Googie
Le Googie (Ă©galement connu en tant que Doo-Wop, Populuxe, Coffee Shop Modern, Jet Age, Space Age et Chinese Modern) est un style architectural futuriste du milieu du XXe siĂšcle, puisant son inspiration dans le design de l'Ăge atomique et la conquĂȘte spatiale.
NĂ© dans le sud de la Californie (Ătats-Unis) dĂšs la fin des annĂ©es 1940, il se diffuse le long des autoroutes amĂ©ricaines comme le style architectural caractĂ©ristique des annĂ©es 1950 des commerces de services proposĂ©s aux automobilistes (motels, cafĂ©s, Ă©tablissements de restauration rapide, cinĂ©-parc, stations services ou stations de lavage). Au dĂ©but des annĂ©es 1960, il s'Ă©tend Ă des rĂ©alisations architecturales plus complexes (universitĂ©s, aĂ©roports, gratte-ciel), avant d'amorcer son dĂ©clin au milieu des annĂ©es 1960[1].
Présentation
Le Googie est apparu Ă Los Angeles, en 1949. L'automobile a connu un essor dans les annĂ©es 1930 aux Ătats-Unis, le Googie sera le style incarnant le rĂȘve amĂ©ricain d'aprĂšs-guerre, accompagnant la dĂ©mocratisation des dĂ©parts en vacances en voiture, et illustrant l'entrĂ©e dans une Ăšre nouvelle, nourrie de l'optimisme que promettent l'Ăšre atomique et la conquĂȘte de l'espace[1].
Il se diffuse sous diverses variantes dans d'autres Ă©tats des Ătats-Unis, notamment ceux du sud-ouest du pays (Nevada, Utah, Arizona) le long de la route 66, ou dans d'autres rĂ©gions touristiques comme le sud de la Floride ou les stations balnĂ©aires du New Jersey, oĂč il prend le nom de Doo-Wop. Son Ă©picentre reste malgrĂ© tout Los Angeles et le comtĂ© d'Orange, oĂč demeurent de nos jours les plus beaux exemples de ce style architectural et artistique[1].
Ătymologie
Selon Alan Hess, dans son livre Googie: Fifties Coffee Shop Architecture, le nom de « Googie » viendrait du design particulier dâun cafĂ© conçu en 1949 par lâarchitecte John Lautner et qui portait le nom de « Googie's ». Ce bĂątiment, situĂ© Ă Los Angeles Ă lâintersection de Sunset Boulevard et de Crescent Heights, fut dĂ©moli dans les annĂ©es 1980. Lautner serait donc Ă l'origine du style et de son nom, qui sera repris et interprĂ©tĂ© par d'autres, et popularisĂ© par Douglas Haskell, professeur Ă Yale, qui l'emploie dans un article paru en 1952 dans le magazine House and Home. Ce terme prend cependant rapidement une connotation pĂ©jorative dans le monde architectural traditionnel[1].
Domaines
L'architecture Googie, de mĂȘme que l'architecture « canard », est Ă l'origine Ă visĂ©e commerciale, destinĂ©e Ă moderniser le style des motels, cafĂ©s, stations essences ou stations de lavage automatique afin de capter l'attention de l'automobiliste-consommateur. Le style va peu Ă peu s'Ă©tendre au monde du design, touchant notamment l'automobile en traçant la ligne des « belles amĂ©ricaines » des annĂ©es 1950 et du dĂ©but des annĂ©es 1960, puis de bĂątiments publics (cinĂ©mas, centres de convention, universitĂ©s, terminaux aĂ©roportuaires, gratte-ciel) et la culture populaire, notamment Ă travers des dessins animĂ©s comme Les Jetson et Les Pierrafeu[1].
Dans l'esprit, il se situe Ă mi-chemin entre le rĂȘve et la rĂ©alitĂ©. L'univers du Googie est celui d'un futur utopique et idĂ©alisĂ©, dans lequel il n'est pas impossible de voir des voitures Ă ailerons voler devant des dieux tiki gĂ©ants, des fusĂ©es et soucoupes volantes en partance pour Disneyland. Le style du Space Age Inn, Satellite Shopland et l'ultra moderne restaurant Bob's Big Boy semble ĂȘtre la traduction dans le monde rĂ©el de la promesse lancĂ©e par Walt Disney en 1955 lors de l'inauguration de Tomorrowland :
- « Demain peut ĂȘtre une Ăšre merveilleuse. Nos scientifiques sont en train aujourd'hui, d'ouvrir les portes de l'Ăre de l'Espace (Our scientists today are opening the doors of the Space Age...) Ă des rĂ©alisations qui profiteront Ă nos enfants et aux gĂ©nĂ©rations Ă venir. Les attractions de Tomorrowland ont Ă©tĂ© conçues pour vous donner l'occasion de participer Ă des aventures qui sont une reprĂ©sentation vivante de notre futur »[2]'
- Buick de 1961, style d'influence Googie.
- Car wash de San Bernardino, en Californie.
- Enseigne de motel sur la route 66 Ă Needles, en Californie.
- Enseigne néon de style Doo-Wop de l'hÎtel Biscayne à Wildwood Crest, dans le New Jersey.
Symboles et métaphores
Le Googie, en tant que style architectural et artistique, est empreint de qualitĂ©s mĂ©taphoriques et humoristique insolites. Il sera aussi parfois dĂ©routant et exubĂ©rant, au point dâĂȘtre souvent dĂ©savouĂ© par les architectes classiques. Si, en revanche, il a trouvĂ© lâaffection du grand public, c'est parce que le Googie Ă©voque avant tout une histoire dont le thĂšme central est le suivant[1] :
- « L'espĂšce humaine a quittĂ© l'obscuritĂ© des cavernes et, Ă force de travail et dâingĂ©niositĂ©, a bĂąti un monde moderne et merveilleux. Dans sa lancĂ©e, elle finira par surmonter les derniers obstacles et colonisera le reste de la galaxie, sans toutefois perdre le lien sacrĂ© avec l'authenticitĂ© de la nature ».[1]
Dans des Ă©lĂ©ments de dĂ©cor Googie se retrouvent frĂ©quemment des rĂ©fĂ©rences Ă thĂšmes historiques, allant des grottes prĂ©historiques Ă l'Ouest amĂ©ricain. En dĂ©pit de la modernitĂ© du style, le lien avec la nature nâest jamais rompu, justifiant l'usage de la pierre (vraie ou fausse), de jardins intĂ©rieurs, de grande baies vitrĂ©es abolissant la rupture traditionnelle entre intĂ©rieur et extĂ©rieur. Dans l'univers Googie, il nâest pas rare de voir des bĂątiments en forme d'OVNI avec un mur de pierres, trois baies vitrĂ©es et des palmiers traversant le toit[1].
- Tipi Ă©voquant la conquĂȘte de l'Ouest et la vache parlante Chatty Belle, conçus pour la Foire internationale de New York de 1964 et dĂ©placĂ©s Ă Neillsville (Wisconsin).
- Auvent ajouré, larges baies vitrées, dalles de béton et faux palmiers du motel Starlux de style Doo-Wop à Wildwood, dans le New Jersey.
- Le plus vieux restaurant McDonald's encore en activité, à Downey, en Californie, à l'angle de Lakewood Bvd et de Florence Ave. Il s'agit du troisiÚme restaurant construit par la chaßne et du second construit avec les arches dorées. Son aspect n'a guÚre changé depuis son ouverture en 1953.
ĂlĂ©ments du Googie
Le Googie a trouvĂ© une forme dâexpression relativement libre et crĂ©ative dans sa reprĂ©sentation futuriste et utopique. Douglas Haskell a cependant cherchĂ© Ă en dĂ©gager quelques rĂšgles de base :
- les éléments naturels doivent avoir une forme abstraite : un oiseau par exemple sera un oiseau géométrique
- Les thĂšmes doivent ĂȘtre multiples : un champignon abstrait sera surmontĂ© d'un oiseau gĂ©omĂ©trique
- La gravitĂ© doit ĂȘtre abolie, les bĂątiments doivent ĂȘtre comme suspendus dans les airs
- L'inclusion est à préférer au minimalisme
Les architectes purent s'aider en cela d'une nouvelle gamme de matériaux comme le verre feuilleté, l'amiante, le contreplaqué ou encore le plastique. D'autres innovations techniques ont permis de travailler l'acier et le ciment de façons nouvelles.
D'une maniĂšre concrĂšte, le Googie se caractĂ©rise par un certain nombre dâĂ©lĂ©ments architecturaux et graphiques qui le rendent singulier[1] :
- Toits profilĂ©s : ceci est particuliĂšrement vrai pour le cafĂ© Googie, qui a servi de prototype au style du mĂȘme nom. Parfois en forme de boomerang, un toit profilĂ© autorise des vitrines plus larges et donne lâimpression que le bĂątiment est prĂȘt Ă dĂ©coller. Furent Ă©galement construits des toits paraboliques, comme dans les premiers restaurants Bob's Big Boy, conçus par Armet et Davis[1].
- Toit profilé en forme de boomerang d'une station service sur Crescent Drive, à Beverly Hills.
- Toit profilé d'un des premiers restaurants McDonald's, 1955 à Des Plaines (Illinois).
- DĂŽmes : souvent en bĂ©ton, cette forme est rendue possible grĂące aux nouvelles techniques en bĂątiment. Elle Ă©voque les stations spatiales habitĂ©es et les soucoupes volantes qui illustrent les magazines de science-fiction de lâĂ©poque. Parmi les exemples, le centre de conventions d'Anaheim, le Cinerama Dome et le toit panoramique du prototype de la Pontiac Firebird de 1956[1].
- Centre de conventions d'Anaheim, inauguré en 1967
- Cinerama Dome sur Sunset Boulevard à Los Angeles, inauguré en 1963
- Baies vitrĂ©es : elles prĂ©sentent un double intĂ©rĂȘt. Elles permettent d'une part Ă l'automobiliste de voir ce qu'il y a Ă l'intĂ©rieur du magasin, transformant la façade en grande vitrine. Cet aspect prend toute son importance Ă une Ă©poque oĂč le consommateur dĂ©pend de sa voiture pour faire ses courses. D'autre part, ces baies font entrer l'extĂ©rieur Ă l'intĂ©rieur, et notamment la lumiĂšre. Ces panneaux vitrĂ©s, supportĂ©s par des structures mĂ©talliques fines et solides, donnent aux toitures un aspect aĂ©rien[1].
- Université Hope International, à Fullerton (Californie).
- Restaurant Ă Asbury Park, New Jersey.
- Boomerang : la forme du boomerang est omniprĂ©sente dans le design des annĂ©es 1950, y compris en architecture. Elle se retrouve notamment dans les enseignes commerciales, l'ameublement, les logos d'entreprise ou les imprimĂ©s textiles. Ses origines en tant que symbole de l'Ăšre du jet et de la conquĂȘte spatiale sont un peu floues, il est possible d'y voir une allusion aux ailes des pilotes, Ă l'art expressionniste de Paul Klee et de Joan MirĂł, ou bien encore l'idĂ©e que la flĂšche indique la direction du futur et du progrĂšs[1].
- Préenseigne de style Coffee Shop Modern du café Ships sur Olympic Boulevard, à Los Angeles.
- Préenseigne du motel Vinita Inn, sur la route 66, à Vinita, en Oklahoma.
- Amibe : cette forme est celle d'une goutte dâeau amorphe, prĂ©sente sur les prĂ©enseignes ou les piscines des motels. Elle serait apparue avant le boomerang et serait issue des techniques de camouflage de la Seconde Guerre mondiale[1].
- Préenseigne du motel White Haven, à Overland Park, Kansas.
- Piscine du motel ChĂąteau bleu Ă Wildwood, New Jersey (inscrit au Registre national des lieux historiques en 2004).
- Design Space Age et Atomic Age d'un restaurant du LAX.
- Atome : cette forme apparaĂźt frĂ©quemment, sur les panneaux, enseignes, vaisselle, Ă©lectromĂ©nager. Ses anneaux entrecroisĂ©s symbolisent lâingĂ©niositĂ© humaine et la promesse dâun monde sans limites techniques en ce dĂ©but de l'Ăge atomique, mais reflĂšte Ă©galement la prĂ©occupation des AmĂ©ricains autour de la menace nuclĂ©aire pendant la guerre froide. Il symbolise la recherche scientifique sur la matiĂšre, mais Ă©galement de maniĂšre plus approximative le systĂšme solaire[1].
- Atome dominant la préenseigne du motel Satellite, à Alamogordo, au Nouveau Mexique.
- Naissance d'une étoile : plus omniprésente encore que l'atome, cette forme symbolise le cosmos exploré par les astronautes[1].
- Ătoile du panneau « Welcome to Fabulous Las Vegas », rĂ©alisĂ© en 1959 (inscrit au Registre national des lieux historiques en 2009).
- Ătoile sur la prĂ©enseigne du motel Hiway Host Ă Mesa, en Arizona.
- Drive-in Ă Warren, en Ohio, ouvert en 1950.
- Poutres métalliques apparentes : soutenant la structure ou poursuivant un but purement décoratif, les poutres en acier sont peintes et souvent percées de trous à formes géométriques à la fois pour en donner un aspect plus léger et les faire ressembler à des pas de tir de fusées[1].
- Motel Caribbean Ă Wildwood Crest, New Jersey, bĂąti en 1958 dans le style doo-wop (inscrit au Registre national des lieux historiques en 2005).
- Soucoupes volantes : cette forme est caractĂ©ristique du courant Jet Age[3] ou Space Age est inspirĂ©e des livres, magazines et films de science-fiction. Le Space Needle de Seattle en est un des exemples les plus marquants. Sa forme est proche de celle choisie pour illustrer l'habitat du futur dans la sĂ©rie Les Jetson, diffusĂ©e entre 1962 et 1963[1]. Le Theme Building de Los Angeles et le TWA Flight Center de New-York, tous deux construits pendant la mĂȘme pĂ©riode du dĂ©but des annĂ©es 1960 dans les aĂ©roports internationaux des deux plus grandes villes des Ătats-Unis, sont Ă©galement de style Jet Age, inaugurant cette nouvelle Ăšre de l'aviation dont les progrĂšs permettent de dĂ©mocratiser les liaisons intercontinentales, et notamment transatlantiques qui supplantent dĂšs lors les traversĂ©es en paquebots arrivant dans le port de New York.
- Space Needle, construit pour l'exposition internationale de Seattle de 1962 sur le thĂšme : « Aperçu de la vie de lâHomme au XXIe siĂšcle ».
- Theme Building, de style Jet Age à l'aéroport international de Los Angeles, inauguré en (classé monument historique-culturel de Los Angeles en 1993).
- Planétarium James S. McDonnell, inauguré en 1963, décrit par le magazine Architectural Forum comme « ressemblant à un étrange vaisseau venu de l'espace et descendu sur Terre »[4].
Fin du Googie
Le Googie projette sur le futur des espĂ©rances naĂŻves et utopiques. PortĂ© par une certaine forme d'optimisme, le style finit par s'Ă©teindre au milieu des annĂ©es 1960 avec le ternissement du rĂȘve amĂ©ricain d'aprĂšs-guerre. Les raisons en sont diffuses mais parmi elles, les plus communĂ©ment citĂ©es sont l'assassinat du prĂ©sident John F. Kennedy le , marquant une certaine perte de l'innocence du peuple amĂ©ricain, le dĂ©but de la guerre du ViĂȘt Nam en 1964, l'arrivĂ©e Ă l'adolescence des baby boomers, se rebellant contre les valeurs de leurs parents, un regard moins naĂŻf et romantique sur le programme spatial, etc.
Le Googie se dĂ©mode dĂ©finitivement Ă partir de 1968, cĂ©dant la place Ă un style plus conventionnel. Au fil du temps, de nombreux bĂątiments Googie sont transformĂ©s, abandonnĂ©s ou dĂ©truits. Ă partir des annĂ©es 1990 et 2000, un programme de conservation est entrepris par les autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales et locales via une sĂ©rie de classements des bĂątiments les plus caractĂ©ristiques du style[1], traduisant alors de l'intĂ©rĂȘt architectural et historique grandissant d'une architecture jusqu'alors dĂ©laissĂ©e.
Notes et références
- http://www.spaceagecity.com/googie/
- Traduction d'un extrait du discours de Walt Disney tenu lors de l'inauguration télévisée du parc. Visible sur le DVD Walt Disney Treasures - Disneyland USA
- LittĂ©ralement Ăšre des avions. Il s'agit de la pĂ©riode oĂč les avions - et les vols transatlantiques en particulier - ont commencĂ© Ă se dĂ©mocratiser, notamment Ă partir des annĂ©es 1950.
- Loughlin, Caroline; Anderson, Catherine (1986). Forest Park. Columbia, Missouri: University of Missouri Press. p. 207â209. (ISBN 0-9638298-0-7).
Bibliographie
- Signs of our time, John Margolies et Emily Gwathmey, Abbeville Press (ISBN 1-55859-209-1).
Voir aussi
Liens externes
- (en) [vidéo] Googie architecture in Los Angeles (part 1) sur YouTube
- (en) [vidéo] Googie architecture in Los Angeles (part 2) sur YouTube