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Jeanne Weil Proust

Jeanne ClĂ©mence Weil Proust, nĂ©e Ă  Paris le et morte le Ă  Paris 8e, est l’épouse du mĂ©decin français Adrien Proust et la mĂšre de Marcel Proust et de Robert Proust.

Jeanne Weil Proust
Jeanne Weil Proust vers 1880.
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
SĂ©pulture
Nom de naissance
Jeanne Clémence Weil
Nationalité
PĂšre
Nathé Weil (d)
MĂšre
AdĂšle Berncastel (d)
Fratrie
Georges-Denis Weil (d)
Conjoint
Enfants

Environnement familial

Jeanne ClĂ©mence Weil est issue d’une famille juive venue d’Allemagne[1]. Son grand-pĂšre paternel, Baruch Weil (1782-1828), obtient la citoyennetĂ© française et fonde sous le Consulat une manufacture de porcelaine Ă  Paris, dans l'actuel 10e arrondissement. Le pĂšre de Jeanne, NathĂ© Weil (1814-1896) ne reprend pas l’entreprise paternelle mais s’oriente vers les affaires et dirige un bureau d’agents de change.

Portrait de Jeanne Proust, par Anaïs Beauvais, 1880, Musée Marcel Proust-Maison de tante Léonie.

Du cĂŽtĂ© maternel, la famille est originaire de TrĂšves (RhĂ©nanie-Palatinat). Le grand-pĂšre Nathaniel Berncastel s’installe Ă  Paris en 1813 et ouvre un commerce de quincaillerie, de porcelaine et d’horlogerie qui devient vite trĂšs florissant. Il obtient la nationalitĂ© française en 1827. Sa femme Rose appartient Ă  une vieille famille de Metz, les Silny, et a pour beau-frĂšre, Adolphe CrĂ©mieux, jeune avocat appelĂ© Ă  devenir une prestigieuse figure politique du Second Empire. La mĂšre de Jeanne, AdĂšle Berncastel (1824-1890) reçoit une solide Ă©ducation, dans la tradition de la grande bourgeoisie juive saint-simonienne. Son beau-frĂšre, Godchaux Weil, alias Ben LĂ©vi, est un Ă©crivain cĂ©lĂšbre alors dans la communautĂ© juive[2]. AdĂšle frĂ©quente les salons : celui de sa tante AmĂ©lie (Ă©pouse d’Adolphe CrĂ©mieux), mais aussi ceux de la comtesse d’Haussonville et de la princesse Mathilde. Elle prise beaucoup la littĂ©rature et la musique et inculquera Ă  sa fille Jeanne et son petit-fils Marcel un goĂ»t tout particulier pour les Ɠuvres du Grand SiĂšcle, comme les MĂ©moires de Saint-Simon, le thĂ©Ăątre de Racine et, surtout, les Lettres de Mme de SĂ©vignĂ©.

Éducation et mariage

Adrien Proust par Nadar, en 1886.

Jeanne naĂźt le au 40bis, rue du Faubourg PoissonniĂšre dans un Paris qui achĂšve de subir une terrible Ă©pidĂ©mie de cholĂ©ra (20 000 morts Ă  Paris, plus de 110 000 en France). Elle est la cadette de Georges-Denis Weil (1847-1906), son unique frĂšre. Sous l’influence de sa mĂšre AdĂšle, aimante et cultivĂ©e, Jeanne fait son apprentissage de la vie. Elle reçoit une Ă©ducation trĂšs complĂšte pour une jeune fille de cette Ă©poque. Comme le signale Évelyne Bloch-Dano, «  si Jeanne avait Ă©tĂ© un garçon, elle aurait fait des Ă©tudes. Elle sait le latin et parle couramment l’anglais et l’allemand. Comme sa mĂšre, elle est excellente pianiste. Elle partage avec ses parents et son frĂšre la passion des livres. Elle aime comprendre et approfondir. Chez les Weil, on discute beaucoup. et cela seul suffirait peut-ĂȘtre Ă  les distinguer des familles de la bourgeoisie traditionnelle oĂč les filles grandissent comme des oies engraissĂ©es en vue du seul mariage.»[3]

En 1870, Jeanne a 21 ans. Elle est devenue une belle jeune femme, Ă  la splendide chevelure noire ramenĂ©e en chignon, au regard sombre et veloutĂ© et au sourire Ă  la fois tendre et lĂ©gĂšrement moqueur. Son pĂšre va lui prĂ©senter Adrien Proust, un jeune mĂ©decin dont il a fait connaissance quelque temps auparavant chez un de ses collĂšgues de la Bourse. DĂ©jĂ  reconnu pour ses travaux d’hygiĂ©niste et d’épidĂ©miologiste, Adrien Proust est un homme sĂ©rieux, aimable et rassurant. Il n’appartient pas Ă  la communautĂ© juive mais il reprĂ©sente un bon parti et, dans l’esprit nourri des LumiĂšres de la famille Weil, il est le garant d'une plus grande intĂ©gration sociale. NathĂ© Weil ne marierait en aucun cas sa fille contre son grĂ© mais son choix est le bon : bien que de quinze ans son aĂźnĂ©, Adrien plaĂźt Ă  Jeanne. Le mariage est cĂ©lĂ©brĂ© Ă  la mairie du 10e arrondissement, le , au lendemain de la dĂ©faite de Sedan[4]. Les Ă©poux ne pratiquant pas la religion de leur famille respective, le mariage demeurera civil, simplifiant ainsi le problĂšme de la mixitĂ© de leur union. Il est prĂ©vu toutefois que les futurs enfants seront Ă©duquĂ©s dans la religion du pĂšre, autrement dit le catholicisme.

Une personnalité discrÚte et spirituelle

Jeanne Proust, v. 1890.

À la diffĂ©rence de sa contemporaine, GeneviĂšve HalĂ©vy, grande amie de son fils Marcel, Jeanne Proust ne brillera pas dans les cercles mondains et ne fera pas salon. Elle demeurera une maĂźtresse de maison effacĂ©e, dĂ©vouĂ©e Ă  son mari et ses fils. Mais pour discrĂšte et pudique que soit sa personnalitĂ©, elle n’en possĂšde pas moins un Ă©clat certain. En tĂ©moigne ce texte de Marcel Proust qui, bien que dĂ©tournĂ© de son modĂšle initial, comme aimait Ă  le faire l’écrivain, n’en Ă©voque pas moins la figure maternelle[5] :

L'esprit des Lettres de Madame de Sévigné circule comme un courant entre Marcel Proust, sa mÚre Jeanne et sa grand-mÚre, AdÚle Weil.

« Pour un roman, pour des vers, choses oĂč elle se connaissait trĂšs bien, elle s’en remettait toujours, avec une humilitĂ© de femme, Ă  l’avis de plus compĂ©tents. Elle pensait que c’était lĂ  le domaine flottant du caprice ou le goĂ»t d’un seul ne peut pas fixer la vĂ©ritĂ©. Mais sur les choses dont les rĂ©gies et les principes lui avaient Ă©tĂ© enseignĂ©s par sa mĂšre, sur la maniĂšre de faire certains plats, de jouer les sonates de Beethoven et de recevoir avec amabilitĂ©, elle Ă©tait certaine d’avoir une idĂ©e juste de la perfection et de discerner si les autres s’en rapprochaient plus ou moins. Pour les trois choses, d’ailleurs, la perfection Ă©tait presque la mĂȘme : c’était une sorte de simplicitĂ© dans les moyens, de sobriĂ©tĂ© et de charme. Elle repoussait avec horreur qu’on mĂźt des Ă©pices dans les plats qui n’en exigent pas absolument, qu’on jouĂąt avec affectation et abus de pĂ©dales, qu’en « recevant Â» on sortĂźt d’un naturel parfait et parlĂąt de soi avec exagĂ©ration. DĂšs la premiĂšre bouchĂ©e, aux premiĂšres notes, sur un simple billet, elle avait la prĂ©tention de savoir si elle avait affaire Ă  une bonne cuisiniĂšre, Ă  un vrai musicien, Ă  une femme bien Ă©levĂ©e. « Elle peut avoir beaucoup plus de doigts que moi, mais elle manque de goĂ»t en jouant avec tant d’emphase cet andante si simple. Â» « Ce peut ĂȘtre une femme trĂšs brillante et remplie de qualitĂ©s, mais c’est un manque de tact de parler de soi en cette circonstance. Â» « Ce peut ĂȘtre une cuisiniĂšre trĂšs savante, mais elle ne sait pas faire le bifteck aux pommes. Â» Le bifteck aux pommes ! morceau de concours idĂ©al, difficile par sa simplicitĂ© mĂȘme, de « Sonate pathĂ©tique Â» de la cuisine, Ă©quivalent gastronomique de ce qu’est dans la vie sociale la visite de la dame qui vient vous demander des enseignements sur un domestique et qui, dans un acte si simple, peut Ă  tel point faire preuve, ou manquer, de tact et d’éducation.»[5]

Un autre trait marquant de la personnalitĂ© de Jeanne Proust : son humour, si dĂ©licatement ironique. Ainsi tĂ©moigne-t-elle, dans une lettre Ă  son fils, de son dĂ©pit de voir son mari absent (Adrien Proust frĂ©quentait beaucoup de congrĂšs internationaux et adorait partir en mission Ă  l’étranger) et du caractĂšre dĂ©cousu de leur correspondance : « Comme nos lettres ne peuvent jamais se rĂ©pondre j’y Ă©prouve comme quand on consulte mal le n° du catalogue au salon, et que, cherchant le nom d’un portrait, on trouve “Nature morte”»[6].

Autres exemples : dans ses Ă©changes et sa correspondance avec son fils Marcel, Jeanne dĂ©veloppera un jeu plaisant, et parfois codĂ©, de citations extraites du thĂ©Ăątre classique. Jusqu’à l’heure mĂȘme de son agonie, le , Jeanne poursuivra ce jeu. Profitant de l’absence momentanĂ©e de la religieuse qui veillait sur elle, elle dira Ă  Marcel : « Son dĂ©part ne pouvait plus Ă  propos se faire[7] » et voyant que ce dernier fondait en larmes, elle ajoutera : « Si vous n’ĂȘtes Romain, soyez digne de l’ĂȘtre », citation de Corneille « dont elle avait Ă©gayĂ© leurs sĂ©parations dans son enfance »[8].

Une mĂšre protectrice et stimulante

Les enfants Proust, Robert et Marcel, photographie studio Hermann vers 1885.

Tous les biographes de Proust s’accordent Ă  souligner le caractĂšre trĂšs fusionnel de la relation qui unissait Jeanne Proust et son fils aĂźnĂ©, Marcel. Cette situation est probablement la consĂ©quence de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le premier-nĂ© de Jeanne est venu au monde dans des conditions assez dramatiques : en , le couple avait dĂ» fuir Paris, affamĂ© par le siĂšge des Prussiens puis bouleversĂ© par les Ă©vĂ©nements de la Commune. L’enfant faillit mourir Ă  la naissance[9]. À l’ñge de dix ans, lors d’une promenade avec ses parents au bois de Boulogne, Marcel connaĂźt sa premiĂšre crise d’asthme et manque une nouvelle fois de mourir, Ă©touffĂ©. DĂšs lors, Jeanne se prĂ©occupera sans cesse de sa santĂ©, exigeant de son fils, lorsqu’il se trouve Ă©loignĂ©, des rapports quotidiens sur son hygiĂšne de vie.

L’autre Ă©lĂ©ment dĂ©terminant chez cette mĂšre, soucieuse toutefois de ne pas faire de diffĂ©rences entre ses deux fils, est le goĂ»t de la littĂ©rature et de l’art qu’elle partage avec son aĂźnĂ©. DouĂ© pour les mathĂ©matiques et les sciences, sportif, Robert Proust sera plus proche de son pĂšre et, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, plus indĂ©pendant que son frĂšre, Marcel, trĂšs attachĂ© Ă  la prĂ©sence et la culture maternelle.

Jeanne Proust, tirage de travail de Nadar, le 5 décembre 1904.

Cette profonde affection s’accompagne aussi d’une grande exigence et d’une rĂ©elle collaboration intellectuelle. Ainsi lorsque Marcel Proust voudra entreprendre en 1900 la traduction de La Bible d’Amiens de John Ruskin, c’est Jeanne, forte de ses compĂ©tences en anglais, qui lui en fera une premiĂšre version littĂ©rale que le jeune Ă©crivain retravaillera ensuite pour en faire la traduction dĂ©finitive. Parfois vellĂ©itaire dans ses projets, Marcel sera fortement encouragĂ© par sa mĂšre, qui le remet rĂ©guliĂšrement au travail et lui rappelle que cette publication tenait particuliĂšrement Ă  cƓur Ă  son pĂšre rĂ©cemment dĂ©funt. L’ouvrage paraĂźtra finalement au Mercure de France en 1904.

Marcel (assis), Robert de Flers (Ă  gauche) et Lucien Daudet (Ă  droite), v. 1894.

Comme en tĂ©moigne sa correspondance, Marcel Proust consultera sa mĂšre sur bien des aspects pratiques de sa vie et, notamment, sur les questions d’argent. Jeanne n’aura de cesse de vouloir rendre indĂ©pendant et organisĂ© ce fils quelque peu excentrique[10]. Consciente de son orientation sexuelle, elle se montrera comprĂ©hensive, voire accueillante et accommodante, avec les amis de son fils, tout en demeurant vigilante sur sa rĂ©putation. En , elle accepte, par exemple, de remettre 25 francs Ă  Pierre PoupetiĂšre, jeune protĂ©gĂ© de Marcel[11]. Elle se fĂąche, en revanche, devant la photographie, par Otto Wegener, de son fils accompagnĂ© de Robert de Flers et d’un Lucien Daudet « enamourĂ© »[12].

Paradoxalement, ce grand amour maternel rendra difficile l’épanouissement du fils. Comme le confiera la religieuse de garde Ă  Marcel Proust au moment de la mort de Jeanne : « Pour elle, vous aviez encore quatre ans »[13].

Il fallait peut-ĂȘtre que cette mĂšre exceptionnelle meure pour que son fils, bien que brisĂ© par sa disparition, puisse ensuite accomplir le chef-d’Ɠuvre que l’on sait. Souffrant depuis longtemps d’une grave insuffisance des reins — dĂ©ficience familiale qui avait dĂ©jĂ  emportĂ© AdĂšle Weil en 1890 – Jeanne Proust s’éteindra le Ă  la suite d’une crise d’urĂ©mie. Comme le dira l’abbĂ© Mugnier, une quinzaine d’annĂ©es plus tard Ă  propos de Marcel Proust, « nul n’est moins mort[e] qu’[elle] » car elle vit dĂ©sormais, et pour longtemps, entre les pages Ă©crites par son fils.

Évocations littĂ©raires

Jeanne Proust a directement inspirĂ© le personnage de Mme Santeuil (dans Jean Santeuil) et ceux de la mĂšre et de la grand-mĂšre du narrateur dans À la Recherche du temps perdu .

Mais la figure maternelle est diffuse dans toute l’Ɠuvre de Proust qui, vers 1908, avait tout d’abord envisagĂ© de conclure son cycle romanesque par un texte intitulĂ© non pas Le Temps retrouvĂ© mais « Conversation avec Maman[14] ». Cette « conversation » confirme la nature intellectuelle des Ă©changes entre le fils et la mĂšre et sera reprise dans l’ouvrage posthume Ă©ditĂ© et intitulĂ© par Bernard de Fallois Contre Sainte-Beuve. Ce texte devait permettre Ă  l’écrivain d’exposer son esthĂ©tique et son art poĂ©tique, exposĂ© repris et transcendĂ© dans la version dĂ©finitive du Temps retrouvĂ©. Un fragment de cette conversation, trop directement autobiographique pour ĂȘtre conservĂ© dans La Recherche, nous livre un tableau de famille Ă©mouvant et hautement symbolique[15] :

Esther choisie par Assuérus, détail d'un tableau de F. Lippi. Cet épisode biblique, repris dans la tragédie éponyme de Jean Racine, a marqué l'imaginaire de Proust.

« Et Maman, pensant Ă  cette Esther qu’elle prĂ©fĂšre Ă  tout, fredonne timidement, comme avec la crainte de faire fuir, d’une voix trop haute et hardie, la mĂ©lodie divine qu’elle sent prĂšs d’elle  : «  Il s’apaise, il pardonne  Â», ces chƓurs divins que Reynaldo Hahn a Ă©crits pour Esther. Il les a chantĂ©s pour la premiĂšre fois Ă  ce petit piano prĂšs de la cheminĂ©e, pendant que j’étais couchĂ©, tandis que Papa arrivĂ© sans bruit s’était assis sur ce fauteuil et que Maman restait debout Ă  Ă©couter la voix enchanteresse. Maman essayait timidement un air du chƓur, comme une des jeunes filles de Saint-Cyr essayant devant Racine. Et les belles lignes de son visage juif, tout empreint de douceur chrĂ©tienne et de courage jansĂ©niste, en faisaient Esther elle-mĂȘme, dans cette petite reprĂ©sentation de famille, presque de couvent, imaginĂ©e par elle pour distraire le despotique malade qui Ă©tait lĂ  dans son lit. Mon pĂšre n’osait pas applaudir. Furtivement Maman jetait un regard pour jouir avec Ă©motion de son bonheur. Et la voix de Reynaldo reprenait ces mots, qui s’appliquaient si bien Ă  ma vie entre mes parents  : Ô douce paix, BeautĂ© toujours nouvelle, Heureux le cƓur Ă©pris de tes attraits  ! Ô douce paix,

Ô lumiĂšre Ă©ternelle, Heureux le cƓur qui ne te perd jamais !» [15]

L’évocation ne sera pas toujours idyllique. Un an et demi aprĂšs la mort de Jeanne, dans un article pour Le Figaro rĂ©digĂ© Ă  la suite de l’assassinat de Mme van Blarenberghe par son fils Henri[16], Marcel formule une terrible interrogation Ă  laquelle toute son Ɠuvre s’efforcera sans doute de rĂ©pondre.

« — Qu’as-tu fait de moi ! qu’as tu fait de moi ! Â» Si nous voulions y penser, il n’y a peut-ĂȘtre pas une mĂšre vraiment aimante qui ne pourrait, Ă  son dernier jour, souvent bien avant, adresser ce reproche Ă  son fils. Au fond, nous vieillissons, nous tuons tout ce qui nous aime par les soucis que nous lui donnons, par l’inquiĂšte tendresse elle-mĂȘme que nous inspirons et mettons sans cesse en alarme. Si nous savions voir dans un corps chĂ©ri le lent travail de destruction poursuivi par la douloureuse tendresse qui l’anime, voir les yeux flĂ©tris, les cheveux longtemps restĂ©s indomptablement noirs, ensuite vaincus comme le reste et blanchissants, les artĂšres durcies, les reins bouchĂ©s, le cƓur forcĂ©, vaincu le courage devant la vie, la marche alentie, alourdie, l’esprit qui sait qu’il n’a plus Ă  espĂ©rer, alors qu’il rebondissait si inlassablement en invincibles espĂ©rances, la gaietĂ© mĂȘme, la gaietĂ© innĂ©e et semblait-il immortelle, qui faisait si aimable compagnie avec la tristesse, Ă  jamais tarie, peut-ĂȘtre celui qui saurait voir cela, dans ce moment tardif de luciditĂ© que les vies les plus ensorcelĂ©es de chimĂšre peuvent bien avoir, puisque celle mĂȘme de don Quichotte eut le sien, peut-ĂȘtre celui-lĂ , comme Henri van Blarenberghe quand il eut achevĂ© sa mĂšre Ă  coups de poignard, reculerait devant l’horreur de sa vie et se jetterait sur un fusil, pour mourir tout de suite. Chez la plupart des hommes, une vision si douloureuse (Ă  supposer qu’ils puissent se hausser jusqu’à elle) s’efface bien vite aux premiers rayons de la joie de vivre. Mais quelle joie, quelle raison de vivre, quelle vie peuvent rĂ©sister Ă  cette vision ? D’elle ou de la joie, quelle est vraie, quel est « le Vrai Â» ? »

Bibliographie

  • Évelyne Bloch-Dano, Madame Proust. Le Livre de Poche, Paris, 2006.
  • Luc Fraisse, avec la collaboration de Laurent Angard, Souvenirs de lecture. De Fallois, Paris, 2020.
  • Jean-Michel Henny, Marcel Proust Ă  Évian. Étape d’une vocation. Chaman Ă©dition, NeuchĂątel, 2015.
  • George Painter, Marcel Proust 1871-1922. Tallandier / coll. « Texto », Paris, 2008.
  • Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu. 3 volumes, Ă©ditĂ©s par AndrĂ© Alain Morello, Michelle Berman, Jo Yoshida, Thierry Laget. PrĂ©faces de Bernard Raffalli. Index Ă©tablis par Pierrette Crouzet-Daurat, Dominique FrĂ©my, Françoise Gacon et Julie Paolini. Robert Laffont / coll. Bouquins, Paris, 1987.
  • Marcel Proust, Correspondance. Tome II, 1896-1901. Texte Ă©tabli, prĂ©sentĂ© et annotĂ© par Philip Kolb. Librairie Plon, Paris, 1976.
  • Michel Schneider, ‘’Maman’’. Gallimard/ coll. « Folio », Paris, 2005.
  • Jean-Yves TadiĂ©. Marcel Proust. Biographie. Éd. Gallimard / coll. « Folio », Paris. 1999.

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Voir Évelyne Bloch-Dano, Madame Proust et « Famille » in Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu. 3 volumes, Ă©ditĂ©s par AndrĂ© Alain Morello, Michelle Berman, Jo Yoshida, Thierry Laget. PrĂ©faces de Bernard Raffalli. Index Ă©tablis par Pierrette Crouzet-Daurat, Dominique FrĂ©my, Françoise Gacon et Julie Paolini. Robert Laffont / coll. Bouquins, Paris, 1987. tome I, p. 87-90. La rĂ©daction de cet article s’appuie pour l’essentiel sur ces deux sources.
  2. Évelyne Bloch-Dano, Madame Proust, Grasset, p. 58-59.
  3. E. Bloch-Dano, op. cit., p. 18.
  4. Marcel Proust, Sésame et les Lys, «Sur la lecture»
  5. Cité par E. Bloch-Dano, op. cit. p. 191-192.
  6. MoliÚre, Le Misanthrope, III, 5. Cité par George D. Painter in Marcel Proust (1871-1922), p. 468)
  7. George D. Painter, ibid.
  8. Voir E. Bloch-Dano, op. cit. p. 89.
  9. Consciente de son orientation sexuelle, elle se montrera comprĂ©hensive, voire accueillante et accommodante, avec les amis de son fils, tout en demeurant vigilante sur sa rĂ©putation. En septembre 1899, elle accepte, par exemple, de remettre 25 francs Ă  Pierre PoupetiĂšre, jeune protĂ©gĂ© de Marcel (Voir M. Proust, Corr. t. II, p. 341). Elle se fĂąche, en revanche, devant la photographie, par Otto Wegener, de son fils accompagnĂ© de Robert de Flers et d’un Lucien Daudet « enamourĂ© » (Voir E. Bloch-Dano, op. cit. p. 277)
  10. M. Proust, Corr. t. II, p. 341
  11. E. Bloch-Dano, op. cit. p. 277
  12. George D. Painter, op. cit., p. 469
  13. Voir Jean-Yves Tadié, Marcel Proust II, p. 151.
  14. « Conversation avec Maman » in Contre Sainte-Beuve, 1908.
  15. « Sentiments finaux d’un parricide », article paru dans Le Figaro en janvier 1907 et repris ensuite dans le recueil Pastiches et mĂ©langes en 1919 Ă  la NRF
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