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Gerle

Une gerle est un solide récipient de bois de grande contenance, transportable par deux hommes, à la main grâce à un bâton passé dans les trous des oreilles, ou encore à l'épaule grâce à une perche passée dans une corde attachée aux oreilles pour former une anse. Sa partie inférieure est généralement un peu plus large que sa partie supérieure et contrairement au tonneau, destiné à être déplacé par roulage, ses flancs sont non bombés. La gerle est constituée de douelles assemblées et cerclées de fer ou de bois et possède un fond plat. Deux douelles plus longues que les autres, placées en opposition, sont percées à leur extrémité supérieure afin de permettre la formation de l'anse destinée au transport. Certaines gerles peuvent être fermées par un couvercle amovible.

Une gerle dévolue au transport du lait au sein d'une exploitation agricole. Les deux pièces de bois solidaires du couvercle permettent l'ouverture.

Étymologie

Gerle est un rĂ©gionalisme du centre-est de la France, de Suisse et de la VallĂ©e d'Aoste[1], attestĂ© au VIIIe siècle sous la forme romane gerala dĂ©signant une « cuve Â», vocable dĂ©rivĂ© de l'adjectif latin gerula signifiant « porteuse » (du verbe latin gerere : « porter »)[2]. Ce terme est toujours utilisĂ© de nos jours sous sa graphie francisĂ©e pour dĂ©signer un grand rĂ©cipient en bois transportable : notamment dans le domaine de la viticulture, en Franche-ComtĂ©, Savoie, Hautes-Alpes, Isère, Beaujolais, en VallĂ©e d'Aoste et dans certains cantons de la Suisse romande (Vaud, Neuchâtel, Berne)[3] ; mais Ă©galement en production fromagère, dans le Massif central, en particulier dans les monts du Cantal et en Aubrac[Note 1]. Le diminutif « gerlon Â» est attestĂ© en Savoie[4].

Utilisations

Une gerle, issue probablement d'une futaille tronquée, contenant du moût de raisin.

Une gerle peut avoir plusieurs usages :

  • Fabrication des fromages (une triple fonction) :
    • pour la rĂ©colte et le transport du lait : le lait de la traite est recueilli dans des gerles en bois et aussitĂ´t transportĂ© Ă  l'atelier de fabrication du fromage ;
    • pour le caillage du lait : après transport, le lait tenu tiède dans la gerle y est emprĂ©surĂ© pour ĂŞtre transformĂ© en caillĂ© ;
    • pour l'ensemencement bactĂ©riologique naturel du lait : l'utilisation du bois dans la chaĂ®ne de fabrication de fromages au lait cru contribue Ă  la richesse en variĂ©tĂ©s de bactĂ©ries utiles du lait et du caillĂ©, jouant un rĂ´le dans l'affinage. Comme le roquefort artisanal avec ses cultures de penicillium sur du pain de seigle, le salers dĂ©veloppe ainsi ses arĂ´mes en partie grâce aux colonies de bactĂ©ries vivant dans le bois de la gerle[5] et l'utilisation de cette dernière est pour cette raison constitutive, Ă  titre dĂ©rogatoire[Note 2], du cahier des charges de l'AOC[6] - . Ă€ la suite de la mise en Ă©vidence au dĂ©but des annĂ©es 2000 de problèmes sanitaires au niveau de certains fromages de cette appellation, notamment des contaminations par listeria monocytogenes et staphylococcus aureus, des dĂ©rogations Ă  l'utilisation de la gerle ont Ă©tĂ© retirĂ©es et l'Agence française de sĂ©curitĂ© sanitaire des aliments (Afssa) a Ă©tĂ© saisie. Observant que les sources de contamination sont extĂ©rieures Ă  la gerle, mais que leur expression peut ĂŞtre aggravĂ©e par un mauvais entretien de cette dernière, l'Afssa a confirmĂ© en 2005 l'usage de la gerle en bois pour sa capacitĂ© Ă  apporter « des micro-organismes impliquĂ©s dans l’acquisition de qualitĂ©s organoleptiques particulières des fromages » de type salers, en considĂ©rant que « l’utilisation de la gerle ne doit se concevoir que lorsqu’une maĂ®trise de l’hygiène gĂ©nĂ©rale de la traite ... et de la transformation fromagère..., de la santĂ© des animaux est dĂ©montrĂ©e » ... et que « les mesures de maĂ®trise de l’hygiène de la gerle (sĂ©chage pĂ©riodique, surveillance microbiologique et destruction de la gerle quand c’est nĂ©cessaire[Note 3]) », sont respectĂ©es[7] - [8].
  • Viticulture/vinification :
    • pour la rĂ©colte et le transport du raisin (seille Ă  vendange) ;
    • pour le foulage du raisin dans la vigne, avant son transport au pressoir ;
    • pour recueillir le jus s'Ă©coulant du pressoir ;
    • comme unitĂ© de mesure pour le raisin.
  • Blanchiment des lessives : un sac rempli de cendres du foyer Ă©tait placĂ© au fond de la gerle, sur lequel Ă©tait empilĂ© le linge Ă  laver. De l'eau bouillie Ă©tait versĂ©e sur le tout, puis s'Ă©coulait petit Ă  petit par le petit orifice du fond. Ce labeur Ă©tait rĂ©pĂ©tĂ© de nombreuses fois et durait plusieurs heures, se prolongeant souvent tard dans la nuit.

Fabrication

En production fromagère, les essences de bois traditionnellement utilisées pour la fabrication de la gerle sont le châtaignier pour le fond et les douves (pour son imputrescibilité), le chêne pour les deux douves portant oreilles (pour sa plus grande résistance) et le peuplier ou le sapin pour le couvercle[9] - [10].

Contenance

En fabrication fromagère traditionnelle, la contenance de la gerle varie en fonction de la quantitĂ© de lait disponible, qui dĂ©pend de la taille du troupeau, mais aussi de la pĂ©riode de traite. LimitĂ©e par la capacitĂ© de transport de deux personnes, elle s'Ă©chelonne entre 50 et 200 litres de lait, très exceptionnellement jusqu'Ă  240 litres[10] - [9]. Ă€ la fin du XXe siècle, l'agrandissement de certaines exploitations d'Ă©levage laitier a conduit Ă  l'utilisation de gerles non transportĂ©es et rĂ©servĂ©es au seul caillage du lait beaucoup plus importantes, dont la contenance peut atteindre 1 050 litres[9], voire 1 500 litres[11].

Concours viticole

La gerle a donnĂ© son nom au premier prix du concours viticole organisĂ© chaque annĂ©e Ă  Neuchâtel en Suisse (la « gerle d'or »), rĂ©compensant les meilleurs vins de la rĂ©gion[12] - [13].

Notes et références

Notes

  1. La gerle était autrefois d'usage pour la fabrication traditionnelle des fromages cantal, salers et laguiole. Elle n'est plus utilisée aujourd'hui que pour la fabrication du salers, dont elle est un élément du cahier des charges de l'appellation d'origine.
  2. L’utilisation de bois pour la fabrication de produits à partir de lait cru a été interdite par la directive 92/46/CEE du Conseil de l'Europe du 16 juin 1992. Elle a été autorisée dans le contexte de l'AOC salers, de façon dérogatoire, par l’arrêté français du 30 décembre 1993 (article 23-I-6), à condition que le matériel en question soit « maintenu en bon état et correctement nettoyé et, si nécessaire, désinfecté ».
  3. Il a été montré qu'en cas de contamination de la gerle par des agents pathogènes, la préconisation de désinfection jusqu'ici proposée était contre-productive et qu'en l'absence d'autres solutions, la seule issue résidait dans sa destruction. Les bactéries utiles au fromage présentes dans la gerle constituent en effet un rempart à l'installation des bactéries pathogènes, et leur élimination concomitante au cours de la désinfection offre de fait un terrain favorable lors des usages ultérieurs à une colonisation par les agents nuisibles.

Références

  1. Jean-Pierre Martin, Description lexicale du français parlé en Vallée d'Aoste, éd. Musumeci, Quart, 1984
  2. « Définition du mot gerle », sur cnrtl.fr (consulté le )
  3. « Géolinguistique et francophonie du mot gerle », sur bdlp.org (consulté le )
  4. Anita Gagny, Dictionnaire du français régional de Savoie : Savoie, Haute-Savoie, Paris, Bonneton, , 161 p. (ISBN 2-86253-152-9, lire en ligne), p. 78
  5. Laurence Bérard et Marie-Christine Montel, « La gerle, le vivant invisible entre traditions et normes d’hygiène », Publications de l’équipe « Ressources des terroirs » du CNRS,‎ , p. 1, 3-4 (lire en ligne, consulté le )
  6. « Description officielle du salers par l'INAO, version du 3 juin 2003, mise à jour le 18 juillet 2013 », sur inao.gouv.fr (consulté le )
  7. Agence française de sécurité sanitaire des aliments, « Avis relatif à l'évaluation des risques liés à l'utilisation de cuves en bois dans la fabrication de fromages », Avis et rapports de l'Anses sur saisine,‎ , p. 5, 7 (lire en ligne, consulté le )
  8. « La gerle en bois réhabilitée », sur réussir-lait.com (consulté le )
  9. Marc Prival et al., Ainsi va l'homme en ses métiers, Saint-Just-près-Brioude, Créer éd., , 230 p. (ISBN 2-907797-27-9 (édité erroné), lire en ligne). L'ISBN est erroné, comme indiqué sur la notice bibliographique de la BnF
  10. Yves Garric, Paroles de burons, Rodez, Fil d'Ariane Ă©d., , 250 p. (ISBN 2-912470-23-4), p. 200
  11. Laurence Bérard et Marie-Christine Montel, « La gerle, le vivant invisible entre traditions et normes d’hygiène », Publications de l’équipe « Ressources des terroirs » du CNRS,‎ , p. 3 (lire en ligne, consulté le )
  12. « La Gerle d'or aux caves de la ville de Neuchâtel », sur rtn.ch (consulté le )
  13. « vins confédérés », sur vinconfederes.ch (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

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