans, le métier a donné son nom à un groupe de Roms, les Ursari. Ceux-ci sont originaires de Roumanie ; dans les autres régions balkaniques on trouve des familles de montreurs d'ours sous d'autres appellations : Meckari en Bulgarie et en Serbie, Arushgjike en Albanie et au Kosovo ou Arkoudhiares en Grèce[8]. Ainsi que les Ayjides en Turquie[9].

Allemagne

Les montreurs d'ours hongrois sont connus depuis l'époque carolingienne en Allemagne où ils sont particulièrement appréciés. En raison de la disparition de l'ours due à la déforestation que connaît le pays au cours du Moyen Âge, les habitants des villes sont fascinés par cet animal parfois inconnu que l'on fait danser sur les places publiques. Tous les montreurs d'ours ne sont alors pas des migrants en quête de moyens de subsistance élémentaires. On les trouve aussi parmi les pèlerins hongrois qui finançaient ainsi leur voyage vers Aix-la-Chapelle[10].

Exhibition sur une place de village (Illustration allemande, 1810)

Exhibitions

Les montreurs d'ours ont progressivement disparu en Roumanie Ă  partir de 2010 mais l'animal reste une attraction touristique[11].

En France, les spectacles des montreurs d’ours sont peu nombreux et ne sont pas Ă  proprement parler des spectacles de cirque, car ils ont la particularitĂ© de se dĂ©rouler la plupart du temps hors chapiteau (fĂŞtes mĂ©diĂ©vales, marchĂ©s de NoĂ«l, certains cirques et les arbres de NoĂ«l des entreprises). Des associations de protection des animaux collectifs dĂ©noncent rĂ©gulièrement ce type d’évènement considĂ©rant cette pratique comme Ă©tant une maltraitance envers l’animal[12]. Parmi les montreurs d’ours en France, FrĂ©dĂ©ric Chesneau, dresseur et propriĂ©taire de l’ours Valentin, est l’un des plus mĂ©diatisĂ©s. Il se dĂ©fend de toute maltraitance envers son ours qui ne fait « pas plus de 50 jours par an » comme lui impose la loi sur les conditions et d’utilisation des animaux[13] vivant durant les spectacles itinĂ©rants[14] - [15]. En mai 2019, une proposition de loi vise l’interdiction de tout spectacle itinĂ©rant ou fixe ayant recours Ă  des ours ou des loups incluant le tĂ©moignage du dresseur Vladimir Deriabkine, dompteur d’ours et la FĂ©dĂ©ration des vĂ©tĂ©rinaires d’Europe compte tenu de l’impossibilitĂ© absolue de rĂ©pondre de façon adĂ©quate Ă  leurs besoins physiologiques, mentaux et sociaux[16]. La loi du 30 novembre 2021 visant Ă  lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes prĂ©voit l’interdiction de ces spectacles dans un dĂ©lai de 2 ans, qui par consĂ©quent devient interdite Ă  partir de 2023[17].

Notes et références

  1. Richard H. Hoppin, Nicolas Meeùs (trad.), La Musique au Moyen Âge, p. 304, Éditions Mardaga, 1991 (ISBN 978-2-87009-352-8) Lire en ligne
  2. Gueorgui Manaïev, « Comment les ours parcouraient-ils autrefois réellement les rues de Russie? », sur Russia Beyond FR, (consulté le )
  3. Michel Praneuf, Peuples des Balkans, p. 175, L'Harmattan, 2010 (ISBN 9782296112018) Lire en ligne
  4. Louise Pagé, Montreurs d'ours de l'Ariège à l'Amérique, 1874-1914, Les Éditions GID, , 243 p. (ISBN 978-2-89634-295-2)
  5. « L'aventure des oursaillers », sur ladepeche.fr (consulté le )
  6. Pierre Milza, Voyage en Ritalie, p. 24, Éditions Payot et Rivages, 2004 (ISBN 978-2-228-89850-8)
  7. Pierre Milza, Voyage en Ritalie, Op. cit., p. 22-27
  8. Michel Praneuf, Peuples des Balkans, Op. cit., p. 230
  9. https://www.romarchive.eu/de/terms/ayjides/
  10. Ernst Schubert, L'étranger dans l'Allemagne médiévale et moderne, dans L'étranger au Moyen Âge, p. 210, Publications de la Sorbonne, 2000 (ISBN 2-85944-407-6) Lire en ligne
  11. Globe Reporters, « Les ours sauvés de Zarnesti », sur Globe Reporters, (consulté le )
  12. « Haute-Savoie : le propriétaire de l'ours Valentin dénonce "une poignée d'extrémistes qui veulent empêcher le spectacle" », sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes (consulté le )
  13. Arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants
  14. « Une pétition en ligne contre le spectacle de montreur d’ours rassemble plus de 66 000 signatures », sur Ouest-France, (consulté le )
  15. « Lusignan : le spectacle de montreur d'ours fait polémique », sur France 3 Nouvelle-Aquitaine (consulté le )
  16. Assemblée nationale, « Proposition de loi n°1969 visant à l’interdiction de tout spectacle itinérant ou fixe ayant recours à des ours ou des loups », sur Assemblée nationale (consulté le )
  17. « Loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes », sur www.vie-publique.fr, (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • François-RĂ©gis Gastou, Sur les traces des montreurs d'ours des PyrĂ©nĂ©es et d'ailleurs, Toulouse, Loubatières, 1987, (ISBN 2-86266-080-9)
  • Louise PagĂ©, Montreurs d’ours, de l’Ariège Ă  l’AmĂ©rique, 1874-1914, QuĂ©bec, Éditions GID, , 250 p. (ISBN 978-2-89634-295-2)
  • Michel Pastoureau, L'Ours. Histoire d'un roi dĂ©chu, Éditions du Seuil, 2007 (ISBN 978-2-02-021542-8)

Articles connexes

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