Mixotrophie
La mixotrophie est le mode trophique d'organismes vivants capables de se nourrir par autotrophie (via la photosynthÚse) aussi bien que par hétérotrophie (aux dépens de constituants organiques préexistants), consécutivement ou simultanément. Ces organismes sont dits mixotrophes.
Certains mixotrophes sont capables de se nourrir seulement par autotrophie en présence de lumiÚre ou seulement par hétérotrophie en son absence, d'autres sont mixotrophes stricts, nécessitant simultanément la présence de lumiÚre et de carbone organique.
Protistes
On considĂšre aujourd'hui comme mixotrophes une grande majoritĂ© des protistes, y compris les phytoflagellĂ©s qui captent l'Ă©nergie lumineuse le jour et le carbone organique la nuit. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale les protistes, mĂȘme dĂ©pourvus de chloroplastes, sont Ă la fois capables de rĂ©cupĂ©rer l'Ă©nergie lumineuse via diffĂ©rents plastes et d'absorber par osmose le carbone organique prĂ©sent dans le milieu. La division du monde vivant en animaux et vĂ©gĂ©taux ne s'applique pas aux protistes.
L'exemple le plus célÚbre concerne les euglÚnes, des organismes unicellulaires libres vivant en eau douce. Elles sont capables de réaliser la photosynthÚse en présence de lumiÚre. En son absence elles deviennent hétérotrophes pour le carbone et restent capables de vivre, contrairement à d'autres organismes photolithotrophes comme les plantes chlorophylliennes.
On peut distinguer différents groupes de mixotrophes, selon la source de leurs capacités photosynthétiques[3] :
- les mixotrophes constitutifs, qui sont dotés du matériel génétique leur permettant de produire et maintenir les plastes (exemples : Karlodinium, Prymnesium) ;
- les mixotrophes non constitutifs, qui gardent dans leur cytoplasme le matériel photosynthétique provenant de leurs proies :
- les généralistes, qui bénéficient des chloroplastes d'une grande variété d'autres organismes mais ne sont pas capables de les maintenir fonctionnels plus de quelques jours (Laboea, Strombidium),
- les spécialistes, qui dépendent d'un type particulier de proies mais :
- en gardent fonctionnels les plastes jusqu'Ă plusieurs mois (Dinophysis),
- ou mettent à leur service des colonies entiÚres de proies photosynthétiques, qui restent vivantes (foraminifÚres, radiolaires).
Microalgues
La mixotrophie Ă dominante hĂ©tĂ©rotrophe est un mode de production intensif et industriel des microalgues. Cette technologie consiste Ă produire de la biomasse par hĂ©tĂ©rotrophie tout en flashant les cellules pour activer les voies mĂ©taboliques rattachĂ©es aux diffĂ©rents plastes. Cette technologie permet d'atteindre en production industrielle des rendements de l'ordre de plusieurs centaines de grammes de matiĂšre sĂšche par litre et de produire l'ensemble des molĂ©cules pouvant ĂȘtre synthĂ©tisĂ©es par les microalgues.
Plantes supérieures
La mixotrophie peut aussi concerner des plantes vasculaires chlorophylliennes[4]. Ces plantes vertes mixotrophes ne comptent pas uniquement sur lâassimilation chlorophyllienne pour se fournir en carbone organique. Elles complĂštent cette source par une hĂ©tĂ©rotrophie partielle vis-Ă -vis du carbone. Câest notamment le cas des plantes carnivores et des plantes hĂ©miparasites comme le gui, qui ponctionne grĂące Ă ses suçoirs les photosynthĂ©tats directement Ă la source, dans les tissus de la plante hĂŽte autotrophe.
On sait depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000 que certaines plantes utilisent un moyen plus indirect dâaccĂ©der Ă ces ressources complĂ©mentaires de carbone, la mycohĂ©tĂ©rotrophie partielle. Ce mode de nutrition mixte a pour le moment Ă©tĂ© mis en Ă©vidence dans la famille des Orchidaceae et dans la famille des Ericaceae (plus particuliĂšrement dans la sous-famille des PyroloĂŻdĂ©s[5]). On trouve dans ces familles des plantes entiĂšrement hĂ©tĂ©rotrophes, totalement dĂ©pourvues de chlorophylle. Elles vivent en exploitant le carbone organique dâun champignon[6]. Ces plantes mycohĂ©tĂ©rotrophes forment avec un champignon des mycorhizes particuliĂšres, de type orchidoĂŻde ou monotropoĂŻde et qui fonctionnent « Ă lâenvers ». En effet, dans le cas habituel de la symbiose mycorhizienne, câest la plante qui fournit au champignon du carbone, en Ă©change de la nutrition minĂ©rale et hydrique que ce dernier peut apporter[7]. Les processus physiologiques permettant le dĂ©tournement par la plante mycohĂ©tĂ©rotrophe de ce carbone fongique nâont pas encore Ă©tĂ© bien Ă©lucidĂ©s (digestion ou autres mĂ©canismes de transfert[8] ?). En dehors des rĂ©gions tropicales, les champignons impliquĂ©s (identifiĂ©s par sĂ©quençage gĂ©nĂ©tique) sont gĂ©nĂ©ralement des AscomycĂštes et des BasidiomycĂštes symbiotiques, qui forment donc des ectomycorhizes avec les arbres forestiers avoisinants. Le carbone de ces champignons provient donc de lâactivitĂ© photosynthĂ©tique des arbres avec lesquels ils sont associĂ©s, lequel est ensuite redistribuĂ© dans le rĂ©seau mycorhizien[9]. Plusieurs lignĂ©es ont optĂ© pour ce mĂȘme mode de nutrition mycohĂ©tĂ©rotrophe, par convergence Ă©volutive[8].
Les plantes mixotrophes sont trĂšs souvent fortement apparentĂ©es aux mycohĂ©tĂ©rotrophes exclusives, et on considĂšre la mixotrophie comme une premiĂšre Ă©tape Ă©volutive vers la mycohĂ©tĂ©rotrophie. Il a Ă©tĂ© prouvĂ© dâaprĂšs les reconstructions phylogĂ©nĂ©tiques que les mycohĂ©tĂ©rotrophes dĂ©rivent dâancĂȘtres mixotrophes[8]. La survie dâorchidĂ©es terrestre au phĂ©notype « albinos », pratiquement dĂ©pourvues de chlorophylle, sâexplique par cette capacitĂ© de compensation par mycohĂ©tĂ©rotrophie[10] - [11] - [12]. De telles orchidĂ©es « albinos » sont un modĂšle permettant dâĂ©tudier les mĂ©canismes Ă©volutifs de passage de la mixotrophie vers lâhĂ©tĂ©rotrophie. La faible vigueur des individus dĂ©pourvus de chlorophylle suggĂšre toutefois que la perte des capacitĂ©s de photosynthĂšse nâest pas le seul mĂ©canisme permettant dâexpliquer cette transition[8]. On a identifiĂ© des plantes mixtotrophes dans les forĂȘts borĂ©ales, tempĂ©rĂ©es et mĂ©diterranĂ©ennes. On pourrait toutefois rechercher des mixotrophes dans dâautres types dâĂ©cosystĂšmes, mais aussi dans dâautres familles de plantes que celles citĂ©es prĂ©cĂ©demment. Les plantes concernĂ©es ont en commun de vivre dans des situations fortement ombragĂ©es par le couvert forestier. La mycohĂ©tĂ©rotrophie est envisagĂ©e comme une adaptation Ă ces conditions de faible luminositĂ©, lorsque la photosynthĂšse ne peut suffire aux besoins mĂ©taboliques de la plante. Le carbone apportĂ© par le champignon compense lâombre, et permet aux plantes mixotrophes de sâĂ©panouir sous une canopĂ©e trĂšs fermĂ©e[13] - [14].
On peut se demander pourquoi les plantes mixotrophes gardent des capacitĂ©s photosynthĂ©tiques, et nâĂ©voluent pas systĂ©matiquement vers la mycohĂ©tĂ©rotrophie stricte. LâĂ©tude dâune orchidĂ©e mĂ©diterranĂ©enne mixotrophe, le limodore Ă feuilles avortĂ©es Limodorum abortivum, apporte une rĂ©ponse. Cette orchidĂ©e Ă peine verte dans la nature a des capacitĂ©s photosynthĂ©tiques trĂšs limitĂ©es. Câest par mycorhization avec des russules quâelle profite du carbone fixĂ© par les arbres qui lâentoure[15]. Or, traitĂ©e expĂ©rimentalement par des fongicides, cette orchidĂ©e est capable dâaugmenter les concentrations de chlorophylle dans ses parties Ă©pigĂ©es, et particuliĂšrement les ovaires, pour redevenir autotrophe et compenser la dĂ©ficience des champignons associĂ©s[16].
Dans la nature, la possibilitĂ© de disposer de deux sources de carbone est un avantage permettant une plus grande plasticitĂ© de la plante face Ă un environnement variable. La photosynthĂšse peut prendre par exemple le relais dans les situations oĂč le champignon est dĂ©favorisĂ©. On peut mettre en Ă©vidence cette mixotrophie par lâĂ©tude de la composition isotopique en carbone 13. Lâenrichissement en isotopes lourds du carbone dans les rĂ©seaux trophiques permet de diffĂ©rencier les organismes autotrophes des hĂ©tĂ©rotrophes[17] - [18]. Le profil isotopique des mixotrophes est intermĂ©diaire entre celui des plantes autotrophes et celui des champignons, objectivant cette source mixte de carbone, Ă la fois dâorigine photosynthĂ©tique et fongique. Cette mĂ©thode permet dâestimer la part de carbone apportĂ©e par la mycohĂ©tĂ©rotrophie. Cette part est trĂšs variable dâune espĂšce Ă lâautre, et peut aussi varier dans de fortes proportions chez une mĂȘme espĂšce dâun site Ă lâautre[4]. Il existe en rĂ©alitĂ© un vĂ©ritable continuum entre autotrophie et hĂ©tĂ©rotrophie. Ainsi, chez les pyroloĂŻdeae, on a observĂ© que lâimportance de cette mixotrophie est inversement corrĂ©lĂ©e avec lâaccĂšs Ă la lumiĂšre. Chez les pyroles, espĂšces sempervirentes, on suppose que la photosynthĂšse est prĂ©pondĂ©rante lâhiver, et que le carbone dâorigine fongique gagne en importance Ă la belle saison, lorsque le feuillage des arbres accentue lâombrage[19] - [5]. La difficultĂ© de reprise aprĂšs transplantation de certaines orchidĂ©es ou des pyroles sâexpliquerait par la mixotrophie de nombre dâespĂšces forestiĂšres[8]. CoupĂ©es du lien avec les arbres, par lâintermĂ©diaire du champignon mycorhizien, elles sont privĂ©es dâune source trĂšs importante de carbone. Cela peut avoir des consĂ©quences importantes pour la conservation de ces espĂšces, en rendant plus difficiles par exemple les mesures de conservation ex situ de ces taxons.
De nombreuses questions demeurent encore sans rĂ©ponse au sujet de ces plantes mixotrophes. Peut-on les considĂ©rer comme parasites des champignons et des plantes dont elles dĂ©pendent ou apportent-elles quelque chose en retour ? Affectent-elles la productivitĂ© des Ă©cosystĂšmes forestiers dans lesquels elles peuvent ĂȘtre abondantes (cas des pyroles dans les forĂȘts borĂ©ales[5]) ?
Exemples de familles et de genres comportant des mixotrophes (liste non exhaustive) :
- Orchidaceae : Cephalanthera, Corallorhiza, Epipactis, Limodorum, Listera, Platanthera ;
- Ericaceae : Chimaphila, Orthilia (en), Pyrola.
Notes et références
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- Selosse MA, Roy M (2009) Green plants that feed on fungi: facts and questions about mixotrophy. Trends Plant Sci 14:64â70
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Voir aussi
Bibliographie
- Aditee Mitra, « Le plancton animal qui voulait devenir vĂ©gĂ©tal », Pour la science, no 496,â , p. 50-59