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Mixotrophie

La mixotrophie est le mode trophique d'organismes vivants capables de se nourrir par autotrophie (via la photosynthÚse) aussi bien que par hétérotrophie (aux dépens de constituants organiques préexistants), consécutivement ou simultanément. Ces organismes sont dits mixotrophes.

La Limodore à feuilles avortées est une orchidée dont la photosynthÚse est peu performante au stade adulte en raison d'une chlorophylle dysfonctionnelle. Cette altération est compensée par la mixotrophie : le rhizome est colonisé par des champignons mycorhiziens de la famille des russules[1] et par la truffe noire, qui lui apportent des composés organiques[2].

Certains mixotrophes sont capables de se nourrir seulement par autotrophie en présence de lumiÚre ou seulement par hétérotrophie en son absence, d'autres sont mixotrophes stricts, nécessitant simultanément la présence de lumiÚre et de carbone organique.

Protistes

On considĂšre aujourd'hui comme mixotrophes une grande majoritĂ© des protistes, y compris les phytoflagellĂ©s qui captent l'Ă©nergie lumineuse le jour et le carbone organique la nuit. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale les protistes, mĂȘme dĂ©pourvus de chloroplastes, sont Ă  la fois capables de rĂ©cupĂ©rer l'Ă©nergie lumineuse via diffĂ©rents plastes et d'absorber par osmose le carbone organique prĂ©sent dans le milieu. La division du monde vivant en animaux et vĂ©gĂ©taux ne s'applique pas aux protistes.

L'exemple le plus célÚbre concerne les euglÚnes, des organismes unicellulaires libres vivant en eau douce. Elles sont capables de réaliser la photosynthÚse en présence de lumiÚre. En son absence elles deviennent hétérotrophes pour le carbone et restent capables de vivre, contrairement à d'autres organismes photolithotrophes comme les plantes chlorophylliennes.

On peut distinguer différents groupes de mixotrophes, selon la source de leurs capacités photosynthétiques[3] :

  • les mixotrophes constitutifs, qui sont dotĂ©s du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique leur permettant de produire et maintenir les plastes (exemples : Karlodinium, Prymnesium) ;
  • les mixotrophes non constitutifs, qui gardent dans leur cytoplasme le matĂ©riel photosynthĂ©tique provenant de leurs proies :
    • les gĂ©nĂ©ralistes, qui bĂ©nĂ©ficient des chloroplastes d'une grande variĂ©tĂ© d'autres organismes mais ne sont pas capables de les maintenir fonctionnels plus de quelques jours (Laboea, Strombidium),
    • les spĂ©cialistes, qui dĂ©pendent d'un type particulier de proies mais :
      • en gardent fonctionnels les plastes jusqu'Ă  plusieurs mois (Dinophysis),
      • ou mettent Ă  leur service des colonies entiĂšres de proies photosynthĂ©tiques, qui restent vivantes (foraminifĂšres, radiolaires).

Microalgues

La mixotrophie Ă  dominante hĂ©tĂ©rotrophe est un mode de production intensif et industriel des microalgues. Cette technologie consiste Ă  produire de la biomasse par hĂ©tĂ©rotrophie tout en flashant les cellules pour activer les voies mĂ©taboliques rattachĂ©es aux diffĂ©rents plastes. Cette technologie permet d'atteindre en production industrielle des rendements de l'ordre de plusieurs centaines de grammes de matiĂšre sĂšche par litre et de produire l'ensemble des molĂ©cules pouvant ĂȘtre synthĂ©tisĂ©es par les microalgues.

Plantes supérieures

Par la mycohĂ©tĂ©rotrophie, la plante mixotrophe obtient tout ou partie de ses nutriments en Ă©tablissant un rĂ©seau mycorhizien avec des champignons biotrophes mycorhizogĂšnes, Ă  « fructification Â» Ă©pigĂ©e ou hypogĂ©e.

La mixotrophie peut aussi concerner des plantes vasculaires chlorophylliennes[4]. Ces plantes vertes mixotrophes ne comptent pas uniquement sur l’assimilation chlorophyllienne pour se fournir en carbone organique. Elles complĂštent cette source par une hĂ©tĂ©rotrophie partielle vis-Ă -vis du carbone. C’est notamment le cas des plantes carnivores et des plantes hĂ©miparasites comme le gui, qui ponctionne grĂące Ă  ses suçoirs les photosynthĂ©tats directement Ă  la source, dans les tissus de la plante hĂŽte autotrophe.

On sait depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000 que certaines plantes utilisent un moyen plus indirect d’accĂ©der Ă  ces ressources complĂ©mentaires de carbone, la mycohĂ©tĂ©rotrophie partielle. Ce mode de nutrition mixte a pour le moment Ă©tĂ© mis en Ă©vidence dans la famille des Orchidaceae et dans la famille des Ericaceae (plus particuliĂšrement dans la sous-famille des PyroloĂŻdĂ©s[5]). On trouve dans ces familles des plantes entiĂšrement hĂ©tĂ©rotrophes, totalement dĂ©pourvues de chlorophylle. Elles vivent en exploitant le carbone organique d’un champignon[6]. Ces plantes mycohĂ©tĂ©rotrophes forment avec un champignon des mycorhizes particuliĂšres, de type orchidoĂŻde ou monotropoĂŻde et qui fonctionnent « Ă  l’envers ». En effet, dans le cas habituel de la symbiose mycorhizienne, c’est la plante qui fournit au champignon du carbone, en Ă©change de la nutrition minĂ©rale et hydrique que ce dernier peut apporter[7]. Les processus physiologiques permettant le dĂ©tournement par la plante mycohĂ©tĂ©rotrophe de ce carbone fongique n’ont pas encore Ă©tĂ© bien Ă©lucidĂ©s (digestion ou autres mĂ©canismes de transfert[8] ?). En dehors des rĂ©gions tropicales, les champignons impliquĂ©s (identifiĂ©s par sĂ©quençage gĂ©nĂ©tique) sont gĂ©nĂ©ralement des AscomycĂštes et des BasidiomycĂštes symbiotiques, qui forment donc des ectomycorhizes avec les arbres forestiers avoisinants. Le carbone de ces champignons provient donc de l’activitĂ© photosynthĂ©tique des arbres avec lesquels ils sont associĂ©s, lequel est ensuite redistribuĂ© dans le rĂ©seau mycorhizien[9]. Plusieurs lignĂ©es ont optĂ© pour ce mĂȘme mode de nutrition mycohĂ©tĂ©rotrophe, par convergence Ă©volutive[8].

Les plantes mixotrophes sont trĂšs souvent fortement apparentĂ©es aux mycohĂ©tĂ©rotrophes exclusives, et on considĂšre la mixotrophie comme une premiĂšre Ă©tape Ă©volutive vers la mycohĂ©tĂ©rotrophie. Il a Ă©tĂ© prouvĂ© d’aprĂšs les reconstructions phylogĂ©nĂ©tiques que les mycohĂ©tĂ©rotrophes dĂ©rivent d’ancĂȘtres mixotrophes[8]. La survie d’orchidĂ©es terrestre au phĂ©notype « albinos », pratiquement dĂ©pourvues de chlorophylle, s’explique par cette capacitĂ© de compensation par mycohĂ©tĂ©rotrophie[10] - [11] - [12]. De telles orchidĂ©es « albinos » sont un modĂšle permettant d’étudier les mĂ©canismes Ă©volutifs de passage de la mixotrophie vers l’hĂ©tĂ©rotrophie. La faible vigueur des individus dĂ©pourvus de chlorophylle suggĂšre toutefois que la perte des capacitĂ©s de photosynthĂšse n’est pas le seul mĂ©canisme permettant d’expliquer cette transition[8]. On a identifiĂ© des plantes mixtotrophes dans les forĂȘts borĂ©ales, tempĂ©rĂ©es et mĂ©diterranĂ©ennes. On pourrait toutefois rechercher des mixotrophes dans d’autres types d’écosystĂšmes, mais aussi dans d’autres familles de plantes que celles citĂ©es prĂ©cĂ©demment. Les plantes concernĂ©es ont en commun de vivre dans des situations fortement ombragĂ©es par le couvert forestier. La mycohĂ©tĂ©rotrophie est envisagĂ©e comme une adaptation Ă  ces conditions de faible luminositĂ©, lorsque la photosynthĂšse ne peut suffire aux besoins mĂ©taboliques de la plante. Le carbone apportĂ© par le champignon compense l’ombre, et permet aux plantes mixotrophes de s’épanouir sous une canopĂ©e trĂšs fermĂ©e[13] - [14].

On peut se demander pourquoi les plantes mixotrophes gardent des capacitĂ©s photosynthĂ©tiques, et n’évoluent pas systĂ©matiquement vers la mycohĂ©tĂ©rotrophie stricte. L’étude d’une orchidĂ©e mĂ©diterranĂ©enne mixotrophe, le limodore Ă  feuilles avortĂ©es Limodorum abortivum, apporte une rĂ©ponse. Cette orchidĂ©e Ă  peine verte dans la nature a des capacitĂ©s photosynthĂ©tiques trĂšs limitĂ©es. C’est par mycorhization avec des russules qu’elle profite du carbone fixĂ© par les arbres qui l’entoure[15]. Or, traitĂ©e expĂ©rimentalement par des fongicides, cette orchidĂ©e est capable d’augmenter les concentrations de chlorophylle dans ses parties Ă©pigĂ©es, et particuliĂšrement les ovaires, pour redevenir autotrophe et compenser la dĂ©ficience des champignons associĂ©s[16].

Dans la nature, la possibilitĂ© de disposer de deux sources de carbone est un avantage permettant une plus grande plasticitĂ© de la plante face Ă  un environnement variable. La photosynthĂšse peut prendre par exemple le relais dans les situations oĂč le champignon est dĂ©favorisĂ©. On peut mettre en Ă©vidence cette mixotrophie par l’étude de la composition isotopique en carbone 13. L’enrichissement en isotopes lourds du carbone dans les rĂ©seaux trophiques permet de diffĂ©rencier les organismes autotrophes des hĂ©tĂ©rotrophes[17] - [18]. Le profil isotopique des mixotrophes est intermĂ©diaire entre celui des plantes autotrophes et celui des champignons, objectivant cette source mixte de carbone, Ă  la fois d’origine photosynthĂ©tique et fongique. Cette mĂ©thode permet d’estimer la part de carbone apportĂ©e par la mycohĂ©tĂ©rotrophie. Cette part est trĂšs variable d’une espĂšce Ă  l’autre, et peut aussi varier dans de fortes proportions chez une mĂȘme espĂšce d’un site Ă  l’autre[4]. Il existe en rĂ©alitĂ© un vĂ©ritable continuum entre autotrophie et hĂ©tĂ©rotrophie. Ainsi, chez les pyroloĂŻdeae, on a observĂ© que l’importance de cette mixotrophie est inversement corrĂ©lĂ©e avec l’accĂšs Ă  la lumiĂšre. Chez les pyroles, espĂšces sempervirentes, on suppose que la photosynthĂšse est prĂ©pondĂ©rante l’hiver, et que le carbone d’origine fongique gagne en importance Ă  la belle saison, lorsque le feuillage des arbres accentue l’ombrage[19] - [5]. La difficultĂ© de reprise aprĂšs transplantation de certaines orchidĂ©es ou des pyroles s’expliquerait par la mixotrophie de nombre d’espĂšces forestiĂšres[8]. CoupĂ©es du lien avec les arbres, par l’intermĂ©diaire du champignon mycorhizien, elles sont privĂ©es d’une source trĂšs importante de carbone. Cela peut avoir des consĂ©quences importantes pour la conservation de ces espĂšces, en rendant plus difficiles par exemple les mesures de conservation ex situ de ces taxons.

De nombreuses questions demeurent encore sans rĂ©ponse au sujet de ces plantes mixotrophes. Peut-on les considĂ©rer comme parasites des champignons et des plantes dont elles dĂ©pendent ou apportent-elles quelque chose en retour ? Affectent-elles la productivitĂ© des Ă©cosystĂšmes forestiers dans lesquels elles peuvent ĂȘtre abondantes (cas des pyroles dans les forĂȘts borĂ©ales[5]) ?

Exemples de familles et de genres comportant des mixotrophes (liste non exhaustive) :

Notes et références

  1. (en) Girlanda, M., Selosse, M.A., Cafasso, D., Brilli, F., Delfine, S., Fabbian, R., et al. (2006) Inefficient photosynthesis in the Mediterranean orchid Limodorum abortivum is mirrored by specific association to ectomycorrhizal Russulaceae. Mol Ecol 15: 491–504.
  2. (en) Bellino A, Alfani A et al. (2014). Nutritional regulation in mixotrophic plants: new insights from Limodorum abortivum. Oecologia 175, 875–885
  3. AditĂ©e Mitra, « Le rĂšgne des plantes-garous », Hors-sĂ©rie Pour la science, no 101,‎ , p. 78-84.
  4. Selosse MA, Roy M (2009) Green plants that feed on fungi: facts and questions about mixotrophy. Trends Plant Sci 14:64–70
  5. Tedersoo, Leho, Prune Pellet, Urmas KĂ”ljalg, et Marc-AndrĂ© Selosse. 2007. « Parallel Evolutionary Paths to Mycoheterotrophy in Understorey Ericaceae and Orchidaceae: Ecological Evidence for Mixotrophy in Pyroleae Â». Oecologia 151 (2): 206‑17. doi:10.1007/s00442-006-0581-2.
  6. Leake, Jonathan R. 1994. « The Biology of Myco‐heterotrophic (‘saprophytic’) Plants Â». New Phytologist 127 (2): 171‑216. doi:10.1111/j.1469-8137.1994.tb04272.x.
  7. Smith SE, Read DJ (1997) Mycorrhizal symbiosis, 2nd edn. Academic Press, London
  8. Les plantes qui mangent des champignons. http://isyeb.mnhn.fr/IMG/pdf/dossier_77_p102107_selosse.pdf
  9. Selosse M-A, Richard F, He X, Simard SW (2006) Mycorrhizal networks: des liaisons dangereuses? Trends Ecol Evol 11:621–628
  10. Abadie, J-C. et al. (2006) Cephalantera longifolia (Neottiae, Orchidaceae) is mixotrophic: a comparative study between green and nonphotosynthetic individuals. Can. J. Bot. 84, 1462–1477
  11. Selosse M-A, Faccio A, Scappaticci P, Bonfante P (2004) Chlorophyllous and achlorophyllous specimens of Epipactis microphylla (Neottieae, Orchidaceae) are associated with ectomycorrhizal septomycetes, including truffles. Microb Ecol 47:416–426
  12. Julou T, Burhardt B, Gebauer G, Berviller D, Damesin C, Selosse M-A (2005) Mixotrophy in orchids: insights from a comparative study of green individuals and non-photosynthetic mutants of Cephalanthera damasonium. New Phytol 166:639–653
  13. Preiss K, Adam IKU, Gebauer G (2010) Irradiance governs exploitation of fungi: fine-tuning of carbon gain by two partially mycoheterotrophic orchids. Proc R Soc B 277:1333–1336
  14. Bidartondo MI, Burghardt B, Gebauer G, Bruns TD, Read DJ (2004) Changing partners in the dark: isotopic and molecular evidence of ectomycorrhizal liaisons between forest orchids and trees. Proc R Soc Lond Ser B 271:1799–1806
  15. Girlanda M, Selosse MA, Cafasso D, Brilli F, Delfine S, Fabbian R, Ghignone S, Pinelli P, Segreto R, Loreto F, Cozzolino S, Perotto S (2006) Inefficient photosynthesis in the Mediterranean orchid Limodorum abortivum is mirrored by specific association to ectomycorrhizal Russulaceae. Mol Ecol 15:491–504
  16. Bellino, Alessandro, Anna Alfani, Marc-AndrĂ© Selosse, Rossella Guerrieri, Marco Borghetti, et Daniela Baldantoni. 2014. « Nutritional Regulation in Mixotrophic Plants: New Insights from Limodorum Abortivum Â». Oecologia 175 (3): 875‑85. doi:10.1007/s00442-014-2940-8.
  17. Post DM (2002) Using stable isotopes to estimate trophic position: models, methods, and assumptions. Ecology 83:703–718
  18. Dawson TE, Mambelli S, Plamboeck AH, Templer PH, Tu KP (2002) Stable isotopes in plant ecology. Annu Rev Ecol Syst 33:507–559
  19. Matsuda Y, Shimizu S, Mori M, Ito SI, Selosse MA (2012) Seasonal and environmental changes of mycorrhizal associations and heterotrophy levels in mixotrophic Pyrola japonica (Ericaceae) growing under different light environments. Am J Bot 99(7):1177–1188

Voir aussi

Bibliographie

  • Aditee Mitra, « Le plancton animal qui voulait devenir vĂ©gĂ©tal », Pour la science, no 496,‎ , p. 50-59

Articles connexes

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