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Gouvernement d'entreprise

Le gouvernement d'entreprise (ou gouvernance[1] d'entreprise - expression dérivée de l'anglais « corporate governance » -) désigne l'ensemble des processus, réglementations, lois et institutions destinés à cadrer la manière dont l'entreprise est dirigée, administrée et contrôlée[2]. Dans le modèle le plus courant du capitaliste moderne, le gouvernement d'entreprise est pensé pour maximiser les intérêts des actionnaires (montant des dividendes et valeur des parts sociales et des actions)[3]. Mais les différents acteurs impactés à différents titres par les choix posés par l'entreprise (salariés, État, citoyens et autres) ont également fait valoir leurs propres attentes. Ce qui fait que, en fonction des objectifs qui gouvernent l'entreprise, sa gouvernance est appelée à réguler les relations entre les nombreux acteurs impliqués, parties prenantes (en anglais : stakeholders)[4] ou parties constituantes[5].

Exemple de Système Gouvernance par les documents

Les acteurs principaux sont les actionnaires[6] qui élisent soit le Conseil d'administration, lequel mandate la Direction, soit le Conseil de surveillance, lequel nomme les membres du directoire, selon des modalités variables, propres au régime juridique de la société concernée.

Les autres parties prenantes incluent les employés, les fournisseurs, les clients, les banques ou autres prêteurs, le voisinage, l'environnement et les tiers - au sens le plus large - pouvant entrer en relation avec l'entreprise à raison de ses activités, comportements ou réalisations.

DĂ©finition dans la norme ISO 26000

La norme ISO 26000 place la gouvernance au centre de ses 6 questions centrales et en donne la définition suivante :

« La gouvernance de l'organisation est le système par lequel une organisation prend des décisions et les applique en vue d'atteindre ses objectifs. La gouvernance de l'organisation peut comprendre à la fois des mécanismes formels de gouvernance, reposant sur des processus et des structures définis, et des mécanismes informels, émergeant en fonction des valeurs et de la culture de l'organisation, souvent sous l'influence des personnes qui dirigent l'organisation. [...] Ces systèmes sont dirigés par une personne ou par un groupe de personnes (propriétaires, membres, mandataires sociaux ou autres) détenant le pouvoir et ayant la responsabilité d'atteindre les objectifs de l'organisation. »

Il convient de noter que cette définition excède le cadre strict de l'entreprise et qu'elle propose de s'appliquer à tout type d'organisation.

Origine et crise de confiance

Origine du terme

Berle et Means, en 1932 considèrent que les propriétaires de l'entreprise ont pour partie des intérêts divergents de ceux des dirigeants de l'entreprise[7] (qui sont des salariés non propriétaires). Il leur faut donc mettre en place des mécanismes pour s'assurer que l'entreprise leur rapportera bien un maximum de profit. La dilution de l'actionnariat aggrave cette inégalité au détriment de l’actionnariat, inégalité modélisée par la théorie de l'agence développée par M. Jensen et W. Meckeling.

Joseph Schumpeter considère que cette opposition d'intérêts entre les deux parties est de nature à accroître le pouvoir des cadres dirigeants dont le but principal est la maximisation de leurs intérêts propres (salaires, primes et autres avantages en nature sous forme de logement, de transport et de voyage). La conséquence principale de cette situation est la baisse progressive et certaine (voire la disparition) des bénéfices et de l'innovation (qui est la qualité principale de l'entrepreneur Schumpeterien) de l'entreprise. D'où, le pessimisme de l'auteur concernant l'avenir de l'entreprise managériale, non dirigée par son propriétaire et de l'économie du marché[8].

Dans les années 1980/1990, le passage d'un capitalisme patrimonial à un capitalisme actionnarial tend à accroître la distance entre propriétaire des dirigeants. La réaction des actionnaires souhaitant se réapproprier le pouvoir de décision perdu a été à l'origine de la « corporate governance » d'abord définie comme « l’ensemble des mécanismes qui garantissent aux différents bailleurs de fonds un retour sur investissement, en évitant une appropriation de valeur excessive par le dirigeant et les actionnaires dominants. »[9]. Partant du principe de l'existence d'une divergence d'intérêt objective, la théorie positive de l’agence amène à la mise en place de mécanismes permettant de rétablir le pouvoir du principal (les actionnaires) face à l’agent (ici le dirigeant)[10]. Selon Pasquet, cela impose d'exercer une forme de contrôle du dirigeant « Les dirigeants cherchent à faire adopter leurs choix stratégiques, dont ils sont les « propriétaires », mais dont ils ne sont pas par nature les exécutants. La délégation décisionnelle pour l’opérationnalisation du plan, du sommet de la pyramide vers sa base, pourra être source de dysfonctionnements potentiels voire probables (divergences, aléa moral, etc.) et donc verra apparaître la nécessité d’un contrôle[11]. » On considère que c'est par le biais de l’intéressement, typiquement les stock options et une rémunération élevée, que l'actionnariat exerce son contrôle sur des dirigeants qui peuvent en contrepartie être licenciés très rapidement.

Les premières conceptualisations et modèles de gouvernance sont donc centrés sur les moyens de préserver les intérêts des propriétaires/actionnaires. Par la suite, d'autres modèles et conceptualisations vont apparaître, prenant en compte d'autres parties prenantes.

Excès et crise de confiance

Les années 1990, décrites par le détenteur du « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques », Joseph Stiglitz comme les « Roaring Nineties » en référence aux « Roaring Twenties » (les Années Folles qui ont précédé le krach de 1929) correspondent à une période d'exubérance boursière tandis que s'opèrent des évolutions non ou mal maîtrisées par les entreprises dans les domaines juridiques, financiers ou informatiques.

  • La complexification des montages juridiques, censĂ©s organiser la dĂ©centralisation de la gestion des affaires sur des pĂ©rimètres de plus en plus Ă©tendus (mondialisation) ouvre une brèche dans laquelle se nichent des relations qui recherchent protection dans l'anonymat et l'opacitĂ© de paradis juridiques et fiscaux.
  • L'introduction de nouveaux instruments financiers et de nouvelles techniques comptables.
d'un point de vue « offensif », elles valorisent les techniques de valorisation au « prix de marché » ainsi que l'emploi de « l'effet de levier ». :d'un point de vue « défensif » elles sont utilisées pour masquer le cas échéant l'étendue réelle de l'endettement au bilan de l'entreprise, pour rehausser les résultats de la société (Window-dressing), le cours de bourse et les stock-options associés.
  • Une dĂ©rĂ©glementation, en particulier dans le secteur bancaire, assouplit les règles, affaiblit les rĂ©flexes prudentiels et les mĂ©canismes institutionnels de contrĂ´le ; Toutes les contraintes rĂ©putĂ©es "pesantes" sur les rĂ©sultats font l'objet d'un « lobbyisme » effrĂ©nĂ© (abandon du Glass-Steagall Act), l'intervention de l'État est dĂ©noncĂ©e comme perturbatrice et pernicieuse - voir en particulier les mouvements du Tea Party aux États-Unis).
  • La sphère financière, mal contrĂ´lĂ©e par des institutions lentes Ă  s'adapter ou faisant preuve d'opportunisme (agences de notation) se trouve de plus en plus dĂ©couplĂ©e de l'Ă©conomie rĂ©elle. Des conflits d'intĂ©rĂŞts fleurissent et voient des institutions (dont des banques d'investissement de renom comme Goldman Sachs) pratiquer un double langage : Leur analystes financiers vantent au public les qualitĂ©s d'actions que leurs services d'Ă©valuation interne qualifient par ailleurs de pourries(en anglais junk)…
  • Nombre de dirigeants d'entreprise connaissent une explosion sans prĂ©cĂ©dent de leur rĂ©munĂ©ration. (cf. les Études annuelles du Cabinet Proxinvest) En particulier de leur partie variable adossĂ©e Ă  la valeur boursière instantanĂ©e de leurs stock-options. Beaucoup n'hĂ©sitent plus Ă  adopter des raisonnements court-termistes plus soucieux de valoriser leurs intĂ©rĂŞts privĂ©s et immĂ©diats que ceux de leurs sociĂ©tĂ©s, de leurs partenaires Ă©conomiques et encore moins des gĂ©nĂ©rations futures. (Abandon de la perspective du dĂ©veloppement durable)

Au total, l'éthique traditionnelle des classes dirigeantes nourrie du puritanisme qui semblait présider jusque-là aux beaux jours du capitalisme, l'éthique protestante que Max Weber associe avec l'esprit du capitalisme, sont alors clairement en berne.

S'ensuivent des abus, des scandales (cf. les affaires Enron et Word.com) et une crise de confiance dommageable pour le bon fonctionnement des marchés boursiers comme de l'activité économique générale qui vont contribuer à donner plus de place aux parties prenantes autres que les actionnaires[12] - [13] - [14] - [15] :

Affaires Enron (2001), Andersen (2002) et WorldCom ou Parmalat (2003),
Crise de 2008-2009, où le risque systémique du système financier s'est révélé au grand jour avec sa cohorte d'abus révélés marque l'état d'insuffisance sinon de complaisance dans lequel sont plongés les systèmes d'information et de contrôles tant privés que publics.

Les actionnaires, créanciers et employés, lésés par les nombreux scandales financiers qui défrayent la chronique, manifestent leur indignation et menacent d'occuper Wall Street. La reconquête de confiance parait devoir passer par la mise en place de réformes radicales dans la gouvernance d'entreprise.

Approche de l'Union européenne

L'Union européenne par sa compétence de droit dérivé en droit des sociétés a également apporté sa lecture aux problèmes de gouvernement (ou de gouvernance) des entreprises.

S'appuyant sur un « Groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés », c'est en qu'elle aborde explicitement cette dimension sous-jacente du droit des sociétés avec une communication intitulée " Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise dans l’Union européenne – Un plan pour avancer[16]".

Un forum est créé dans la foulée renouvelé en 2008. Le dernier rapport[17] publié en 2009 fait un bilan complet du phénomène dans les 27 états membres.

Parmi les deux piliers de cette gouvernance modernisée, la question de la rémunération des dirigeants[18] comme celle des administrateurs indépendants[19] continuent à occuper une place de choix.

La crise financière de 2008-2009 apportera sans doute son lot de nouvelles lectures sur les insuffisances de gouvernance à l'échelle européenne. Un débat sur la gouvernance d'entreprise dans les établissements financiers[20] est désormais lancé depuis .

La Commission européenne a lancé, le , une consultation portant sur différents aspects de la gouvernance d’entreprise[21] : comment diversifier la composition des conseils d'administration et en améliorer le fonctionnement, comment améliorer le suivi et l'application des codes de gouvernance d'entreprise qui existent déjà au niveau national; ou comment obtenir une plus grande implication de la part des actionnaires…

Le but de cette consultation publique est de réaliser un examen sur le long terme du cadre de gouvernance de l'ensemble des entreprises en s'intéressant aux modes de fonctionnement, non pas seulement des établissements financiers, mais des entreprises en général. Tout cela pour améliorer la gouvernance d'entreprise, notamment la diversité des membres du conseil d'administration, l'implication des actionnaires et la qualité des déclarations de gouvernance d'entreprise… À cette occasion, la Commission européenne a publié un Livre vert soulevant les questions centrales du débat (comment : assurer le bon fonctionnement des conseils d'administration et la diversité de leurs membres, améliorer l'implication des actionnaires dans la gouvernance de l’entreprise et de les encourager à s'intéresser à la pérennité de ses résultats et de ses performances, améliorer le suivi et l'application des codes de gouvernance d'entreprise existant au niveau national…)[22].

Entre 2019 et 2021, la Commission europĂ©enne travaille Ă  un projet de directive sur la gouvernance d’entreprise durable pilotĂ© par le commissaire europĂ©en Didier Reynders.  Il s’agit en particulier contraindre les entreprises Ă  prĂ©venir les violations des droits de l’homme et les prĂ©judices environnementaux intervenant Ă  diffĂ©rents stades de leur chaĂ®ne d’approvisionnement. Le projet est l’objet d’un intense lobbying pour en limiter la portĂ©e de la part d’organes patronaux, alors que de ONG militent en sens inverse[23] . Le journal Le Monde considère qu’une extension du devoir de vigilance au niveau europĂ©en en 2022 serait «un alliĂ© naturel de tous les acteurs Ă©conomiques qui veulent ĂŞtre utiles Ă  la sociĂ©té», prolongeant la logique du modèle des entreprises Ă  mission mis en place par la loi Pacte en France[24].

Approche française

Dualité de l'organisation des sociétés

Deux systèmes de direction coexistent en droit des sociétés, un moniste et un dualiste.

Système moniste

C'est la société avec conseil d'administration.

Dans cette forme le pouvoir est partagé entre le conseil d'administration et la direction générale.

La répartition des pouvoirs est faite conformément à la loi et aux dispositions du Code de commerce.

Ce type de gouvernance qui se peut avoir deux modalités :

  • cumul : le prĂ©sident du Conseil d'Administration est Ă©galement directeur gĂ©nĂ©ral ;
  • dissociation : le prĂ©sident du CA n'est pas le directeur gĂ©nĂ©ral.

Système dualiste

C'est la société anonyme à directoire (fonction exécutive) et conseil de surveillance (fonction de contrôle).

Recherche de réponses

Depuis 1995, plusieurs rapports ont eu pour objectif de renforcer l'indépendance des administrateurs par rapport au président du conseil d'administration, qui concentrait trop de pouvoirs à lui seul :

  • Rapport ViĂ©not I (juillet 1995), Ă  l'initiative du CNPF et de l'AFEP : ce rapport insiste sur l'information des actionnaires, l'examen pĂ©riodique de la composition, de l'organisation et du fonctionnement du conseil d'administration, la prĂ©sence d'au moins deux administrateurs indĂ©pendants dans les conseils, les droits et obligations du conseil, la crĂ©ation d'un comitĂ© des comptes et d'un comitĂ© des rĂ©munĂ©rations,
  • Rapport Marini (1996), dissociation entre prĂ©sident du CA et DG, limitation des mandats d'administrateurs, Ă©tendre le pouvoir du comitĂ© d'audit
  • Rapport ViĂ©not II (juillet 1999), Ă  l'initiative du MEDEF et de l'AFEP,
  • Rapport de Daniel Bouton () : ce rapport a mis l'accent sur l'Ă©thique, la transparence, et le code monĂ©taire et financier.
  • Rapport de Pascal ClĂ©ment, dĂ©putĂ©, () : Mission d'information sur le gouvernement d'entreprise : libertĂ©, transparence, responsabilitĂ©. Rapport rĂ©digĂ© au sein de la commission des lois de l'AssemblĂ©e nationale et propose 15 propositions visant Ă  RĂ©habiliter l'actionnaire, Responsabiliser le conseil d'administration et Clarifier les pratiques en matières de rĂ©munĂ©rations. Cette mission d'information a Ă©galement procĂ©dĂ© dans le cadre de sa rĂ©flexion Ă  l'audition d'une quarantaine de chefs d'entreprises, juristes, experts et professeurs.
En 2001

La loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de mai 2001 a sensiblement modifié le fonctionnement du conseil d'administration, en dissociant les fonctions exécutives et de contrôle. Elle a eu pour effet de renforcer l'indépendance des administrateurs par rapport au président. Corrélativement, elle a accru la transparence par rapport aux actionnaires, poussant ainsi les entreprises à satisfaire les exigences de rating financier et les intérêts des marchés financiers (valeur actionnariale).

L'article 225-102 de la loi NRE demande aux entreprises cotées de communiquer sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités, dans le cadre de leur responsabilité sociétale. Il n'est pas prévu de sanction spécifique en cas de non-application de cet article, de sorte que les entreprises ne sont pas obligées de satisfaire les intérêts des parties prenantes (valeur partenariale).

La Loi de sécurité financière () reprend différents points du rapport BOUTON afin d'assurer une meilleure transparence des informations financières.

L'ensemble de ces rapports et textes de lois a été publié dans un combined code à la française en à l'initiative de l'AFEP et du MEDEF[25].

En 2008

Un renforcement s'est imposé à l'examen de la pratique de la loi NRE.

La loi du portant diverses dispositions d'adaptation du droit des sociétés au droit communautaire (dite « loi DDAC ») a revu la procédure d'approbation en reprenant la logique anglo-saxonne du "comply or explain".

Ainsi, lorsque la société se réfère volontairement au code professionnel AFEP MEDEF, elle précise le cas échéant pourquoi certaines dispositions ont été écartées. À défaut d'un tel code externe dont elle devra expliquer les motifs, la société devra indiquer les règles équivalentes retenues.

Parallèlement à ce renforcement législatif en application de la loi communautaire, de nouvelles recommandations AFEP MEDEF ont été adoptées en [26] pour mettre à jour le code combiné de référence pour les sociétés cotées.

Dans le prolongement des sujets révélés par les recommandations de l'Union Européenne, l'AMF a également publié une recommandation relative à l'information à donner dans les documents de référence sur les rémunérations des mandataires sociaux le qui sert de référence en matière de communication financière.

En 2013

Le MEDEF et l'AFEP ont négocié avec les pouvoirs publics une évolution de leur code de gouvernance qui comprend plusieurs dispositions[27] :

  • La rĂ©munĂ©ration des dirigeants sociaux est soumise au vote consultatif des actionnaires rĂ©unis en AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale.
  • Mise en place d'un Haut comitĂ© de Gouvernement d'entreprise composĂ© de 7 membres (4 dirigeants d'entreprise et 3 personnalitĂ©s qualifiĂ©es), chargĂ© d'assurer le suivi d'application des principes du code. ce comitĂ© peut s'autosaisir lorsqu'une sociĂ©tĂ© n'applique pas les recommandations sans fournir d'explication satisfaisante.
  • Limitation des mandats d'administrateurs : les mandataires sociaux ne peuvent exercer que deux autres mandats dans des sociĂ©tĂ©s cotĂ©es tierces (y compris Ă©trangères)
  • Plafonnement des retraites supplĂ©mentaires - dites « retraites chapeau » - Ă  45 % du revenu de rĂ©fĂ©rence.
  • Participation d'administrateurs indĂ©pendants : au minimum la moitiĂ© en cas de capital dispersĂ©, et le tiers si des actionnaires de rĂ©fĂ©rences sont prĂ©sents
  • Participation « conseillĂ©e » d'un reprĂ©sentant des salariĂ©s au comitĂ© des rĂ©munĂ©rations.

Approche des États-Unis

Loi Sarbanes-Oxley

La loi Sarbanes-Oxley (ou SOX) a Ă©tĂ© adoptĂ©e en 2002 dans la foulĂ©e du scandale Enron. Elle impose Ă  toutes les entreprises cotĂ©es aux États-Unis, de prĂ©senter Ă  la Commission amĂ©ricaine des opĂ©rations de bourse (SEC) des comptes certifiĂ©s personnellement par leur dirigeant. Cette loi concerne aussi les 1 300 groupes europĂ©ens ayant des intĂ©rĂŞts aux États-Unis.

Elle rend donc les dirigeants pénalement responsables des comptes publiés. Elle assure aussi et surtout l'indépendance des auditeurs face aux pressions dont ils peuvent être (et sont) l'objet de la part des dirigeants d'entreprise.

Le concept du Conseil d'administration sans papier[28] est né de la nécessité de la gestion légale des documents d'un conseil sous la loi Sarbanes-Oxley.

Rapport de Richard Breeden

À la demande du juge des faillites, s'occupant aux États-Unis de la survie de la société MCI (ex-WorldCom), Richard Breeden, l'ancien Président de la SEC, l'organe de régulation des marchés boursiers américains, a dans un rapport de 149 pages, rendu public en , produit 78 recommandations. Ce rapport devrait à terme devenir la base de la réforme de la gouvernance d'entreprise et ses propositions s'imposer à toutes les grandes et moyennes entreprises.

Le nouveau conseil d'administration de MCI a procédé, en à l'adoption de toutes les propositions du rapport. Il s'agit d'empêcher que puissent se reproduire les abus commis par l'ancien patron Bernie Ebbers et ses collaborateurs qui régnaient par intimidation sur une société en apparence profitable dans un secteur où la concurrence réalisait des pertes. Une double comptabilité masquait, en fait, 11 milliards de dollars de pertes cumulées entre 1999 et 2002, alors que, dans le même temps, Bernie Ebbers se faisait voter un prêt personnel de 400 millions de dollars par les administrateurs, et cela sans aucune question.

Il apparaissait nécessaire, à beaucoup, que se termine l'ère, pendant laquelle des patrons régnaient sans limite et sans partage sur des sociétés dans lesquelles personne n'osait poser des questions embarrassantes. Les propositions de Richard Breeden vont permettre en instaurant de multiples cordes de limiter les patrons mégalomanes, ou ayant de fortes personnalités, et disposant d'une grande latitude dans leur gestion, en tentant de rendre la totalité des administrateurs indépendants de la direction de l'entreprise.

Propositions

Parmi ces 78 propositions :

  • Interdiction du cumul des fonctions de Chief Executive Officer (CEO) et de prĂ©sident du Conseil d'administration.
  • InĂ©ligibilitĂ© au Conseil d'administration de tout responsable de sociĂ©tĂ© travaillant avec la sociĂ©tĂ© Ă  administrer.
  • Meilleure rĂ©munĂ©ration des administrateurs (pour MCI de 35 000 $US Ă  150 000 $US) mais obligation de consacrer 25 % de leur revenu après impĂ´ts Ă  l'achat, sur le marchĂ© boursier, d'actions de la sociĂ©tĂ© Ă  administrer.
  • Interdiction aux administrateurs de siĂ©ger au Conseil d'administration de plus de deux firmes cotĂ©es en bourse.
  • Obligation au Conseil d'administration de se rĂ©unir au moins 8 fois par an.
  • Obligation aux membres du Conseil d'administration d'aller visiter les installations et sites de l'entreprise.
  • Obligation aux membres du Conseil d'administration de recevoir chaque annĂ©e une formation spĂ©ciale pour mieux comprendre l'entreprise et son secteur.
  • Interdiction Ă  un administrateur de conserver son poste plus de dix ans.
  • Obligation de remplacer chaque annĂ©e un des administrateurs, afin d'Ă©viter que la collĂ©gialitĂ© du conseil n'aboutisse Ă  la passivitĂ©.
  • Interdiction de payer les dirigeants avec des stock-options.
  • CrĂ©ation d'un plafond de rĂ©munĂ©ration pour les dirigeants, dont seul un vote des actionnaires permettra de le dĂ©passer occasionnellement (pour MCI 10 millions $US au patron et 5 millions $US pour les autres dirigeants employĂ©s).
  • Renforcement de la dĂ©mocratie directe donnĂ©e aux actionnaires de base. Pour MCI cela passe par la crĂ©ation d'un site Internet spĂ©cialement destinĂ© aux actionnaires qui souhaitent alerter les administrateurs et les autres actionnaires de leurs inquiĂ©tudes, avec la possibilitĂ© de faire voter des rĂ©solutions sans passer par l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale.

On remarque dans les points cités, aucune allusion aux relations sociales : tant que l'administrateur connait son produit, son marché et sa rentabilité (à laquelle il est de plus en plus impliqué car doit acquérir des actions en fonction de sa rémunération), il peut négliger les forces vives de son entreprises : les salariés.

Perspectives ouvertes par la réflexion sur le gouvernement d'entreprise

Valeur actionnariale

Dans un premier système qui privilégie la création de valeur pour l'actionnaire (shareholder value en anglais), l'entreprise cherche à maximiser le cours boursier des titres détenus par les actionnaires. Les intérêts des dirigeants s'alignent sur ceux des actionnaires et des investisseurs financiers. L'organisation du conseil d'administration et la réglementation en matière de transparence et de rémunération des dirigeants sont définies dans cet objectif.

Valeur partenariale

Dans un deuxième système, on valorise plutôt la création de valeur pour l'ensemble des partenaires (stakeholder value en anglais). Dans ce cas, on cherchera à créer de la richesse entre les différentes ressources humaines et matérielles par coopération avec différents types de parties prenantes : clients, fournisseurs, employés, actionnaires, collectivités territoriales…). La performance est mesurée au regard de l'ensemble des partenaires. Ce type de gouvernance favorisera le développement de deux types de capital : le capital financier, mais aussi le capital humain (savoir-faire, compétences, innovation).

Théorie actionnariale

La ThĂ©orie actionnariale Ă©clairĂ©e est une thĂ©orie fondamentalement actionnariale, qui reconnaĂ®t la lĂ©gitimitĂ© du pouvoir des actionnaires sur l’entreprise mais qui fait du contrĂ´le disciplinaire une des quatre missions du gouvernement d’entreprise et non la seule ou la principale. Le conseil d’administration est la clĂ© de voute de la gouvernance, et les administrateurs doivent intĂ©grer les attentes des partenaires de la firme, mais toujours dans l’intĂ©rĂŞt social Ă  long terme de celle-ci (intĂ©rĂŞt social qui n’est que rarement alignĂ© sur celui des parties prenantes et qui peut, dans certains cas, ĂŞtre en contradiction avec l’intĂ©rĂŞt Ă  court terme des actionnaires voire des actionnaires majoritaires, par exemple quand les actionnaires exigent des dividendes qui mettent en danger l’existence mĂŞme de l’entreprise ou en limitent le dĂ©veloppement en limitant ses investissements)[29].

Vers une gouvernance créatrice de valeurs

Les formations et recherches Vers une gouvernance créatrice de valeurMD[30] développée par Yvan Allaire Ph.D.(MIT)[31], Président du Conseil d’administration de l'Institut sur la gouvernance d'organisations publiques et privées et Président du Global Council on The Role of Business, Forum économique mondial[32], invitent notamment à réfléchir sur les attitudes et les pratiques susceptibles d'aider le conseil d'administration à assumer pleinement ses responsabilités. Le Professeur Allaire précise que « La gouvernance consiste à mettre en œuvre tous les moyens pour qu’un organisme puisse réaliser les fins pour lesquelles il a été créé, et ce de façon transparente, efficiente et respectueuse des attentes de ses parties prenantes. La gouvernance est donc faite de règles d’imputabilité et de principes de fonctionnement mis en place par le conseil d’administration pour en arrêter les orientations stratégiques, assurer la supervision de la direction et favoriser l’émergence de valeurs de probité et d’excellence au sein de l’organisation ». De nombreuses prises de position publiques, formation, recherche-action et diffusion des connaissances sont réalisées dans ce sens, dont la modification de système de rémunération des dirigeants[33] - [34].

Notes et références

  1. Le mot gouvernance est un néologisme en langue française, qui a une étymologie complexe
  2. Haidar, Jamal Ibrahim, 2009. "Investor protections and economic growth," Economics Letters, Elsevier, vol. 103(1), pages 1-4, April
  3. Matthieu Battistelli, « L’entreprise à mission : un modèle de gouvernance pour l’innovation: », Annales des Mines - Gérer et comprendre, vol. N° 135, no 1,‎ , p. 80–82 (ISSN 0295-4397, DOI 10.3917/geco1.135.0080, lire en ligne, consulté le )
  4. G. Bressy et C. Konkuyt, Management et économie des entreprises, Paris, Dalloz, 12ième ed. 2018, p 6 à 10 et 113-114
  5. Christophe Clerc, « Structure et diversité des modèles de gouvernement d'entreprise - Rapport pour l'Organisation internationale du travail (Report for ILO on Models of Corporate Governance (Vol. 1): Structure and Diversity of Corporate Governance Models) », SSRN Electronic Journal,‎ (ISSN 1556-5068, DOI 10.2139/ssrn.3515477, lire en ligne, consulté le )
  6. En anglais shareholders.
  7. (en) Berle, A. & Means, G., The Modem Corporation and Private Property, New York, Macmillan,
  8. Joseph Aloi Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie
  9. (en) Andrei Shleifer et Robert W. Vishny, « Management entrenchment: The case of manager-specific investments », Journal of Financial Economics, vol. 25, no 1,‎ , p. 123–139 (ISSN 0304-405X, DOI 10.1016/0304-405X(89)90099-8, lire en ligne, consulté le )
  10. (en) Michael C. Jensen et William H. Meckling, « Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and ownership structure », Journal of Financial Economics, vol. 3, no 4,‎ , p. 305–360 (ISSN 0304-405X, DOI 10.1016/0304-405X(76)90026-X, lire en ligne, consulté le )
  11. Philippe Pasquet et Sébastien Liarte, « La Société Coopérative et Participative : Outil de gestion pour l'entrepreneur social ou une nouvelle hypocrisie managériale ? », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, vol. 3, no 3,‎ , p. 3 (ISSN 2259-2490 et 2260-5584, DOI 10.3917/rimhe.003.0003, lire en ligne, consulté le )
  12. Jon Aarum Andersen, « Owners vs executives and decisions vs control », Corporate Governance: The International Journal of Business in Society, vol. 19, no 3,‎ , p. 458–470 (ISSN 1472-0701 et 1472-0701, DOI 10.1108/cg-04-2018-0158, lire en ligne, consulté le )
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  15. (en) A. Rashad Abdel-khalik, « Reforming corporate governance post Enron: Shareholders' Board of Trustees and the auditor », Journal of Accounting and Public Policy, vol. 21, no 2,‎ , p. 97–103 (ISSN 0278-4254, DOI 10.1016/S0278-4254(02)00040-6, lire en ligne, consulté le )
  16. Comply or explain
  17. Consultation sur le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’UE, Commission européenne, avril 2011
  18. Livre vert de la Commission européenne relatif à la gouvernance d'entreprise - Réaction de la CCIP, Chambre de commerce et d'industrie de Paris, juillet 2011
  19. « Les ambitions contrariées de la directive européenne sur le devoir de vigilance », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. « « Avec le devoir de vigilance européen, l’UE s’équipe d’un levier pour lutter contre le dumping social et environnemental » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. Le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées - Octobre 2003
  22. groupe de travail AFEP MEDEF, Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, AFEP MEDEF, , 43 p. (lire en ligne)
  23. Conseil sans papier - Voir exemple sur Leading Boards.
  24. (en) "Enlightened Shareholder Theory: Whose Interests Should Be Served by the Supporters of Corporate Governance?", papers.ssrn.com, 05/09/08
  25. « IGOPP - Gouvernance créatrice de valeurs® »
  26. « Yvan Allaire - Biographie »
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Voir aussi

Bibliographie

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