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Les Principes du calcul infinitésimal

Les Principes du calcul infinitésimal est un livre de René Guénon paru en 1946. L'objectif du livre est de montrer à quoi correspondent les sciences sacrées, c'est-à-dire des sciences qui ne sont pas détachées de leurs principes transcendants et qui servent de support pour la contemplation spirituelle. Il oppose ces sciences sacrées aux sciences profanes modernes qui ne sont tournées que vers les applications matérielles. Il prend ici l'exemple du calcul infinitésimal.

Les Principes du calcul infinitésimal
Auteur René Guénon
Pays Drapeau de la France France
Genre ÉsotĂ©risme
Éditeur Gallimard
Date de parution
Nombre de pages 192
ISBN 978-2070196920
Chronologie

Objectif du livre

Gottfried Wilhelm Leibniz, le fondateur du calcul infinitĂ©simal avec Isaac Newton. Le livre est le rĂ©sultat du mĂ©moire de diplĂŽme d'Ă©tudes supĂ©rieures de GuĂ©non en philosophie des sciences qu'il prĂ©senta au professeur Gaston Milhaud en 1916 et centrĂ© sur les travaux en mathĂ©matiques de Leibniz[LE 1] - [MFJ 1]. Ce dernier a intĂ©ressĂ© GuĂ©non dans la mesure oĂč il se situait Ă  la transition entre la science sacrĂ©e et la science profane : d'aprĂšs GuĂ©non, Leibniz avait des connaissances en scolastique et aurait reçu des transmissions des derniers authentiques Rose-Croix[PCI 1].

GuĂ©non avait pour objectif, dans ce livre, de montrer comment on peut rattacher une science, ici les mathĂ©matiques et plus prĂ©cisĂ©ment le calcul infinitĂ©simal, aux principes transcendants avec lesquels elle avait perdu contact, pour en faire un support de contemplation spirituelle[RC 1] et, donc, de mettre en Ă©vidence la diffĂ©rence entre une science sacrĂ©e et une science profane[VD 1]. GuĂ©non avait dĂ©jĂ  expliquĂ© que la science et mĂȘme l'industrie moderne n'Ă©taient pas, en soi, incompatibles avec le monde traditionnel[RC 2]. En revanche, les points de vue de la science profane et de la science sacrĂ©e sont incompatibles et mĂȘme contradictoires[VD 1]. La science sacrĂ©e ou traditionnelle est constamment rattachĂ©e au « Principe » transcendant dont tout dĂ©pend : une science sacrĂ©e ne peut concevoir l'Ă©tude d'un domaine particulier sans garder consciemment ce lien avec la source de toutes choses. Loin de nier la vĂ©ritĂ© relative des phĂ©nomĂšnes qu'elle Ă©tudie (physique, chimie, astronomie, etc.) et de la valeur relative d'une description rationnelle de ces phĂ©nomĂšnes, la science sacrĂ©e regarde ces phĂ©nomĂšnes en dĂ©pendance de leur cause transcendante[VD 1].

Pour lui, au contraire, la science profane se considĂšre comme complĂštement indĂ©pendante, prĂ©tendant se fonder en absence de toute rĂ©fĂ©rence extĂ©rieure Ă  elle-mĂȘme[VD 1]. Elle nie tout ce qui dĂ©passe le plan matĂ©riel et nie le domaine du supra-rationnel. Le supra-rationnel n'est pas, pour lui, l'irrationnel (qui correspond au domaine de l'infra-rationnel) mais ce qui dĂ©passe la raison et la fonde[VD 2]. La science profane nie l'existence de ce qui est au-delĂ  du matĂ©riel ou le considĂšre comme inconnaissable. GuĂ©non s'est exprimĂ© Ă  plusieurs reprises sur le paradoxe de ces hommes de science qui se font gloire de leur agnosticisme ce qui revient Ă  se faire gloire de leur ignorance (agnostique voulant dire Ă©tymologiquement ignorant)[VD 3]. La science profane est, d'aprĂšs lui, entiĂšrement tournĂ©e vers les applications pratiques, surtout industrielles[CMM 1] - [OO 1]. CoupĂ©e de son « Principe » transcendant, elle devient ainsi une « science folle » s'enfermant dans le monde du changement sans aucun point fixe et produisant des « machines », en particulier des armes, de plus en plus incontrĂŽlables[VD 3] : il prĂ©dit dans Orient et Occident en 1924 l'apparition prochaine de « produits » qui pourraient dĂ©truire un continent entier[OO 2]. Il qualifie la science profane comme un « savoir ignorant » se situant volontairement au niveau le plus bas de la rĂ©alitĂ©[VD 4]. Il ne nie pas l'efficacitĂ© en termes pratiques de la science moderne, mais dĂ©clare que la vĂ©rification par les faits ne dit pas qu'une thĂ©orie est vraie car il est toujours possible de trouver plusieurs thĂ©ories par lesquelles les faits s'expliquent Ă©galement bien : on ne peut qu'Ă©liminer certaines hypothĂšses mais jamais arriver Ă  des certitudes[CMM 1] - [OO 1].

Le symbolisme mathĂ©matique joue un rĂŽle important dans l'Ɠuvre de GuĂ©non[VD 5]. À ce propos, il faut noter que son pĂšre Ă©tait architecte[LE 2] et qu'il fit des Ă©tudes en classe prĂ©paratoire en mathĂ©matiques Ă©lĂ©mentaires[LE 3]. Durant cette pĂ©riode, il eut Albert LeclĂšre comme professeur de philosophie qui, d'aprĂšs Jean-Pierre Laurant a eu une certaine influence sur GuĂ©non en particulier sur ses conceptions sur les mathĂ©matiques[LE 4] - [LS 1]. Le livre Les Principes du calcul infinitĂ©simal est le rĂ©sultat de son mĂ©moire de diplĂŽme d'Ă©tudes supĂ©rieures en philosophie des sciences qu'il prĂ©senta au professeur Gaston Milhaud en 1916 et centrĂ© sur les travaux en mathĂ©matiques de Leibniz[LE 1] - [MFJ 1]. Ce dernier a intĂ©ressĂ© GuĂ©non dans la mesure oĂč il se situait Ă  la transition entre la science sacrĂ©e et la science profane : d'aprĂšs GuĂ©non, Leibniz avait des connaissances en scolastique et aurait reçu des transmissions des derniers authentiques Rose-Croix[PCI 1].

Symbolisme sacré et conventionalisme moderne en mathématiques

Guénon se focalise sur la notion de limite, notion centrale du calcul infinitésimal tant pour le calcul différentiel que pour le calcul intégral et sur la notion d'« infiniment petit » introduite par Leibnitz liée aux fonctions négligeables en mathématiques.

Georg Cantor, mathématicien ayant introduit les transfinis : pour Guénon ces transfinis ne sont pas des nombres et encore moins des nombres infinis mais des quantités permettant de hiérarchiser différents ordres de multiplicités indéfinies. Ces questions de vocabulaires sont d'aprÚs Guénon des révélateurs de la perte de sens dans la science profane qui se tourne vers un conventionalisme aux buts purement applicatifs.

Il commence par des questions de vocabulaire : il montre en quoi de nombreuses notions mathĂ©matiques se sont coupĂ©es de leur signification symbolique et de leur lien avec une dimension transcendante conduisant Ă  un conventionnalisme gĂ©nĂ©ralisĂ© qui conduit Ă  de nombreuses applications pratiques mais au prix d'une perte du sens. En particulier, GuĂ©non rejette l'utilisation du terme infini en mathĂ©matiques : il avait dĂ©jĂ  introduit la notion capitale pour lui d'« Infini » pour dĂ©crire le « Principe » ultime dans Les États multiples de l'ĂȘtre, soulignant que le vĂ©ritable « Infini » est sans parties et sans commune mesure avec le fini[VD 6] - [LE 5]. Or, d'aprĂšs lui ce qui est dĂ©signĂ© par le terme infini en mathĂ©matiques n'est justement qu'une extension du fini aussi grande qu'on puisse la concevoir « dont nous ne pouvons pas actuellement atteindre la limite[VD 7] ». Le fini est synonyme, en mĂ©taphysique, du limitĂ© : du fini ne peut surgir que l'indĂ©fini[VD 8]. L'« Infini » est, au contraire, sans commune mesure avec le fini et est dĂ©pourvu de toute limite[VD 6]. Il note que le symbole mathĂ©matique dĂ©signant l'infini, , est, d'ailleurs, une figure fermĂ©e et donc visiblement finie[PCI 2].

La loi de formation des nombres (pour lui l'ensemble des nombres entiers naturels moins le 0) : 1, 2, 3, 
, , 
 est construit par l'ajout de l'unitĂ© Ă  chaque terme de la sĂ©rie et est entiĂšrement dĂ©terminĂ©e par cette loi de formation : il s'agit de quelque chose de nettement dĂ©terminĂ©, d'« arrĂȘtĂ© »[PCI 3]. Cette sĂ©rie est indĂ©finie dans la mesure oĂč il sera toujours possible d'ajouter un Ă  n'importe quel nombre. L'indĂ©fini comporte toujours une certaine dĂ©termination qu'il s'agisse de l'Ă©tendue, de la durĂ©e, de la divisibilitĂ©, ou de quelque autre possibilitĂ© que ce soit[VD 7]. L'indĂ©fini (c'est-Ă -dire l'« infini mathĂ©matique ») est encore du fini et ne peut ĂȘtre que du fini[VD 7]. GuĂ©non prend comme autre exemple la confusion courante entre la perpĂ©tuitĂ© qui correspond au temps qui continue indĂ©finiment et de l'Ă©ternitĂ© qui correspond au dĂ©passement de la condition temporelle[PCI 2]. Il considĂšre comme absurde l'expression de « tendre vers l'infini », l'« Infini » implique l'absence de toute limite et il n'y a donc lĂ  rien vers quoi il soit possible de tendre[PCI 4] - [VD 9]. En particulier, la sĂ©rie des nombres, 1, 2, 3, 
, , 
 , ne tend pas vers l'infini mais croĂźt indĂ©finiment[VD 9].

L'arithmĂ©tique fut autrefois une science sacrĂ©e et GuĂ©non prĂ©tend que les modernes en sont arrivĂ©s Ă  ignorer ce qu'est le nombre non seulement dans son sens symbolique tel qu'on l'entendait dans le pythagorisme ou la Kabbale mais aussi le nombre dans son acceptation simplement quantitative : ils ont remplacĂ© le nombre par le chiffre qui n'est que le « vĂȘtement » du nombre[VD 10] - [LE 5]. Il s'ensuit l'apparition d'un conventionalisme envahissant tout : toutes sortes de termes et de symboles apparaissent qui permettent des applications pratiques mais sont devenus sĂ©parĂ©s de toute signification vĂ©ritable[LE 5]. Il donne plusieurs exemples : les « nombres nĂ©gatifs » qui ne sont pas des nombres car il n'y a pas de nombre « moindre que zĂ©ro ». Il ne s'agit que du rĂ©sultat de soustractions impossibles. Cette convention est bien susceptible d'une interprĂ©tation dans le cas oĂč la grandeur que l'on veut mesurer est susceptible d'ĂȘtre comptĂ©e en deux sens opposĂ©s comme les mesures sur une ligne dĂ©coupĂ©es en deux demi-droites : Ă  droite les distances sont considĂ©rĂ©es comme positives, Ă  gauche comme nĂ©gatives, mais il ne s'agit que d'une convention[PCI 5]. La mĂȘme chose peut ĂȘtre dite pour les « nombres fractionnaires ou rationnels », , ou les « nombres irrationnels » comme √2 ou π. Pour les « nombres fractionnaires » ou rationnels, GuĂ©non dĂ©clare qu'en vĂ©ritĂ© il ne peut pas y avoir des « parties de l'unitĂ© » : ces grandeurs ne sont introduites que parce qu'on a choisi le nombre 1, pour des raisons Ă©trangĂšres Ă  l'arithmĂ©tique, comme unitĂ© de longueur d'une ligne par exemple afin de pouvoir mesurer par rapport Ă  elle toutes les autres longueurs. Mais les grandeurs continues sont divisibles indĂ©finiment ce qui nĂ©cessite d'introduire ces nombres fractionnaires et mĂȘme des nombres irrationnels car la multitude des nombres rationnels ne suffit pas Ă  « remplir les intervalles entre les points contenus dans la ligne »[PCI 6]. La mĂȘme chose peut ĂȘtre dite pour les « nombres imaginaires » qui peuvent ĂȘtre des conventions trĂšs utiles pour des raisons pratiques et sont mĂȘme susceptibles d'une reprĂ©sentation gĂ©omĂ©trique, mais ne correspondent qu'Ă  des opĂ©rations arithmĂ©tiques impossibles : des racines carrĂ©es de nombres nĂ©gatifs[PCI 5].

Dans l'arithmĂ©tique sacrĂ©e, chaque nombre a une signification symbolique. GuĂ©non a dĂ©taillĂ© la symbolique de plusieurs d'entre eux : en particulier le livre La Grande Triade est centrĂ© sur la notion de « ternaire » et donc sur le symbolisme du nombre trois. Il donne un autre exemple avec le chiffre un, l'unitĂ© qui donne naissance Ă  tous les autres nombres en arithmĂ©tique[VD 10]. L'unitĂ© est donc le symbole de l'« Être » (notion introduite dans Les États multiples de l'ĂȘtre), l'origine de toutes choses. « L'unitĂ©, indivisible et sans parties est dite possĂ©dante tous les aspects de la divinitĂ©[VD 11] ». Cela renvoie aussi Ă  l'« unicitĂ© » de l'existence, c'est-Ă -dire de tous les phĂ©nomĂšnes qui existent[VD 11]. GuĂ©non Ă©crit que le principe d'action-rĂ©action (ou troisiĂšme loi de Newton) comme toutes les lois de conservation ne sont pas des « principes » mais des cas trĂšs particuliers et relatifs de « la loi gĂ©nĂ©rale de l'Ă©quilibre des forces naturelles » liĂ©e Ă  l'« unicitĂ© » de l'existence consĂ©quence de l'unitĂ© du principe de l'existence[VD 12] - [PCI 7]. Il en dĂ©duit que lĂ  encore les scientifiques modernes n'ont plus conscience du sens des signes mathĂ©matiques en Ă©crivant que l'Ă©quilibre entre deux forces revient Ă  donc est symbolisĂ©e par le 0. Or, ce dernier est liĂ© au non-manifestĂ© : l'unitĂ© des forces dans le monde manifestĂ© devrait ĂȘtre symbolisĂ©e par , et symbolisant l'intensitĂ© des forces (l'une compressive , l'autre expansive ) car l'Ă©quilibre des forces est liĂ© Ă  l'unitĂ© de l'Être symbolisĂ© par le nombre 1[VD 13]. Cette unitĂ©, dans laquelle rĂ©side l'Ă©quilibre est ce que le taoĂŻsme appelle l'« Invariable milieu » ; et, d'aprĂšs GuĂ©non « cet Ă©quilibre ou cette harmonie est, au centre de chaque Ă©tat et de chaque modalitĂ© de l'ĂȘtre, le reflet de l'« ActivitĂ© du Ciel [PCI 7]» » dont toutes les lois d'invariance de la physique n'apparaissent que comme des cas trĂšs particuliers[VD 13] - [VD 14].

Pour revenir au 0, il dĂ©clare qu'il ne s'agit en aucune façon d'un nombre mais au contraire du symbole de l'absence de quantitĂ©. Il ne s'agit en aucune façon d'un nĂ©ant mais au contraire de ce qui est au-delĂ  de la quantitĂ©. Le zĂ©ro symbolise donc le « Non-Être », le non-manifestĂ© comme le silence ou le vide, qui est infiniment plus que le manifestĂ©[VD 15] - [PCI 8]. LĂ  encore, il prĂ©tend que la notation mathĂ©matique semble avoir perdu cette signification : il prend l'exemple de la sĂ©rie : 0 
 
 , , , 1, 2, 3, 
 


Le symbole ne reprĂ©sente en aucune façon un nombre ni l'infini mais l'« indĂ©finiment grand ». De la mĂȘme façon, le symbole 0 (qui ne peut pas correspondre au zĂ©ro en tant qu'absence de quantitĂ©) ne peut pas ĂȘtre un nombre nul qui serait le dernier terme dans le sens dĂ©croissant qui ne peut avoir aucune place dans cette sĂ©rie de quantitĂ©s numĂ©riques mais reprĂ©sente l'« indĂ©finiment dĂ©croissant ». La preuve qu'il ne peut s'agir d'un nombre dĂ©terminĂ© c'est que les termes Ă©quidistants vĂ©rifient toujours or l'expression est, au contraire, une « forme indĂ©terminĂ©e »[PCI 8].

Il ne peut donc pas y avoir de « nombres infinis »[VD 10] : la multitude de tous les nombres ne peut pas constituer un nombre, il s'agit d'une multitude indĂ©nombrable qui dĂ©passe tout nombre et qui ne peut pas ĂȘtre conçue comme une « collection »[PCI 9]. On peut concevoir, en revanche, des indĂ©finitĂ©s diffĂ©rentes et d'ordre diffĂ©rent et donc toute une hiĂ©rarchie dans ces ordres d'indĂ©finitĂ© : les transfinis introduits par Georg Cantor ne sont, d'aprĂšs GuĂ©non, en aucune façon des nombres mais des moyens de hiĂ©rarchiser ces indĂ©finitĂ©s[VD 16]. Il voit d'ailleurs dans l'utilisation systĂ©matique de termes comme ces nombres infinis la perte complĂšte de toute logique et de toute signification transcendante dans les mathĂ©matiques modernes[VD 16] - [PCI 10].

La notion de limite

Certains problĂšmes liĂ©s au calcul infinitĂ©simal sont justement liĂ©s au fait que l'indĂ©finitĂ© liĂ©e aux quantitĂ©s continues n'est pas du mĂȘme ordre que celle des quantitĂ©s discontinues[VD 17]. Par exemple, pour la quantitĂ© discontinue, reprĂ©sentĂ©e par la sĂ©rie 1, 2, 3, 
, , 
 , il ne peut ĂȘtre question que d'indĂ©finitĂ© croissante car l'unitĂ© est indivisible. En revanche, pour la quantitĂ© continue, on peut envisager des quantitĂ©s indĂ©finiment croissantes comme des quantitĂ©s indĂ©finiment dĂ©croissantes : la loi de continuitĂ© implique justement que les grandeurs continues soient divisibles indĂ©finiment[PCI 4] - [PCI 11]. C'est ce qui a amenĂ© Leibniz Ă  introduire sa notion d'« infiniment petit »[VD 18]. Pour GuĂ©non, ces grandeurs n'ont rien Ă  voir avec l'infini mais sont des quantitĂ©s indĂ©finies aussi petites que possibles et l'idĂ©e d'indĂ©fini implique toujours une certaine indĂ©termination et donc l'idĂ©e d'un « devenir[VD 19] », de quelque chose qui n'est pas fixĂ© et immuable[PCI 12]. Il insiste sur le fait que ces grandeurs sont donc forcĂ©ment des grandeurs variables qui ne peuvent jamais devenir rigoureusement nulles et ne peuvent pas tendre vers des points qui ne sont en aucune façon les Ă©lĂ©ments ou les parties d'une ligne[PCI 13] - [VD 18]. Ces quantitĂ©s variables indĂ©finiment petites doivent pouvoir devenir aussi petites que l'on veut pour que l'erreur dans les calculs puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme nĂ©gligeable. Il ne s'agit pas de quantitĂ©s fixes et GuĂ©non remarque que Leibnitz a fait temporairement une erreur pour justifier l'existence de ces quantitĂ©s en les comparant Ă  des « grains de sable » au regard de la terre ou du firmament : le grain de sable est une quantitĂ© fixe[PCI 14] - [PCI 15]. Encore une fois, comme le continu est inĂ©puisable, ces « infiniment petits » ne tendront jamais vers zĂ©ro. D'une façon gĂ©nĂ©rale, GuĂ©non dĂ©clare que l'indĂ©fini est inĂ©puisable analytiquement. Ainsi la sĂ©rie des nombres ne s'arrĂȘtera jamais vers un « nombre infini » car on pourra toujours rajouter un Ă  tout nombre et la sĂ©rie ne tendra jamais vers zĂ©ro car il y aura toujours un terme suivant Ă  chaque quantitĂ©[PCI 12].

Mais quel est alors le fondement du calcul infinitĂ©simal ? S'agit-il uniquement d'une mĂ©thode approchĂ©e ou d'une mĂ©thode rigoureuse oĂč les limites sont vraiment atteintes ? La dĂ©croissance de ces quantitĂ©s, quoique indĂ©finie, parviendra-t-elle Ă  atteindre son terme ? D'aprĂšs GuĂ©non, Leibnitz fut toujours persuadĂ© que sa mĂ©thode Ă©tait rigoureuse et passa la fin de sa vie Ă  chercher Ă  justifier son formalisme sans jamais y arriver vĂ©ritablement[VD 18].

Approximations successives d'un disque par des polygones réguliers intérieurs, pour allant de 3 à 10. Si augmente indéfiniment, le polygone ressemblera de plus en plus au cercle : en particulier la superficie du polygone se rapprochera de plus en plus de celui du cercle. Mais aucun des polygones de la série ne sera jamais un cercle : il y aura toujours une différence qualitative. Le passage à la limite qui permettrait de passer au cercle suppose une discontinuité, un changement qualitatif d'état.

GuĂ©non rĂ©pond par l'affirmative : le calcul infinitĂ©simal est fondĂ© rigoureusement mais pour le prouver il faut comprendre la signification qualitative du passage Ă  la limite. Il va, par ailleurs, en profiter pour montrer en quoi ce passage Ă  la limite peut servir de symbole Ă  la transformation spirituelle, c'est-Ă -dire au passage d'une modalitĂ© d'ĂȘtre Ă  une autre supĂ©rieure[VD 18]. GuĂ©non ne s'intĂ©resse pas au calcul mathĂ©matique des limites particuliĂšres (problĂšme Ă©tudiĂ© en dĂ©tail par les mathĂ©maticiens) mais au problĂšme ontologique posĂ© par l'atteinte d'une limite par une fonction.

Il donne d'abord l'exemple de l'intĂ©gration : si on connaĂźt la primitive de la fonction, son intĂ©gration est un acte synthĂ©tique rĂ©alisĂ© « d'un coup » qui enveloppe simultanĂ©ment tous les Ă©lĂ©ments de la somme qu'il s'agit de calculer sans que cela prĂ©suppose aucunement la considĂ©ration distincte de ses Ă©lĂ©ments, ce qui est de toute façon impossible puisque ces Ă©lĂ©ments sont en multitude indĂ©finie[PCI 16]. On voit par lĂ  que les limites du calcul infinitĂ©simal existent bien mais ne peuvent pas ĂȘtre atteintes analytiquement : « une indĂ©finitĂ© ne peut ĂȘtre atteinte par degrĂ©s, mais elle peut ĂȘtre comprise dans son ensemble par une des opĂ©rations transcendantes dont l'intĂ©gration nous fournit le type dans l'ordre mathĂ©matique [PCI 16] ».

GuĂ©non finit en expliquant ce qu'il considĂšre ĂȘtre la vĂ©ritable conception du passage Ă  la limite[VD 20] :

« La limite ne peut pas ĂȘtre atteinte dans la variation et comme terme de celle-ci ; elle n’est pas la derniĂšre des valeurs que doit prendre la variable [...] La limite n’appartient donc pas Ă  la sĂ©rie des valeurs successives de la variable ; elle est en dehors de cette sĂ©rie, et c’est pourquoi [...] le « passage Ă  la limite » implique essentiellement une discontinuitĂ© [...] La limite d’une variable doit vĂ©ritablement limiter, au sens gĂ©nĂ©ral de ce mot, l’indĂ©finitĂ© des Ă©tats ou des modifications possibles que comporte la dĂ©finition de cette variable ; et c’est justement pour cela qu’il faut nĂ©cessairement qu’elle se trouve en dehors de ce qu’elle doit limiter ainsi. Il ne saurait ĂȘtre aucunement question d’épuiser cette indĂ©finitĂ© par le cours mĂȘme de la variation qui la constitue ; ce dont il s’agit en rĂ©alitĂ©, c’est de passer au delĂ  du domaine de cette variation, dans lequel la limite ne se trouve pas comprise, et c’est ce rĂ©sultat qui est obtenu, non pas analytiquement et par degrĂ©s, mais synthĂ©tiquement et d’un seul coup, d’une façon en quelque sorte « soudaine » par laquelle se traduit la discontinuitĂ© qui se produit alors, par le passage des quantitĂ©s variables aux quantitĂ©s fixes. La limite appartient essentiellement au domaine des quantitĂ©s fixes : c’est pourquoi le « passage Ă  la limite » exige logiquement la considĂ©ration simultanĂ©e, dans la quantitĂ©, de deux modalitĂ©s diffĂ©rentes, en quelque sorte superposĂ©es ; il n’est pas autre chose alors que le passage Ă  la modalitĂ© supĂ©rieure, dans laquelle est pleinement rĂ©alisĂ© ce qui, dans la modalitĂ© infĂ©rieure, n’existe qu’à l’état de simple tendance[PCI 14]. »

Cette conception de la limite symbolise directement ce que GuĂ©non appelle la rĂ©alisation mĂ©taphysique ou spirituelle de l'ĂȘtre et qui consiste dans le passage dans un Ă©tat supĂ©rieur de l'ĂȘtre[VD 20], d'une modĂ©litĂ© d'existence Ă  une autre[RC 1]. Plus spĂ©cifiquement, les fonctions et le domaine des variables peuvent symboliser le domaine du devenir en particulier le domaine du temporel dans lequel Ă©volue l'individualitĂ© humaine : le passage Ă  la limite et aux quantitĂ©s fixes correspond au passage dans le « non-temps » oĂč tout est immuable et qui correspond Ă  la premiĂšre Ă©tape du chemin spirituel comme il l'a expliquĂ© dans La MĂ©taphysique orientale par exemple[VD 20] - [PCI 14].

En conclusion, il explique que le livre sert d'illustration à comment une science spéciale dans une perspective sacrée (ici les mathématiques) peut servir de support de contemplation pour s'élever à une connaissance d'ordre supérieur[RC 1] - [PCI 17].

Bibliographie

  • RenĂ© GuĂ©non, Orient et Occident, Paris, Payot, , 232 p. (ISBN 2-85829-449-6)
    Édition dĂ©finitive remaniĂ©e par GuĂ©non publiĂ©e en 1948 (Éditions VĂ©ga)[HR 1]: en particulier refonte de certains passages du chap. IV de la premiĂšre partie (Terreurs chimĂ©riques et dangers rĂ©els) et ajout d'un addendum[HR 1], depuis nombreuses rĂ©Ă©ditions, dont Guy TrĂ©daniel/Éditions de la Maisnie, Paris. Les numĂ©ros de pages renvoient Ă  l'Ă©dition de 1993.
  • RenĂ© GuĂ©non, Le Roi du monde, Paris, Ch. Bosse, , 104 p. (ISBN 2-07-023008-2)
    Édition dĂ©finitive remaniĂ©e par GuĂ©non publiĂ©e en 1950 aux Éditions Traditionnelles: ajout d"un titre Ă  chaque chapitre, certains paragraphes ont Ă©tĂ© modifiĂ©s[HR 2]. Depuis nombreuses rĂ©Ă©ditions, dont Gallimard. Les numĂ©ros de pages renvoient Ă  l'Ă©dition de 1993.
  • RenĂ© GuĂ©non, La Crise du monde moderne, Paris, Bossard, , 201 p. (ISBN 2-07-023005-8)
    Édition dĂ©finitive remaniĂ©e par GuĂ©non publiĂ©e en 1946 aux Éditions Gallimard: quelques paragraphes ont Ă©tĂ© remaniĂ©s[HR 2]. Depuis nombreuses rĂ©Ă©ditions, dont Gallimard. Les numĂ©ros de pages renvoient Ă  l'Ă©dition de 1973.
  • RenĂ© GuĂ©non, Le RĂšgne de la QuantitĂ© et les Signes des Temps, Paris, Gallimard, , 304 p. (ISBN 978-2-07-014941-4)
    Multiples rééditions.
  • RenĂ© GuĂ©non, Les Principes du Calcul infinitĂ©simal, Paris, Gallimard, , 192 p. (ISBN 978-2-07-019692-0)
    Multiples rééditions.
  • RenĂ© GuĂ©non, La Grande Triade, Paris, Gallimard, , 214 p. (ISBN 978-2-07-023007-5)
    multiples rééditions. Les numéros de pages renvoient à l'édition de 1957 (Gallimard).
  • RenĂ© GuĂ©non, Initiation et RĂ©alisation spirituelle, Paris, Éditions Traditionnelles, , 254 p. (ISBN 978-1-911417-83-5)
    PremiÚre édition 1952[HR 3], depuis multiples rééditions.
  • RenĂ© GuĂ©non, Études sur l'Hindouisme, Paris, Éditions Traditionnelles, , 288 p. (ISBN 978-2-7413-8020-7)
    PremiĂšre Ă©dition 1968[HR 3], depuis multiples rĂ©Ă©ditions. Les numĂ©ros de pages renvoient Ă  l'Ă©dition de 1989 (Éditions traditionnelles).
  • RenĂ© GuĂ©non, Symboles de la Science sacrĂ©e, Paris, Gallimard, , 437 p. (ISBN 2-07-029752-7)
    PremiÚre édition 1964[HR 3], depuis multiples rééditions.
  • RenĂ© Alleau, Colloque dirigĂ© par RenĂ© Alleau et Marina Scriabine: RenĂ© GuĂ©non et l'actualitĂ© de la pensĂ©e traditionnelle : Actes du colloque international de Cerisy-la-Salle: 13-20 Juillet 1973, Milan, ArchĂš, , 333 p. (ISBN 88-7252-111-4)
  • David Bisson, RenĂ© GuĂ©non, une politique de l'esprit, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, , 528 p. (ISBN 978-2-36371-058-1)
  • Marie-France James, ÉsotĂ©risme et christianisme : autour de RenĂ© GuĂ©non, Paris, Nouvelles Éditions Latines, , 476 p. (ISBN 2-7233-0146-X)
  • Jean-Pierre Laurant, Le sens cachĂ© dans l'Ɠuvre de RenĂ© GuĂ©non, Lausanne, Suisse, L'Ăąge d'Homme, , 282 p. (ISBN 2-8251-3102-4)
  • Jean-Pierre Laurant, L'ÉsotĂ©risme, Paris, Les Éditions du Cerf, , 128 p. (ISBN 2-7621-1534-5)
  • Jean-Pierre Laurant, RenĂ© GuĂ©non, les enjeux d'une lecture, Paris, Dervy, , 400 p. (ISBN 2-84454-423-1)
  • Georges Vallin, La Perspective metaphysique, Paris, Dervy, , 255 p. (ISBN 978-2-85076-395-3)
  • Jean Vivenza, Le Dictionnaire de RenĂ© GuĂ©non, Grenoble, Le Mercure Dauphinois, , 568 p. (ISBN 2-913826-17-2)

Notes et références

  • RenĂ© GuĂ©non, Orient et Occident, Paris, 1924
  1. Chap. II : La superstition de la science, R. Guénon : Orient et Occident.
  2. Chap. IV : Terreurs chimériques et dangers réels, René Guénon Orient et Occident, 1924.
  • RenĂ© GuĂ©non, Le Roi du monde, 1927
    • RenĂ© GuĂ©non La crise du monde moderne, 1927
    1. Chap. IV : Science sacrée et science profane, R. Guénon : La crise du monde moderne, p. 44
    • RenĂ© GuĂ©non Le Symbolisme de la Croix, 1931
      • RenĂ© GuĂ©non, Le RĂšgne de la QuantitĂ© et les signes des temps, 1945
        • RenĂ© GuĂ©non, Les Principes du Calcul infinitĂ©simal, Paris, 1946
        1. Avant-Propos, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        2. Chap. I : Infini et indéfini, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        3. Chap. II : La contradiction du « nombre infini », René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        4. Chap. IX : Indéfiniment croissant et indéfiniment décroissant, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        5. Chap. XVI : La notation des nombres négatifs », René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        6. Chap. IV : La mesure du continu », René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        7. Chap. XVII : Représentation de l'équilibre des forces, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        8. Chap. XV : Zéro n'est pas un nombre, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        9. Chap. III : La multitude innombrable, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        10. Chap. XX : Différents ordres d'indéfinité, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        11. Chap. XI : La « loi de continuité » », René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        12. Chap. XXI : L'indéfini est inépuisable analytiquement, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        13. Chap. VIII : « Division à l'infini » ou divisibilité indéfinie, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        14. Chap. XXIV : Véritable conception du passage à la limite, René Guénon Les Principes du calcul infinitésimal, 1946.
        15. Chap. V : Questions soulevées par la méthode du calcul infinitésimal, R. Guénon : Les Principes du calcul infinitésimal
        16. Chap. XXII : CaractÚre synthétique de l'intégration, R. Guénon : Les Principes du calcul infinitésimal
        17. Chap. XXV : Conclusion, R. Guénon : Les Principes du calcul infinitésimal
          • RenĂ© GuĂ©non, Initiation et RĂ©alisation spirituelle, 1952
              • Xavier Accart RenĂ© GuĂ©non ou le renversement des clartĂ©s : Influence d'un mĂ©taphysicien sur la vie littĂ©raire et intellectuelle française (1920-1970), 2005
              • Xavier Accart l'Ermite de Duqqi, 2001
                • RenĂ© Alleau et Marina Scriabine (dir.): RenĂ© GuĂ©non et l'actualitĂ© de la pensĂ©e traditionnelle, 1980
                  • David Bisson: RenĂ© GuĂ©non : une politique de l'esprit, 2013
                    • Bruno Hapel, RenĂ© GuĂ©non et le Roi du Monde, 2001
                    • Marie-France James, ÉsotĂ©risme et christianisme: Autour de RenĂ© GuĂ©non, 1981
                    • Jean-Pierre Laurant, Le sens cachĂ© dans l'Ɠuvre de RenĂ© GuĂ©non, 1975
                    • « Cahiers de l'Herne » : RenĂ© GuĂ©non, 1985
                      • Jean-Pierre Laurant, RenĂ© GuĂ©non, les enjeux d'une lecture, 2006
                      • Jean Robin, RenĂ© GuĂ©non, tĂ©moin de la tradition, 1978
                                  • Jean-Marc Vivenza, Le Dictionnaire de RenĂ© GuĂ©non, 2002
                                  • Jean-Marc Vivenza, La MĂ©taphysique de RenĂ© GuĂ©non, 2004

                                    Références web

                                      Autres références

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