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Liturgies protestantes en Alsace

Au XVIe siècle, la Réforme suscite des changements au plan de la liturgie et du culte. En général, elle s’exprime d’abord par des prédications et des textes programmatiques. Mais très tôt – à Strasbourg dès 1524 – on commence à célébrer la messe dans la langue du peuple et la communion sous les deux espèces. Des considérations théologiques et des directives, inspirées en particulier par Martin Bucer, auteur de Grund und Ursach[1] se multiplient, débouchant tout au long du siècle sur de nouveaux textes liturgiques ainsi que sur une nouvelle structuration des célébrations. Les changements cultuels et la théologie réformatrice s’imposent dans la ville, bientôt suivie par d’autres villes et territoires en Alsace.

Matthieu Zell.

L’initiative des changements est prise par des thĂ©ologiens acquis au message luthĂ©rien : chapelains, moines, prĂ©dicateurs, vicaires. Ă€ Strasbourg, c’est Matthieu Zell, le plĂ©ban de la cathĂ©drale qui, en 1524, utilise pour la première fois l’allemand lors d’un baptĂŞme au lieu du latin. Son collègue Diebold Schwarz cĂ©lèbre la mĂŞme annĂ©e la messe dans la mĂŞme langue. Les divers formulaires liturgiques, et en particulier les chants, sont imprimĂ©s. Mais la rĂ©forme du culte – une res publica - n’aurait pas pu se faire sans l’accord des autoritĂ©s civiles. C’est pourquoi les textes et directives liturgiques figurent souvent dans les Ordonnances ecclĂ©siastiques promulguĂ©es par les autoritĂ©s. Ă€ Strasbourg, celles-ci soumettent en 1529 la suppression de la messe au vote des Ă©chevins. Comme ailleurs dans l’espace protestant, des rites traditionnels comme l’emploi de sel et de l’huile au cours du baptĂŞme ou l’élĂ©vation dans la cène disparaissent. Au plan du vocabulaire, le terme « liturgie Â» n’apparaĂ®t que rarement, ainsi que celui de « culte Â». On parle plutĂ´t de « cĂ©rĂ©monies Â», de KirchenĂĽbung (exercice), de Kirchenamt (office), de Gebet (prière), d’Ordnung (ordonnance), de « rite Â», d’Agende[2], c’est-Ă -dire un formulaire qui contient l’ensemble des textes liturgiques en prĂ©cisant le dĂ©roulement du culte. Le terme « messe Â» n’est plus employĂ©.

La diversité des textes liturgiques

Elle est frappante dans l’espace protestant. Il n’existe pas de missel unifiĂ©. MĂŞme s’il y a accord sur les grands principes dont l’affirmation de la justification par la foi qui Ă©cartait tout caractère sacrificiel de la messe et qu’on insistait sur la participation active des fidèles, deux facteurs expliquent la diversitĂ©. C’est d’une part la conviction qu’en matière de cĂ©rĂ©monie, la diversitĂ© Ă©tait lĂ©gitime et qu’il fallait laisser une grande libertĂ© aux cĂ©lĂ©brants et aux communautĂ©s locales. Il y a d’autre part le morcellement territorial au sein ont leurs propres formulations liturgiques. Pour autant, divers facteurs contribuent Ă  une certaine uniformisation. C’est d’une part l’hĂ©ritage mĂ©diĂ©val : les textes de la tradition tels que la prière dominicale, les paroles d’institution de la cène, la prière du Kirchengebet (une prière d’intercession), des hymnes mĂ©diĂ©vaux continuent Ă  ĂŞtre utilisĂ©s. Et, mĂŞme si la cène est toujours cĂ©lĂ©brĂ©e, la pratique d’un culte dominical en allemand, en particulier en Allemagne du sud, sans cĂ©lĂ©bration de la cène, Ă©tait dĂ©jĂ  attestĂ©e Ă  la fin du Moyen Ă‚ge, comme le montre le Manuale curatorum du Bâlois Johann Ulrich Surgant de 1502[3]. Par ailleurs, l’influence de quelques Agendes extĂ©rieures Ă  l’Alsace sur les Agendes en usage dans la rĂ©gion est frappante. C’est le cas en particulier de celles du Wurtemberg de 1536, et surtout de 1553 et de 1559[4]. RattachĂ©e Ă  la Suisse, la ville de Mulhouse reprend dans une large mesure les textes et pratiques liturgiques de Bâle. Dans l’Alsace du nord, les formulaires liturgiques du duchĂ© de Deux-Ponts[5], de Leiningen-Westerburg (en)[6], du Palatinat Ă©lectoral[7] et d’autres encore sont en usage. Dans la seconde moitiĂ© du siècle, la luthĂ©ranisation de la plupart des Églises protestantes d’Alsace contribue Ă  une certaine uniformisation des formulaires liturgiques.

Les directives liturgiques

Kirchenordnung, Strasbourg, 1598.
Forma des heil. Tauffes, KO Strasbourg, 1598.
Bericht und Trost fĂĽr die Krancke, KO Strasbourg, 1598.
Von den Sontäglichen Amtpredigten, KO Strasbourg, 1598.

On les trouve dans les divers formulaires imprimĂ©s et dans les Kirchenordnungen (Ordonnances ecclĂ©siastiques), nombreuses surtout au XVIe siècle. Les directives concernent les cultes dominicaux, les offices cĂ©lĂ©brĂ©s en semaine et des cultes spĂ©ciaux tels que des cultes catĂ©chĂ©tiques une fois par mois ou par trimestre, ou des cultes de repentance, ou encore les cultes de CarĂŞme. Des directives traitent aussi des sacrements, c’est-Ă -dire du baptĂŞme (des enfants) et de la cène, en utilisant le terme Nachtmahl et en abandonnant celui de « messe Â». D’autres formulaires et directives concernent la cĂ©lĂ©bration du mariage et des obsèques, l’ordination des pasteurs ou encore la communion des malades. C’est surtout Ă  Strasbourg[8] qu’on trouve, tout au long du siècle, de nombreux formulaires liturgiques dont les plus longs apparaissent dans la seconde moitiĂ© du siècle.

Certains formulaires prĂ©voient Ă  quel moment le pasteur doit monter en chaire ou se tenir Ă  l’autel. Ce dernier terme est Ă  nouveau utilisĂ© après un premier temps oĂą, Ă  Strasbourg, il Ă©tait question seulement de « table du Seigneur Â». Dans les villes, les heures du culte sont indiquĂ©es ainsi que les paroisses oĂą la cène est cĂ©lĂ©brĂ©e. En ce qui concerne la prĂ©dication, centrale dans les cĂ©lĂ©brations protestantes, il est prĂ©cisĂ© dans plusieurs textes qu’elle ne doit pas dĂ©passer une heure le dimanche et une demi-heure en semaine. Le dimanche matin, elle porte Ă  Strasbourg sur les Ă©vangiles, l’après-midi sur les Ă©pĂ®tres, le lundi Ă©tait consacrĂ© Ă  la lecture et Ă  l’explication des prophètes, le mardi aux psaumes, le mercredi aux Ă©pĂ®tres, le jeudi au Pentateuque et aux autres livres historiques de l’Ancien Testament, le vendredi et le samedi aux Ă©vangiles. Le baptĂŞme est cĂ©lĂ©brĂ© en gĂ©nĂ©ral Ă  l’autel et non plus Ă  l’entrĂ©e de l’église. Un des formulaires prĂ©cise les questions qui doivent ĂŞtre posĂ©es aux parrains et marraines[9]. Un formulaire pour la confirmation apparaĂ®t seulement en 1557[10]. Selon divers formulaires (en particulier Ă  Strasbourg), la cène Ă©tait prĂ©parĂ©e la veille de la cĂ©lĂ©bration par un office spĂ©cial, Ă  la fois d’explication et de confession des pĂ©chĂ©s collective, voire individuelle avec absolution individuelle. D’abord facultatif, cet office de prĂ©paration devient obligatoire dans la seconde moitiĂ© du siècle. De nombreuses directives prĂ©cisent la frĂ©quence de la cĂ©lĂ©bration de la cène. Elle est cĂ©lĂ©brĂ©e tous les dimanches Ă  la cathĂ©drale et Ă  tour de rĂ´le dans quatre autres Ă©glises de Strasbourg. Ailleurs elle est cĂ©lĂ©brĂ©e soit tous les deux mois (Hanau-Lichtenberg), soit une fois par mois en ville selon les Ordonnances ecclĂ©siastiques du Palatinat Ă©lectoral et du duchĂ© de Deux-Ponts, et mĂŞme tous les 15 jours Ă  Strasbourg d'après Marbach. L’Ordonnance ecclĂ©siastique de Strasbourg indique comment l’autel doit ĂŞtre prĂ©parĂ© pour la cĂ©lĂ©bration de la cène[11], celle de Marbach qui la prĂ©cĂ©dait prĂ©cisait l’ordre selon lequel les fidèles devaient s’approcher de l’autel, d’abord les hommes puis les femmes[12]. Durant les cĂ©lĂ©brations, les fidèles sont invitĂ©s Ă  plusieurs reprises Ă  chanter des psaumes ou des hymnes mĂ©diĂ©vaux traduits et adaptĂ©s en allemand ou encore le Credo apostolique (qui a remplacĂ© en gĂ©nĂ©ral le Credo de NicĂ©e), voire le Notre Père. Selon l’Ordonnance du Hanau-Lichtenberg[13], le pasteur officiant dans un village oĂą il n’y a pas d’école doit chanter seul un psaume au dĂ©but du culte. Pendant la communion, on chante Gott sei gelobet ou Jesus Christus unser Heiland. Ă€ d’autres moments, on chante Christ ist erstanden. LĂ  oĂą existe une Ă©cole latine (Strasbourg, Bouxwiller), une antienne peut, voire doit ĂŞtre chantĂ©e en latin par les Ă©lèves[14].

En un premier temps Ă  Strasbourg, tous les dimanches se ressemblent[15]. Peu Ă  peu les fĂŞtes traditionnelles telles que NoĂ«l, la Saint Étienne, le Vendredi saint, Pâques et le lundi de Pâques, l’Ascension, PentecĂ´te et le lundi de PentecĂ´te sont rĂ©intĂ©grĂ©s dans les cĂ©lĂ©brations. Mais d’autres fĂŞtes vont s’y ajouter concernant l’Épiphanie, la purification de la Vierge, l’annonce faite Ă  Marie la Visitation, la dĂ©collation de Jean Baptiste, la conversion de Paul, la figure de Marie Madeleine, la fĂŞte de Saint Michel. Les figures auxquelles se rapportent ces fĂŞtes doivent ĂŞtre Ă©voquĂ©es dans l’office matinal de la semaine. Dans le comtĂ© de Hanau-Lichtenberg, plusieurs de ces fĂŞtes sont considĂ©rĂ©es comme des « demi-fĂŞtes Â», Ă  cĂ©lĂ©brer moins intensĂ©ment que les autres fĂŞtes[16].

Les éléments de la liturgie

Des offices célébrés en semaine, chaque jour selon l’Ordonnance ecclésiastique de 1598, le matin et le soir, surtout dans les villes, comportent une prière de repentance, une demande de protection, la prière dominicale, une prédication et une dernière prière[17]. L’Ordonnance ecclésiastique du Palatinat électoral[18] prévoit des offices le soir dans les villes le mercredi et le vendredi avec chant des psaumes, prédication et prière. Dans les villages on prévoit un office comportant prière, chant et prédication. Le culte dominical se compose d’une entrée qui peut prendre plusieurs formes, d’une confession des péchés publique et d’une absolution, d’une lecture de l’épître et de l’évangile du dimanche, remplacée quelquefois par une lecture continue d’un livre biblique. Le Credo apostolique peut être dit ou chanté avant ou après la prédication. Celle-ci porte en général sur l’évangile du jour. Il y a aussi, après la prédication ou intégrée dans la célébration de la cène, la prière d’intercession pour tous les états de la société, ou une litanie. La place de la prière dominicale varie selon les formulaires. Certains prévoient aussi la lecture des Dix commandements. Les célébrations se terminent par la bénédiction, celle d’Aaron (Nombres 6, 24-26).

Quand la sainte cène est célébrée, le début du culte peut se réduire, comme par exemple dans le comté de la Petite-Pierre[19] à une invocation du Saint-Esprit, des prières, une confession de la foi, une prédication. La partie consacrée à la cène commence par une exhortation à communier dignement ou/et une explication de ce qu’est la cène et de ce qu’elle apporte aux fidèles, une confession des péchés et une intercession suivies de l’absolution et des paroles d’institution. La communion est suivie d’une action de grâces. Ce déroulement apparaît avec certaines variations dans la plupart des formulaires. Des éléments traditionnels de la messe comme la préface ou le Sanctus ont en général disparu. Dans beaucoup de liturgies, l’explication et l’enseignement, relatifs notamment aux sacrements, tiennent une grande place, qui est même grandissante tout au long du siècle.

Au-delà du XVIe siècle

En général la continuité prévaut par rapport aux directives liturgiques et éléments liturgiques mis en place au XVIe siècle. Quelques modifications mineures apparaissent pourtant, telle l’action de grâce, dans la nouvelle Ordonnance ecclésiastique de La Petite Pierre (1605), pour la protection divine pendant la nuit. La Forme des Cérémonies incluse dans l'Ordonnance ecclésiastique de Colmar invite à intercéder nommément pour des fidèles malades. Elle précise par ailleurs les textes bibliques sur lesquels doivent porter les prédications du mercredi et du vendredi matin. Dans le Hanau-Lichtenberg, l’Ordonnance ecclésiastique de 1659 reprend celle de 1573, mais l’étoffe considérablement. La prédication ne doit pas dépasser la demi-heure ou trois quarts d’heure et éviter les invectives et les sujets trop pointus. Dans les villages, les chants doivent être simples et se rapporter au Notre Père, à la foi, au décalogue. L’Ordonnance prévoit des journées de prière mensuelles ainsi qu’une fête des moissons.

À Strasbourg, les révisions apportées en 1670 à l’Ordonnance ecclésiastique de 1598 n’apportent pas de changements notables, sauf qu’elles intègrent dorénavant tous les écrits du Nouveau Testament (y compris l'Épître de Jacques). Pour la Mittagspredigt à la cathédrale, elle stipule qu’il faut dorénavant prêcher sur le catéchisme et la Confession d'Augsbourg. Au culte dominical principal, une litanie remplace la prière d’intercession. On renonce à fixer d’autorité la fréquence de la célébration de la cène. C’est aux pasteurs d’en décider. Mais dans l’ensemble la continuité a prévalu quasiment jusqu’au XIXe siècle.

Notes et références

  1. Grund und ursach ausz gotlicher Schrifft der neuwerungen,Strasbourg, Wolfang Köpfel, 1524.
  2. (de) « Agende », Theologische Realenzyklopädie, Berlin, Walter de Gruyter, t. 1, 1977, p. 755-785 ; t. 2, 1998, p. 91.
  3. René Bornert, La Réforme protestante du culte au XVIe siècle (1523-1598). Approche sociologique et interprétation théologique, Leiden, Brill, 1981, p. 389
  4. (de) Sehling, op.cit., XVII, II
  5. Kirchenordnung (KO) 1557
  6. Kirchenordnung (KO) 1566
  7. Kirchenordnung (KO) 1563
  8. Kirchenordnung (KO) XX, 1, 15
  9. KO Strasbourg, XX, 1, p. 392
  10. KO, ibidem, p. 396-399
  11. KO Strasbourg, 1598, p. 611
  12. KO Strasbourg, 1598, p. 414
  13. (de) Emil Sehling (de), Die evangelischen Kirchenordnungen des XVI. Jahrhunderts, Leipzig, 1902, vol. XX, II, p. 53
  14. KO Hanau-Lichtenberg, 1573, p. 50
  15. KO Strasbourg, p. 342
  16. KO Hanau-Lichtenberg, 1573, p. 72
  17. KO Strasbourg, p. 428 et 584
  18. (de) Sehling, op. cit., XIV, II, p. 393
  19. (de) Sehling, op. cit., XVIII, I, p. 602 et suiv.

Annexes

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (de) Johann Adam, Evangelische Kirchengeschichte der Stadt Strassburg bis zur Französischen Revolution, Strasbourg, Heitz, 1922, 496 p.
  • (de) Johann Adam (de), Evangelische Kirchengeschichte der elsässischen Territorien bis zur Französischen Revolution, Strasbourg, Heitz, 1928.
  • (de) « Agende », Theologische Realenzyklopädie, Berlin, Walter de Gruyter, t. 1, 1977, p. 755-785 ; t. 2, 1998, p. 91.
  • RenĂ© Bornert, La RĂ©forme protestante du culte au XVIe siècle (1523-1598). Approche sociologique et interprĂ©tation thĂ©ologique, Leiden, Brill, 1981, 654 p. (Ă©d. abrĂ©gĂ©e d'une thèse de thĂ©ologie catholique, Strasbourg, 1976) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • (de) Martin Bucer, Deutsche Schriften, GĂĽtersloher Verlagshaus, Paris-GĂĽtersloh, 1960ss (BDS).
  • Louis BĂĽchsenschĂĽtz, Histoire des liturgies en langue allemande dans l'Église de Strasbourg au XVIe siècle, Cahors, Impr. A. Coueslant, 1900, 153 p.
  • (de) Friedrich Hubert, Die StraĂźburger liturgischen Ordnungen im Zeitalter der Reformation nebst einer Bibliographie der StraĂźburger GesangbĂĽcher (gesammelt und herausgegeben von Friedrich Hubert), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1900, 154 p.
  • (de) Emil Sehling (de), Die evangelischen Kirchenordnungen des XVI. Jahrhunderts, Leipzig, 1902, en particulier les volumes XX, I : Elsass, StraĂźburg, et XX, II : Elsass, die Territorien. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article

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