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Invasion turque de Chypre

L'invasion turque de Chypre, également connue sous les noms de code opération Attila et opération paix pour Chypre (en turc : Atilla Harekâtı ou Kıbrıs Barış Harekâtı), est l'offensive militaire des forces armées turques lancée le , qui a conduit à l'occupation par la Turquie de 38 % du territoire chypriote, et à la partition de celui-ci.

Invasion turque de Chypre
Description de cette image, également commentée ci-après
La partition de l'île depuis 1974 : lisérée de rouge la zone d'occupation turque.
Informations générales
Date -
Lieu île de Chypre
Issue Victoire turque, proclamation de l'État fédéré turc de Chypre.
Changements territoriaux Partition de Chypre
Commandants
Drapeau de la Turquie Nurettin Ersin (en)
Drapeau de la Turquie Bedrettin Demirel (tr)
Drapeau de la Turquie Osman Fazıl Polat (tr)
Drapeau de la Turquie SĂĽleyman Tuncer
Drapeau de la Turquie Sabri DemirbaÄź
Drapeau de la Turquie Sabri Evren
Drapeau de Chypre Michael Georgitsis
Drapeau de Chypre Georgios Karayiannis (en)
Drapeau de Chypre Konstantinos Kombokis
Drapeau de la Grèce Nikolaos Nikolaides
Forces en présence
Drapeau de la Turquie
40 000 soldats turcs

Drapeau de la Turquie (TMT)
20 000 hommes
Drapeau de Chypre
5 000 hommes

Drapeau de la Grèce
2 000 hommes
Pertes
Drapeau de la Turquie
498 tués
1 200 blessĂ©s
20 aéronefs détruits
1 destroyer coulé

Drapeau de la Turquie (TMT)
340 tués
1 000 blessĂ©s
Drapeau de Chypre
309 tués
1 141 blessĂ©s
909 disparus

Drapeau de la Grèce
88 tués
148 blessés
83 disparus

Invasion turque de Chypre

Contexte

Lorsque Chypre devient une république indépendante du Royaume-Uni en 1960, sa population se répartit en deux communautés principales : la communauté Chypriote grecque et la communauté Chypriote turque (minoritaire). Or, par le traité de garantie signé la même année, le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce deviennent les États garants de l'équilibre constitutionnel de l'île, ce qui octroie, sous certaines conditions, un droit d'intervention militaire aux trois puissances garantes pour rétablir l'ordre constitutionnel si celui-ci venait à être bousculé.

Pendant la dictature des colonels qui se met en place en Grèce, de nombreux opposants politiques se réfugient à Chypre. Le la Garde nationale dirigée par des officiers grecs lance une tentative de coup d'État contre le président chypriote, l'archevêque Makários, avec l'aide du groupe paramilitaire chypriote grec de l'EOKA B ; leur objectif commun est de réaliser l'Énosis, c'est-à-dire l'unification de Chypre à la Grèce.

Le 20 juillet, la Turquie intervient militairement en évoquant la protection des intérêts de la communauté turque de l'île (alors 18% de la population chypriote) et le rétablissement de l'ordre constitutionnel[1]. En parallèle, le Conseil de sécurité des Nations unies vote la résolution 353 demandant le « retrait sans délai du territoire de la République de Chypre de tous les militaires » ; cette résolution concerne principalement les forces grecques positionnées sur l'île et dont l'ONU suspecte l'implication ; la Turquie fait alors valoir l'article 4 du traité de garantie[Note 1] afin de légitimer son intervention unilatérale, tout en évitant une confrontation directe avec la Grèce qui fait également partie de l'OTAN[2].

L'opération Attila

Les zones de peuplement en 1970 et en 1998, d'après Marie-Pierre Richarte, La partition de Chypre: étude géopolitique, 1998.

Le , à 5 h 45, l'opération appelée Attila (Atilla, en turc ; selon les sources, le nom fait référence au commandant des forces turques[3] - [4] ou au roi des Huns, Attila[5]) est lancée, le gouvernement turc commence à déployer des troupes terrestres à bord de péniches de débarquement, ainsi que des parachutistes aéroportés à bord d'avions de transport C-130 entre Kyrenia et Nicosie[6].

Ă€ 6 h 30, le premier ministre turc BĂĽlent Ecevit annonce Ă  la radio la dĂ©cision de son gouvernement :

« L'intervention turque à Chypre a été faite en réponse au coup d'État qui a été commis quatre jours plus tôt contre le président chypriote, l'archevêque Makarios »[Note 2]. Cette opération est lancée conformément aux dispositions imposées par le traité de garantie, signé le par le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce.

Au total, ce sont 40 000 soldats turcs et 20 000 miliciens chypriotes turcs qui affrontent 12 000 Chypriotes grecs.

Le , une flottille de trois destroyers de la marine turque est attaquée par erreur par des Lockheed F-104 Starfighter de l'aviation turque la prenant pour une force grecque. Le TCG Kocatepe (D 354) de la classe Gearing est coulé et les deux autres gravement endommagés[7].

Le , un cessez-le-feu est signé et l'armée turque occupe 3 % de l'île.

Du 13 au , une deuxième opération appelée Atilla II est lancée par l'armée turque sur Lefke et Famagouste, afin d'assurer le contrôle sur la frontière entre les deux communautés, les forces pro-turques contrôlent 38 % de l'île.

NĂ©gociations et maintien de la paix

Les forces de l'UNFICYP, agissant sous mandat de l'ONU, ont été mises en place, dès 1964, pour prévenir toute poussée de violence entre les deux communautés. En 1974, à la suite des opérations militaires turques, une « ligne verte » (« ligne Atilla » pour les Turcs), constituant une zone démilitarisée et une barrière physique entre les deux entités sépara l'île de Chypre, et sa capitale Nicosie[8].

Fin des combats et conséquences immédiates

Les forces armĂ©es turques ne rencontrèrent qu'une rĂ©sistance dispersĂ©e et dĂ©sorganisĂ©e des forces chypriotes grecques et de l'EOKA-B, elles prirent le contrĂ´le du couloir entre Nicosie et Kyrenia[6]. Près de 210 000[9] rĂ©fugiĂ©s grecs sont dĂ©placĂ©s vers le sud, dans des camps construits dans l'urgence, par le Service spĂ©cial pour les soins et la rĂ©adaptation des personnes dĂ©placĂ©es chypriote[10].

En réponse à l'offensive de la Turquie, le gouvernement grec du général Dimítrios Ioannídis annonça que la Grèce préparait la mobilisation générale de ses forces armées en accord avec son statut de garant de l'équilibre constitutionnel et le droit des trois nations à une intervention militaire sur l'île.

À la suite du coup d'État de 1974 à Chypre, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord demande le retrait des officiers grecs le . La Grèce quitte les structures militaires de l'alliance le , car cette dernière n'a pas empêché l'invasion turque ; elle réintègre celles-ci le [11], après la levée du veto turc.

Situation actuelle

Camp argentin des forces de l'ONU.

L'ONU a proposĂ© en 2004 le plan Annan, du nom de l'ancien secrĂ©taire des Nations unies, Kofi Annan. Ce plan proposait de rĂ©unifier les deux États chypriotes au sein d'une mĂŞme RĂ©publique chypriote unie fonctionnant sur la base d'un système fĂ©dĂ©ral oĂą les deux communautĂ©s seraient reprĂ©sentĂ©es[12]. Le plan Annan, intervenant après trente ans de nĂ©gociations infructueuses, propose d'instaurer un État confĂ©dĂ©ral, chaque État confĂ©dĂ©rĂ© devant permettre l'installation (ou le retour) de 33 % au plus de rĂ©sidents de l'autre communautĂ© sur son sol. Il fut soumis Ă  rĂ©fĂ©rendum. Bien que le nombre de Turcs soit insuffisant pour atteindre ce taux au Sud, alors que le nombre de Grecs est largement suffisant pour l'atteindre au Nord, ce plan fut acceptĂ© Ă  plus de 65 % par les habitants du Nord de l'Ă®le, mais rejetĂ© Ă  70 % par ceux du Sud : en effet, pour les Grecs ayant Ă©tĂ© chassĂ©s du Nord, la limitation Ă  33 % Ă©tait inacceptable, Ă©tant donnĂ© qu'ils Ă©taient environ 79 % des habitants du nord avant 1974 ; pour les Turcs en revanche, cela revenait Ă  sauvegarder l'essentiel de leurs acquis tout en revenant dans la lĂ©galitĂ© internationale et en Ă©chappant Ă  l'embargo et Ă  la dĂ©pendance vis-Ă -vis d'Ankara. Au cours de ce rĂ©fĂ©rendum d'ailleurs, pour la première fois, des manifestations massives, rassemblant jusqu'Ă  50 000 personnes, ont eu lieu dans la partie occupĂ©e de Chypre, au cours desquelles la communautĂ© chypriote turque a contestĂ© ouvertement la politique sous tutelle d'Ankara du « prĂ©sident » Rauf Denktash, exigĂ© sa dĂ©mission, et exprimĂ© son souhait de rattachement Ă  la partie sud[13].

À la suite d'une série de négociations entre mai et , les dirigeants chypriotes grecs et turcs se sont engagés sous l'égide des Nations unies à résoudre point par point les problèmes liés à la spécificité chypriote. S'engageant à suivre les paramètres établis par les Nations unies[14], Dimítris Khristófias et Mehmet Ali Talat ont mis conjointement en place six groupes de travail et sept comités techniques portant sur des questions spécifiques[Note 3].

Les dirigeants chypriotes grec et turc ont rencontrĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies Ban Ki-moon, le Ă  New York, oĂą ils ont Ă©tudiĂ© divers points dans une rĂ©union tripartite ; notamment sur la question des propriĂ©tĂ©s foncières et l'ouverture de nouveaux points de passages dans la ligne verte[15]. Ces nĂ©gociations viseraient Ă  terme la rĂ©unification de Chypre, sous un système fĂ©dĂ©ral bicommunautaire oĂą chypriotes grecs et turcs seraient Ă©gaux en droit et en pouvoir[Note 4] ; comme envisagĂ©e dans le plan Annan, la rĂ©solution des diffĂ©rends aboutirait Ă  une thĂ©orique RĂ©publique chypriote unie ou entitĂ© supra communautaire, basĂ©e sur le modèle de la Suisse, oĂą les deux parties auraient une rĂ©elle autonomie et une reprĂ©sentation politique paritaire[16].

Notes et références

Notes

  1. L'article 4 du traité de garantie précise que « dans la mesure où une action commune ou concertée ne serait pas possible, chacune des trois Puissances se réserve le droit d'agir dans le seul but de rétablir l'ordre public ».
  2. « Les forces armées turques ont commencé à atterrir à Chypre. Que cette opération soit favorable à notre nation et à tous les Chypriotes. Nous pensons qu'en agissant de cette manière, nous aurons rendu un grand service à l'humanité tout entière et à la paix. J'espère que nos forces ne rencontreront aucune résistance et qu'un affrontement sanglant sera évité. Nous allons en fait apporter la paix et non la guerre sur l'île, et pas seulement pour les Turcs mais aussi pour les Grecs. Nous avons dû prendre cette décision à la suite de l'épuisement de tous les recours diplomatiques et politiques. Je tiens à exprimer ma gratitude à mes amis et alliés, en particulier les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont affiché leurs intentions et engagé leurs efforts afin que le différend puisse être réglé par des méthodes diplomatiques. »

    — Allocution de Bülent Ecevit, premier ministre turc, Radio Ankara, le .

  3. Les groupes de travail porteront sur les questions de gouvernance, de partage du pouvoir, des propriétés, de l'économie, des affaires liées à l'Union européenne ainsi que la sécurité du territoire.
    Les comités techniques travailleront sur l'environnement, la santé, les questions humanitaires, la gestion de la crise, l'héritage culturel, les questions économiques et commerciales ainsi que les questions relatives à la criminalité.
  4. « Une fédération bi-communale et bizonale basée sur l'égalité politique, comme défini dans les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU »
    ─ Citation de Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, .

Références

  1. Gilles Bertrand, « Le conflit chypriote et le conflit helléno-turc : La confrontation des deux nationalismes à l'aube du XXIe siècle », Institut français d'études anatoliennes,‎ (ISBN 978-2-3624-5049-5, lire en ligne, consulté le ).
  2. « Le cas chypriote : Analyse de la constitution communautariste de 1960 », sur Le Petit Juriste (consulté le ).
  3. Aymeric Janier, « Chypre face au défi pressant de la paix », sur Le Monde, (consulté le ).
  4. Jean-François Drevet, « Chypre entre partition et réunification », Politique étrangère, Institut français des relations internationales (IFRI), vol. Hiver, no 4,‎ , p. 767-781 (ISSN 0032-342X, résumé, lire en ligne [PDF])).
  5. (en) Doris Wastl-Walter, The Routledge Research Companion to Border Studies, Routledge, , 728 p. (ISBN 978-1-317-04398-0, lire en ligne).
  6. (en) Intervention turque de 1974.
  7. (en) Andy Varoshiotis, « Kocatepe Report November 2010 », sur slideshare, (consulté le ).
  8. Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre.
  9. (en) Données statistiques sur l'île de Chypre.
  10. (en) Compte-rendu sur les conséquences humanitaires et sociales de l'intervention militaire turque, Librairie du Congrès américain.
  11. « Grands faits », sur Ambassade de Grèce en France (consulté le ).
  12. (en) Le plan Annan proposant de réunifier l'île sous l'égide des Nations unies.
  13. Olivier Da Lage, « Chypre - Sommet Denktash-Clerides sous pression », Radio France internationale (RFI), (consulté le ).
  14. « Négociations à l'ONU sur les problèmes chypriotes. »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
  15. « Les dirigeants chypriotes grec et turc bientôt à New York pour accélérer les négociations », sur news.un.org,
  16. Vision de ce qu'aurait pu ĂŞtre le plan Annan en cas d'acceptation par les deux parties.

Annexes

Liens externes

Articles connexes

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