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Manifeste des Seize

Le Manifeste des Seize est rĂ©digĂ© en 1916 par Pierre Kropotkine et Jean Grave puis signĂ© par 16 personnalitĂ©s du mouvement libertaire, qui prennent parti pour le camp des AlliĂ©s et contre l’« agression allemande » lors de la PremiĂšre Guerre mondiale[1]. La liste comporte une dizaine de signataires importants.

Le Libertaire du , ultime numéro avant la PremiÚre Guerre mondiale.
La Guerre Sociale. , au lendemain de l’assassinat de Jaurùs.

Daté du , le texte est publié pour la premiÚre fois dans le quotidien syndicaliste La Bataille, le [2].

Il suscite une vive opposition chez nombre d'anarchistes fidĂšles Ă  la tradition antimilitariste et qui refusent le ralliement Ă  un des États belligĂ©rants.

En fait, seules quinze personnes signent le Manifeste, le seiziĂšme nom, « Hussein Dey », n'Ă©tant que le nom de la ville de rĂ©sidence d'un des signataires (Hussein Dey).

Le contexte

L'éclatement de la PremiÚre Guerre mondiale provoque de virulents débats au sein du mouvement libertaire international divisé entre « défensistes » et « antimilitaristes ».

En , trente-six anarchistes dont Alexandre Berkman, Luigi Bertoni, Henri Combes, Emma Goldman, Hippolyte Havel, Errico Malatesta, Ferdinand Domela Nieuwenhuis, publient Ă  Londres une dĂ©claration intitulĂ©e « L’Internationale Anarchiste et la Guerre » : « La vĂ©ritĂ©, c’est que la cause des guerres, de celle qui ensanglante actuellement les plaines de l’Europe, comme de toutes celles qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©e, rĂ©side uniquement dans l’existence de l’État, qui est la forme politique du privilĂšge. L’État est nĂ© de la force militaire ; il s’est dĂ©veloppĂ© en se servant de la force militaire ; et c’est encore sur la force militaire qu’il doit logiquement s’appuyer pour maintenir sa toute puissance. Quelle que soit la forme qu’il revĂȘte, l’État n’est que l’oppression organisĂ©e au profit d’une minoritĂ© de privilĂ©giĂ©s. [...] Nous devons profiter de tous les mouvements de rĂ©volte, de tous les mĂ©contentements, pour fomenter l’insurrection, pour organiser la rĂ©volution, de laquelle nous attendons la fin de toutes les iniquitĂ©s sociales. Pas de dĂ©couragement - mĂȘme devant une calamitĂ© comme la guerre actuelle. C’est dans des pĂ©riodes aussi troublĂ©es oĂč des milliers d’hommes donnent hĂ©roĂŻquement leur vie pour une idĂ©e, qu’il faut que nous montrions Ă  ces hommes la gĂ©nĂ©rositĂ©, la grandeur et la beautĂ© de l’idĂ©al anarchiste ; la justice sociale rĂ©alisĂ©e par l’organisation libre des producteurs ; la guerre et le militarisme Ă  jamais supprimĂ©s ; la libertĂ© entiĂšre conquise par la destruction totale de l’État et de ses organismes de coercition. Â»[3]

Le Manifeste des Seize

Pierre Kropotkine, portrait réalisé par Aristide Delannoy pour l'hebdomadaire Les Hommes du jour publié par Victor Méric, 24 juillet 1909.

En , Pierre Kropotkine co-rédige avec Jean Grave le Manifeste des Seize[3]. Le texte est signé par, notamment, Christiaan Cornelissen, Charles-Ange Laisant, François Le Levé ou Charles Malato.

Dans le contexte de l'Union sacrĂ©e, ils prennent ainsi publiquement parti pour le camp des AlliĂ©s et contre l’« agression allemande » : « En notre profonde conscience, l’agression allemande Ă©tait une menace - mise Ă  exĂ©cution - non seulement contre nos espoirs d’émancipation, mais contre toute l’évolution humaine. C’est pourquoi nous, anarchistes, nous antimilitaristes, nous, ennemis de la guerre, nous, partisans passionnĂ©s de la paix et de la fraternitĂ© des peuples, nous nous sommes rangĂ©s du cĂŽtĂ© de la rĂ©sistance et nous n’avons pas cru devoir sĂ©parer notre sort de celui du reste de la population. Nous ne croyons pas nĂ©cessaire d’insister que nous aurions prĂ©fĂ©rĂ© voir cette population prendre, en ses propres mains, le soin de sa dĂ©fense. Ceci ayant Ă©tĂ© impossible, il n’y avait qu’à subir ce qui ne pouvait ĂȘtre changĂ©. Et, avec ceux qui luttent, nous estimons que, Ă  moins que la population allemande, revenant Ă  de plus saines notions de la justice et du droit, renonce enfin Ă  servir plus longtemps d’instrument aux projets de domination politique pangermaniste, il ne peut ĂȘtre question de paix. Sans doute, malgrĂ© la guerre, malgrĂ© les meurtres, nous n’oublions pas que nous sommes internationalistes, que nous voulons l’union des peuples, la disparition des frontiĂšres. Et c’est parce que nous voulons la rĂ©conciliation des peuples, y compris le peuple allemand, que nous pensons qu’il faut rĂ©sister Ă  un agresseur qui reprĂ©sente l’anĂ©antissement de tous nos espoirs d’affranchissement. Â»[4]

Le Manifeste fonde donc son analyse de la situation sur la conviction que l'Allemagne est l'agresseur et que, en outre, sa victoire dans la guerre en cours reprĂ©senterait le triomphe du militarisme et de l'autoritarisme en Europe. Selon cette perspective, l'Allemagne est le « bastion de l'Ă©tatisme », la France « la patrie de la RĂ©volution de 89 et de la Commune », c'est pourquoi la victoire de l'Allemagne entraverait le dĂ©veloppement des idĂ©es libertaires et la marche vers une sociĂ©tĂ© fĂ©dĂ©raliste et dĂ©centralisĂ©e en Europe[5].

Pour Kropotkine, qui est au crĂ©puscule de sa vie, la France et l'idĂ©al rĂ©volutionnaire ne font qu'un. Il s'est passionnĂ© pour la Grande RĂ©volution de 1789, il a adhĂ©rĂ© Ă  la PremiĂšre Internationale au lendemain de la Commune de Paris. DĂ©fendre la France ne veut pas dire dĂ©fendre l’État français et sa politique impĂ©rialiste, mais dĂ©fendre l'idĂ©e mĂȘme d'Ă©mancipation individuelle et collective, idĂ©e qui coulerait dans les veines latines du peuple français. Car se dresse face Ă  cette France fantasmĂ©e, l'incarnation du Mal : l'empire allemand, son militarisme, son clĂ©ricalisme, son fĂ©odalisme[6].

Opposition des antimilitaristes

Les « antimilitaristes », majoritaires dans le mouvement anarchiste, dont Errico Malatesta, Emma Goldman, Alexander Berkman, Rudolf Rocker, Voline, SĂ©bastien Faure ou Ferdinand Domela Nieuwenhuis s'opposent Ă  cette prise de position, considĂ©rant « la guerre comme l'aboutissement inĂ©vitable du rĂ©gime capitaliste et de l'existence des États en tant que tels »[5].

Dans un numĂ©ro de Freedom d', Malatesta proteste personnellement contre les affirmations des Seize dans un article intitulĂ© « Anarchistes partisans du Gouvernement » : « Sauf la RĂ©volution populaire, il n’y a pas d’autre voie de rĂ©sistance Ă  la menace d’une armĂ©e disciplinĂ©e, qu’en ayant une armĂ©e plus forte et plus disciplinĂ©e, de sorte que les plus rigides antimilitaristes, s’ils ne sont anarchistes, et s’ils sont effrayĂ©s de la destruction de l’État, sont inĂ©vitablement, conduits a devenir d’ardents militaristes. En fait, dans l’espoir problĂ©matique d’écraser le militarisme prussien, ils ont renoncĂ© Ă  tout l’esprit et, Ă  toutes les traditions de la libertĂ©, ils ont prussianisĂ© l’Angleterre et la France ; ils se sont soumis au tsarisme ; ils ont restaurĂ© le prestige du trĂŽne chancelant d’Italie. Des anarchistes peuvent-ils, un seul instant, accepter cet Ă©tat de choses, sans renoncer a tout droit de s’intituler anarchistes ? »[7] - [8].

En , le Groupe international anarchiste de Londres rĂ©plique par la « DĂ©claration anarchiste de Londres » : « Collaborer avec un État, avec un gouvernement, dans sa lutte, fĂ»t-elle-mĂȘme dĂ©pourvue de violence sanguinaire, contre un autre État, contre un autre gouvernement, choisir entre deux modes d’esclavage, qui ne sont que superficiellement diffĂ©rents, cette diffĂ©rence superficielle Ă©tant le rĂ©sultat de l’adaptation des moyens de gouvernement Ă  l’état d’évolution auquel est parvenu le peuple qui y est soumis, voilĂ , certes, qui n’est pas anarchiste. À plus forte raison, lorsque cette lutte revĂȘt l’aspect particuliĂšrement ignoble de la guerre. Ce qui a toujours diffĂ©renciĂ© l’anarchiste des autres Ă©lĂ©ments sociaux dispersĂ©s dans les divers partis politiques, dans les diverses Ă©coles philosophiques ou sociologiques, c’est la rĂ©pudiation de l’État, faisceau de tous les instruments de domination, centre de toute tyrannie ; l’État qui est, par sa destination l’ennemi de l’individu, pour le triomphe de qui l’anarchisme a toujours combattu, et dont il est fait si bon marchĂ© dans la pĂ©riode actuelle, par les dĂ©fenseurs du droit Ă©galement situĂ©s, ne l’oublions pas, de chaque cĂŽtĂ© de la frontiĂšre. En s’incorporant Ă  lui, volontairement, les signataires de la dĂ©claration ont, en mĂȘme temps, reniĂ© l’anarchisme. »[9]

Ce qu'il faut dire, no 1, 2 avril 1916.

En France, SĂ©bastien Faure fonde en , Ce qu'il faut dire, journal dont l'objectif principal est de s'opposer au Manifeste des Seize ». CensurĂ©, pas une ligne du contre-manifeste prĂ©sent dans le premier numĂ©ro ne pourra ĂȘtre publiĂ©e[10].

Commentaire

Selon Hem Day dans l'EncyclopĂ©die anarchiste : « Cette longue polĂ©mique, si elle a provoquĂ©, dans les milieux anarchistes, des scissions et peut-ĂȘtre amenĂ© quelques bons camarades Ă  devoir rompre toutes relations entre eux, n’aura pas manquĂ© d’ĂȘtre fructueuse en enseignements, car elle aura dĂ©montrĂ© comment un accord parfait, Ă©tabli par prĂšs d’un demi-siĂšcle de propagande pour un idĂ©al commun, s’est trouvĂ© brusquement rompu devant un Ă©vĂ©nement d’une exceptionnelle gravitĂ©. [...] dans l’ensemble, le mouvement anarchiste fut nettement hostile [au Manifeste] »[3].

Les signataires

Le manifeste est dû à une initiative de Pierre Kropotkine et de Jean Grave, qui ont obtenu la signature de 13 autres personnalités (une erreur d'interprétation sur la signature d'Antoine Orfila aurait conduit à penser qu'elles étaient 14).

Par la suite, une centaine d'autres personnalitĂ©s anarchistes ont apportĂ© leur soutien venant de France, d'Italie (les plus nombreux), de Suisse, d’Angleterre, de Belgique et du Portugal.

Les signataires initiaux
Signataires additionnels

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, de 1914 Ă  nos jours, tome 2, Paris, Gallimard, 1992, page 15.
  2. René Bianco, 100 ans de presse anarchiste : La Bataille.
  3. Hem Day, Seize (le manifeste des), article de l'Encyclopédie anarchiste, texte intégral.
  4. RA.forum : Le Manifeste des Seize.
  5. Michael Confino, Anarchisme et internationalisme. Autour du "Manifeste des Seize". Correspondance inédite de Pierre Kropotkine et de Marie Goldsmith, janvier-mars 1916, Cahiers du Monde russe et soviétique, 1981, texte intégral.
  6. Christophe Patillon, Kropotkine et la Grande Guerre, MĂ©diapart, 10 juin 2015, lire en ligne.
  7. Maurice Laisant, Les anarchistes et l'Internationale durant la guerre de 1914, texte intégral.
  8. Errico Malatesta, Réponse au manifeste, texte intégral.
  9. « Manifeste des Seize (fĂ©vrier 1916) et DĂ©claration anarchiste de Londres (1916) », Ni Patrie ni frontiĂšres,‎ (lire en ligne).
  10. Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, de 1914 Ă  nos jours, tome 2, Paris, Gallimard, 1992, page 16.
  11. Selon certaines sources, le lieu de résidence d'Antoine Orfila a été pris pour un signataire ; en réalité, il n'y aurait pas 16 mais 15 signataires initiaux.
  12. Dictionnaire international des militants anarchistes : ISHIKAWA, Sanshiro « Kyokuzan », notice biographique.
  13. Dictionnaire international des militants anarchistes : TCHERKESOV Warlaam [TCHERKESICHVILI], notice biographique.
  14. Institut international d'histoire sociale (Amsterdam) : notice.
  15. Institut international d'histoire sociale (Amsterdam) : notice.
  16. Institut international d'histoire sociale (Amsterdam) : notice.
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