Instabilité de Rayleigh-Taylor
LâinstabilitĂ© de RayleighâTaylor, nommĂ©e en hommage aux physiciens britanniques Lord Rayleigh et G. I. Taylor, est une instabilitĂ© de lâinterface sĂ©parant deux fluides de densitĂ©s diffĂ©rentes, qui rĂ©sulte de la poussĂ©e du fluide le plus lourd sur le fluide le plus lĂ©ger (l'accĂ©lĂ©ration dans le cas d'un systĂšme dynamique ou la gravitĂ© pour un systĂšme initialement statique est dirigĂ©e vers la phase lĂ©gĂšre)[1] - [2]. Ce phĂ©nomĂšne est produit par exemple par l'onde de choc Ă l'origine des nuages interstellaires. Dans ce cas particulier oĂč le choc est Ă l'origine de la mise en vitesse du systĂšme, on parlera d'instabilitĂ© de Richtmyer-Meshkov. Il se produit une situation analogue lorsque la gravitĂ© affecte deux fluides de densitĂ©s diffĂ©rentes (le fluide le plus dense se trouvant au-dessus du fluide le moins dense) comme de l'huile minĂ©rale Ă la surface de l'eau[2].
ConsidĂ©rons deux couches de fluides immiscibles superposĂ©es dans deux plans parallĂšles, la plus lourde surplombant la plus lĂ©gĂšre et toutes deux soumises Ă la pesanteur terrestre. LâĂ©quilibre est instable Ă la moindre perturbation : toute perturbation va s'amplifier et libĂ©rer de lâĂ©nergie potentielle, le fluide le plus lourd gagnant progressivement la moitiĂ© infĂ©rieure sous l'effet du champ de gravitation, et le fluide lĂ©ger passe au-dessus. C'est cette configuration qu'a Ă©tudiĂ©e Lord Rayleigh[2]. La dĂ©couverte importante de G. I. Taylor a consistĂ© Ă montrer que cette situation est Ă©quivalente Ă celle qui se produit lorsque les fluides (hors de toute gravitĂ©) sont accĂ©lĂ©rĂ©s, le fluide lĂ©ger Ă©tant propulsĂ© Ă l'intĂ©rieur du fluide le plus lourd[2]. Cela se produit notamment lorsque l'on projette un verre Ă terre avec une accĂ©lĂ©ration supĂ©rieure Ă la pesanteur terrestre[2] g.
Lorsque lâinstabilitĂ© dĂ©veloppe ses effets, des irrĂ©gularitĂ©s (« fossettes ») se propagent vers le bas en polypes de RayleighâTaylor qui finissent mĂȘme par se mĂ©langer. C'est pourquoi on qualifie parfois lâinstabilitĂ© de RayleighâTaylor dâinstabilitĂ© Ă traines (fingering instability)[3]. Le fluide le plus lĂ©ger s'expand vers le haut comme un champignon nuclĂ©aire[4] - [5].
On observe ce phĂ©nomĂšne dans plusieurs situations courantes, non seulement dans les dĂŽmes salins ou les couches dâinversion, mais aussi en astrophysique et en Ă©lectrocinĂ©tique. Les polypes de Rayleigh-Taylor sont particuliĂšrement visibles dans la NĂ©buleuse du Crabe, oĂč le plĂ©rion engendrĂ© par le pulsar du Crabe dĂ©borde les projections issues de lâexplosion de la supernova il y a 1 000 ans[6].
Il ne faut pas confondre lâinstabilitĂ© de RayleighâTaylor avec lâinstabilitĂ© de Plateau-Rayleigh (parfois appelĂ©e « instabilitĂ© du tuyau d'arrosage ») : cette derniĂšre, qui se produit dans les jets de liquide, est due Ă la tension superficielle, qui tend Ă disperser un jet cylindrique en une projection de gouttelettes de mĂȘme volume mais de surface spĂ©cifique moindre.
Analyse linéaire de la stabilité
LâinstabilitĂ© bidimensionnelle non-visqueuse de RayleighâTaylor constitue un excellent banc d'essai pour l'Ă©tude mathĂ©matique de la stabilitĂ© du fait de la nature extrĂȘmement simple de la configuration initiale[7], dĂ©crite par un champ de vitesse moyenne tel que oĂč le champ gravitationnel est Une interface en sĂ©pare les fluides de densitĂ©s dans la zone supĂ©rieure, et dans la zone infĂ©rieure. On montre que dans cette section, lorsque le fluide le plus lourd se trouve au-dessus, la moindre perturbation de lâinterface sâamplifie exponentiellement, avec le taux[2]
oĂč est le taux de croissance, est le nombre d'onde spatial et est le Nombre d'Atwood.
La perturbation apportĂ©e au systĂšme est dĂ©crite par un champ de vitesse d'amplitude infiniment petite, Comme on suppose le fluide incompressible, ce champ de vitesse est irrotationel et peut ĂȘtre dĂ©crit par des lignes de courant.
oĂč les indices indiquent les dĂ©rivations partielles. En outre, dans un fluide incompressible initialement en mouvement stationnaire, il n'y a pas de tourbillon, et le champ de vitesse du fluide demeure irrotationnel, soit . En termes de ligne de courant, Ensuite, comme le systĂšme est invariant par toute translation dans la direction x, on peut chercher une solution sous la forme
oĂč est le nombre d'onde spatial. Ainsi, le problĂšme se ramĂšne Ă la rĂ©solution de l'Ă©quation
Le domaine sur lequel on rĂ©sout le problĂšme est le suivant : le fluide indexĂ© « L » est confinĂ© Ă la rĂ©gion , tandis que le fluide indexĂ© « G » se trouve dans le demi-plan supĂ©rieur. Pour la dĂ©termination de la solution complĂšte, il faut fixer les conditions aux limites et Ă lâinterface. Cela dĂ©termine la cĂ©lĂ©ritĂ© c, laquelle Ă son tour gouverne les propriĂ©tĂ©s de stabilitĂ© du systĂšme.
La premiÚre de ces conditions est fournie par les données aux limites. Les vitesses de perturbation devraient satisfaire une condition d'imperméabilité (flux nul), interdisant au fluide de s'expandre en dehors du domaine d'étude Ainsi, le long de , et pour . En termes de lignes de courant, cela s'écrit
Les trois autres conditions sont fournies par le comportement de lâinterface .
Continuité de la composante verticale de vitesse ; en , les composantes verticales de vitesse doivent se raccorder : . En termes de lignes de courant, cela s'écrit
Par un développement limité en on obtient
Câest lâĂ©quation exprimant la condition dâinterface.
Condition de surface libre : Le long de la surface libre , la condition cinématique suivante s'applique:
Par linéarisation, on obtient simplement
oĂč la vitesse est linĂ©arisĂ©e sur la surface . En utilisant les reprĂ©sentations de mode normal et les lignes de courant, cette condition est , deuxiĂšme condition dâinterface.
Saut de pression Ă l'interface: Dans le cas oĂč l'on prend en compte une tension superficielle, le saut de pression Ă travers lâinterface en est donnĂ© par lâĂ©quation de Laplace :
oĂč Ï est la tension superficielle et Îș est la courbure de lâinterface, dont une approximation s'obtient en linĂ©arisant :
Ainsi,
Toutefois, cette condition fait intervenir la pression totale (=pression de base+perturbation), c'est-Ă -dire
(Comme d'habitude, on peut linĂ©ariser les perturbations des diffĂ©rentes grandeurs le long de la surface z=0.) En exprimant lâĂ©quilibre hydrostatique, sous la forme
on obtient
LâaltĂ©ration du champ de pression est Ă©valuĂ©e par les fonctions de courant, grĂące Ă lâĂ©quation de l'impulsion horizontale tirĂ©e des Ă©quations d'Euler linĂ©arisĂ©es pour les perturbations, avec qui donne
Reportant cette derniĂšre Ă©quation avec la condition de saut,
En exploitant la deuxiÚme condition d'interface et en utilisant la représentation de mode normal, cette relation devient
oĂč il est d'ailleurs inutile d'indexer (seulement ses dĂ©rivĂ©es) puisque lorsque
Solution
Ă prĂ©sent qu'on a dĂ©crit mathĂ©matiquement le modĂšle d'Ă©coulement stratifiĂ©, la solution est Ă portĂ©e. LâĂ©quation des lignes de courant avec les conditions aux limites se rĂ©sout selon
La premiĂšre condition dâinterface Ă©dicte que en , ce qui impose La troisiĂšme condition dâinterface Ă©dicte que
Reportant la solution dans cette Ă©quation, on forme la relation
Le A se simplifie de part et d'autre, et il reste
Pour interprĂ©ter complĂštement ce rĂ©sultat, il est intĂ©ressant de considĂ©rer le cas oĂč la tension superficielle est nulle. Dans ce cas,
et il est ainsi clair que
- si , et c est rĂ©el. Câest ce qui advient quand le fluide le plus lĂ©ger est au-dessus;
- si , et c est imaginaire pur : câest ce qui advient quand le fluide le plus lourd est au-dessus.
Donc, lorsque le fluide le plus lourd est au-dessus, , et
oĂč est le Nombre d'Atwood. En ne considĂ©rant que la solution positive, nous voyons que la solution est de la forme
et qu'elle est associĂ©e Ă la position η de lâinterface par : Posons Ă prĂ©sent
Le temps caractéristique de croissance de la surface libre initialement en est donné par :
qui croĂźt exponentiellement avec le temps. Ici B dĂ©signe lâamplitude de la perturbation initiale, et est la partie rĂ©elle de lâexpression complexe entre parenthĂšses.
En gĂ©nĂ©ral, la condition pour que lâinstabilitĂ© soit linĂ©aire est que la partie imaginaire de la cĂ©lĂ©ritĂ© complexe c soit positive. Finalement, le rĂ©tablissement de la tension superficielle diminue c2 en module et a donc un effet stabilisant. En effet, il existe un domaine d'ondes courtes pour lesquelles la tension superficielle stabilise le systĂšme et empĂȘche lâinstabilitĂ©.
Comportement Ă long terme
Lâanalyse qui prĂ©cĂšde n'est plus valable quand on a affaire Ă une perturbation de grande amplitude : dans ce cas, la croissance est non-linĂ©aire, les polypes et les bulles s'entrelacent et s'enroulent en tourbillons. Comme l'illustre la figure ci-contre, il faut recourir Ă la simulation numĂ©rique[10] - pour dĂ©crire mathĂ©matiquement le systĂšme.
Notes et références
- D.H. Sharp, « An Overview of Rayleigh-Taylor Instability », Physica D, vol. 12,â , p. 3â18 (DOI 10.1016/0167-2789(84)90510-4)
- Drazin (2002) p. 50â51.
- H. B. Che, B. Hilko et E. Panarella, « The RayleighâTaylor instability in the spherical pinch », Journal of Fusion Energy, vol. 13, no 4,â , p. 275â280 (DOI 10.1007/BF02215847)
- (en) Wang, C.-Y. & Chevalier R. A., « Instabilities and Clumping in Type Ia Supernova Remnants », version v1, .
- (en) R. J. Tayler (dir.), W. Hillebrandt et P. Höflich, Stellar Astrophysics, Supernova 1987a in the Large Magellanic Cloud, Bristol/Philadelphia, CRC Press, , 356 p. (ISBN 0-7503-0200-3), p. 249â302 : cf. page 274.
- J. Jeff Hester, « The Crab Nebula: an Astrophysical Chimera », Annual Review of Astronomy and Astrophysics, vol. 46,â , p. 127â155 (DOI 10.1146/annurev.astro.45.051806.110608)
- Drazin (2002) p. 48â52.
- On trouve un calcul similaire dans l'ouvrage de Chandrasekhar (1981), §92, pp. 433â435.
- Shengtai Li et Hui Li, « Parallel AMR Code for Compressible MHD or HD Equations », Los Alamos National Laboratory (consulté le )
- IUSTI, « Simulation numérique des instabilités de Richtmyer-Meshkov », (consulté le )
Voir aussi
- Instabilité de Richtmyer-Meshkov
- Instabilité de Kelvin-Helmholtz
- Nuage en champignon
- Instabilité de Plateau-Rayleigh
- Stabilité hydrodynamique
- Allée de tourbillons de Karman
Bibliographie
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Rayleigh-Taylor Instability » (voir la liste des auteurs).
Sources historiques
- John William Strutt Rayleigh, « Investigation of the character of the equilibrium of an incompressible heavy fluid of variable density », Proceedings of the London Mathematical Society, vol. 14,â , p. 170â177 (DOI 10.1112/plms/s1-14.1.170) (Original paper is available at: https://web.archive.org/web/20061210173022/https://www.irphe.univ-mrs.fr/%7Eclanet/otherpaperfile/articles/Rayleigh/rayleigh1883.pdf .)
- Geoffrey Ingram Taylor, « The instability of liquid surfaces when accelerated in a direction perpendicular to their planes », Proceedings of the Royal Society of London. Series A, Mathematical and Physical Sciences, vol. 201, no 1065,â , p. 192â196 (DOI 10.1098/rspa.1950.0052)
Bibliographie récente
- Subrahmanyan Chandrasekhar, Hydrodynamic and Hydromagnetic Stability, Dover Publications, , 652 p. (ISBN 978-0-486-64071-6, lire en ligne)
- P. G. Drazin, Introduction to hydrodynamic stability, Cambridge University Press, , xvii+238 pages (ISBN 0-521-00965-0, lire en ligne) .
- P. G. Drazin et W. H. Reid, Hydrodynamic stability, Cambridge, Cambridge University Press, (réimpr. 2e), 626 p. (ISBN 0-521-52541-1, lire en ligne)