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Histoire de Villefranche-sur-SaĂ´ne

L'histoire de Villefranche-sur-Saône commence par une création ex nihilo en 1140 des sires de Beaujeu, désireux de tenir à distance la puissance du comte-archevêque de Lyon et d'avoir part au grand trafic européen. Passée sous le contrôle des Bourbons au début du XVe siècle, elle a été promue capitale du Beaujolais en 1532 et dotée à ce titre d'importantes fonctions administratives. Quand cette fonction de commandement a décliné dans le nouveau cadre administratif issu de la Révolution française, la ville s'est inventée une vocation industrielle basée principalement sur le textile et la métallurgie. Quand, à leur tour, ces activités ont périclité du fait de la concurrence internationale, tirant profit de sa situation sur le grand axe de circulation séquano-rhodanien et devenue un véritable nœud autoroutier, elle s'est muée en centre de services non seulement au niveau local du Beaujolais mais aussi au plan national.

Les armes de Villefranche-sur-SaĂ´ne se blasonnent ainsi :
De gueules à une porte de ville d’argent flanquée à dextre d’une tour du même, au chef cousu d'azur chargé de trois fleurs de lys d'or, chacune brisée d'un bâton de gueules péri en bande.

Une fondation volontaire

Les conditions géographiques comptent beaucoup moins que les circonstances historiques dans la naissance et le développement de Villefranche-sur-Saône comme centre urbain. La décision de Humbert III seigneur de Beaujeu en 1140 de fonder une ville franche répond à deux objectifs. D’une part, affirmer son autorité en limite sud de ses possessions face aux archevêques-comtes de Lyon qui avaient érigé Anse en solide place forte, au nord de leur domaine ; d’autre part, avoir part aux fruits de la croissance économique caractéristique de l’époque en créant un relais commercial sur la route de Bourgogne animée par le transit international entre les pôles de Flandre et d’Italie du Nord. Rien d’original en cela comme en témoigne le grand nombre de villeneuves et les centaines de bastides fondées dans le sud de la France à la même époque. Beaujeu était trop à l’écart pour tirer profit de ces grands courants commerciaux[1].

Lors de la création du réseau de voies, les Romains avaient enjambé l’espace entre Asa Paulini, ancêtre de l’actuelle Anse et Ludna où l’on identifie pour partie l’actuelle Saint-Georges-de-Reneins sans laisser beaucoup de traces dans l’intervalle : on peut donc parler d’une création ex nihilo[2]. Le choix d’une telle situation par Humbert III trouvait sa justification dans une position de relais à égale distance par rapport aux étapes historiques majeures de Mâcon et de Lyon. La possibilité de liaisons sur un axe transversal, est-ouest entre le gué sur la Loire au niveau de Roanne et celui, à proximité immédiate, gardé sur la Saône par la poype de Riottier achevait de faire de la cité un carrefour[3].

Château de Limas
Château de Limas.
Château d'Anse
Château d’Anse.

Plus étonnant est le choix du site précis retenu par Humbert III. Limas aurait pu, à plusieurs titres, servir de point d’ancrage à cette fondation. Cette localité, en situation limitrophe si l'on en adopte l’étymologie latine de limes, du territoire où la présence des Beaujeu est attestée dès le XIe siècle, était le siège d’un péage et d’une châtellenie ainsi que d’une église dédiée à sainte Madeleine[4]. Sa position sur les premières pentes de la montagne beaujolaise en facilitait la défense. La préférence a pourtant été donnée au creux formé par la traversée du Morgon, ruisseau descendu de cette même montagne. C’était, certes, s’assurer une bonne alimentation en eau mais aussi s'exposer au risque de ses débordements. D’où cette forme de nef de bateau selon la comparaison de Louvet, le premier historien de la ville : « Sa figure est presque semblable à la forme d’une galère par sa longueur un peu étroite et par ses deux extrémités qui, s’élevant au nord et au midi, ne représentent pas mal la proue et la poupe d’une galère, l’enfoncement du milieu ayant du rapport avec le corps de ce vaisseau ». Le risque était aussi de devoir assainir les rives marécageuses au bord desquelles devait être transférée l’église de la Madeleine de Limas sous le patronage de Notre-Dame-des-Marais, précisément. Il est vrai que ce voisinage devait répondre aux indications obstinées de la Vierge elle-même apparue à des bergers[5]. Faut-il établir un lien entre cette topographie particulière et le gentilé de caladois des habitants ? Comme on est loin du Midi où la calade désigne une rue dallée en pente, on retient plutôt, avec une pointe d’humour l’élargissement à l’ensemble de la ville de l’espace limité au parvis pavé de l’église devant laquelle on s’attardait pour commérer à la sortie de l’office[6].

L’axe principal nord-sud de la villeneuve, long de 1 kilomètre, a Ă©tĂ© tracĂ© selon le sens du trafic attendu. Cet ancĂŞtre de l’actuelle rue nationale Ă©tait doublĂ© de part et d’autre de rues parallèles dites de derrière. Il Ă©tait recoupĂ© perpendiculairement un peu au nord du Morgon par un axe est-ouest de 240 mètres. Il portait le nom de rue des Fayettes Ă  l’est et de rue des Frères Ă  l’ouest. C’est l’actuelle rue Paul-Bert. Le croisement de ces deux axes marquait la limite entre les quartiers de la Poulaillerie au nord-est, des Presles au nord-ouest, de l’Eglise au sud-est et de la boucherie ou du Maisel au sud-ouest. La volontĂ© de privilĂ©gier la fonction marchande se traduisait dans le dĂ©tail de ce plan. La redevance perçue par le seigneur Ă©tait proportionnelle Ă  la largeur de la façade donnant sur la Grande rue, Ă  raison de trois deniers par toise. La bonne mesure Ă©tant de 4 toises, artisans et commerçants devaient acquitter la somme de 12 deniers. En revanche, chacun avait la libre disposition d’empiĂ©ter sur la Grande rue : ce pavĂ© bourgeois Ă©tait encombrĂ© de boutiques masquant les rez-de-chaussĂ©e. Surtout, chaque parcelle s’étirait en profondeur en direction des rues de derrière et l’espace y Ă©tait disponible Ă  tous usages : celliers, cuisines, remises, Ă©curies, granges et plus ou moins aĂ©rĂ© de courettes.

  • Plan de Villefranche au XVIIIe siècle.
    Plan de Villefranche au XVIIIe siècle.
  • Le Morgon en limite de GleizĂ©.
    Le Morgon en limite de Gleizé.
  • Le Morgon en centre ville.
    Le Morgon en centre ville.
  • Autre photo du Morgon en centre ville.
    Autre photo du Morgon en centre ville.

L’exercice d’une activité commerciale ou artisanale n’était pas compatible avec le statut proche du servage dans lequel était maintenue la masse paysanne dans le système féodal. La charte était donc l’acte juridique fondateur de toute villeneuve, Dans le cas de Villefranche, deux dates sont à retenir. La première qui nous a été conservée est celle octroyée par Guichard V de Beaujeu en 1260. Elle confirme par écrit un ensemble de privilèges accordés oralement antérieurement. Elle garantissait la personne et ses biens contre tout arbitraire[7]. Elle réglemente aussi l’exercice du commerce en fixant un calendrier des foires et marchés, enlevant les inquiétudes du marchand étranger bénéficiaire d’un sauf-conduit et exempté de droits de péage. Par la charte de 1370 octroyée par Antoine de Beaujeu les bourgeois ont le droit de s’organiser collectivement en une commune sous la conduite d’échevins élus ayant pouvoirs de négociation avec le seigneur.

Dès la fondation de la ville, un rempart a Ă©tĂ© construit dans un esprit dĂ©fensif : Ĺ“uvre de longue haleine sans cesse reprise. Ă€ la veille de sa dĂ©molition au dĂ©but du XIXe siècle, il Ă©tait long de 1 840 mètres et haut de 5 mètres. Il Ă©tait jalonnĂ© de 32 tours[8] dont certaines ont Ă©tĂ© conservĂ©es (de la Carrière, de Chaffourd, Grenette, de Gayand). La communication avec l’extĂ©rieur Ă©tait assurĂ©e par les quatre portes de Belleville au nord, d’Anse au sud, des Frères Ă  l’ouest et des Fayettes Ă  l’est.

  • Tour Gayand Ă  Villefranche-sur-SaĂ´ne.
    Tour Gayand Ă  Villefranche-sur-SaĂ´ne.
  • Tour de la Carrière.
    Tour de la Carrière.
  • Maison traditionnelle Ă  Ă©troite façade sur la rue Nationale.
    Maison traditionnelle à étroite façade sur la rue Nationale.
  • Rue traversière.
    Rue traversière.
  • Tour des Notaires.
    Tour des Notaires.

Villefranche capitale du Beaujolais

Villefranche était née par la volonté de son seigneur. C’est encore par décision princière que la ville a changé de statut au XVIe siècle et a été promue capitale du Beaujolais en 1532, mais à cette date le pays était passé sous la domination des Bourbons depuis plus d’un siècle. C’est en effet en 1400 qu’Edouard II, le dernier des Beaujeu, déconsidéré par ses excès, viveur et dépensier, avait été contraint d’aliéner son domaine pour payer ses dettes (dans des conditions qui rappellent celles du rattachement du Dauphiné à la France en 1348) au profit de Louis II, duc de Bourbon. Ce prince était à la tête du vaste territoire du Bourbonnais et ne devait exercer sur le Beaujolais qu’une tutelle lointaine et débonnaire. Mais en 1473, l’un de ses petits-fils Pierre II (1438-1502) qui vient d’hériter du titre de sire de Beaujeu (il ne sera duc de Bourbon qu’à la mort du duc Jean son aîné en 1488) épouse Anne de France, fille de Louis XI, devenue du fait de son mariage Anne de Beaujeu. Elle est surtout connue pour avoir exercé à la mort de son père la régence de son frère mineur, le futur Charles VIII. Restée très influente, elle a été très appréciée des habitants de Villefranche pour ses largesses en 1499 en finançant les travaux d’embellissement et d’agrandissement de l’église Notre-Dame ; en 1514, elle déclare la ville capitale du Beaujolais. Il faut attendre cependant 1532 pour une officialisation encore plus solennelle par François Ier. À cette date, au terme d’une crise sévère mettant en cause le comportement du duc Charles, tous les biens de la famille de Bourbon ont été rattachés directement à la couronne de France. Par décret, le bailliage de Villefranche est proclamé bailliage royal. La physionomie de la ville va être positivement influencée par cette promotion[9].

  • Anne et Pierre de Beaujeu.
    Anne et Pierre de Beaujeu.
  • Église Notre-Dame-des-Marais.
    Église Notre-Dame-des-Marais.
  • Façade de l’église Notre-Dame-des-Marais.
    Façade de l’église Notre-Dame-des-Marais.
  • Clocher de l’église Notre-Dame-des-Marais.
    Clocher de l’église Notre-Dame-des-Marais.
  • Façade de Notre-Dame-des-Marais.
    Façade de Notre-Dame-des-Marais.

Ă€ ne considĂ©rer que les limites territoriales, la situation de Villefranche a peu changĂ© au cours des trois siècles suivants. Ă€ la veille de la RĂ©volution de 1789, toute la population est encore concentrĂ©e Ă  l’intĂ©rieur du rempart mĂ©diĂ©val. Mais alors qu’elle se maintenait autour de 4 000 habitants, elle a nettement augmentĂ© au XVIIIe siècle et est Ă©valuĂ©e Ă  4 800 Ă  la veille de la RĂ©volution[9]. On ne s’en Ă©tonnera pas : Villefranche persĂ©vère dans la vocation pour laquelle elle a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e au Moyen Ă‚ge. La moitiĂ© se livre Ă  une activitĂ© commerciale en incluant dans cette catĂ©gorie une large gamme allant du petit boutiquier jusqu’aux riches marchands. Le rĂ´le de ces derniers pourrait ĂŞtre comparĂ© Ă  celui des marchands-fabricants lyonnais leurs contemporains. Ils n’interviennent pas dans la fabrication elle-mĂŞme comme cette dĂ©nomination le laisserait supposer. Ce sont des distributeurs d’ordre et de matière première aux tisserands de Villefranche et des campagnes alentour. Ils rĂ©cupèrent ensuite les toiles et se chargent de leurs ventes sur le marchĂ© lyonnais. « Ce sont ces nĂ©gociants qui, avec les officiers royaux, formeront Ă  partir du dĂ©but du XVIIe siècle l’essentiel de l’aristocratie locale »[9].

Une partie importante du menu peuple s’adonne donc au travail des fibres textiles. Avec toute l’autorité que lui conférait sa charge de contrôleur des manufactures Jean-Marie Roland — le futur ministre de l’intérieur pendant la Révolution — évalue à 200 le nombre de tisserands de la ville, soit un cinquième de la population active. La ville persévérait dans une tradition qui avait commencé dès sa fondation avec le travail de la laine puis celui du chanvre, toutes matières dont elle s’approvisionnait dans le voisinage. À partir de la fin du XVIe siècle, le coton a pris progressivement la première place, quitte, dans un premier temps à conserver le chanvre pour la trame du tissu. À partir de 1764, est intégrée la filature de la fibre. Les étoffes étaient blanchies dans les eaux du Morgon. Tard venues, mais aussi plus éphémères, les fabrications d’indiennes ont été introduites en 1768 par des spécialistes de Mulhouse[9].

Mais si Villefranche a été honorée du titre de capitale du Beaujolais, c’est, bien entendu, du fait grand nombre d’officiers royaux qui y siégeaient. La France était alors divisée en généralités ayant à leur tête un intendant de police, justice et finances. Le bailliage était le niveau immédiatement inférieur sur le plan judiciaire. Dans la généralité de Lyon, celui du Beaujolais s’étendait de la Loire à la Saône, sur 126 paroisses. Le bailli, à qui était confiée la justice ordinaire, était assisté d’une solide équipe. On jugera de l’importance de son rôle dans la société beaujolaise par cette protestation des échevins lorsque la tentative a été faite de supprimer le bailliage en 1771 : « Nous voyons de jour en jour Villefranche se déserter (sic) des familles les plus honnêtes qui, par les offices qu’elles remplissaient formaient la partie la plus considérable de la population… Plus de quarante chefs de maison privés par l’événement de leur état et qui, par leurs dépenses et leur consommation en faisaient subsister deux cents autres »[10].

La maréchaussée, l’équivalent de notre gendarmerie mais à cheval, était chargée de faire respecter l’ordre public mais une équipe de cinq hommes en poste à Villefranche y suffisait. Dans l’administration des finances, il faut établir une distinction. Beaujeu était le siège d’une élection dont le ressort était de 133 paroisses. Une équipe de fonctionnaires — si l’on peut hasarder ce mot — avait la charge, en collaboration avec les représentants de chaque paroisse (à Beaujeu les échevins) de répartir la somme imposée entre les feux, de la percevoir et de juger les contrevenants. S’agissant des impôts indirects, leur perception avait été affermée à des entrepreneurs privés, les fermiers généraux. Leur personnel à Villefranche tenait le grenier à sel dont le chef, le grenetier, avec son équipe indiquait la quantité de sel à acheter obligatoirement par chaque foyer et jugeait toutes les fraudes dans ce domaine. Une direction des aides, chargée de la perception de divers autres produits taxés comme l’huile, le savon, les cartes à jouer, relevait des mêmes fermiers. Le nombre des personnes employées dans ces divers services avait fortement augmenté avec l’établissement de la monarchie absolue[9].

Cette double spécialisation qui faisait de Villefranche à la fois un centre de commandement lui méritant le titre de capitale et une concentration d’ateliers textiles s’est traduite par une nette différenciation dans la répartition des populations. Les demeures des catégories aisées occupaient la Grand’rue. Si la règle fiscale avait, de fait, imposé dès la fondation une limitation en façade des habitations, en profondeur, elle laissait sans aucune assignation les propriétaires libres d’utiliser à leur guise les parcelles longuement étirées sur plus de cent mètres jusqu’au rempart. Celles-ci se couvrirent assez rapidement de constructions jusques et y compris sur les deux côtés des rues dites de derrière : dès la fin du XVe siècle ne subsistait, en fait de verdure, qu’une faible marge de potagers et de vergers au pied du rempart. Mais les modalités de ce remplissage ont été très variées et ont beaucoup évolué au fil des siècles au point d’aboutir à une véritable ségrégation sociale. On peut schématiquement opposer l’habitat bourgeois et l’habitat populaire[9].

La maison du bourgeois en façade sur la Grande rue était une solide construction en pierre à deux étages et grenier sur cave voûtée et couverte de tuiles creuses, alliant solidité et salubrité. Le succès dans les affaires incita les marchands, pour souligner leur statut social, à construire, au-delà d’une cour et reliée à la première par une galerie une deuxième maison. Escalier à vis dans une tourelle à pans coupés, galeries ouvertes étagées, fenêtres à meneaux : ce décor n’avait rien à envier aux maisons qui ont fait la célébrité du Vieux Lyon. Une deuxième maison d’affectation variée selon les professions au-delà d’une deuxième cour donnait sur la rue de derrière. Le style de ces constructions a varié au fil des siècles, le gothique faisant place au style Renaissance puis au classique. « Sans surprise, la noblesse de robe, la haute bourgeoisie tient le haut du pavé et cohabitent sur la Grand’Rue avec les gros fabricants, les négociants en vin du Beaujolais, les aubergistes. Mais on y croise aussi quantités d’autres métiers : médecins, apothicaires, selliers, chapeliers, canabassiers [marchands de chanvre]»[11]. Tout ce beau monde se retrouvait à l’Académie de Villefranche fondée dès 1680.

  • maisons anciennes de style gothique
    maisons anciennes de style gothique
  • Maison de l'italien dĂ©but XVIe siècle.
    Maison de l'italien début XVIe siècle.
  • Cour des Fleurons.
    Cour des Fleurons.
  • cour des Fleurons.
    cour des Fleurons.
  • Maison Roland style classique.
    Maison Roland style classique.

Tout autre est le spectacle que l’on découvrait en parcourant les espaces qui ont fini par prendre pour axes les rues de derrière et jouxtaient le rempart. La pauvreté du petit peuple, la nature des ateliers et de leur outillage, l’incurie résultant du non entretien de ce rempart devenu inutile, l’exiguïté des logements (une unique pièce où l’on s’entasse dans la promiscuité) : tel était le lot des ouvriers du textile de plus en plus nombreux à la fin du XVIIIe siècle[9].

Villefranche ville industrielle

Lorsque s’enclenche la Première rĂ©volution industrielle, Villefranche se trouve loin des bassins houillers devenus les grands foyers sidĂ©rurgiques. Passant seulement de 5 095 Ă  7 064 habitants de 1806 Ă  1846, elle est distancĂ©e par Givors dont la population monte de 4 014 Ă  7 746 pendant la mĂŞme pĂ©riode. Tarare, qui s’est spĂ©cialisĂ©e dans la fabrication de la mousseline progresse aussi très fortement de 2 516 Ă  9 659 entre ces mĂŞmes dates. Il faut l’arrivĂ©e du chemin de fer en 1854 et l’achèvement de la ligne du PLM en 1856 pour que la ville soit gagnĂ©e par le courant de croissance qui s’amorce sous le Second empire et se confirmera jusqu’à la Première Guerre mondiale.

L’originalitĂ© du cas de Villefranche n’est plus dans son rĂ´le de petite capitale. Dans l’exercice de ses fonctions administratives, en tant que sous-prĂ©fecture du dĂ©partement du RhĂ´ne depuis le dĂ©but du XIXe siècle, rien ne la distingue parmi les autres villes de France. En revanche, il est remarquable qu’elle soit parvenue Ă  se dĂ©velopper de manière autonome sans ĂŞtre Ă©touffĂ©e par la concurrence de la mĂ©tropole lyonnaise si proche. Le fait qu’elle soit devenue le cĹ“ur d’un rĂ©seau de chemins de fer Ă  voie Ă©troite au dĂ©but du XXe siècle a valeur plus que symbolique. Trois lignes ont Ă©tĂ© mises en service par la CFB (Compagnie des Chemins de fer du Beaujolais) entre 1901 et 1903 : de Villefranche Ă  Monsols (48 km) ; de Villefranche Ă  Tarare (44 km) ; de la ville Ă  la SaĂ´ne (km seulement mais mise en relation avec le rĂ©seau du dĂ©partement de l’Ain par un pont mĂ©tallique sur la rivière). Dans le mĂŞme sens d’une organisation autonome une Chambre de commerce et d’Industrie a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en mars 1895[12] - [13] - [14].

  • Rails du CFB rue Victor-Hugo
    Sous-préfecture de Villefranche-sur-Saône.
  • Gare du Chemin de fer cĂ´tĂ© ville
    Gare du Chemin de fer côté ville.
  • Gare du Chemin de fer du Beaujolais cĂ´tĂ© quais.
    Gare du Chemin de fer du Beaujolais côté quais.
  • Passage du CFB rue Victor-Hugo
    Passage du CFB rue Victor-Hugo.

Une industrialisation endogène

Cette volonté d’autonomie se traduit aussi par la multiplication des initiatives locales. Ce sont elles qui ont transformé Villefranche en ville industrielle. Les exemples de ce développement endogène sont nombreuses. On ne s’étonnera pas de la place occupée dans ce palmarès par le secteur textile. Certes, le tissage a disparu avant de renaître, mécanisé, à la fin du siècle. Mais les opérations à l’aval se sont concentrées pour donner naissance en 1895 à la Société Anonyme de Blanchiment, Teinture et Impression (SABTI) appelée à de grands développements[15]. Dans le domaine voisin de la confection, Joannes Sabot (1844-1903) lançait en 1888 la fabrication des bleus de travail et son exemple a été par des négociants caladois avec un tel succès qu’en 1910 on comptait six maisons de confection employant 1200 ouvrières en atelier ou à domicile. S’ajoute encore à cette liste, la fabrication de coton hydrophile[16] - [17].

La tradition textile n’est pas non plus Ă©trangère Ă  l’essor de la mĂ©tallurgie caladoise. Le premier exemple en a Ă©tĂ© donnĂ© par Nicolas Bonnet qui avait dĂ©marrĂ© Ă  partir de 1830 un atelier de mĂ©canique gĂ©nĂ©rale fabriquant des machines pour les opĂ©rations de blanchiment de teinture, d’impression et d’apprĂŞts. Mais la maison ne se cantonna pas Ă  ce secteur et devait se spĂ©cialiser avant 1914 dans les machines pour l’alimentation (pĂ©trins, lave-vaisselle, Ă©pluchage des lĂ©gumes)[18]. La plus grande cĂ©lĂ©britĂ© revient cependant Ă  la famille Vermorel. Ă€ Antoine qui dĂ©bute en 1843 succède vers 1870 son fils Victor qui va devenir spĂ©cialiste des machines agricoles et acquiert une rĂ©putation universelle en inventant le pulvĂ©risateur pour remĂ©dier aux crises du phylloxĂ©ra puis du mildiou. Il devient le plus gros employeur de la ville : 22 employĂ©s en 1870 mais jusqu’à 1 100 au dĂ©but du XXe siècle. Il se risquera avec moins de succès dans le lancement d’automobiles et aĂ©roplanes. Sa notoriĂ©tĂ© devait l’encourager Ă  faire une carrière politique qui le conduira de la mairie de Liergues au palais du Luxembourg[19] - [20].

L’esprit d’innovation a gagné de manière inattendue le secteur l’Industrie alimentaire. Toute la France a célébré les mérites du pharmacien Joseph-Léon Jacquemaire qui, avec la blédine a révolutionné l’alimentation et la diététique infantile à partir de 1881[21] - [22].

  • François et Germain Bonnet, Victor Vermorel, LĂ©on Jacquemaire.
    François et Germain Bonnet, Victor Vermorel, Léon Jacquemaire.
  • Jacquemaire anciens locaux.
    Jacquemaire anciens locaux.
  • Jacquemaire devenu BSN.
    Jacquemaire devenu BSN.

La situation n’avait guère changé à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Dans une enquête portant sur près de 5000 emplois industriels la métallurgie mobilisait 38 % des travailleurs, la teinture et le blanchiment des textiles 28 % et la confection 25 %. Dans plusieurs de ces secteurs on observait une grande capacité d’innovation : apparition de nouveaux entrepreneurs comme Favrot dans la confection des vêtements de travail ; spécialisation comme c’est le cas de Bonnet qui livre le gros matériel frigorifique aux commerçants et restaurateurs. Jacquemaire ajoute à sa gamme les aliments chocolatés. La majorité de la population active est employée dans l’industrie[23].

Un cadre spatial Ă©largi

HĂ´tel de ville de Villefranche-sur-SaĂ´ne
HĂ´tel de ville de Villefranche-sur-SaĂ´ne.
halles de villefranche sur SaĂ´ne
Halles de Villefranche-sur-SaĂ´ne.

C’est cette vocation industrielle qui explique la transformation de la citĂ© caladoise en ce qu’on peut qualifier, pour l’époque, de ville moyenne. la population est passĂ©e de 7 800 habitants en 1851 Ă  16 000 en 1911 et Ă  18 871 en 1936. Au fil des annĂ©es les autoritĂ©s se sont efforcĂ©es d’adapter le cadre spatial. Sous le Second Empire, en exĂ©cution d’un dĂ©cret impĂ©rial de 1853 sont annexĂ©es Ă  Villefranche la commune de BĂ©ligny et des fractions d’Ouilly de GleizĂ© et de Limas La superficie de la ville est ainsi triplĂ©e et la population passe de 8 059 habitants en 1851 Ă  11 686 en 1856. Le centre se transforme sous la ferme conduite du maire Boiron (1851-1864). Les conditions de circulation s’amĂ©liorent grâce Ă  la couverture du Morgon, Ă  la percĂ©e de rues transversales et de boulevards nord-sud (les actuels boulevards Gambetta Ă  l’ouest et Louis Blanc Ă  l’est, mais il faudra attendre les annĂ©es 1920 — boulevard Jean-Jaurès — puis les annĂ©es 1960 pour qu’ils soient entièrement prolongĂ©s et permettent le dĂ©tournement partiel du trafic de transit de la rue centrale)[24]. Cette rue qui gardera le nom de nationale en souvenir de l’ancienne nationale 6, sera mise en sens unique Ă  partir de 1974.

Tout au long de la période, le développement urbain est marqué par un net tropisme occidental. En 1859 est inauguré le nouveau cimetière dit de Saint-Denis. À la suite du don d’un ancien domaine, les jésuites ouvrent le collège de Mongré dont la première rentrée date de 1848 dans l’ancien château puis dans de nouveaux bâtiments construits entre en 1851 en 1853. Par de nouveaux quartiers de petites villas dans un cadre de verdure l’espace urbanisé s’élargit jusqu’aux communes de Gleizé et de Limas où s’installent également de nouveaux Caladois[25]. Cet élargissement s’accentue entre les deux guerres mondiales sous l’impulsion du dynamique maire Armand Chouffet. Sur l’emplacement d’usines de teinture et de blanchissage sont édifiés de part et d’autre du boulevard Gambetta, le prestigieux hôtel de ville en 1928 et le marché couvert jouxtant la vaste place du marché en 1933. La construction de logements relève de l’initiative privée pour des immeubles de prestige comme le Forum mais aussi du logement social avec les HBM du quartier des Cavaliers[26].

Cependant c’est dans la plaine à l’est de la voie ferrée en direction de la Saône sur l’ancienne commune de Béligny que cette politique du logement ouvrier va connaître ses plus grands développements. Le patronat caladois semble avoir répugné à la fondation de cités "maison" et lui avoir préféré la formule collective de société anonyme[27]. C’est ainsi qu’est née en 1897 la Société Caladoise des Habitations à Bon Marché (SCHBM). Parmi ses premiers actionnaires figurent Vermorel et de nombreux teinturiers. Il faudra attendre le vote de la loi Loucheur en 1928 pour que les collectivités locales assument leur rôle de constructeurs par le biais des sociétés d’Habitation Bon Marché devenues après la Deuxième Guerre mondiale sociétés de HLM (Habitations à Loyer Modéré) : ainsi ont été fondées les ancêtres des HLM du Rhône et de la Société Caladoise d’HLM. L’exemple le plus typique des réalisations est celui de la route de Frans, nettement à l’écart de la ville juste avant le franchissement de la Saône où la Société Anonyme des Blanchiments Teintures et Impressions a entrepris de loger ses ouvriers à proximité de ses deux usines avant de passer le relais à la commune qui a aménagé une véritable cité avec ses blocs d’habitation ou maisons individuelles, ses voies éclairées, son groupe scolaire pour 300 élèves. Le quartier de la Quarantaine connait aussi un développement très important à mettre en particulier en relation avec l’installation de l’usine de coton hydrophile Mulsant[6] - [28].

  • BĂ©ligny : l’horloge.
    Béligny : l’horloge.
  • BĂ©ligny : groupe scolaire.
    BĂ©ligny : groupe scolaire.
  • Une cheminĂ©e en brique rouge
    La Quarantaine : cheminée à Fontgraine.
  • Une rangĂ©e de six maisons individuelles identiques
    La Quarantaine : ancienne cité.
  • La Quarantaine ; ancienne usine.
    La Quarantaine ; ancienne usine.

Villefranche aujourd’hui, centre de services

Une révolution des transports

Autoroute A6 dans la traversée de Villefranche.

Grâce Ă  une vĂ©ritable rĂ©volution des transports Villefranche est revenue Ă  sa vocation historique de dernier relais avant la mĂ©tropole lyonnaise[29]. Le fait capital est, Ă©videmment, l’ouverture en octobre 1970 de l’autoroute A6 en doublement de la fameuse nationale 6. La situation charnière de Villefranche sur cet axe national et international de premier ordre est matĂ©rialisĂ©e par la crĂ©ation, en fait sur la commune de Limas, d’un pĂ©age avec une impressionnante batterie d’une trentaine de guichets. Au-delĂ , la circulation se fait en franchise vers la mĂ©tropole lyonnaise : l’autoroute de liaison devient autoroute de dĂ©gagement. On peut mĂŞme parler de vĂ©ritable nĹ“ud autoroutier car le trafic peut ensuite s’écouler vers les Alpes et l’Italie par l’autoroute A46 au niveau d’Anse et, plus rĂ©cemment (2018), en direction de l’ouest par l’autouroute A89 jusqu’à Bordeaux au niveau de Limonest. Bien que de portĂ©e infiniment plus limitĂ©e, il faut souligner Ă©galement les travaux d’amĂ©nagement d’un vĂ©ritable port fluvial : la Chambre de commerce, initiatrice du projet, l’a baptisĂ© du nom de son prĂ©sident RenĂ© Matray. Depuis 1979, la batellerie est accueillie en rive droite de la rivière dans une darse de 12 hectares avec une longueur de quai de 350 mètres. Les emprises totales qui comportent un vaste espace de stockage sont de 20 hectares. Avec un millier de mouvements, Villefranche est devenu l’un des tout premiers ports fluviaux de l’axe SaĂ´ne-RhĂ´ne-MĂ©diterranĂ©e. Au vrac de matières pondĂ©reuses (bois, sel, engrais…) s’ajoute aujourd’hui l’accueil des conteneurs. Mention doit ĂŞtre faite enfin de la dĂ©cision prise en 1969 de crĂ©er, en collaboration avec Tarare, un aĂ©rodrome sur la commune de Frontenas, Ă  dix km au sud-ouest de Villefranche. Il a Ă©tĂ© ouvert au trafic aĂ©rien en 1976. Il comporte actuellement deux pistes : une de 1 400 mètres, revĂŞtue, une de 880 mètres en herbe et, bien entendu, en annexes aires de stationnement, hangars, poste d’avitaillement, restaurant. On a comptĂ© 20 000 mouvements en 2015[30].

Un pôle démographique et administratif

Communauté d’agglomération de Villefranche-sur-Saône.

Pour comprendre le sens de l’évolution depuis 1945, il importe de prendre en considĂ©ration non plus le seul territoire exigu de la commune de Villefranche mais l’ensemble de son agglomĂ©ration. Une Ă©tude portant sur les 10 communes du district de l’époque dĂ©nombrait 38 866 habitants en 1968, soit une progression de 36 % par rapport Ă  l’immĂ©diat après-guerre (28 612 en 1946). Dans les mĂŞmes limites territoriales, la population actuelle est de 68 538 habitants, soit une nouvelle progression de 67 %. Le mouvement de regroupement communal, ici comme partout en France, a commencĂ© en 1962 par la formation d’un district de Villefranche incluant Arnas, GleizĂ© et Limas. Par la suite, on s’est d’abord contentĂ© de renforcer les liens entre ces quatre communes devenues communautĂ© d’agglomĂ©ration en 2006. Un niveau supĂ©rieur de coopĂ©ration a Ă©tĂ© franchi avec la crĂ©ation en 2014 de la communautĂ© d’agglomĂ©ration Villefranche-Beaujolais-SaĂ´ne forte de 21 communes : elle s’étend Ă  tout le versant est de la montagne beaujolaise entre le Merloux et la Vauxonne mais elle inclut Ă©galement la commune de Jassans-Riottier dans le dĂ©partement de l’Ain et compte 78 450 habitants. Grâce Ă  un tel poids dĂ©mographique, Villefranche est amenĂ©e Ă  assumer le rĂ´le de premier pĂ´le urbain dans la vallĂ©e de la SaĂ´ne entre Chalon-sur-SaĂ´ne et Lyon, avant mĂŞme Mâcon.

Par ailleurs, Lyon s’étant Ă©rigĂ© en mĂ©tropole avec les 58 communes de sa communautĂ© urbaine depuis le , Villefranche a changĂ© de statut au plan dĂ©partemental. De simple sous-prĂ©fecture elle a Ă©tĂ© proposĂ©e par un vote unanime du Conseil dĂ©partemental pour devenir le chef-lieu du dĂ©partement d’un nouveau RhĂ´ne rĂ©siduel, fort tout de mĂŞme de 450 000 habitants. Le processus a Ă©tĂ© engagĂ© auprès du Conseil d’État pour entĂ©riner cette propositi, le premier n par dĂ©cret. Toutefois, par souci d’économie, les services dĂ©partementaux ont continuĂ© Ă  siĂ©ger Ă  Lyon dans les locaux de la prĂ©fecture[31].

Les services Ă  la population

Depuis 1962 est organisĂ© un rĂ©seau de transport public. Sous le nom de Libellule il assure une desserte quotidienne rĂ©gulière des 20 communes de la communautĂ© d’agglomĂ©ration. Les 9 lignes Ă  grande frĂ©quence de CityLib mettent en relation la commune centre et ses 4 communes limitrophes. Les 8 lignes du système « Carlib » assurent la desserte de 16 communes supplĂ©mentaires dans un rayon d’une dizaine de kilomètres Ă  l’ouest de la SaĂ´ne jusqu’à la crĂŞte de la montagne beaujolaise.

Villefranche assure Ă©galement la fonction de centre hospitalier grâce Ă  deux Ă©tablissements, le premier public, Ă  GleizĂ© sur 16 ha avec diverses annexes comme l’IRM. En outre, sur le plan administratif, depuis juillet 2016, un Groupement Hospitalier Nord Beaujolais est instituĂ© sous une direction commune comprenant autour de l’hĂ´pital de Beaujeu, le centre hospitalier de Belleville, l’établissement de santĂ© de Grandris, les centres hospitaliers de Tarare et de TrĂ©voux, l’EHPAD de Villars-en-Dombes. Il faut ajouter, dans le secteur privĂ© la polyclinique du Beaujolais, nĂ©e de la fusion en 1994 de la polyclinique de Villefranche fondĂ©e en 1976 avec la Clinique chirurgicale du Beaujolais Ă  Arnas fondĂ©e en 1977 incluant la mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, la chirurgie, une maternitĂ©, un service d’urgences, une pharmacie, des services de radiologie, d’analyses mĂ©dicales, de kinĂ©sithĂ©rapie et le centre de consultation La Passerelle commun Ă  50 praticiens.

De l’industrie aux activités de service

« Paradoxalement, c’est pendant la pĂ©riode gĂ©nĂ©rale de haute croissance pour l’ensemble de la France que Villefranche subit de plein fouet la crise qui s’attaque aux bastions de sa bi-industrie du textile et de la mĂ©canique[32] ». Le secteur du textile et de la confection avec ses structures Ă©miettĂ©es en petites entreprises a Ă©tĂ© le plus gravement atteint faute de pouvoir adapter ses fabrications aux nouvelles demandes du marchĂ©, investir dans de nouvelles machines d’ailleurs plus Ă©conomes de main-d’œuvre, affronter la concurrence des pays du Tiers-monde Ă  bas salaires[33]. MĂŞme de grosses affaires comme la SABTI ont Ă©tĂ© contraintes Ă  la fermeture. Dans la mĂ©tallurgie, les firmes les plus emblĂ©matiques comme Bonnet et Vermorel[34] ont connu le mĂŞme sort. Seule survit encore l’industrie alimentaire avec la firme Jacquemaire intĂ©grĂ©e dans le groupe BSN. Certes, Villefranche a profitĂ© du phĂ©nomène de dĂ©concentration des industries lyonnaises trop Ă  l’étroit. Pepro a transfĂ©rĂ© Ă  Villefranche ses fabrications de produits sanitaires agricoles ; Calor (petit Ă©lectromĂ©nager) et Lafont (vĂŞtements de travail) abandonnent le quartier de Montplaisir. Mais ces implantations sont loin de compenser les pertes des secteurs traditionnels. Classiquement, ces transformations ont entraĂ®nĂ© des mouvements sociaux tout au long des annĂ©es 1960 avec culmination lors des grèves de mai 1968. Un bilan Ă©tabli en 1985 par la Chambre de commerce traduit cette mutation en une statistique très rĂ©vĂ©latrice de la mutation en cours. Sur un total de 26 900 emplois de 770 entreprises de plus de 5 salariĂ©s, les quatre secteurs traditionnels de la mĂ©tallurgie (5 500 emplois), du textile et de la confection (4 100), de l’industrie alimentaire (1 400) et de la chimie (1 150) ne comptent plus que pour 45 % du total contre 55 % pour le BTP (3 600), le commerce (5 900), les services marchands (4 300) et les divers (900)[35] - [36].

La saturation de l'espace

photo des bâtiments de Kuhn Nagel Road
Bâtiments de Kuhne Nagel Road.

Dès les annĂ©es 1960, les autoritĂ©s ont eu conscience de cette Ă©volution. Elles prĂ©voyaient « un glissement progressif d'une industrie de main-d’œuvre Ă  une industrie complĂ©mentaire d'entreposage ou de base »[7]. Ces prĂ©visions ont Ă©tĂ© amplement confirmĂ©es par l'Ă©volution. Le diagnostic suivant date de 2018 : « Les grandes usines mĂ©tallurgiques qui ont embauchĂ© des annĂ©es durant pĂ©riclitent ou sont rachetĂ©es par des groupes, souvent Ă©trangers, qui dĂ©coupent les entreprises en diffĂ©rentes parties en vue de les revendre. Les usines du textile disparaissent peu Ă  peu elles aussi »[27]. Or les activitĂ©s de remplacement sont par leur nature mĂŞme très exigeantes en espace. Il fallait donc de toute nĂ©cessitĂ© leur proposer de vastes espaces. C'est pourquoi, dans le mĂŞme temps oĂą Ă©tait Ă©tabli un premier plan d'urbanisme, Ă©bauche du futur POS, Ă©tait crĂ©Ă©e la SAMDIV (SociĂ©tĂ© d'AmĂ©nagement du District de Villefranche) chargĂ©e d'Ă©quiper des ZI (Zones Industrielles). Ă€ l'achèvement de son programme, vers 1984, celles-ci couvraient 400 ha et hĂ©bergeaient 770 entreprises de plus de 5 salariĂ©s[7]. Sur le territoire communal a Ă©tĂ© crĂ©Ă© la ZI nord-est couvrant 130 ha mais une autre ZI de 84 ha a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e au nord, sur la commune d'Arnas et une autre au sud dĂ©bordant sur la commune de Limas (60 ha). Ă€ dĂ©faut de pouvoir passer en revue cette Ă©norme masse d'entreprises, on s'en tiendra Ă  un exemple symbolique, celui de la sociĂ©tĂ© Kuehne + Nagel, sans doute le plus gros employeur privĂ© de la commune. Cette sociĂ©tĂ© d'origine allemande fondĂ©e en 1890 est « un des leaders mondiaux de la logistique et de la gestion de la chaĂ®ne logistique », avec 1 000 implantations dans une centaine de pays. Elle est prĂ©sente dans tous les domaines de transports. Qu'elle ait choisi Villefranche comme siège Ă  la tĂŞte de ses 96 Ă©tablissements français prouve assez Ă  quel point la citĂ© caladoise est idĂ©alement situĂ©e Ă  l'Ă©chelle nationale et mĂŞme internationale.

Le problème du logement

Villa Vermorel.

ConsidĂ©rons Ă  nouveau le territoire de la seule commune de Villefranche en rappelant que sa population est passĂ©e de 20 017 en 1946 Ă  37 266 habitants en 2016. On n'est pas loin du doublement (187 %). Un grand effort de construction a donc Ă©tĂ© nĂ©cessaire. Selon les parties du territoire, diverses solutions ont Ă©tĂ© adoptĂ©es. A l'ouest, le coteau de Belleroche en rive droite du Morgon prĂ©sentait encore au milieu du XXe siècle un aspect de retraite campagnarde avec son Ă©tang et son château Ă  l'abandon, hĂ©ritage de son long passĂ© nobiliaire. Victor Vermorel y avait construit son imposante demeure. Le maire AndrĂ© Chouffet a mis Ă  exĂ©cution au lendemain de la LibĂ©ration son vieux rĂŞve de le transformer en un quartier urbanisĂ© et a arguĂ© des travaux d’amĂ©nagement entrepris Ă  son initiative pour obtenir le rattachement Ă  Villefranche de ce secteur, jusqu’alors sur le territoire de Limas (1953). La vieille demeure seigneuriale a Ă©tĂ© rasĂ©e, maisons et immeubles ont Ă©tĂ© construits sur l’ancien domaine. Ă€ la fin de son mandat (1958) ses successeurs devaient poursuivre son entreprise jusque dans les annĂ©es 1970. Le quartier, très attrayant, est devenu un des plus peuplĂ©s de la ville et compte de nos jours plus de 5 000 habitants[1] - [26].

Les interventions dans la Nef s'imposaient vu l'Ă©tat de dĂ©labrement du bâti. Elles ont dĂ©butĂ© dans les annĂ©es 1960 et se sont poursuivies jusqu'au dĂ©but du XXIe siècle. Dès le dĂ©part, la solution la plus radicale a Ă©tĂ© adoptĂ©e dans le quartier Paul Bert : 50 immeubles couvrant un espace de 1,5 ha ont Ă©tĂ© rasĂ©s et la reconstruction (153 logements) a Ă©tĂ© faite par l'intĂ©gration, critiquĂ©e Ă  l'Ă©poque, d’immeubles de style moderne Ă  nombreux Ă©tages. Deux autres interventions ont transformĂ© ce secteur central : en 1982-1984 celui des Fayettes derrière Notre-Dame-des-Marais a Ă©tĂ© aĂ©rĂ© par le square de Buhl du nom de la ville allemande jumelĂ©e ; plus tardivement, en 1990, celui des Jardiniers. Ă€ l'extrĂ©mitĂ© nord a Ă©tĂ© rĂ©novĂ© jusqu'en 1983-1984 le quartier DĂ©chavannes oĂą, pour partie des 250 logements, a Ă©tĂ© adoptĂ©e la formule plus douce des OPAH (OpĂ©ration ProgrammĂ©e de l'AmĂ©lioration de l'Habitat)[1]. L'extrĂ©mitĂ© sud a bĂ©nĂ©ficiĂ© de l'opĂ©ration la plus rĂ©cente, terminĂ©e en 2004. Elle a concernĂ© le quartier Chasset-Villars (1992-2004) : son originalitĂ© rĂ©side dans l'ordonnance des immeubles modernes autour de la vaste place centrale Humbert-III Ă  laquelle on accède par la rue de la Charte, double clin d'oeil aux origines de la ville. Un immeuble en forme de tour se veut, lui, un rappel de l'ancien rempart.

  • Quartier Paul-Bert.
    Quartier Paul-Bert.
  • Place Humbert-III.
    Place Humbert-III.
  • Place des marais.
    Place des marais.
  • Quartier des Jardiniers.
    Quartier des Jardiniers.

Seule, cependant, la vaste espace de près de 2,5 km entre la Nef et la SaĂ´ne, oĂą avaient Ă©tĂ© construits pendant la pĂ©riode d'industrialisation les quartiers industriels de Beligny et de la Quarantaine, Ă©tait Ă  la mesure des immenses besoins tant pour les nombreuses entreprises que pour le logement de la population. Les mĂŞmes sociĂ©tĂ©s de HLM Ă  l'Ĺ“uvre avant la Deuxième Guerre mondiale y ont trouvĂ© de quoi satisfaire leur appĂ©tit d'espace. La HBVS (Habitat Beaujolais Val de SaĂ´ne) nouveau nom depuis 1980 de l'ancienne SCHBM, mieux adaptĂ© Ă  son intervention dans de nombreuses communes du Beaujolais, se targue d'avoir fait preuve d'un exceptionnel dynamisme. Son patrimoine de 3 861 logements fin 2002 Ă©tait concentrĂ© Ă  65 % dans les limites de la ville (81 % dans l'agglomĂ©ration) un chiffre qui fait dire Ă  son prĂ©sident que sa sociĂ©tĂ© loge un Caladois sur quatre. Qu'en est-il aujourd'hui pour ses 5 064 logements en 2016 hĂ©bergeant 12 256 habitants[27] ? On chercherait aujourd'hui la trace de la ferme natale du Garet oĂą est nĂ© Raymond Depardon[37] - [38]. Celle du Poulet a Ă©tĂ© heureuse protĂ©gĂ©e en pleine zone industrielle et promue centre de sĂ©minaire et restaurant gastronomique. En accès plus direct sur la rue sont les bâtiments des anciens domaines de Grange Garnier et de Pontbichet. Mais la vie quotidienne est rythmĂ©e par le ballet incessant des autobus de la compagnie Libellule qui achemine les habitants des citĂ©s vers leur lieu de travail et la jeunesse vers ses Ă©tablissements scolaires.

  • Grange-Garnier
    Ferme de Pontbichet.
  • Ferme du Poulet
    Ferme du Poulet.
  • Puits dans ferme du Poulet.
    Puits dans ferme du Poulet.
  • Grange Garnier
    Grange Garnier.

Villefranche en Beaujolais ?

Il est permis, pour conclure, de s'étonner du peu d'intérêt porté à changer le nom en transformant la ville de la Saône en ville du Beaujolais : Châlons-sur-Marne n'a-t-elle pas choisi de s'appeler « en Champagne » ? En revanche, le visiteur ne saurait ignorer qu'elle est une bonne base de départ pour la visite du vignoble proche grâce aux nombreux panneaux ou murs peints sur ce thème.

  • La fĂŞte des vendanges
    La fĂŞte des vendanges.
  • La fĂŞte des vendanges
    Panneau d'accueil en sortie d'autoroute.
  • Mur des grappes au 210
    Mur des grappes au 210.
  • la nymphe du vin
    La nymphe du beaujolais.

Notes et références

  1. Regard 1986, p. 51.
  2. Jean-Claude Béal, Anse gallo-romaine et sa région, Villefranche-sur-Saône, le Poutan, , 63 p. (ISBN 978-2-37553-020-7), ensemble du livre.
  3. Daniel 2009, p. 21.
  4. Rey 2019, p. 38.
  5. Rey 2019, p. 56.
  6. Ghislaine Brébisson, Trésors cachés de Villefranche, Villefranche-sur-Saône, éd. du Poutan, , 32 p., p. 4.
  7. Ouvrage collectif, Villefranche et sa charte de 1260, Actes du colloque de l’Académie de Villefranche, 3 et 4 décembre, 294 p.
  8. Rey 2019, p. 42-45.
  9. Daniel 2006.
  10. Daniel 2006, p. 51.
  11. Ghislaine Brébisson, Trésors cachés de Villefranche, Villefranche-sur-Saône, éd. du Poutan, , 32 p., p. 27.
  12. Regard 1986, p. 173-174, 237.
  13. Charles Gay, « Le tacot », Académie de Villefranche et du Beaujolais, no 29,‎ , p. 41-47.
  14. Jean-Pierre Chantin, « Le chemin de fer à la conquête du Beaujolais », Académie de Villefranche et du Beaujolais, no 22,‎ , p. 8-14.
  15. Jean Berthier, « Histoire de la teinturerie à Villefranche », Académie de Vilefranche et du Beaujolais, no 24,‎ , p. 61-70.
  16. Regard 1986, p. 191-206.
  17. Ouvrage collectif, Textile, l’autre richesse du Beaujolais, Villefranche-sur-Saône, Éditions du Poutan, colloque des 11-12 octobre 2009.
  18. Jean Letoublon, « Bonnet, une famille, une entreprise », Académie de Villefranche et du Beaujolais, no 24,‎ , p. 85-90.
  19. Regard 1986, p. 200-205.
  20. Ouvrage collectif, Victor Vermorel, Villefranche-sur-Saône, Éditions du Poutan, colloque des 15-16 octobre 2016.
  21. Regard 1986, p. 226-227.
  22. Bernard Le Guyader, « La belle histoire de la bédine, de Léon Jacquemaire à nos jours », Académie de Villefranche et du Beaujolais,‎ , p. 22-29.
  23. Regard 1986, p. 192.
  24. Rey 2019, p. 68,83,112,140.
  25. Rey 2019, p. 83, 136-137.
  26. Pierre Eymin, « Entre guerre et paix, Armand Chouffet, l’un des bâtisseurs du Villefranche moderne », Académie de Villefranche et du Beaujolais,‎ , p. 21-28.
  27. Patricia Denoyer, HBVS Une histoire du logement social en Calade, Villefranche, Habitat HBVS, , 112 p.
  28. Marie-Hélène Velu, Villefranche-en-Beaujolais, étude de géographie urbaine, .
  29. Regard 1986, p. 234.
  30. Rey 2019, p. 173-174.
  31. « Communauté d’agglomération Villefranche Beaujolais Saône », sur https://www.agglo-villefranche.fr/.
  32. Regard 1986, p. 209.
  33. Rey 2019, p. 147-150.
  34. Guy Claudey, « Une entreprise caladoise dans la tourmente : les établissements Vermorel », Académie de Villefranche, no 20,‎ , p. 33-40.
  35. Regard 1986, p. 211.
  36. Jean Pelletier, Connaître son arrondissement le 8e, Lyon, Éditions lyonnaises d'art et d'histoire, , 95 p., p. 49-53 et 72-73.
  37. Fanny Cheyrou, « Raymond Depardon, mes photos sont comme moi », La Croix,‎ , p. 10-18 (ISSN 0242-6056).
  38. Raymond Depardon, La ferme du Garet, Arles, Actes Sud, , 319 p. (ISBN 2-7427-4285-9).

Voir aussi

Bibliographie

  • Regard sur Villefranche-sur-SaĂ´ne (ouvrage collectif), Villefranche-sur-SaĂ´ne, Association pour la promotion de Villefranche, , 440 p.
  • Jean-Philippe Rey, Villefranche-sur-SaĂ´ne, une histoire en Beaujolais, Villefranche-sur-SaĂ´ne, Poutan, , 201 p.
  • Rosetta Daniel, Villefranche des origines Ă  nos jours, Du Poutan, , 251 p. (ISBN 978-2-918607-59-5).
  • Rosetta Daniel, Villefranche capitale de Beaujolais aux XVIIe et XVIIIe siècles, , 256 p.
  • BenoĂ®t Froment, Tu sais que tu es caladois quand… : Villefranche-en-Beaujolais croquĂ©e par ses habitants, Le PerrĂ©on, HĂ©raclite, , 185 p. (ISBN 978-2-900311-32-5).
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