Lacune de miscibilité
Une lacune de miscibilitĂ© est une zone d'un diagramme de phase (ou, plus gĂ©nĂ©ralement, les conditions de tempĂ©rature, pression et composition globale) oĂč coexistent deux phases de mĂȘmes structure et symĂ©tries mais de compositions diffĂ©rentes. Les lacunes de miscibilitĂ© se rencontrent Ă l'Ă©tat liquide comme Ă l'Ă©tat solide. Dans un diagramme de phase, la courbe qui dĂ©limite une lacune de miscibilitĂ© est dĂ©nommĂ©e courbe de coexistence ou, plus prĂ©cisĂ©ment[alpha 1], solvus.
Pour l'application des lois thermodynamiques caractérisant les changements de phase (rÚgle des phases, formule de Clapeyron, etc.) il s'agit de deux phases distinctes, mais en termes de structure et de symétries il s'agit d'une phase unique. On peut notamment passer continûment, dans le diagramme de phase, de la phase riche (en un certain constituant) à la phase pauvre sans franchir la courbe de coexistence.
Dans le diagramme de phase la lacune de miscibilité se referme à une température maximale dite température critique (Tc) ou température critique supérieure (TCS), au-dessus de laquelle les deux constituants du systÚme sont miscibles en toutes proportions. Elle peut aussi se refermer à une température minimale, dite température critique inférieure (TCI), au-dessous de laquelle les deux constituants sont à nouveau miscibles en toutes proportions. Une lacune d'immiscibilité comportant les deux températures critiques est souvent qualifiée de boucle d'immiscibilité. La température critique inférieure ne s'observe que rarement dans le cas des solutions solides.
Terminologie
L'Union internationale de chimie pure et appliquĂ©e (UICPA) a dĂ©fini en 2004[1] une lacune de miscibilitĂ© comme « la zone Ă l'intĂ©rieur d'une courbe de coexistence dans un diagramme de phase isobare (tempĂ©rature vs composition) ou isotherme (pression vs composition »[alpha 2]. Cette formulation pourrait laisser penser qu'elle s'applique Ă toute coexistence de deux phases dans un diagramme de phase isobare ou isotherme (l'UICPA ne prĂ©cise pas que les deux phases ont les mĂȘmes structure et symĂ©tries, et l'expression « courbe de coexistence » est ambiguĂ«), et par exemple au domaine diphasĂ© liquide-solide prĂ©sent dans la plupart des diagrammes binaires. Mais l'IUPAC ajoute dans une note : « On observe une lacune de miscibilitĂ© au-dessous d'une tempĂ©rature critique supĂ©rieure (TCS) ou au-dessus d'une tempĂ©rature critique infĂ©rieure (TCI). Dans la lacune de miscibilitĂ© il coexiste au moins deux phases »[alpha 3]. Cette mention d'une tempĂ©rature critique indique bien que les deux phases qui coexistent dans la lacune de miscibilitĂ© sont en rĂ©alitĂ© deux variantes d'une unique phase caractĂ©risĂ©e par sa structure et ses symĂ©tries, exactement comme les deux phases du domaine liquide-gaz du diagramme P-V d'un corps pur, qui n'en forment qu'une au-dessus de la tempĂ©rature critique (figure ci-contre).
En pratique on parle aussi de lacune de miscibilité en l'absence d'un diagramme de phase en bonne et due forme, notamment dans le cas de solutions liquides ou solides chimiquement complexes. En magmatologie, par exemple, il peut apparaßtre quand la température décroßt une lacune de miscibilité dans un liquide aluminosilicaté : une phase liquide initialement homogÚne se sépare en deux liquides immiscibles qui différent notamment par leur teneur en silice SiO2[2].
Origine thermodynamique
Du point de vue thermodynamique, Gibbs a Ă©tĂ© le premier Ă expliquer les types de comportement de phases entre une rĂ©gion d'Ă©quilibre stable et mĂ©tastable. Il montre que la condition de stabilitĂ©, ou de mĂ©tastabilitĂ©, est que la dĂ©rivĂ©e seconde de l'enthalpie libre molaire soit positive ou nĂ©gative. Ainsi selon les conditions de Gibbs, le diagramme de phase d'un systĂšme binaire en fonction de la tempĂ©rature et de la composition montrant une lacune de miscibilitĂ© qui peut ĂȘtre divisĂ©e en trois rĂ©gions stable, mĂ©tastable et instable[3]. Par ailleurs, l'augmentation de la tempĂ©rature entraĂźne une diminution de la concavitĂ© de la lacune de miscibilitĂ©. Ainsi dans le cas du diagramme binaire, Ă tempĂ©rature critique, le mĂ©lange devient complĂštement homogĂšne avec des proportions Ă©gales entre les deux constituants du mĂ©lange ou de l'alliage. Si les points de fusion des composants purs dâun systĂšme binaire sont trĂšs diffĂ©rents, un diagramme de phase complĂštement diffĂšrent est obtenu lorsque lâĂ©nergie du mĂ©lange augment[4].
Mise en évidence expérimentale
Analyse thermique différentielle
Une Ă©tude expĂ©rimentale du systĂšme Ir-Rh a Ă©tĂ© faite pour prouver lâexistence de la lacune de miscibilitĂ© en rĂ©alisant des analyses ATD Ă haute tempĂ©rature. Lors de lâĂ©chauffement de lâalliage, aucune lacune nâa pu ĂȘtre dĂ©tectĂ©e, ce qui les a amenĂ© Ă dire que cette mĂ©thode nâest pas le moyen le plus pertinent pour mener cette analyse. Cependant, sur la phase de refroidissement, un lĂ©ger effet endothermique a pu ĂȘtre dĂ©tectĂ© Ă partir dâune certaine tempĂ©rature. Cela pourrait bien correspondre Ă la dĂ©mixtion de la solution solide. L'Ă©tude de lâalliage Ir50Rh50 avec refroidissement lent a dĂ©tectĂ© cet effet Ă partir de 888 °C[5].
Analyse par microscope Ă©lectronique
L'Utilisation d'un microscope électronique permet la mise en évidence de la microstructure des alliages. L'observation de la microstructure peut en effet révéler des défauts structuraux (grains ou joint grains) entraßnant des lacunes de miscibilité dans les alliages. cette technique donne de bonnes informations sur la morphologie des phases[6].
Diffraction des rayons X
L'identification de phase est l'application la plus courante de diffraction de rayons X (DRX) sur poudres. Une fois le diagramme obtenue, on compare les positions et les intensités des pics observés avec une base de référence .On peut ainsi rapidement vérifier les résultats de synthÚses, soit une bonne phase cristalline complément homogÚne ou une phase avec des défauts, donc présentant une lacune de miscibilité, ou un nouveau matériaux[6].
Cette technique permet d'obtenir des mesures des dimensions caractéristiques et de l'avancement de la démixtion. Il est cependant préférable de connaßtre par ailleurs la morphologie des phases, pour pouvoir interpréter quantitativement les mesures. La DRX est non seulement une analyse rapide mais aussi non destructive par rapport au mélange.
Autres analyses
D'autres types de mesure permettent d'avoir des informations soit sur la composition des phases, soit sur l'avancement de la dĂ©mixtion, comme l'effet Mossbauer, la rĂ©sistivitĂ©[7] , la calorimĂ©trie et les propriĂ©tĂ©s magnĂ©tiques. La sonde atomique permet d'obtenir Ă la fois une mesure de la composition des phases et des dimensions caractĂ©ristiques, si lâĂ©chantillonnage est fait sur un nombre suffisant d'atomes[8].
Mécanisme de démixtion
Lorsque le diagramme de variation d'enthalpie libre de la phase cristalline en fonction de la composition possĂšde deux minima sĂ©parĂ©s par un maximum, le diagramme de phases correspondant prĂ©sente Ă lâĂ©tat solide une lacune de miscibilitĂ©[9].
Mais en pratique, dans un fluide, la mobilitĂ© intrinsĂšque des constituants conduit Ă de brĂšves fluctuations locales de composition. Tout enrichissement local en un composant Ă©tant nĂ©cessairement accompagnĂ© par un appauvrissement dans une zone immĂ©diatement adjacente. Des fluctuations de composition peuvent Ă©galement se produire dans un solide Ă des tempĂ©ratures assez Ă©levĂ©es, mais plus limitĂ©es car les processus de diffusion y sont gĂ©nĂ©ralement plus lents que dans un liquide. Dans les deux cas, de telles fluctuations reprĂ©sentent le tout dĂ©but dâun processus de dĂ©mixtion[10].
Exemple
Corne de Nishawa, terme dĂ©signant un Ă©cart de miscibilitĂ© existant lorsque des phases ayant des propriĂ©tĂ©s magnĂ©tiques diffĂ©rentes coexistent dans le diagramme de phases [11]. Par exemple, dans le systĂšme Co-Mn, on a la mĂȘme structure cubique faces centrĂ©es mais diffĂ©rentes propriĂ©tĂ©s magnĂ©tiques tel que le cobalt (Co) se comporte comme un ferromagnĂ©tique et le manganĂšse (Mn) comme un paramagnĂ©tique Ă des tempĂ©ratures de Curie diffĂ©rentes.
Notes et références
Notes
- Le terme de courbe de coexistence ne s'emploie pas que pour les lacunes de miscibilitĂ©, on l'utilise aussi pour d'autres courbes d'un diagramme de phase oĂč coexistent plusieurs phases, par exemple pour la ou les courbes qui dĂ©limitent un domaine diphasĂ© liquide-solide.
- Citation originale : Miscibility gap: Area within the coexistence curve of an isobaric phase diagram (temperature vs. composition) or an isothermal phase diagram (pressure vs. composition)[1].
- Citation originale : A miscibility gap is observed at temperatures below an upper critical solution temperature (UCST) or above the lower critical solution temperature (LCST). Its location depends on pressure. In the miscibility gap, there are at least two phases coexisting[1].
Références
- (en) W. J. Work, K. Horie, M. Hess et R. F. T. Stepto, « Definitions of Terms Related to Polymer Blends, Composites, and Multiphase Polymeric Materials (IUPAC Recommendations 2004) », Pure and Applied Chemistry, vol. 76, no 11,â , p. 1985-2007 (DOI 10.1351/pac200476111985, lire en ligne [PDF], consultĂ© le ).
- (en) Ilya V. Veksler, Alexander M. Dorfman, Alexander A. Borisov, Richard Wirth et Donald B. Dingwell, « Liquid Immiscibility and the Evolution of Basaltic Magma », Journal of Petrology (en), vol. 48, no 11,â , p. 2187-2210 (DOI 10.1093/petrology/egm056).
- Abdel Ait Chaou, « Ătudes thermodynamiques et structurales des alliages Ce-Au et Zr-Ce-Au pour la fabrication de catalyseurs a base dâor : application a lâoxydation selective du monoxyde de carbone en presence dâoxygene », These de lâUniversite de Savoie, 2005
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- Taguett, Amine (1985-....)., SynthÚse et étude thermodynamique d'alliages Ir-Rh à l'état massif et en films minces pour la réalisation de capteurs SAW fonctionnant à haute température (700 °C-1000 °C) dans l'air. (OCLC 991596790, lire en ligne)
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