Guerre des Huit Saints
La guerre des Huit Saints, qui a lieu de 1375 Ă 1378, oppose le pape GrĂ©goire XI, rĂ©sidant Ă Avignon jusqu'en septembre 1376, Ă une alliance entre la rĂ©publique de Florence et plusieurs villes rĂ©voltĂ©es des Ătats pontificaux, notamment Bologne.
Elle prend fin aprÚs la mort en mars 1378 de Grégoire XI, rentré à Rome en janvier 1377, puis réfugié à Anagni, et se conclut par un traité signé à Tivoli en juillet 1378.
Cette guerre est rapidement suivie du Grand Schisme d'Occident (1378-1417), qui divise la chrétienté occidentale entre les papes de Rome et les antipapes d'Avignon.
Elle tire son nom, qui n'apparait que beaucoup plus tard (1445), des commissions de huit membres crĂ©Ă©es par la rĂ©publique de Florence durant la guerre : les otto dei preti (les « huit des prĂȘtres »), chargĂ©s de taxer le clergĂ© pour acheter la neutralitĂ© du condottiere John Hawkwood (1375) et les otto di guerra (les « huit de la guerre »), chargĂ©s de la conduite de la guerre et de la diplomatie (1376).
Contexte historique
La papauté d'Avignon (1309-1376)
Les papes rĂ©sident Ă Avignon depuis le pontificat de ClĂ©ment V (Bertrand de Got, archevĂȘque de Bordeaux), Ă©lu en 1305 Ă Lyon (encore ville d'Empire), qui dĂ©cide en 1309 de s'installer jusqu'Ă nouvel ordre Ă Avignon. Cette ville, qui se trouve aussi dans le Saint-Empire, Ă la frontiĂšre du royaume de France, est cĂ©dĂ©e au pape par le comte de Provence (aussi roi de Naples), ainsi que le Comtat Venaissin.
Les papes d'Avignon, qui sont tous français, sont assistés par des cardinaux en majorité français, souvent d'accord avec les vues des rois de France.
Le problĂšme du retour Ă Rome
Cependant, à partir des pontificats d'Urbain VI (1362-1370) puis de Grégoire XI, le retour à Rome est envisagé, mais cela nécessite des négociations entre le pape et les pouvoirs politiques d'Italie (monarchies ou républiques urbaines).
Le pape est lui-mĂȘme une puissance temporelle en Italie en tant que possesseur des Ătats pontificaux (Latium, Ombrie, Emilie-Romagne). Il a donc des troupes Ă son service, commandĂ©es par des mercenaires, les condottiere, dont le plus connu est l'Anglais John Hawkwood (Giovanni Acuto, Jean Haccoude).
Préludes à la guerre entre Florence et le pape
Florence est alors une république urbaine dirigée par la Signoria (seigneurie), qui essaie d'établir son autorité sur les territoires ruraux qui l'entourent, le contado. Cette situation est aussi le cas dans d'autres villes proches, à Pise et à Sienne, notamment. Ces villes sont aussi des puissances économiques : Florence, en particulier, est un des pÎles majeurs du commerce et de la banque dans l'Europe du XIVe siÚcle, aux cÎtés de Venise et de Bruges.
Le conflit s'inscrit dans un faisceau de causes distinctes : d'une part l'opposition florentine Ă l'expansion territoriale des Ătats pontificaux en Italie centrale â une des conditions du retour de la papautĂ© avignonnaise â et d'autre part le sentiment d'antipathie qui se dĂ©veloppe dans le gouvernement Ă l'encontre des capitaines de la Parte Guelfa florentine[1].
à la fin de l'année 1372, la république de Florence craint une incursion des troupes pontificales dans le contado de Lunigiana, cité achetée à Barnabé Visconti et que l'opulente famille Ubaldini veut arracher à l'allégeance papale[2].
De son cÎté, Grégoire XI reproche à Florence de ne pas l'avoir suffisamment soutenu dans la guerre contre les Visconti[2]. En 1375, à la fin de cette guerre, nombre de Florentins craignent que le pape se tourne contre la république.
En , Florence conclut une alliance avec les Visconti.
En 1376, la seigneurie de Florance dĂ©cide de prendre John Hawkwood Ă son service, pour la somme de 130 000 florins prĂ©levĂ©e sur les revenus des paroisses, des Ă©vĂȘchĂ©s et autres institutions ecclĂ©siastiques. Il doit recevoir une solde annuelle de 600 florins pendant les cinq annĂ©es Ă venir ainsi qu'un subside annuel de 1 200 florins[3].
Une commission (balia) de huit membres est dĂ©signĂ©e par la Signoria () : les otto dei preti (les « huit prĂȘtres »), chargĂ©e de la nĂ©gociation avec Hawkwood, puis de son entretien[4].
L'inaction des mercenaires au service de GrĂ©goire XI, dĂ©sormais dĂ©bauchĂ©s, est une continuelle source de tensions dans les villes des Ătats pontificaux[5].
Le conflit
La conduite de la guerre est confiée à un comité de huit membres nommé par la seigneurie de Florence : les otto della guerra[4].
Propagande florentine et rĂ©voltes dans les Ătats pontificaux (1375)
En 1375, des agents florentins sont envoyĂ©s dans plus de quarante villes des Ătats pontificaux, notamment Bologne, PĂ©rouse, Orvieto et Viterbe) pour fomenter des rĂ©voltes. Beaucoup de ces villes avaient Ă©tĂ© resoumises Ă l'autoritĂ© pontificale par le cardinal Albornoz[4]. Le chancelier florentin Coluccio Salutati diffuse des lettres encourageant les villes Ă se rebeller contre le gouvernement pontifical, « tyrannique et corrompu », et prĂŽnant un retour Ă un systĂšme rĂ©publicain « all'antica »[4].
Des villes se soulĂšvent et se proclament communes libres, notamment Bologne.
Excommunication de la Seigneurie et interdiction religieuse de Florence (1376-1377)
GrĂ©goire XI excommunie alors les membres du gouvernement de Florence et place la ville sous interdit le [6], empĂȘchant la tenue de services religieux dans la rĂ©publique[7].
Dans un premier temps, les Florentins renoncent aux cérémonies religieuses, mais organisent des processions extra-ecclésiastiques, notamment de flagellants et de confréries, avec la réapparition de groupes précédemment condamnés comme hérétiques, comme les Fraticelli[4]. Le bùtiment hébergeant le tribunal l'inquisition à Florence est détruit et la Seigneurie revient sur les restrictions légales sur l'usure et d'autres pratiques désapprouvées par les (maintenant défuntes) cours ecclésiastiques[8].
En cependant, le gouvernement dĂ©cide de contraindre le clergĂ© de la ville Ă reprendre les services religieux, ce qui provoque la fuite de l'Ă©vĂȘque de Florence, Angelo Ricasoli, et de l'Ă©vĂȘque de Fiesole, Neri Corsini[4]. De lourdes amendes et des confiscations sont appliquĂ©es par la Signoria aux prĂ©lats abandonnant leur poste[4], ce qui aboutit Ă la « liquidation la plus importante d'un patrimoine ecclĂ©siastique n'importe oĂč en Europe avant la rĂ©forme protestante » (ces confiscations ont aussi pu ĂȘtre motivĂ©es par les besoins financiers du conflit[1].
Sanctions Ă©conomiques contre Florence
La bulle d'interdiction a un volet non religieux : il autorise l'arrestation et l'asservissement des Florentins, ainsi que la confiscation de leurs biens dans toute l'Europe chrétienne[4]. Ces clauses sont ignorées par certains souverains, notamment le roi de France Charles V[4].
Les marchands florentins sont touchés à travers toute l'Europe, notamment la famille Alberti, banquiers de la cour pontificale d'Avignon.
Opérations politiques et militaires
En 1375-1376, John Hawkwood honore son premier accord avec les Florentins de ne pas porter la guerre en Toscane, mais rĂ©prime les rĂ©bellions dans les Ătats pontificaux (En 1377, il passe au service de la coalition dirigĂ©e contre GrĂ©goire XI[4]).
Le 17 janvier 1377, Grégoire XI, qui a quitté Avignon en septembre 1376, fait son entrée à Rome. Mais il se heurte à des oppositions et se réfugie à Anagni;
Les autres condottieri du pape poursuivent les combats en Romagne, avec notamment le massacre de CĂ©sĂšne en [4]. Au printemps 1377, ils reprennent Bologne, alliĂ©e importante de Florence dans les Ătats pontificaux[4].
En 1377, le cardinal Robert de GenĂšve conduit lui-mĂȘme des troupes pontificales contre les rĂ©voltĂ©s;
Grégoire XI meurt le 27 mars 1378. Des négociations sont engagées en vue du retour à la paix.
La guerre a coûté approximativement 2,5 millions de florins à la république de Florence[9].
Fin du conflit
AprĂšs la mort de GrĂ©goire XI, son successeur, Urbain VI, est Ă©lu Ă Rome le 8 avril. C'est un Italien, jusque-lĂ archevĂȘque de Bari. Il est trĂšs vite confrontĂ© Ă l'opposition des cardinaux issus de la cour d'Avignon, qui rĂ©unis Ă Naples, dans le royaume de la reine Jeanne Ire (1326-1382), de la maison d'Anjou-Sicile, lui lancent une sommation d'abdication (2 aoĂ»t)
Cela n'empĂȘche pas des nĂ©gociations avec la rĂ©publique de Florence : un traitĂ© de paix est signĂ© Ă Tivoli en [1].
Aux termes de ce traité, Florence doit
- verser au pape 200 000 florins pour se racheter (alors que l'indemnité envisagée par Grégoire XI était d'un million[4]) ;
- abroger les lois anti-ecclésiastiques édictées par la république ;
- restituer les biens confisqués au clergé.
De son cÎté, le pape doit lever l'interdit placé sur Florence et remettre en faveur la communauté ecclésiastique de Florence[10].
Les Huit Saints
L'expression « Huit Saints » (Otto Santi) renvoie à l'une ou l'autre des deux commissions de huit membres créées par le gouvernement pendant la guerre[6], voire aux deux.
En 1375, lorsque la ville conclut un pacte de non-agression avec John Hawkwood pour la somme de 130 000 florins, il est décidé d'obliger le clergé des diocÚses de Florence et de Fiesole à souscrire à un emprunt forcé du montant de cette somme ; la réalisation de l'opération est confiée à une commission de huit citoyens créée le : les otto dei preti.
Puis en 1376, lorsqu'il apparaßt nécessaire de créer un organe exécutif spécial pour la conduite de la guerre et des relations diplomatiques ; cette commission, les otto di guerra, est créée le [4].
On ne sait pas lequel ces deux organismes était à l'époque connu sous le nom de « Huit Saints ». La majorité des historiens spécialistes du sujet pensent qu'il s'agit du premier, mais d'autres pensent qu'il s'agit du conseil militaire et diplomatique[6].
La premiÚre désignation du conseil de la guerre comme « les huit saints » date de 1445, dans le récit de l'historien florentin Domenico Buoninsegni, alors qu'elle est absente des récits contemporains des événements, comme celui de Leonardo Bruni[6].
Voir aussi
Historiographie
1) documents d'Ă©poque mentionnant les commissions otto dei preti et otto di guerra
2) rĂ©cits historiques de la fin du Moyen Ăge
- Leonardo Bruni, dit « l'Arétin » (1370-1444), secrétaire pontifical, puis chancelier de Florence, successeur de Coluccio Salutati (à partir de 1406)
- Domenico Buoninsegni[11] (1384-1466)
Articles connexes
- Catherine de Sienne
- Nicolas Machiavel
- Ciompi (révolte des Ciompi de Florence en 1378)
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « War of the Eight Saints » (voir la liste des auteurs).
- (en) David S. Peterson, "The War of the Eight Saints in Florentine Memory and Oblivion, " in Society and Individual in Renaissance Florence, Ă©d. William J. Connell, 2002.
- (en) Alison Williams Lewin, Negotiating Survival : Florence and the Great Schism, 1378-1417. Fairleigh Dickinson University Press, 2003, p. 39-56 (ISBN 0-8386-3940-2).
- (en) Caferro, 2006, p. 175.
- (en) John M. Najemy, A History of Florence, 1200-1575, Blackwell Publishing, 2006, p. 151-155 (ISBN 1-4051-1954-3) ; (en) Richard C. Trexler, « Who Were the Eight Saints ? », Renaissance News, vol. 16, no 2, 1963, p. 89-94.
- (en) George Holmes, Europe : hierarchy and revolt, 1320-1450, Malden, MA, Blackwell Publishers, coll. « histories of Europe », , 286 p. (ISBN 978-0-631-21500-4 et 978-0-631-21382-6), p. 131
- R.C. Trexler, "Who were the Eight Saints?" Renaissance News. 16, 2, 1963, p. 89-94.
- Alison Williams Lewin, Negotiating Survival: Florence and the Great Schism, 1378-1417 (Fairleigh Dickinson UP, 2003), p. 45, citing Gene A. Brucker, Florentine Politics and Society, 1343-1378 (Princeton UP, 1962), p. 310.
- Becker, Marvin B. 1959. "Florentine Politics and the Diffusion of Heresy in the Trecento: A Socioeconomic Inquiry." Speculum. 34, 1: 60-75.
- Giuliano Procacci, History of the Italian People. Weidenfeld & Nicolson, 1970, p. 48.
- Francis A. Hyett. Florence: her history and art, to the fall of the Republic, Methuen & Co., Trinity Hall, Cambridge, 1903, p. 182.
- https://www.wikidata.org/wiki/Q55226108