Misophonie
La misophonie (étymologiquement « haine du son ») est un trouble neuropsychique rarement diagnostiqué mais commun[1], caractérisé par des états psychiques fort désagréables (colère, haine, anxiété, rage, dégoût[2] ) déclenchés par des sons spécifiques[3]. L'intensité des sons peut être élevée ou faible[4].
Les termes misophonie, selective sound sensitivity syndrome (abrégé « 4S » ou « SSSS »)[5] et soft sound sensitivity syndrome[6] font référence au même trouble.
La misophonie apparaît à un très jeune âge, durant l'enfance, ou pendant l'adolescence, et s'aggrave avec l'âge[7] - [8]. L'âge moyen d'apparition de la misophonie est de douze ans, mais elle peut apparaître dès cinq ans[9].
La maladie n'est pas classée comme un trouble discret dans le DSM-5 ou la CIM-10 ; cependant, une étude menée en 2013 par trois psychiatres de l'Academic Medical Center d'Amsterdam sur 42 patients misophones suggère sa classification en tant que trouble psychique à part[10]. Des études sont en cours pour déterminer s'il s'agit d'un trouble à part.
Hypothèses causales
La théorie polyvagale, proposée par le psychiatre américain Stephen Porges, indique que la misophonie pourrait être une réponse autonome du système nerveux central. Les sons de provenance corporelle, ayant une modulation et une fréquence spécifiques, étant associés à un ėtat d'alerte[11] - [12] - [13].
Pawel Jastreboff pense qu'il s'agit d'une mauvaise connexion entre différentes composantes du système nerveux[14].
En 2013, des études neurologiques et des examens cérébraux par IRMf associés au trouble[15] supposent qu'une évaluation anormale des signaux neuronaux se produit dans le cortex cingulaire antérieur et le cortex insulaire. Ces cortex sont également impliqués dans le syndrome de Gilles de la Tourette, et influencent la colère, la douleur et l'information sensorielle. D'autres chercheurs admettent que cette anomalie se situe dans le système nerveux central[16]. Il est suggéré que la localisation anatomique peut être plus centrale que celle impliquée dans l'hyperacousie[17]. D'autres recherches proposent que la misophonie soit due à un réflexe d'aversion conditionnée, de type pavlovien[18].
Il a été suggéré un lien entre la misophonie et la synesthésie, une affection neurologique dans laquelle la stimulation d'une voie sensorielle ou cognitive conduit à des expériences automatiques et involontaires dans une seconde voie sensorielle ou cognitive[19]. Le problème de base pourrait être une déformation pathologique de connexions entre les différentes structures limbiques et le cortex auditif, provoquant une synesthésie son-émotion[3]. Certains individus souffrent à la fois de misophonie et de synesthésie. De nombreuses personnes atteintes de synesthésie en dénombrent plusieurs formes ; il existe plus de soixante types de synesthésie rapportés[20].
Une différence dans la structure et la fonction du cerveau a été découverte chez les misophones[21] - [9]: des connexions neurologiques différentes à partir du lobe frontal entraînent une augmentation de la fréquence cardiaque et de la sudation à l'écoute de certains sons. Le cortex insulaire antérieur est une « région clé » permettant de différencier les « sons déclenchants ». Un « son déclenchant » produisant dans le cortex insulaire antérieur une réponse BOLD (« blood-oxygen-level-dependent ») exagérée [9]. Le cortex insulaire antérieur étant une zone impliquée dans le traitement des émotions.
Les misophones ont une myélinisation anormale dans le cortex frontal médial[9].
Selon une étude de chercheurs de Newcastle, chez les patients misophoniques, le cortex insulaire inférieur est fortement connecté au cortex préfrontal médian qui joue un rôle central dans la prise en compte du contexte des événements vécus, sur la qualité bonne ou mauvaise que nous leur accordons (la valeur émotionnelle)[22].
En 2019, une augmentation de l'activité de l'insula droite, du cortex temporal supérieur droit et du cortex cingulaire antérieur droit, parallèlement à une activité normale de l'amygdale sont observés chez les misophones en présence de sons déclencheurs[23].
En 2021, une étude indique qu'une hyperactivation des neurones miroirs de la zone orofaciale pourraient être impliqués dans la misophonie[24].
SymptĂ´mes
Les individus atteints de misophonie sont le plus souvent agacés, voire enragés par des sons spécifiques, des bruits dits « normaux ». La plupart des misophones ne sont pas agacés par les bruits qu'ils produisent eux-mêmes[25]. Les sons déclencheurs provoquent de la colère[26] (et non du dégoût selon une étude). La réaction d'un misophone est semblable à une réaction négative normale à ces sons ; son intensité est toutefois multipliée[26]. Les sons problématiques sont souvent des bruits considérés comme « normaux » et « quotidiens », et sont en général de faible intensité. Ces quelques exemples de sons spécifiques incluent : l'aspiration de liquides (slurp), les raclements de gorge, le mouvement pendulaire d'une casserole ou d'un couvercle retourné, se couper les ongles, se brosser les dents, le bruit d'une fourchette sur les dents, les grincements, mâcher de la glace pilée, manger, boire, déglutir, respirer, renifler, parler, éternuer, bâiller, l'eau de la douche qui coule, marcher, mâcher un chewing-gum, rire, ronfler, taper sur un clavier d'ordinateur, tousser, fredonner, siffler, chanter, dire certaines consonnes ou des sons répétitifs[27], mais aussi le clic de la souris d'ordinateur, le tic-tac d'une horloge, un chien qui se lèche[7].
En présence d'un son déclencheur, les misophones ont une conductance cutanée augmentée et un rythme cardiaque accéléré[9]. Certains sont également affectés par des stimuli visuels, tels que des mouvements répétitifs des pieds ou du corps, des gigotements, ou le mouvement qu'ils observent du coin de l'œil ; cela est appelé « misokinesia », signifiant « la haine du mouvement »[10]. Une intense anxiété et un comportement d'évitement peuvent se développer, ce qui peut conduire à une diminution de la socialisation. Certains individus sentent la compulsion d'imiter ce qu'ils entendent ou voient comme une stratégie d'adaptation[28] - [25]. Le mimétisme est un phénomène automatique, non conscient, et social. Il a un aspect palliatif permettant au misophone de se sentir mieux. L'acte de mimétisme peut susciter la compassion et l'empathie, qui améliore et diminue l'hostilité, de la concurrence, et de l'opposition. Il existe aussi une base biologique sur la façon dont le mimétisme réduit la souffrance d'un déclencheur[15].
Souvent, les sons produits par l'entourage proche, comme la famille, provoquent des réactions plus fortes que si le même son était produit par un inconnu. Les réactions sont involontaires ; le stress et la fatigue peuvent exacerber leur irritation.
Un son désagréable comme des cris ne produit pas de réaction anormale chez les misophones[26].
Une fois engagée dans le trouble de misophonie, un cercle vicieux s'enclenche et la personne devient plus attentive, et par le fait même, plus affectée.
Les misophones pourraient avoir une réponse N1 plus faible au test du paradigme d'oddball (en) [29].
Prévalence et comorbidité
La prévalence de la misophonie est inconnue, mais des groupes d'individus identifiés avec la condition suggèrent qu'il est plus commun que ce qui était précédemment reconnu[28]. Parmi les patients souffrant d'acouphènes, à des niveaux cliniquement significatifs, entre 4 et 5 % de la population générale[30], certaines études rapportent une prévalence plus élevée de 60 %[28], par rapport à une étude menée en 2010 la mesurant à 10 %[31]. Une étude menée en 2014 à l'université de Floride du Sud constate que 20 % d'un groupe de 500 participants souffrent de symptômes ressemblant à la misophonie. Les participants sont des étudiants de premier cycle en psychologie et en majorité des femmes[32].
Une étude néerlandaise publiée en 2013[10] sur un échantillon de 42 patients atteints de misophonie constate une faible mesure de troubles psychiatriques, à l'exception de la névrose obsessionnelle (52,4 %).
Le stress post traumatique (TSPT) peut être lié à la gravité de la misophonie[8].
Il peut y avoir des troubles de l'alimentation (anorexie mentale, boulimie)[33].
Traitements
Il n’y a pas de traitement EBM pour soigner cette maladie ; certaines thérapies peuvent aider les personnes atteintes de misophonie à faire face à leur trouble en reconnaissant ce qu’elles vivent et en travaillant sur des stratégies d’adaptation[34] - [35]. Quelques études ont été publiées sur le concept de thérapie acoustique d'habituation (en) et l’utilisation de la thérapie cognitivo-comportementale, particulièrement la thérapie d’exposition[34] - [36]. Aucune de ces approches n’a été étudiée pour déterminer leur efficacité[36] - [37].
En 2016, aucun traitement n'a prouvé son efficacité dans la misophonie et bien que beaucoup de méthodes se revendiquent pour réduire la misophonie, certaines pourraient aggraver la misophonie, notamment l'exposition[38]. Les patients doivent faire preuve de prudence[38].
Ainsi, aucun traitement ne semble efficace ; seul le Dr Jastreboff propose une solution qui aurait 90 % de chances de réussite : le traitement consiste à écouter les sons qui dérangent en les associant à un autre son, comme de la musique, et ce pendant environ neuf mois afin d'obtenir des résultats[14].
Les alternatives pour diminuer les réactions en présence des sons problématiques sont d'utiliser des protections auditives, des casques avec réduction de bruit active, d'écouter de la musique ou d'autres sons avec un baladeur, d'écouter un bruit blanc pour masquer le bruit déclencheur[7].
Histoire
Plusieurs personnalités célèbres ont manifesté une certaine gêne face aux bruits, telles que Michel de Montaigne[39], Johann Wolfgang Goethe, notamment selon Arthur Schopenhauer[40], Émilie du Châtelet selon la mémorialiste Marguerite de Launay[41], Arthur Schopenhauer lui-même qui évitait toujours d'avoir un voisin de table[42] et qui considérait le bruit comme « la plus impertinente de toutes les interruptions »[43], Charles Darwin[39], Anton Tchekhov[39], Marcel Proust[39], Rainer Maria Rilke selon Stefan Zweig[44] ou encore Franz Kafka qui était dérangé par le bruit pour écrire[39].
Marsha Johnson a identifié ce trouble en 1997 et l'a appelé « Selective Sound Sensitivity Syndrome » [6] ; tandis que Pawel Jastreboff et Margaret Jastreboff de l'université Emery d'Atlanta[14] ont pour la première fois utilisé le terme misophonie en 2000[45]. Ils découvrent chez certains individus ne semblant pas souffrir de phonophobie, d'hyperacousie ou d'acouphène, de fortes réactions négatives à l'exposition de sons spécifiques. Le son est associé à quelque chose de désagréable et s'ensuivent des réactions négatives lorsque le son se reproduit[46] - [47].
En 2016, a été diffusé le documentaire Quiet Please qui a pour sujet la misophonie[48] - [49].
Dans la littérature
Bruno Salomone a Ă©crit un roman sur la misophonie[50], dont il est atteint[51].
Notes et références
- (en)/(es) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu des articles intitulĂ©s en anglais « Misophonia » (voir la liste des auteurs) et en espagnol « MisofonĂa » (voir la liste des auteurs).
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« Madame du Châtelet est, d'hier, à son troisième logement. Elle ne pouvait plus supporter celui qu'elle avait choisi. Il y avait du bruit et de la fumée sans feu (il me semble que c'est son emblème). Le bruit, ce n'est pas la nuit qu'il l'incommode, m'a-t-elle dit, c'est le jour, au fort de son travail : cela dérange ses idées. Elle fait actuellement la revue de ses principes : c'est un exercice qu'elle réitère chaque année, sans quoi ils pourraient s'échapper et peut-être s'en aller si loin qu'elle n'en retrouverait pas un seul. Je crois bien que sa tête est pour eux une maison de force et non le lieu de leur naissance : c'est le cas de veiller soigneusement à leur garde ! »
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