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Grenade anti-sous-marine

Une grenade anti sous-marine, également appelée charge de profondeur (en anglais : « depth charge »), est une charge anti sous-marine destinée à exploser près d'une cible pour la couler. La plupart de ces grenades sont réglées pour se déclencher à une profondeur prédéterminée. Certaines ont même été conçues pour utiliser des ogives nucléaires. Ces armes peuvent être déployées par les navires, par les sous-marins et par les avions.

Grenade Mark XI utilisĂ©e par l'US Navy, Ă  la fin de la 2e GM. Ă€ la diffĂ©rence des grenades classiques, elle est profilĂ©e et possède des ailettes (sur la partie supĂ©rieure) pour la mettre en rotation, lui donnant une trajectoire verticale sans dĂ©river. Elle emporte une charge de 90 kg de Torpex.

Origine

Le concept de « mine larguée » a été discuté dès 1910 au sein de l'Amirauté britannique. En 1911, une tentative est faite en faisant exploser 2 charges sous-marines au voisinage du sous-marin Holland no 2. Cet essai montre qu'une explosion sous-marine à plusieurs mètres d'un submersible peut l'endommager gravement, au point de le couler ou de le forcer à faire surface. Il n'est pas nécessaire de toucher directement la cible, les ondes de choc des explosions conservant une force suffisante en raison de la faible compressibilité de l'eau. Reste cependant à trouver le moyen de placer la charge suffisamment près de la cible. En 1914 l'Amirauté demande le développement de l'arme, confié à l'école de torpillage de la Royal Navy, nommée HMS Vernon, à Portsmouth.

La Première Guerre mondiale

Les premières tentatives ont donnĂ© lieu Ă  la rĂ©alisation des modèles A, B et C, insatisfaisants. Le modèle A, par exemple, est une charge de 16 kg de fulmi-coton suspendu Ă  un flotteur. On règle la longueur du câble et on lance l'ensemble Ă  la mer. La charge coule, le flotteur reste en surface. Quand le câble est tendu, il provoque l'explosion.

C'est le type D qui sera vraiment le premier modèle de grenades sous-marine[1]. En forme de barrique, il utilise le TNT comme explosif et existe en deux tailles, l'une de 140 kg et l'autre de 55 kg. La charge est mise Ă  feu par un « pistolet » actionnĂ© par la pression de l'eau. La rĂ©sistance de la « gâchette » est prĂ©rĂ©glĂ©e. Les profondeurs Ă  choisir pour l'explosion sont de 12 ou 24 mètres.

Les premiers navires chargés de la lutte anti-sous-marine emportent deux charges, qui sont larguées par la poupe. La charge la plus lourde risque d'endommager les navires trop lents, qui ne sont alors armés que de la charge la plus légère.

La grenade est mise en service début 1916 et le premier succès est enregistré la , quand le U-68 est coulé au large de Kerry (Irlande) par le Q-ship Farnborough.

Les Allemands découvrent l'existence de cette nouvelle arme après les attaques infructueuses des U-67 () et U-69 le . Cette même année, seuls UC-19 et UB-29 seront victimes de grenadages[2].

Le nombre de grenades embarquĂ©es passe de 2 Ă  4 en , Ă  6 en aoĂ»t, et Ă  30-40 en 1918. Parallèlement le nombre de grenades utilisĂ©es croit rapidement. De 100 Ă  300 grenades larguĂ©es par mois en 1917, on atteint une moyenne mensuelle de 1 745 grenades pendant les six derniers mois de la guerre[3].

Des mises Ă  feu amĂ©liorĂ©es vont permettre d'atteindre des profondeurs de 200 mètres, par paliers de 15 mètres. Ă€ la fin de la guerre, on arrivera Ă  une profondeur moyenne d'opĂ©ration de près de 91 mètres. Le temps que la grenade atteigne ces profondeurs plus importantes permet mĂŞme aux navires les plus lents d'utiliser les grenades les plus lourdes, sans risque pour eux-mĂŞmes. La grenade de 55 kg disparaĂ®t en consĂ©quence.

L'efficacité de cet engin attire l'attention des États-Unis. Ceux-ci demandent la communication de l'ensemble des plans britanniques. Les ayant reçus, le Commander Fullinwider du Bureau of Naval Ordnance et l'ingénieur Minkler y apportent quelques modifications et font breveter le résultat[4].

La Seconde Guerre mondiale

Les principaux utilisateurs de grenades furent d'une part les alliés, contre les sous-marins allemands principalement dans le cadre de la bataille de l'Atlantique, d'autre part les japonais contre les sous-marins américains engagés dans la Campagne sous-marine alliée dans le Pacifique.

L'armement allié

Bataille de l'Atlantique: sortie de grenade anti-sous-marine pendant la guerre anti-sous-marine de la côte brésilienne.

En 1939, la grenade type D est renommĂ©e Mark VII par les Britanniques. Elle plonge Ă  une vitesse de 2,1 Ă  3 mètres par seconde, pour une profondeur atteinte de 76 mètres.

Fin 1940, la grenade reçoit un lest de 68 kg pour augmenter sa vitesse de descente Ă  5,1 m/s. Elle contient maintenant 132 kg d'amatol. Le système de mise Ă  feu autorise une profondeur maximale de 900 pieds.

La charge explosive est jugĂ©e capable de dĂ©chirer une coque Ă©paisse de 2,2 cm d'acier en Ă©clatant dans un rayon de 6 mètres de sa cible. Ă€ 12 mètres de distance, les dĂ©gâts devraient obliger le sous-marin Ă  faire surface. En 1942, le remplacement de l'Amatol par du Torpex (ou Minol) porte ces distances Ă  respectivement 7,9 et 15,8 mètres[5].

Un autre modèle est la Mark X britannique. D'un poids de 1 383 kg, elle est lancĂ©e d'un tube lance-torpille classique (533 mm) ; elle coule Ă  une vitesse de 6,4 m/s. La puissance de l'explosion impose au navire lanceur une vitesse minimum de 11 nĹ“uds pour Ă©viter tout dĂ©gât[5].

Le modèle amĂ©ricain Mark 9, profilĂ© en forme de goutte d'eau, entre en service au printemps 1943. La charge est de 91 kg de Torpex ; sa vitesse de descente est de 4,4 m/s, elle peut atteindre 600 mètres de profondeur.

Les versions suivantes permettront d'atteindre 305 mètres ; la vitesse passant Ă  6,9 m/s grâce Ă  un nouveau profilage et une densitĂ© accrue[6].

La marine nationale française met en Ĺ“uvre des grenades sous-marines Guiraud modèle 1922 de 260 kg avec une charge militaire de 200 kg Ă  mise Ă  feu hydrostatique Ă  30, 50, 75 ou 100 m de profondeur ainsi que des grenades de 130,4 kg avec 100 kg de tolite et de 52 kg avec une charge de 35 kg. Ces grenades sont mises Ă  l’eau par des grenadeurs axiaux ou des projecteurs latĂ©raux[7].

Si l'explosion de grenades sous-marines modèle standard de 270 kg Ă  proximitĂ© Ă©tait nerveusement Ă©prouvante pour l'Ă©quipage d'un sous-marin, la coque ne risquait rien si l'explosion se produisait en dehors d'un rayon de 5 mètres. Il fallait compter sur la malchance pour que le navire ennemi place une de ses grenades Ă  une distance suffisamment proche. De plus, le sous-marin pouvait manĹ“uvrer et se trouver hors de la zone visĂ©e par les grenades.

La plupart des sous-marins coulĂ©s par grenadage le furent par accumulation de petits dĂ©gâts plutĂ´t que par une seule charge bien placĂ©e. Nombreux furent les U-Boot Ă  survivre Ă  des heures de grenadages, comme U-427 qui, en avril 1945, rĂ©siste au tir de 678 grenades (dont nombre Ă©clatèrent Ă  grande distance, visĂ©e imprĂ©cise ou simplement pour contraindre le sous-marin Ă  rester discret).

Sur le théâtre d'opération Pacifique

Les États-Unis lancèrent dès le début de la guerre contre le Japon une campagne sous-marine anti-commerciale comparable à celle de l'Allemagne contre les alliés. Elle gagna progressivement en efficacité alors que la réaction japonaise fût insuffisante, et, à la fin de la guerre, la flotte commerciale japonaise était réduite à pratiquement rien.

Les grenades utilisĂ©es par les forces de l'empire du Japon Ă©taient initialement de trop faible puissance et Ă©clataient Ă  des profondeurs trop faibles, permettant aux sous-marins alliĂ©s de plonger suffisamment pour ĂŞtre en sĂ©curitĂ©. Cette dĂ©ficience fut rĂ©vĂ©lĂ©e par un parlementaire amĂ©ricain, Andrew J. May, lors d'une confĂ©rence de presse. Reprise par des agences de presse et plusieurs journaux, dont l'un de Honolulu (Hawaii) elle amena les Japonais Ă  porter leurs rĂ©glages Ă  une profondeur de 75 m. Le vice-amiral Lockwood, commandant de la flotte sous-marine du Pacifique estima que cette bourde avait coĂ»tĂ© 10 sous-marins et la vie de 800 sous-mariniers[8].

Mais lorsque le Japon finit par améliorer son équipement (en sonar et en grenades) et ses tactiques, il était trop tard : les États-Unis avaient pris le contrôle des mers, les chasseurs de sous-marins japonais était eux-mêmes en danger. Il en résulta des pertes américaines par grenadage bien inférieure à celle que subit la flotte d'U-boots ; presque 80% des sous-mariniers américains survécurent à la guerre, contre seulement un quart des sous-mariniers allemands.

Un total de 21 sous-marins amĂ©ricains ont Ă©tĂ© coulĂ©s par des grenades anti-sous-marines[9].

Lanceurs

Chargement d'une grenade Mark VII sur un lanceur K d'une corvette de la classe Flower, HMS Dianthus (K95). Chaque lanceur est servi par cinq personnes.

Le premier type de lanceur était simplement une rampe placée à l'arrière du navire qui faisait tomber à l'eau la grenade. Sont venues ensuite (tout à la fin de la Première Guerre mondiale) les rampes permettant le stockage et l'envoi de plusieurs charges à la file. Ce type de lanceur se retrouvera tout au long de la Seconde Guerre mondiale, simple d'usage et facile à recharger.

L'idĂ©e de lancer au loin la grenade apparaĂ®t au cours de la Première Guerre mondiale, oĂą certains navires sont dotĂ©s, sur leur gaillard d'avant, d'un dispositif de lancement pour une unique grenade. Mais il ne semble pas que ce dispositif ait Ă©tĂ© utilisĂ© au combat. On trouve aussi des engins capables de projeter des grappes de petites grenades, le premier, d'une portĂ©e de 10 mètres, Ă©tant opĂ©rationnel en [3].

En 1918, on voit apparaĂ®tre les lanceurs Y (en rĂ©fĂ©rence Ă  leur forme). Ils se composent d'un tube vertical surmontĂ© d'un berceau portant une grenade. Une charge explosive, mise Ă  feu dans le tube vertical envoie par le travers du navire, Ă  50 mètres environ, la grenade et son berceau.

Le principal inconvénient de ces premiers modèles est de devoir les placer au centre du navire et non sur les bords, empêchant la présence d'autres superstructures, mâts ou armements.

Le lanceur K, standard à compter de 1942, succède au lanceur Y. Ils sont placés sur les côtés des navires, libérant la partie centrale. Ils sont généralement associés à des rampes d'étambot, permettant l'envoi simultané de plusieurs charges entourant l'espace où est estimé se trouver le sous-marin visé.

Les grenades sous-marines sont aussi larguĂ©es depuis des avions. Au dĂ©but du second conflit mondial, les engins pèsent 100 livres et sont de peu d'effet. Ils peuvent mĂŞme ricocher sur la surface de l'eau. C'est ainsi que le , un Avro Anson britannique du 233e squadron sera victime de la grenade qu'il vient de lâcher. La grenade Mark VII sera modifiĂ©e, en particulier avec une tĂŞte arrondie et des ailettes arrières. Par la suite, des modèles spĂ©cifiques seront dĂ©veloppĂ©s pour les besoins des avions.


Emploi

Effet en surface de l'explosion d'une grenade sous-marine lancée par croiseur léger britannique Ceylon durant la Seconde Guerre mondiale.

Une utilisation efficace des grenades sous-marine impose de combiner l'efficacité de plusieurs acteurs. Timoniers, opérateurs sonars et servants des lanceurs doivent soigneusement coordonner leurs actions. Par exemple, l'opérateur sonar doit estimer la profondeur pour pouvoir pré-régler les profondeurs d'explosion des grenades[10].

Pour les avions, les tactiques varient selon le jour ou la nuit, l'attaque devant être soudaine sur un sous-marin dont la première action sera de plonger rapidement.

Durant la bataille de l'Atlantique, les groupes d'escorte des marines alliées mirent en œuvre des tactiques qui devinrent très efficaces au fil des années. Pour placer les grenades à l'intérieur du cercle létal, le navire attaquant se fondait sur les indications du sonar. Mais l'engin ne donnait plus de renseignements quand il passait au-dessus du sous-marin. Celui-ci pouvait profiter de cet aveuglement temporaire pour une manœuvre l'écartant au dernier moment de la trajectoire des grenades. Ceci amènera la création d'armes différentes, comme le hérisson, ainsi qu'à des tactiques plus élaborées (et nécessitant des équipages bien entrainés), comme l'attaque rampante, où le navire qui lance les grenades est associé à un autre qui le guide par son sonar .

Actuellement, les grenades sous-marines sont toujours utilisées, en particulier parce que leur prix est bien inférieur à celui des torpilles à auto-directeur. Un exemple de telles armes est la BAE Mark 11, utilisée par l'aéronavale britannique.

Armes dérivées

Le destroyer USS Agerholm de la classe Gearing tirant un RUR-5 ASROC avec une grenade anti-sous-marine nucléaire, lors du test Swordfish en 1962.

Pour lancer des grenades sur l'avant, des armes comme le Hérisson sont développées. Elles envoient un chapelet de petites grenades, entourant la cible et explosant au contact. Le Squid lançait des projectiles plus semblables, dans leur fonctionnement, aux grenades sous-marines.

On verra durant la guerre froide apparaître des torpilles acoustiques, comme la Mark 24 « FIDO » ou le missile à changement de milieu SUBROC, utilisant une arme nucléaire tactique. L'URSS, les États-Unis et le Royaume-Uni développèrent aussi des armes anti-sous-marines nucléaires connues sous le signe NDB (Nuclear Depth Bombs).

Voir aussi

Articles connexes

Références

  1. Cf. Henry, page 40.
  2. (en) V.E. Tarrant, The U-Boat Offensive 1914-1945, New York, Sterling Publishing Company, , 27 p., poche (ISBN 978-1-85409-520-6).
  3. (en) V.E. Tarrant, The U-Boat Offensive 1914-1945, New York, Sterling Publishing Company, , 40 p., poche (ISBN 978-1-85409-520-6).
  4. Il est imaginable que cette procédure ait eu pour objet d'éviter de payer des royalties à l'inventeur originel.
  5. (en) John Campbell, Naval Weapons of World War Two, New York, Naval Institute Press, , 89 p. (ISBN 978-0-87021-459-2, LCCN 85062422).
  6. (en) John Campbell, Naval Weapons of World War Two, New York, Naval Institute Press, , 163 p. (ISBN 978-0-87021-459-2, LCCN 85062422).
  7. (en)Tony DiGiulian, « French ASW Weapons », sur Naval Weapons, Naval Technology and Naval Reunions, (consulté le ).
  8. (en) Clay Blair Jr., Silent Victory : The US Submarine War against Japan, Annapolis, Naval Institute Press, , 1re Ă©d. (ISBN 978-1-55750-217-9, LCCN 00051528).
  9. (en) H. T. Lenton, Navies Of The Second World War : American Submarines, Doubleday & Co., Inc., Garden City, Royaume-Uni, (ISBN 0-385-04761-4).
  10. Pour augmenter les chances de placer une grenades au plus près du sous-marin, les grenades ne reçoivent pas toutes le même réglage de profondeur.

Sources

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l’article de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Depth charge » (voir la liste des auteurs).
  • (en) V.E. Tarrant, The U-Boat Offensive 1914-1945, New York, Sterling Publishing Company, , poche (ISBN 978-1-85409-520-6)
  • (en) John Campbell, Naval Weapons of World War Two, New York, Naval Institute Press, (ISBN 978-0-87021-459-2, LCCN 85062422)
  • (en) Chris Henry, Depth charge, royal naval mines, depth charges & underwater weapons 1914-1945, Barnsley, Pen & Sword Books Ltd, (ISBN 978-1-84415-174-5)
  • (en) Davis Owen, Anti-Submarine warfare, an illustrated history, Annapolis, Naval Institute Press, (ISBN 978-1-59114-014-6, LCCN 2007933201)

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