Lapalissade
Une lapalissade (ou vérité de La Palice) consiste à affirmer une évidence immédiatement perceptible, ce qui déclenche en général le rire de l'interlocuteur, ou encore sa réponse : « La Palice en aurait dit autant ! ». C'est un synonyme de truisme, tiré de l'anglais « true ». Elle peut également être utilisée en rhétorique politique pour faire passer de fausses idées, en profitant de l'impression de vérité et d'évidence qu'il dégage.
« Certains hommes sont grands, d'autres pas. » Affirmer que certains hommes sont grands suppose une différence entre ces individus et le reste de la population. Préciser d'autres pas est par conséquent inutile, puisque cela revient à dire la même chose.
Une tautologie correspond également à une proposition toujours vraie, mais sans que cela soit nécessairement perceptible d'emblée, de sorte que le terme n'a pas la connotation péjorative attachée à lapalissade. Une lapalissade énonce une évidence reconnue de tous, que le locuteur y ait recours à dessein (pour plaisanter) ou non.
Histoire et étymologie
Le mot « lapalissade » vient du nom de Jacques II de Chabannes, seigneur de La Palice ou « La Palisse », maréchal de François Ier, mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'a été l'auteur d'aucune lapalissade. Les soldats de La Palice, pour illustrer le courage dont fit preuve ce maréchal lors du siège de Pavie (1525) où il trouva la mort, écrivirent une chanson à sa mémoire, dans laquelle se trouve la strophe suivante :
Hélas, La Palice est mort,
Il est mort devant Pavie ;
Hélas, s'il n'était pas mort,
Il ferait encore envie
Sa veuve, Marie de Melun, s'inspirant de cette chanson fit graver comme épitaphe sur son somptueux monument funéraire[note 1] :
Ci-gît le Seigneur de La Palice
S'il n'était mort il ferait encore envie[1].
Il existait à l'époque deux graphies pour le « s » minuscule : le « s rond » (« s ») et le « s long » (« ſ »), ce dernier pouvant être confondu avec un « f ». Une erreur de lecture a fait lire « Hélas, s'il n'était pas mort, il ſerait [serait] encore en vie ». Aujourd'hui, on retrouve encore cette phrase déformée en « Un quart d'heure avant sa mort, il était encore en vie ».
Au XVIIIe siècle, Bernard de La Monnoye reprit alors l'ensemble de cette chanson sur ce modèle :
Il est mort le vendredi,
Passée la fleur de son âge,
S'il fût mort le samedi,
Il eût vécu davantage.
La graphie « lapalissade » provient du nom moderne de la ville de Lapalisse, dans le Bourbonnais, qui abrite le château historique de Jacques de La Palice. Le mot a été repris dans d'autres langues, avec le même sens et des graphies voisines : « lapalissade » en anglais, « verità lapalissiana » en italien, « lapalissada » en portugais, « ляпалиссиада » en russe, « lapalissåde » en wallon.
Chanson de La Palice
Paroles de Bernard de La Monnoye.
Les lapalissades figurent en italique dans le texte, presque toutes formées sur le dernier vers de chaque strophe :
Messieurs, vous plaît-il d'ouïr La Palice eut peu de bien Bien instruit dès le berceau, Il était affable et doux, Il buvait tous les matins, Il voulait aux bons repas |
Ses valets étaient soigneux De l'inventeur du raisin, Il disait que le nouveau Il consultait rarement Il aimait à prendre l'air Il épousa, se dit-on, |
Il en fut toujours chéri, D'un air galant et badin Il passa près de huit ans, On dit que, dans ses amours, Il brillait comme un soleil ; Il eut des talents divers, |
Au piquet, par tout pays, Il savait les autres jeux, En matière de rébus, Il savait un triolet, Il expliqua doctement Par un discours sérieux, |
Chacun alors applaudit Il prétendit, en un mois, Il fut à la vérité, Il eut la goutte à Paris, Par son esprit et son air Mieux que tout autre il savait |
On s'étonne, sans raison, Il choisissait prudemment Lorsqu'en sa maison des champs Un jour il fut assigné Il voyageait volontiers, Il se plaisait en bateau ; |
On raconte, que jamais On ne le vit jamais las, Un beau jour, s'étant fourré Il fuyait assez l'excès ; C'était un homme de cœur, |
Les places qu'il attaquait, Dans un superbe tournoi, Monté sur un cheval noir, Mais bien qu'il fût vigoureux, Un devin, pour deux testons, |
Il y mourut, ce héros, Monsieur d'la Palice est mort, Il fut, par un triste sort, Regretté de ses soldats, Il mourut le vendredi, J'ai lu dans les vieux écrits |
Exemples
- Johnny Hallyday
« Tu te rends compte, si on n'avait pas perdu une heure et quart ? On serait là depuis une heure et quart ! »
— Johnny Hallyday, Rallye Dakar 2002[2].
- La Classe américaine
« On l'a retrouvé assassiné un jour, il en est mort ! »
— Le personnage de Hugues dans le téléfilm La Classe américaine, de Michel Hazanavicius et Dominique Mézerette (1993).
- Sandrine Rousseau
« Les personnes sans domicile fixe meurent plus de chaleur l’été que l’hiver ! »
— Sandrine Rousseau, Assemblée nationale (2022) [3].
Georges Brassens
« Tout le monde me montre au doigt
Sauf les manchots, ça va de soi »
— Georges Brassens, La mauvaise réputation (1952)
Notes et références
Notes
- Monument funéraire dont il ne reste aujourd'hui que quelques éléments sculptés.
Références
- Joëlle Chevé, « Un quart d'heure avant sa mort, il était encore en vie », Historia Spécial, no 9, , p. 120-121.
- Dakar : Johnny Halliday - Journal de France 2/INA, 10 janvier 2002, 1 min 50 s [vidéo].
- « L'été va être chaud, que préparez-vous?": Sandrine Rousseau interpelle le gouvernement sur la canicule », sur BFM (consulté le )
Annexes
Bibliographie
- Pierre Pellegrin (dir.) et Myriam Hecquet-Devienne, Aristote : Œuvres complètes, Éditions Flammarion, , 2923 p. (ISBN 978-2081273160), « Réfutations sophistiques », p. 457.
- Quintilien (trad. Jean Cousin), De l'Institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Budé Série Latine », , 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8).
- Antoine Fouquelin, La Rhétorique françoise, Paris, A. Wechel, (ASIN B001C9C7IQ).
- César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, (réimpr. Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux.), 362 p. (ASIN B001CAQJ52, lire en ligne)
- Pierre Fontanier, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, (ISBN 2-0808-1015-4, lire en ligne).
- Patrick Bacry, Les Figures de style et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », , 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8).
- Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », , 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1).
- Catherine Fromilhague, Les Figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2010 (1re éd. nathan, 1995), 128 p. (ISBN 978-2-2003-5236-3).
- Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », , 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6).
- Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, , 228 p., 16 cm × 24 cm (ISBN 978-2-2002-5239-7).
- Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Premier cycle », , 256 p., 15 cm × 22 cm (ISBN 2-1304-3917-9).
- Hendrik Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, , 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6).
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- Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, , 218 p. (ISBN 2-200-26457-7).
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