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Massacre de Dos Erres

Le massacre de Dos Erres du eut lieu dans le village homonyme, situé à La Libertad, dans le département du Petén, tout au nord du Guatemala, quelques mois aprÚs le massacre de Plan de Sånchez.

Massacre de Dos Erres
Date –
Lieu Las Dos Erres, La Libertad, Guatemala
Morts 250
Auteurs Drapeau du Guatemala Kaibiles
CoordonnĂ©es 16° 54â€Č 05″ nord, 90° 17â€Č 29″ ouest
GĂ©olocalisation sur la carte : Guatemala
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Massacre de Dos Erres
Géolocalisation sur la carte : Amérique centrale
(Voir situation sur carte : Amérique centrale)
Massacre de Dos Erres

Plus de 250 personnes (hommes, femmes et enfants, y compris bĂ©bĂ©s) – peut-ĂȘtre 300 – furent tuĂ©es lors de ce massacre perpĂ©trĂ© par des membres des forces spĂ©ciales Kaibiles, spĂ©cialisĂ©es dans la contre-insurrection et qui s'Ă©taient dĂ©guisĂ©s aux fins de se faire passer pour des guĂ©rilleros. FondĂ© en 1978 dans le cadre du programme de colonisation promu par l'agence Fomento y Desarrollo de PetĂ©n, le village abritait entre 300 et 350 habitants en [1].

Ce massacre, qui devait ainsi ĂȘtre attribuĂ© Ă  la guĂ©rilla dans le cadre d'une tactique false flag, prenait place dans une politique gĂ©nĂ©rale de terre brĂ»lĂ©e menĂ©e par la dictature d'EfraĂ­n RĂ­os Montt.

Une plainte a été déposée en 1994 au Guatemala, menant à l'ouverture d'une procédure judiciaire qui, transitant par la Cour interaméricaine des droits de l'homme, demeure en cours en 2010, aucun suspect n'ayant été à ce jour condamné.

La Commission pour l'Ă©claircissement historique a attribuĂ© Ă  l'État 626 massacres au cours d'une guerre civile ayant fait 200 000 victimes, dont la plus grande partie entre 1978 et 1983.

Le massacre et les conclusions américaines

Début 1982, des membres de la guérilla des Fuerzas Armadas Rebeldes (en) (FAR) avaient fait des incursions dans la localité voisine de Las Cruces pour tenir une assemblée et réunir des vivres[2]. La présence militaire augmenta alors, et les tensions aux Dos Erres augmentÚrent aprÚs le massacre à Los Josefinos d', perpétré par l'armée[2].

En , les FAR attaquĂšrent la caserne de Las Cruces, conduisant l'armĂ©e Ă  crĂ©er une milice d'autodĂ©fense (dite « patrouille de dĂ©fense civile ») Ă  Las Cruces et Ă  Las Dos Erres[3]. Les militaires voulaient que la patrouille de Las Dos Erres soit utilisĂ©e pour patrouiller Ă  Las Cruces, ce qui suscita un refus des habitants, qui n'acceptĂšrent la crĂ©ation d'une patrouille que dans la mesure oĂč celle-ci servait Ă  dĂ©fendre leur village, refusant de laisser leurs familles seules. Ceci mena les militaires Ă  les accuser d'ĂȘtre proche des guĂ©rilleros[3].

Le , les Kaibiles, débarquant dans le village vers 2h du matin, séparÚrent d'abord les hommes des femmes et enfants; ceux-là furent torturés et celles-ci d'abord enfermées, avec les enfants, dans l'église évangélique, puis violées (y compris des filles de 12-13 ans)[4]. Durant toute la durée du massacre, l'armée ne quittant les lieux que le , le village était encerclé, l'armée laissant les civils entrer avant de les exécuter[5].

Les meurtres commencĂšrent dans l'aprĂšs-midi, les cadavres (y compris enfants en bas Ăąge) Ă©tant jetĂ©s dans des puits[6]. Ces massacres durĂšrent jusqu'au : la quasi-totalitĂ© du village fut tuĂ©e, avec plus de 250 morts[6] (251 selon la plainte dĂ©posĂ©e devant la Cour interamĂ©ricaine des droits de l'homme [7], mais « environ 300 » selon l'accord signĂ© par le gouvernement avec les reprĂ©sentants des victimes le [8]), tandis que le village lui-mĂȘme fut rasĂ©[4].

Le guide ayant mené les militaires au village, un ex de la guérilla selon le rapport de la CIDH, a été tué quelques jours plus tard, un militaire ordonnant de couper à vif un bout de chair et le mangeant, avant que le guide ne fût jeté dans le feu[9].

Quelque temps aprĂšs le massacre, des officiels de l'ambassade des États-Unis s'Ă©tant rendus sur place, fin et en prĂ©sence du consul canadien Alexander Graham, conclurent, dans des documents alors classifiĂ©s, que seule l'armĂ©e guatĂ©maltĂšque avait pu faire disparaĂźtre ce village[6].

Le rapport de la Commission interaméricaine des droits de l'homme conclut que :

« le massacre de Las Dos Erres a Ă©tĂ© planifiĂ© et exĂ©cutĂ© dans le cadre d'une politique de la « terre brĂ»lĂ©e » (tierra arrasada) dirigĂ©e par l'État du Guatemala contre la population qu'elle considĂ©rait comme « ennemi interne »[10] »

Citant le rapport de la Commission pour l'Ă©claircissement historique, la CIDH dĂ©finissait cette derniĂšre notion comme un « composant central de la doctrine de la sĂ©curitĂ© nationale » qui s'Ă©tait rĂ©pandue dans l'armĂ©e Ă  partir des annĂ©es 1960[11], Ă  l'instigation des États-Unis qui l'avaient propagĂ© dans la majoritĂ© des forces armĂ©es d'AmĂ©rique latine dans le cadre de la guerre froide.

L'un des deux enfants ayant survĂ©cu au massacre, ĂągĂ© de cinq ans, fut adoptĂ© par un des kaibiles, selon un scĂ©nario analogue Ă  celui des « bĂ©bĂ©s volĂ©s » de la dictature argentine. C'est le mĂȘme qui a tĂ©moignĂ© plus tard devant la CIDH[12].

Un mois aprĂšs le massacre, l'un des soldats devint instructeur Ă  l'École militaire des AmĂ©riques de PanamĂĄ [13].

Processus judiciaire et postérité politique

En , Aura Elena FarfĂĄn, la prĂ©sidente de la FAMDEGUA (Association des familles des disparus du Guatemala) portait plainte au Guatemala[4] - [7], suivi, en , d'une plainte du Bureau des droits de l'homme de l'archidiocĂšse de Guatemala devant la Commission interamĂ©ricaine des droits de l'homme (CIDH) [7]. AprĂšs l'annulation de la plainte, en 1995, par le Bureau de l'archidiocĂšse, une nouvelle plainte fut dĂ©posĂ©e devant la mĂȘme instance, en 1996, par le mĂȘme Bureau, avec le CEJIL (Centre d'Ă©tudes juridiques et de droit international) [7], et trois ans plus tard, la FAMDEGUA fut intĂ©grĂ©e Ă  la plainte[7].

L'équipe argentine d'anthropologie judiciaire (en) déposa en 1995 son rapport sur le massacre[14].

En 1997, dans une rĂ©ponse Ă  la CIDH, le prĂ©sident ArzĂș reconnaissait qu'il Ă©tait impossible d'ignorer ce qui s'Ă©tait passĂ© Ă  Dos Erres et la nĂ©cessitĂ© juridique et Ă©thique de rechercher les coupables[4].

En , le gouvernement guatĂ©maltĂšque conclu un accord Ă  l'amiable avec la Commission interamĂ©ricaine des droits de l'homme (CIDH), saisie de l'affaire [4]. Celui-ci stipulait notamment qu'aucune condamnation du Guatemala n'aurait lieu si celui-ci s'engageait Ă  mettre en Ɠuvre des poursuites judiciaires contre les suspects Ă©ventuels, les conditions se rĂ©sumant dans le triptyque vĂ©ritĂ©/justice/rĂ©parations [4]. Un monument commĂ©moratif et un film documentaire Ă©taient prĂ©vus par cet accord[7].

Le prĂ©sident Alfonso Portillo reconnu en la responsabilitĂ© de l'État dans ce massacre, s'engageant par ailleurs Ă  dĂ©dommager les familles des victimes[4]. Celles-ci avaient Ă©tĂ© partiellement financiĂšrement dĂ©dommagĂ©es en [4], l'accord prĂ©voyant une compensation de 14,5 millions de quetzals [7] (en , cette somme serait Ă©quivalente Ă  environ 1,46 million d'euros).

Cependant, à la suite de l'absence de poursuites effectives, la Commission saisit en la Cour interaméricaine des droits de l'homme pour se prononcer sur ce dossier (no 11 682)[4]. Elle accuse notamment le Guatemala de violation de l'art. 8 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, soit du non-respect du droit à un procÚs équitable et du droit à la protection judiciaire, lié à la violation de l'art. 1(1) (droit à la vie).

En , Amnesty International déplorait encore l'absence de condamnations contre quelque responsable que ce soit de ce massacre[4]; les poursuites engagées au Guatemala étaient en cours et, selon l'ONG, « paralysées » (plus de 30 appels ont été effectués par la défense depuis 1994, et 49 autres procédures judiciaires utilisées afin de freiner le processus) [4]. Des membres de la FAMDEGUA manifestaient afin d'obtenir justice[4].

Selon un témoignage et une déposition obtenue par Amnesty, le massacre aurait été ordonné par un agent des renseignements de la base militaire de Santa Elena afin de couvrir le viol, quelques heures plus tÎt, d'une femme du village par un autre officier[4]. Cette allégation, probablement le fruit d'une confusion[15], contredit cependant le témoignage d'un kaibile ayant participé au massacre et cité dans le rapport de la CIDH, selon lequel le massacre avait été prévu dÚs début décembre[16].

En 2009, la CIDH jugea que la loi d'amnistie de 1996 ne s'appliquait pas aux crimes les plus graves commis lors de la guerre civile[13].

Des enquĂȘtes furent alors initiĂ©es aux États-Unis contre des personnes soupçonnĂ©es d'avoir participĂ© Ă  ce massacre[13]. En , Gilberto Jordan, naturalisĂ© amĂ©ricain et ex-membre des Kaibiles, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en Floride par les services des douanes (U.S. Immigration and Customs Enforcement)[6]. Il est accusĂ© d'avoir participĂ© Ă  ce massacre (et mĂȘme d'avoir jetĂ© un bĂ©bĂ© dans un puits[6]). Il fut condamnĂ©, en Floride, Ă  dix ans de prison en , pour avoir menti aux autoritĂ©s amĂ©ricaines lors de sa demande de naturalisation[17]. Pedro Pimentel Rios, instructeur des Kaibiles qui s'Ă©tait enfui en Californie, fut Ă©galement arrĂȘtĂ© en mai 2010 puis extradĂ© au Guatemala en [17]. Jorge Sosa, arrĂȘtĂ© au Canada, fait l'objet d'une demande d'extradition de la part du Guatemala et de l'Espagne [17].

L'ONG National Security Archive a alors publiĂ© des documents dĂ©classifiĂ©s obtenus Ă  travers le Freedom of Information Act (FOIA) dans le cadre du projet Guatemala, et montrant que les autoritĂ©s des États-Unis avaient rapidement Ă©tabli la responsabilitĂ© de l'armĂ©e guatĂ©maltĂšque dans ce massacre[6].

Le , Pedro Pimentel est condamnĂ© par la justice guatĂ©maltĂšque Ă  6 060 ans de prison[18], soit 30 annĂ©es de prison pour chacun des meurtres qu'il a commis, ainsi que 30 annĂ©es de plus pour crime contre l'humanitĂ© et « atteinte Ă  la sĂ©curitĂ© de l'État. »

Notes et références

  1. Massacre de Las Dos Erres, dossier n°11 682 de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, 30 juillet 2008, sur le site de l'ONG National Security Archive, §97, qui cite la Commission pour l'éclaircissement historique (CEH, 1999), Memoria del Silencio, Illustrative Case No. 31, tome VI, Illustrative Cases, annexe I, pp. 397-398.
  2. CIDH (2008), op. cit., §98, cite la CEH, Memoria del Silencio, Illustrative Case No. 31, tome VI, Illustrative Cases, annexe I, footnote p. 4.
  3. CIDH (2008), op. cit., §99 (cite toujours le cas n°31 examiné par la CEH, op. cit.)
  4. Amnesty International, Justice n’a toujours pas Ă©tĂ© faite pour les victimes d’un massacre datant de vingt-six ans au GuatĂ©mala, 5 dĂ©cembre 2008 (disponible en anglais, espagnol et arabe)
  5. CIDH, op. cit., §128
  6. Former Guatemalan Soldier Arrested for Alleged Role in Dos Erres Massacre, National Security Archive Electronic Briefing Book n°316, 7 mai 2010
  7. Massacre de Las Dos Erres, dossier n°11 682 de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, 30 juillet 2008, sur le site de l'ONG National Security Archive.
  8. Massacre de Las Dos Erres, dossier n°11 682 de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, 30 juillet 2008, sur le site de l'ONG National Security Archive, §56
  9. CIDH (2008), op. cit., §129, cite une déposition judiciaire
  10. Massacre de Las Dos Erres, dossier n°11 682 de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, 30 juillet 2008, sur le site de l'ONG National Security Archive, §46
  11. CIDH (2008), op. cit., §69
  12. CIDH (2008), op. cit., §90 et 128
  13. Matt McAllester, US rounds up Guatemalans accused of war crimes, GlobalPost, 5 mai 2010
  14. CIDH (2008), op. cit., note 102, §118
  15. Comparer avec CIDH (2008), op. cit., §114
  16. CIDH, op. cit., §86
  17. Pedro Pimentel Rios, Guatemala Massacre Suspect, Deported, The Huffington Post, 12 juillet 2011.
  18. https://fr.news.yahoo.com/guatemala-militaire-condamné-à-6-000-ans-prison-201900611.html

Voir aussi

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