MĂ©rule pleureuse
Serpula lacrymans
La MĂ©rule pleureuse ou le MĂ©rule pleureur[1] (Serpula lacrymans, jadis Merulius lacrymans[2]) est une espĂšce de champignons basidiomycĂštes de la famille des Serpulaceae.
Son épithÚte spécifique, lacrymans ou « pleureuse », vient des larmes colorées qu'exsude son mycélium (gouttelettes de guttation). C'est le champignon du bois le plus souvent en cause lors d'attaques en intérieur. On l'appelle aussi en français « mérule des maisons », « cancer du bùtiment » ou plus simplement mérule, bien que d'autres espÚces comparables soient concernées à travers le monde.
Peu visible dans la nature, oĂč il dĂ©truit les souches de feuillus comme de conifĂšres, ce champignon lignivore est un redoutable ennemi du bois ĆuvrĂ© et de tous les matĂ©riaux contenant de la cellulose (livres, cartonnages, etc.). Il est Ă l'origine de la pourriture cubique qui dĂ©grade la cellulose, sans toucher Ă la lignine.
Taxonomie
Nom binomial accepté
Serpula lacrymans (Wulfen) J. Schröt., 1885[3]
Synonymes
- Boletus lacrymans Wulfen 1781 (synonyme)
- Boletus obliquus Bolton 1788 (synonyme)
- Gyrophana lacrymans (Wulfen) Pat. 1900 (synonyme)
- Merulius destruens Pers. 1801 (synonyme)
- Merulius destruens var. destruens Pers. 1801 (synonyme)
- Merulius domesticus H.G. Falk 1912 (synonyme)
- Merulius giganteus Saut. 1877 (synonyme)
- Merulius guillemotii Boud. 1894 (synonyme)
- Merulius lacrimans (Wulfen) Schumach. 1803 (synonyme)
- Merulius lacrymans (Wulfen) Schumach. 1801 (synonyme)
- Merulius lacrymans var. guillemotii (Boud.) Boud. 1911 (synonyme)
- Merulius lacrymans var. terrestris Peck 1897 (synonyme)
- Merulius terrestris (Peck) Burt 1917 (synonyme)
- Merulius vastator Tode 1783 (synonyme)
- Merulius vastator var. vastator Tode 1783 (synonyme)
- Serpula destruens (Pers.) Gray 1821 (synonyme)
- Serpula domestica (Falck) Bondartsev 1948 (synonyme)
- Serpula terrestris (Burt) S. Ahmad 1972 (synonyme)
- Sesia gigantea (Saut.) Kuntze 1891 (synonyme)
- Sistotrema cellare Pers. 1801 (synonyme)
- Sistotrema cellare var. cellare Pers. 1801 (synonyme)
- Xylomyzon destruens (Pers.) Pers. 1825 (synonyme)
Description
La mérule se manifeste par l'apparition d'une substance semblable à de l'ouate épaisse et blanche ou à une toile d'araignée, qui vire ensuite au gris.
Les filaments gris argentĂ© du mycĂ©lium, d'un diamĂštre de 6 Ă 8 ÎŒm, peuvent aller jusqu'Ă plusieurs mĂštres de longueur. Ils s'insinuent au cĆur du bois et peuvent mĂȘme traverser par les joints les murs maçonnĂ©s. Ă l'Ă©tat sec, les filaments deviennent cassants.
Quelquefois, la mérule se manifeste sous la forme d'un véritable sporophore rond à elliptique à marge de croissance blanche. Le champignon se présente sous la forme d'une masse molle, visqueuse, d'un à deux centimÚtres d'épaisseur et de couleur rouge brun. Il contient des spores de couleur rouge.
Conditions de développement
La mĂ©rule se dĂ©veloppe principalement sur les rĂ©sineux, mais aussi sur les feuillus. Aucune essence des rĂ©gions tempĂ©rĂ©es ne rĂ©siste Ă la mĂ©rule ; seules quelques essences tropicales â iroko (Milicia excelsa), douka ou makorĂ© (Tieghemella heckelii), doussiĂ© (Afzelia africana), etc. â prĂ©sentent une rĂ©sistance notable[CTBA 1].
Les conditions de développement sont[CTBA 2] :
- le taux d'humiditĂ© du bois (Ă partir de 22 %), l'humiditĂ© optimale est aux alentours de 35 %[4], le dĂ©veloppement s'arrĂȘte Ă 40 %[5] ;
- la température optimale entre 18 et 22 °C (maximum à 26 °C), la mérule ne résiste cependant pas aux hautes températures[6] ;
- une atmosphÚre confinée ;
- l'obscurité ;
- vapeurs d'ammoniaque (lieux d'aisance).
Autrement dit, un bĂątiment « sain » â clos, couvert, ventilĂ©, etc. â et entretenu â sans fuites de plomberie â est Ă l'abri de la mĂ©rule.
En conditions qui ne lui conviennent plus, le champignon ne meurt pas mais entre en pĂ©riode de latence et est prĂȘt Ă se « rĂ©veiller » dĂšs que les conditions dâhumiditĂ© et de tempĂ©rature sont Ă nouveau favorables.
Mode de propagation
La partie vĂ©gĂ©tative de la mĂ©rule est un mycĂ©lium composĂ© d'hyphes de moins de 10 ÎŒm de diamĂštre[CTBA 3] qui se dĂ©veloppent dans les cavitĂ©s du bois. En surface, les hyphes s'agglomĂšrent ou s'entremĂȘlent et forment soit une toile grisĂątre, soit des rhizomorphes souvent ramifiĂ©s en palmettes.
Les rhizomorphes de mérule sont capables de traverser par les joints les murs maçonnés . Ils ont aussi la capacité de transporter de l'eau[CTBA 1], ce qui permet au champignon de se propager de proche en proche sur des piÚces de bois à priori saines.
La propagation ne cesse pas, jusqu'à la température létale de 28 °C.
Conséquence d'une infestation
Dégùts matériels
Les bois nus deviennent brunĂątres, s'effritent et partent en morceaux en raison de la destruction de la cellulose. Les bois peints se boursouflent puis se craquellent. Les ramifications peuvent traverser les joints de ciment, les briques poreuses et abĂźmer ainsi les murs. Bien que la mĂ©rule pleureuse puisse traverser la maçonnerie, elle ne peut toutefois pas la dĂ©truire. Cette mĂ©rule colonise et dĂ©truit principalement le bois ĆuvrĂ© (charpentes, escaliers).
Il est fort probable que les dégùts provoqués dans les maisons par cette mérule soient déjà évoqués aux temps bibliques, dans le chapitre 14 du Livre du Lévitique[7] qui parle de la « lÚpre des maisons » et donne des conseils pour y remédier[8].
DĂšs le XVIe siĂšcle, l'expansion navale forcĂ©e entraĂźne la construction prĂ©cipitĂ©e de navires pour la Royal Navy. L'utilisation de bois de construction mĂ©diocre et importĂ© ainsi qu'un sĂ©chage dĂ©ficient favorisent le dĂ©veloppement de la mĂ©rule pleureuse responsable de la pourriture sĂšche[9]. Durant les guerres napolĂ©oniennes, cette mĂ©rule provoque de gros dĂ©gĂąts dans la flotte britannique de l'amiral Nelson, vainqueur Ă Aboukir en 1798 et Ă Trafalgar en 1805. Ce dĂ©sastre fongique aurait ainsi dĂ©truit plus de la moitiĂ© de la flotte de la Royal Navy en 1815, pertes bien supĂ©rieures Ă celles dues aux batailles navales, ce qui « incitera l'amirautĂ© britannique Ă se tourner vers les coques mĂ©talliques. Si le champignon avait fait son Ćuvre plus tĂŽt, NapolĂ©on⊠aurait eu les moyens d'envahir la âperfide Albionâ[10] ! »
- Forme naissante.
- Fructification.
- Filaments entre deux piĂšces de bois.
- Poutre attaquée.
- Bois dégradé par la Mérule.
Risques pour la santé
Un nombre trĂšs faible de publications scientifiques lient la prĂ©sence de Serpula lacrymans Ă des effets sur la santĂ© physique[11]. Ainsi, selon les connaissances actuelles, le champignon ne peut ĂȘtre classĂ© pathogĂšne, toxique ou infectieux[12]. Cependant, les conditions de dĂ©veloppement de la mĂ©rule favorisent le dĂ©veloppement dâorganismes pathogĂšnes, tels que les moisissures[12].
Traitement
Mesures préventives
Le moyen le plus sĂ»r de protĂ©ger un bĂątiment est de le maintenir dans des conditions oĂč la mĂ©rule ne se dĂ©veloppe pas, c'est-Ă -dire qu'il faut Ă©viter les entrĂ©es d'eau et qu'il est nĂ©cessaire d'assurer une ventilation suffisante.
Les fuites de toiture et de plomberie doivent impĂ©rativement ĂȘtre rapidement rĂ©parĂ©es et il faut ventiler les bois humides. Si une pathologie se dĂ©veloppe et que son origine n'est pas dĂ©celĂ©e, une recherche de fuite est recommandĂ©e. Les aĂ©rations[13] et les soupiraux doivent ĂȘtre maintenus fonctionnels. Les piĂšces de bois susceptibles d'ĂȘtre exposĂ©es Ă l'humiditĂ©[14] doivent permettre Ă l'eau de s'Ă©vaporer : les peintures et les vernis impermĂ©ables sont donc Ă proscrire. Les dispositifs d'isolation thermique de la toiture ne doivent pas permettre la condensation au contact des bois de charpente[CTBA 4], etc.
Mesures curatives
La premiĂšre des choses Ă faire est de rĂ©tablir les conditions oĂč la mĂ©rule ne se dĂ©veloppe pas[15]. Le traitement fongicide intervient en complĂ©ment[CTBA 5].
L'assainissement consiste en un rĂ©tablissement du hors d'eau (recherche et suppression des causes de l'humiditĂ©) et une ventilation efficace pour permettre Ă l'eau de s'Ă©vaporer. Les obstacles Ă l'Ă©vaporation (par exemple un revĂȘtement de sol impermĂ©able) doivent ĂȘtre dĂ©posĂ©s.
Le traitement fongicide se déroule en trois phases :
- la préparation consiste à éliminer tous les bois atteints et à dégager les bois à traiter ;
- le traitement des sols et des murs consiste à dégager les maçonneries pour rechercher les rhizomorphes, à stériliser les maçonneries à la flamme, puis à traiter par pulvérisation, badigeonnage et/ou injections ;
- le traitement des bois se pratique sur les bois secs. Les bois (quelle que soit l'essence) sont traités en profondeur dans les zones contaminées par injection, par remplissages répétés ou sous pression, et traités superficiellement dans les zones saines ou peu atteintes.
Ces phases sont commencées lorsque l'infection est découverte, et l'infection est parfois trÚs avancée. Il est alors indispensable de procéder à des destructions importantes des structures en bois du bùtiment, si les planchers et les poutres sont contaminées[16].
Importance Ă©conomique
En France, la mĂ©rule pleureuse est le plus rĂ©pandu des champignons lignivores dans les bĂątiments, surtout Ă cause de la mauvaise connaissance du bois. Il revĂȘt donc une importance Ă©conomique particuliĂšre selon l'Agence nationale de l'habitat[18].
La loi ALUR de 2014 dĂ©termine le seul cadre lĂ©gal de la mĂ©rule, et est axĂ© autour de la prĂ©vention et de lâinformation[19].
Il est estimé que le coût de la réparation des dommages dus à cette mérule s'élÚve annuellement à plusieurs centaines de millions de livres (£) pour les constructions en Grande-Bretagne, en Europe du Nord et en Europe centrale, dans certaines parties de l'Australie et dans d'autres régions tempérées du monde[20].
Perspectives de la recherche
Dans la revue Science du , des chercheurs de lâINRA et du CNRS ont fait part d'avancĂ©es importantes. Ils sont en effet parvenus à « caractĂ©riser le mĂ©canisme de dĂ©polymĂ©risation de la lignine » par la mĂ©rule pleureuse. La meilleure comprĂ©hension du procĂ©dĂ© utilisĂ© par ce parasite va certainement permettre de mettre au point de nouvelles techniques de lutte et mĂȘme intĂ©resser le secteur de la bioĂ©nergie, Ă la recherche de processus accĂ©lĂ©rant la dĂ©gradation des polymĂšres du bois en vue de la fabrication de biocarburant[21].
Notes et références
Source
- Collectif CTBA, Insectes et champignons du bois, Paris, CTBA, (réimpr. 2000), 116 p. (ISBN 2-85684-036-1)CTBA (Centre technique du bois et de l'ameublement dont les archives sont consultables sur ce site internet.
- p. 94.
- p. 93.
- p. 92.
- p. 94-95.
- p. 95.
Références
- Le nom mérule s'emploie indifféremment au masculin ou au féminin.
- Merulius (en tant que nom de genre de champignon, masculin), apparaßt en 1742, proposé par le mycologue suisse Haller (Enum. meth. Stirp. Helv. indig.), et validé par G.R. Boehmer en 1760 (Ludwig Defin. Gen. Pl.: 492) pour désigner les Chanterelles. Le mot est plus ancien, selon Fries, Haller le disait synonyme ancien des Morilles, autrefois populaire, selon Saint-Amans, pour désigner des espÚces « parfaitement comestibles (merus + ul) » !
Son Ă©tymologie est incertaine, mĂȘme si une autre hypothĂšses plus douteuse invoque = merle (noirceur, obscuritĂ© des caves ? / festons (imbrication du plumage ?) - J. Schrot. Meddn Soc. Faune Flore Fenn. 11:21; 1885.
- Le bois, quelle que soit son essence, est considĂ©rĂ© comme saturĂ© en eau Ă partir de 30 % d'humiditĂ© (oĂč l'humiditĂ© se calcule ainsi : ) ; voir cette explication sur l'humiditĂ© du bois.
- CTBA_PÎle_construction2000">CTBA PÎle construction, Le traitement des bois dans la construction, Paris, Eyrolles, (réimpr. 2004), 140 p. (ISBN 2-212-11844-9), p. 61.
- (en) Olaf Schmidt, Wood and Tree Fungi: Biology, Damage, Protection, and Use, Springer Science & Business Media, , p. 68.
- Lv 14,33-48 dans la Bible Segond, LĂ©vitique 14:33-48 dans la Bible du Rabbinat.
- Jean-Christophe Guéguen, David Garon, Biodiversité et évolution du monde fongique, EDP Sciences, , p. 4.
- (en) C. R. Coggins, Decay of Timber in Buildings: Dry Rot, Wet Rot and Other Fungi, Rentokil Limited, , p. 33.
- Guéguen, op. cit., p. 5.
- Institut national de santé publique du Québec, « Mérule pleureuse », (consulté le ).
- Pierre Chevalier, Vicky HuppĂ© et Jean-Marc Leclerc, « La mĂ©rule pleureuse (Serpula lacrymans) dans lâenvironnement intĂ©rieur et risque Ă la santĂ© », Institut national de santĂ© publique du QuĂ©bec,â (ISBN 978-2-550-74019-3, lire en ligne [PDF], consultĂ© le ).
- Ă savoir non seulement les aĂ©rations des piĂšces Ă vivre, mais aussi les aĂ©rations des planchers â en particulier si les revĂȘtements de sol sont Ă©tanches (dallage plastique, linoleum, sol vinylique, etc.) â, les ventilations de vide sanitaire, les ventilations des bois de charpente, etc.
- Notamment dans les piÚces humides (salles de bains, toilettes, cuisines, etc.) ou en façade (menuiseries).
- Le CTBA affirme qu'à une humidité inférieure à 22 %, la mérule ne survit pas plus de trois semaines.
- Zone interdite, M6, dimanche .
- Source : Institut technologique FCBA.
- Prévention et lutte contre les mérules dans l'habitat[PDF] - site merule-info.com (consulté le ).
- (en) « LOI no 2014-366 du pour l'accÚs au logement et un urbanisme rénové (1) - Article 76 | Legifrance », sur legifrance.gouv.fr (consulté le ).
- (en) Olaf Schmidt, « Indoor wood-decay basidiomycetes : damage, causal fungi, physiology, identification and characterization, prevention and control », Mycological Progress (en), vol. 6, no 4,â , p. 261-279 (DOI 10.1007/s11557-007-0534-0).
- Service Presse INRA, « La mérule démasquée », sur presse.inra.fr, (consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
- « La marine anglaise vaincue par un champignon », Jean-Pierre Cuny, 1987 Extrait (p. 55-58) de « Lâamiral et la mĂ©rule », in L'Aventure des plantes, Fixot Ă©d., 1987 ; prĂ©face de Jean-Marie Pelt.
Liens externes
- (en) Référence Index Fungorum : Serpula lacrymans (+ MycoBank)
- (fr) Référence Société mycologique de France : bibliographie sur Serpula lacrymans