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Georges Peignot

Georges Peignot (Paris, - Givenchy-en-Gohelle, ) est un crĂ©ateur de caractĂšres, un fondeur de caractĂšres et le gĂ©rant de la Fonderie G. Peignot & Fils jusqu’à sa mort au front, en 1915.

Georges Peignot
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
SĂ©pulture
Nationalité
Formation
Activités
PĂšre
Gustave Peignot (d)
Conjoint
Suzanne Peignot (d) (Ă  partir de )
Enfants
Charles Peignot
Madeleine Peignot (d)
GeneviĂšve Peignot (d)
Colette Peignot
Vue de la sépulture.

PĂšre de quatre enfants (dont Charles Peignot et la poĂ©tesse Colette Peignot, dite Laure), il est, en 17 ans d’exercice, Ă  l'origine de prestigieuses polices de caractĂšres, dont le Grasset, le Cochin et le Garamond-Peignot, et il a hissĂ© la Fonderie G. Peignot & Fils parmi les entreprises françaises de typographie les plus marquantes du XXe siĂšcle.

Biographie

NĂ© en 1872, Georges Peignot est le quatriĂšme enfant d’une fratrie de huit. Son pĂšre, Gustave Peignot, ingĂ©nieur des Arts et mĂ©tiers[1], est Ă  la tĂȘte d’une fonderie de blancs typographiques[2], crĂ©Ă©e en 1842 par Pierre Leclerc[3].

La fonderie avait Ă©tĂ© achetĂ©e Ă  crĂ©dit[4] en 1865 et avait Ă©tĂ© dirigĂ©e par sa mĂšre, ClĂ©mentine Dupont de Vieux Pont (1815-1897)[5], veuve de Laurent Peignot. La bailleresse s’était associĂ©e aux Peignot sous le nom Veuve Routier & Peignot, qui Ă©tait devenu G. Peignot, sociĂ©tĂ© en nom propre en 1875 quand le prĂȘt fut remboursĂ© et la mĂšre partie Ă  la retraite[6].

CaractĂšres d'imprimerie au plomb, composteur et composition
La composition typographique au plomb.

Georges Peignot commence par frĂ©quenter sans succĂšs le collĂšge Chaptal, avant de suivre un apprentissage chez son parrain, Émile Faconnet, maĂźtre taille-doucier oĂč se rĂ©vĂšlent ses dons pour les arts graphiques[7]. En 1890, il est admis aux Arts dĂ©coratifs. En 1891, il part Ă  Leipzig pour y apprendre, dans la fonderie de caractĂšres Schwieger, la gravure de poinçons sur acier non trempĂ©. Il y dĂ©couvre le monde des caractĂšres d’imprimerie.

En 1892, il est Ă  Hambourg dans la fonderie de caractĂšres Gentzsch[8] oĂč, avec le fils de la maison du mĂȘme Ăąge, il fait le tour des services et des ateliers. Il continue Ă  se passionner pour les caractĂšres et passe comme Ă  Leipzig tous ses temps libres Ă  feuilleter les spĂ©cimens internationaux.

De retour en France en 1893, Georges Peignot fait deux ans et demi de service militaire, et sort adjudant, grade le plus Ă©levĂ© pour ceux qui n’ont pas le baccalaurĂ©at. En 1896, il Ă©pouse Suzanne Chardon (1876-1962), fille d’un imprimeur taille-doucier, chargĂ© des impressions de la Chalcographie du Louvre[9].

Ils ont quatre enfants : Charles (1897-1983), Madeleine (1899-1944), GeneviĂšve (1900-1993) et Colette (1903-1938).

EntrĂ© Ă  la fonderie en 1896, Georges Peignot est chargĂ© par son pĂšre de la gestion des fonds de caractĂšres rĂ©cemment acquis (fonderies Cochard & David et Longien[10]) et, Ă©ventuellement, de la crĂ©ation de nouvelles polices. En 1898, son pĂšre, souffrant, rĂ©unit ses enfants ; il transforme la sociĂ©tĂ© en nom propre en une commandite familiale au nom de G. Peignot & Fils[11] et il leur distribue les parts. Il a le temps de nommer Georges co-gĂ©rant avant de dĂ©cĂ©der l’annĂ©e suivante.

En 1899, Georges Peignot devient seul gĂ©rant de l’entreprise. Les membres du Conseil sont Robert Peignot, ingĂ©nieur, fils aĂźnĂ©, chargĂ© de la fabrication, Georges Peignot, et enfin Charles Tuleu, propriĂ©taire de la fonderie Deberny et Ă©poux de Jane Peignot, la fille aĂźnĂ©e. À l’assemblĂ©e du , Paul Payet, haut cadre des chemins de fer, Ă©poux de Julia Peignot, la seconde fille et conseil de la veuve Peignot, devient membre du Conseil sur instruction de la veuve.

Grasset (1898)

 Police d'écriture Grasset, créée par EugÚne Grasset sur la demande de Georges Peignot
Grasset italique (1898).

En 1897, Georges Peignot, jeune industriel ĂągĂ© de 25 ans, rencontre EugĂšne Grasset[12], dĂ©jĂ  cĂ©lĂšbre dans le monde de l’Art nouveau (pour son mobilier, ses affiches, ses timbres, les titres et maquettes de livres, les textiles imprimĂ©s et papiers peints, etc.). Or Grasset a librement adaptĂ© au calame l’alphabet romain de Nicolas Jenson (1471), avec l'intention de s'en servir pour imprimer son livre, MĂ©thode de composition ornementale, traitĂ© qui reprend les cours qu’il donne Ă  l’école GuĂ©rin. Avec l’accord de son pĂšre, Georges Peignot acquiert l’alphabet de Grasset, le dĂ©pose officiellement le sous le nom de « Grasset » et en confie la gravure Ă  Henri Parmentier, graveur de l’usine. Pour permettre des compositions harmonieuses, il dĂ©cide d’offrir treize corps de ce mĂȘme caractĂšre et « pour la premiĂšre fois dans un atelier français on Ă©tablit l’échelle des corps d’un caractĂšre par rĂ©ductions photographiques du dessin d’auteur » (Thibaudeau).

À l’automne 1898 sort, imprimĂ© en Grasset, Les Aventures merveilleuses de Huon de Bordeaux, chanson de geste (car le Moyen Âge est l’époque favorite de l’Art nouveau). Le monde de la typographie est alertĂ© et paraĂźt favorable. En 1900, sept corps seulement sont gravĂ©s ; les demandes affluent et il faut commercialiser. Georges Peignot et Francis Thibaudeau[13], maĂźtre typographe de grande qualitĂ© qu’il vient d’engager, crĂ©ent une petite plaquette d’un discret mais trĂšs bon goĂ»t. À l’envoi des plaquettes correspond un afflux de commandes (auquel contribuent les premiers caractĂšres Auriol, cf. ci-dessous). ParallĂšlement, les Ă©loges de la presse spĂ©cialisĂ©e et des connaisseurs d’art dĂ©ferlent. Dans les cours d’immeubles du boulevard de Montrouge (plus tard rebaptisĂ© en Edgar-Quinet) oĂč ils sont installĂ©s depuis 34 ans, les ateliers Peignot sont brusquement engorgĂ©s[14].

Le succĂšs vaut Ă  Georges Peignot, Ă  29 ans, la reconnaissance de ses pairs : il devient trĂ©sorier de la Chambre syndicale[15]. On le copie Ă©galement : en , il doit faire saisir des caractĂšres Ă  la fonderie Renault. Le procĂšs en contrefaçon[16] est perdu en 1905 et l’entreprise G. Peignot & Fils condamnĂ©e aux dĂ©pens pour avoir
 accusĂ© la fonderie Renault d’avoir copiĂ© Gryphe, Ă©diteur lyonnais du XVIe siĂšcle, amateur du Jenson, dont l’Ɠuvre appartient Ă  tous et peut donc ĂȘtre copiĂ©e. Les juges parce que gros lecteurs croient connaĂźtre la typographie mais ils l’ignorent et condamnent G. Peignot & Fils sans Ă©gard pour le tracĂ© particulier du calame et les autres qualitĂ©s spĂ©cifiques du Grasset.

L’accroissement trĂšs important des fabrications dĂ» au succĂšs des nouveaux caractĂšres (Grasset, Auriol) ne peut bientĂŽt plus ĂȘtre traitĂ© dans les anciens locaux de la veuve Routier. En 1902, la Fonderie achĂšte un terrain au coin des rues Cabanis et Ferrus (XIVe arrondissement) et demande Ă  l’architecte Paul FriesĂ© d’y construire sa nouvelle usine dont les surfaces sont minutieusement Ă©tudiĂ©es[17]. ParallĂšlement, deux des frĂšres de Georges Peignot, Robert (ingĂ©nieur des Arts et mĂ©tiers) et Lucien (ingĂ©nieur de l’École centrale), voguent vers les États-Unis oĂč ils savent trouver les fondeuses automatiques les plus modernes[18]. La nouvelle usine ouvre en 1904, rue Cabanis.

Auriol et autres fontes (1902)

Police d'écriture Auriol italique, gravée par Georges Auriol à la demande de Georges Peignot
Auriol italique (1904)

En 1898, Georges Peignot commande Ă  George Auriol (de son vrai nom Georges Huyot), un chansonnier-poĂšte-peintre trĂšs douĂ© en calligraphie, un caractĂšre de style Art nouveau[19]. En 1899, Auriol propose la Française LĂ©gĂšre que Georges Peignot dĂ©pose le et dont il lance la gravure malgrĂ© l’opposition de sa famille. En 1902, l’alphabet complet est disponible dans cinq corps ; le succĂšs est au rendez-vous, mais la carriĂšre du nouveau caractĂšre ne sera pas aussi productive que celle du Grasset : ce caractĂšre de fantaisie, contrairement aux caractĂšres de labeur comme le Didot ou le Garamond, est destinĂ© aux textes courts, qu’il s’agisse de publicitĂ©, de sous-titres, etc. ; pour un fondeur donc, qui dit fantaisie dit peu d’usure du plomb, donc peu de renouvellement des caractĂšres.

Les annĂ©es qui suivent continuent dans la fantaisie : Georges Peignot lance l’Auriol Labeur (1904), la Française AllongĂ©e (1905), l’Auriol ChamplevĂ© (1906), la sĂ©rie des huit Robur (noir, pĂąle, tigrĂ©, clair-de-lune, etc., 1907). On comprend le risque qu’a pris Georges Peignot avec ces caractĂšres « fantaisie » : en ne respectant pas la structure classique de la lettre (immuable depuis le XVe siĂšcle), il risquait que ses clients clients ne sacrifient la lisibilitĂ© Ă  la beautĂ© du caractĂšre Auriol, trĂšs Art nouveau. En revanche, pour les caractĂšres de labeur, avec lesquels on risque l’ennui, Georges Peignot prĂ©conise une « typographie », ce qui — pour lui — veut dire qu’un caractĂšre de labeur doit ĂȘtre proposĂ© en de nombreux corps avec son italique, ses vignettes et ses ornements. Il veut Ă©gayer la lecture !

En effet, la carriĂšre du Grasset, caractĂšre de labeur s’il en est, s’enrichit de la publication d’une sĂ©rie d’ornements et de vignettes. En 1901 sort une plaquette intitulĂ©e Album d’application des nouvelles crĂ©ations françaises, vĂ©ritable pamphlet argumentĂ© par Francis Thibaudeau en faveur de l’Art nouveau. En 1901, les crĂ©ations de George Auriol furent Ă©galement consacrĂ©es par deux sĂ©ries de « lianes, fleurs, flammes » que Francis Thibaudeau met en pages sous forme de deux opuscules (Vignettes Art Français et Ornements français, 31 pages publiĂ©es ensuite dans le SpĂ©cimen gĂ©nĂ©ral).

Publication du Spécimen (1903)

Ce n’est qu’aprĂšs avoir lancĂ© les treize corps du Grasset et la Française-LĂ©gĂšre (cinq corps), que Georges Peignot dĂ©cide de faire paraĂźtre un SpĂ©cimen et de profiter ainsi de l’énorme succĂšs de ses nouveaux caractĂšres et faire aussi connaĂźtre aux clients-imprimeurs les polices acquises par la Fonderie G. Peignot & Fils par rachats de fonderies.

Le SpĂ©cimen est constituĂ© de deux tomes de 450 et 200 pages (le premier paraĂźt Ă  la fin du mois de , le second en 1906). La mise en pages est gĂ©nĂ©reuse : 7 tĂȘtes de chapitres en 4 couleurs, prĂ©sentation aĂ©rĂ©e de chaque caractĂšre ou ornement, souvent en deux couleurs, avec dĂ©clinaison de diffĂ©rents corps dans des phrases amusantes ou instructives. VĂ©ritables rĂ©ussites esthĂ©tiques, les deux volumes sont Ă©galement utiles : tous les dĂ©tails techniques pouvant servir Ă  un imprimeur sont clairement exposĂ©s sous forme de tableaux, listes, schĂ©mas : tarifs de retour des vieilles fontes, dimensions des diffĂ©rents formats pliĂ©s, instructions sur la coupe des filets, etc. Le texte est sĂ©rieux et savant : le dernier chapitre est consacrĂ© par Francis Thibaudeau Ă  une rĂ©trospective de la typographie et de ses dĂ©cors, de la Renaissance Ă  ce jour.

Le second tome paraĂźt en 1906 ; il est une illustration par pages entiĂšres des caractĂšres les plus importants Ă©noncĂ©s dans le premier volume. On offre avant tout Ă  l’imprimeur la possibilitĂ© de se faire une idĂ©e de la lisibilitĂ© et de la « couleur » (valeur de gris typographique de la page) de chaque caractĂšre. Ces deux volumes sont abondamment distribuĂ©s[20].

Cochin (1912)

Police d'Ă©criture Cochin
Cochin (1912).

En 1910, Georges Peignot lance le Bellery-Desfontaines, un caractĂšre de fantaisie de haut de gamme dont toute forme vĂ©gĂ©tale est exclue. Il cherche son nouveau caractĂšre de labeur, car le Grasset lui-mĂȘme s’essouffle.

Il trouve son inspiration dans les gravures du XVIIIe siĂšcle : soutenu par Lucien, son frĂšre cadet devenu co-gĂ©rant et ami intime, et par son typographe en chef Francis Thibaudeau, il remarque que les graveurs de l’époque rĂ©cusent le style solennel des fondeurs Luce, Fournier, Didot
 et prĂ©fĂšrent graver eux-mĂȘmes des textes moins figĂ©s qui accompagnent les illustrations dont ils ont la charge. Il s’intĂ©resse aux Ɠuvres du graveur et dessinateur des Menus-Plaisirs du roi : Cochin. Il donne son nom Cochin Ă  la famille de caractĂšres Ă  l’époque la plus connue, dont encore aujourd’hui l’auteur est ignorĂ©. Il est prĂ©sentĂ© en . Le Nicolas-Cochin aux hampes Ă©tirĂ©es, le Moreau-le-jeune, caractĂšre champlevĂ©, et le Fournier-le-Jeune, caractĂšre d’ornement vieux de 200 ans remis en usage Ă  l’occasion, au total 2 000 poinçons reprĂ©sentant les Cochins, sont mis sur le marchĂ© en . Pour complĂ©ter la collection, des dĂ©cors adĂ©quats et des lettres ornĂ©es ont Ă©tĂ© confiĂ©s Ă  Pierre Roy et AndrĂ©-Édouard Marty, illustrateurs Ă  la Gazette du bon ton.

En 1912, les Cochin sont lancĂ©s. Ils sont prĂ©sentĂ©s de deux maniĂšres diffĂ©rentes[21] : la premiĂšre rappelle la publication du Huon de Bordeaux en Grasset et consiste, avant la commercialisation des plombs, Ă  composer en caractĂšres Cochin une nouvelle revue de mode de haut luxe : La Gazette du bon ton (lancĂ©e par Lucien Vogel de Vogue, du Jardin des modes, etc.). Le succĂšs est grand, non seulement Ă  cause du Cochin totalement nouveau mais aussi parce que cette revue dĂ©passe tout ce qu’on a pu voir en matiĂšre de bon goĂ»t, de qualitĂ© des illustrations (gĂ©nĂ©ralement des aquarelles), de dĂ©couvertes des nouvelles tendances, etc.

Le deuxiĂšme et le plus important vecteur de promotion du Cochin fut sa plaquette de trĂšs haute qualitĂ© typographique, publiĂ©e le . Il avait fallu deux ans pour graver les 2 000 poinçons (62 alphabets), plus ornements et vignettes : le trio Georges Peignot, Lucien Peignot, Francis Thibaudeau a eu le temps de fourbir ses armes de sĂ©duction. Couverture vieux-rose et or, support en papier vergĂ© blanc ou mi-teinte, impression en noir, or ou couleurs, exemples pleine page ou bilboquets[22] collĂ©s, illustrations par l’emploi de vignettes Roy et Marty. Enfin, grĂące Ă  Lucien Peignot, le texte est d’excellente tenue littĂ©raire.

Garamond (1912)

Garamond-Peignot (1912).

ConsĂ©quence du Cochin et de quelques acquisitions trĂšs rentables (ainsi le Didot du fonds Beaudoire), les bĂ©nĂ©fices de l’entreprise G. Peignot & Fils culminent Ă  des hauteurs imprĂ©vues. Georges Peignot n’en profite pas car il est mis en minoritĂ© au sein du directoire de l’entreprise par une manƓuvre de sa mĂšre (qui exprime par lĂ  son hostilitĂ© au fils mal-aimĂ© et sa prĂ©fĂ©rence pour ses deux aĂźnĂ©s, Jane Tuleu et Robert, que son mari avait exclus des dĂ©cisions). Aux attaques personnelles au sein de sa famille (essentiellement ourdies par sa mĂšre, Marie Laporte-Peignot, elle-mĂȘme conseillĂ©e par Paul Payet), s’ajoutent les graves prĂ©occupations causĂ©es par les constantes amĂ©liorations des composeuses dont il prĂ©voit le danger depuis 1905[23].

Abattu, dĂ©pressif, Georges Peignot s’éloigne de la gestion quotidienne de l’entreprise qu’il confie Ă  son cadet Lucien, et se consacre au lancement d’un nouveau caractĂšre. Il avait remarquĂ© que le Garamond du XVIe siĂšcle avait Ă©tĂ© crĂ©Ă© Ă  une Ă©poque oĂč l’on imprimait sur du papier Ă©pais Ă  base de chiffon, dans lequel les caractĂšres s’enfonçaient en laissant une trace plus grasse que leur Ɠil ; le mĂȘme caractĂšre utilisĂ© sur un papier Ă  base de bois paraĂźt maigre. Son idĂ©e est de rendre au caractĂšre la graisse d’origine trouvĂ©e sur papier chiffon. Il se lance dans la fabrication d’un nouveau caractĂšre Garamond avec l’aide du graveur Henri Parmentier — mais le rĂ©sultat ne sera prĂ©sentĂ© et commercialisĂ© qu’en 1926, onze ans aprĂšs sa mort. Il aura un grand succĂšs, durable, ne serait-ce que pour servir les textes de la collection La PlĂ©iade. De la mĂȘme maniĂšre, la police de caractĂšres commandĂ©e en 1910 au graveur Bernard Naudin[24] et livrĂ©e en 1914 ne sera mise sur le marchĂ© qu’en 1924 (sans grand succĂšs).

Guerre, sacrifice, mort

Quand la Guerre est dĂ©clarĂ©e, Georges est mobilisĂ© comme adjudant d’artillerie de l'armĂ©e territoriale (composĂ©e d'hommes ĂągĂ©s de 34 Ă  49 ans considĂ©rĂ©s comme trop ĂągĂ©s et plus assez entraĂźnĂ©s pour intĂ©grer un rĂ©giment de premiĂšre ligne d’active ou de rĂ©serve). Il est affectĂ© Ă  la 23e batterie du 1er rĂ©giment d’artillerie, et cantonnĂ© au fort de Cormeilles. Le , son frĂšre cadet le plus proche, AndrĂ© Peignot, est tuĂ©. Le choc est immense pour Georges Peignot. AussitĂŽt, il demande Ă  partir sur le front[25] dans le mĂȘme rĂ©giment que son frĂšre, le 23e rĂ©giment d’infanterie coloniale. En mars, il y est affectĂ© en premiĂšre ligne.

Tombe de Georges Peignot au cimetiĂšre de Fontainebleau

Tout va trĂšs vite : le , le plus jeune de ses frĂšres, RĂ©my, est tuĂ© dans le mĂȘme secteur du front de Somme. Le , Georges Peignot transmet Ă  son cousin cĂŽtĂ© maternel, Henri Menut, ses pouvoirs de gĂ©rant de la commandite. Le , au nord d’Arras, entre Souchez et Givenchy, Georges Peignot est frappĂ© d’une balle en plein front « tout de suite aprĂšs avoir criĂ© Ă  ses troupes : “En avant !” », ainsi que le rapporte Lucien Peignot[26], le quatriĂšme et dernier frĂšre, que la guerre emportera Ă©galement le , et qui avait menĂ© une longue enquĂȘte pour retrouver son frĂšre perdu un mois dans le no man’s land oĂč il avait Ă©tĂ© abattu. Georges Peignot, enterrĂ© Ă  cĂŽtĂ© de RĂ©my, est citĂ© Ă  l’ordre de la Division et dĂ©corĂ© de la croix de guerre et de la mĂ©daille militaire[27].

Postérité

Louis Barthou, ancien PrĂ©sident du Conseil, Ă©crit en 1916 Ă  propos de Georges Peignot qu’il faut en lui « apprĂ©cier son intelligence active et ouverte, impatiente d’initiatives, la droiture de son caractĂšre ferme et loyal, sa passion frĂ©missante et rĂ©flĂ©chie pour le noble mĂ©tier auquel il avait vouĂ© sa vie ». Il cite plusieurs passages de ses lettres, tels que celui-ci : « Quoi qu’il arrive, je veux aujourd’hui que le sacrifice de ma vie assure Ă  vos cƓurs une noblesse qui vous placera au-dessus du souci matĂ©riel de l’existence[28]. »

Georges Lecomte, directeur de l’École Estienne, dit en 1918 de Georges et Lucien : « Les frĂšres Peignot avaient conquis l’affectueuse estime de tous les industriels du Livre, imprimeurs et Ă©diteurs, des artisans et ouvriers de la profession, des amateurs de belles Ă©ditions, des Ă©crivains attentifs Ă  la maniĂšre dont on les imprime. » Ils Ă©taient venus en 1914 lui prĂ©senter les Cochins et il se souvient encore de « leur ton de simplicitĂ© grave et de satisfaction trĂšs modeste, [
] d’une amabilitĂ© raffinĂ©e mais sans artifice ».

En 1922, la Commission de l’enseignement et des beaux-arts propose d'honorer l'histoire des Peignot : elle fait transporter les poinçons de la Fonderie et le buste en bronze de Gustave Peignot dans l’immeuble de l’Imprimerie nationale, longĂ© par la rue Gutenberg. Elle propose que le prolongement de cette rue soit baptisĂ© rue des Quatre-FrĂšres-Peignot en souvenir des quatre morts de la Guerre de 1914-1918 et du grand renom qu’ont leurs crĂ©ations[29]. Un « reliquaire des frĂšres Peignot », conservĂ© au MusĂ©e de la LĂ©gion d'honneur[30] Ă  Paris, tĂ©moigne Ă©galement de la patrimonialisation[31].

Le typographe Maximilien Vox reconnaßt sa dette envers Georges Peignot, pour qui il fut « le premier fondeur de caractÚres français qui ne pensait pas que son travail se résumait à fournir aux imprimeurs des petits bouts de métal[32] ».

La postĂ©ritĂ© de la fonderie est entachĂ©e par des manƓuvres familiales : Georges Peignot dĂ©cĂ©dĂ© ainsi que quatre de ses autres frĂšres (dont l'aĂźnĂ© mort de maladie en 1913), il ne reste comme successeur potentiel que les deux filles et la mĂšre. Cette derniĂšre parvient en 1919 Ă  imposer Ă  ses enfants survivants ou Ă  leurs veuves une augmentation de 1 million du capital de la fonderie Deberny en difficultĂ© financiĂšre. En 1923 naĂźt sous la plume de Me Pascaut, notaire, une Fonderie Deberny et Peignot, issue de la fusion de Deberny (2,6 millions, dont 1 million Peignot) et de G. Peignot et Fils briĂšvement renommĂ©e Peignot & Cie (4,1 millions). La S.A. Deberny et Peignot vivotera un demi-siĂšcle, roulant sur sa gloire passĂ©e, et s'Ă©teindra, exsangue, en butte aux composeuses, aux photocomposeuses et Ă  des gestionnaires hasardeux.

Liste des caractÚres lancés par Georges Peignot

  • DessinĂ©s au calame par EugĂšne Grasset (1898-1901)
  • DessinĂ©s au pinceau par Georges Auriol (1902-1907)
  • DessinĂ©s par Henri Bellery-Desfontaines (1910-1912)
    • Bellery-Desfontaines-large
    • Bellery-Desfontaines-Ă©troit
    • Vignettes et motifs Bellery
  • Anonyme (1910)
    • PolyphĂšme (gras)
    • CyclopĂ©en (maigre)
  • AdaptĂ©s des gravures du XVIIIe siĂšcle par G. Peignot & Fils (1912-1914)
    • Cochin romain
    • Cochin italique
    • Nicolas-Cochin romain, gravĂ©s par le graveur de poinçons Charles Malin
    • Nicolas-Cochin italique, gravĂ©s par Charles Malin
    • Moreau-le-Jeune
    • Fournier-le-Jeune
    • Vignettes et ornements Fournier, P. Roy et A. Marty
  • GravĂ©s par Henri Parmentier, Ă  partir des empreintes sur papier chiffon du caractĂšre Garamond original, avec la collaboration de Georges Peignot ; par G. Peignot & Fils (1912-1914). LancĂ©s en 1926
  • DessinĂ©s par Bernard Naudin (1909-1914). LancĂ©s en 1924
    • Naudin romain
    • Naudin italique
    • Naudin champlevĂ©
    • Fleurons Naudin
  • DessinĂ©s par Guy Arnoux (1914), inspirĂ©s de l’époque rĂ©volutionnaire. Non terminĂ©s. Une Ă©preuve en
    • Guy-Arnoux capitales

Distinctions

Notes et références

  1. En octobre 1855, Gustave Peignot, boursier du Département, est reçu aux Arts et Métiers de Chùlons. Cf. Jane Peignot-Tuleu, Souvenirs de famille, Paris, Deberny, , 77 p., p. 23.
  2. Les blancs typographiques sont des Ă©lĂ©ments de plomb sans relief de taille supĂ©rieure ou Ă©gale Ă  celle des caractĂšres qu’ils accompagnent et qui couvrent tous les espaces non imprimĂ©s de la page (entre les mots, entre les lignes, sur les marges, etc.).
  3. Pierre Leclerc, crĂ©ateur d’un atelier de blancs et de mĂ©canique, meurt en 1856. Sa femme fait appel Ă  son amie ClĂ©mentine qui dirige l’atelier avec le contremaĂźtre Genty. Mme Leclerc meurt en 1860, son fils AmĂ©dĂ©e en 1865. Cf. Jane Tuleu, op. cit., p. 23. Voir Ă©galement le « Portrait original de M. Leclerc » dans le Fonds Peignot, bibliothĂšque Forney, B6/D1.
  4. 47 185,90 F au total, adjugĂ©e le 1er juin 1865, dont payĂ© immĂ©diatement : 15 000 F issu de la dot de Marie, 4 000 F apportĂ©s par ClĂ©mentine et 5 000 F apportĂ©s par Gustave ; le reste (23 185,90 F) prĂȘtĂ© par veuve Routier ; elle s’associe le 6 juin 1865. Cf. Jeanne Peignot-Tuleu, op. cit., , p. 43-44.
  5. Les Peignot. Arbre généalogique Dupont de Vieux Pont. Cf. bibliothÚque Forney, Fonds Peignot, B6/D.
  6. En 1875, le prĂȘt Routier est remboursĂ©, et la Fonderie est rebaptisĂ©e G. Peignot. ClĂ©mentine part Ă  la retraite Ă  Fontainebleau. Gustave, ingĂ©nieur, crĂ©e des machines pour la fabrication des blancs. Cf. Jeanne Peignot-Tuleu, op. cit., , p. 58-59.
  7. Jeanne Peignot-Tuleu, op. cit., , p. 34. Faconnet, graveur, est l'ami des parents de Marie Laporte-Peignot (épouse de Gustave Peignot) et le futur parrain de Georges. Un portrait de Marie Laporte-Peignot, jeune fille, a été réalisé par Auguste Renoir ; il est accroché au musée de Limoges, fief de Renoir.
  8. « Avant le front » ; carte de Hermann Genzsch à Georges Peignot, 1915 (?) et lettre de Charles Peignot à M. Genzsch, 1926 (bibliothÚque Forney, Fonds Peignot, B2/D8).
  9. Les ateliers de Charles Chardon se voient encore au 10, rue de l’Abbaye (cour).
  10. Jean-Luc Froissart, L’Or, l’ñme et les cendres du plomb. L'Ă©popĂ©e des Peignot, 1815-1983, Paris, librairie TekhnĂȘ, , 400 p. (ISBN 2952283605), annexe.
  11. Actes notariĂ©s du 6 novembre 1898 (bibliothĂšque Forney, Fonds Peignot, B6/D). Cf. Ă©galement « Planche XXXI. — Contrat entre Gustave et ses deux aĂźnĂ©s, Robert et Georges » (Jean-Luc Froissart, op. cit., , annexe). Sur injonction de la mĂšre de Georges Peignot, un second contrat inclura le gendre et concurrent, Charles Tuleu, et remplacera l’original (bibliothĂšque Forney, Fonds Peignot, B1/D1, B1/D2).
  12. Jean-Luc Froissart, op. cit., , p. 132-134.
  13. Jean-Luc Froissart, op. cit., , p. 145. Co-auteur du SpĂ©cimen et des nombreuses plaquettes de prĂ©sentation des caractĂšres Peignot, Francis Thibaudeau Ă©crit plusieurs livres sur la typographie pendant les annĂ©es 1920 et invente une classification rĂ©putĂ©e des familles de caractĂšres d’imprimerie.
  14. Aux numéros 66, 68, 70 et 72 du boulevard Edgar-Quinet, les ateliers construits au rez-de-chaussée et dans les cours ont été détruits. Mais les premiers portent encore le monogramme PL (Peignot-Laporte) dans la porte !
  15. PrÚs de 200 documents photocopiés, notamment de la revue syndicale mentionnant Georges, sont consignés à la bibliothÚque Forney, Fonds Peignot, B13. Cf. également .
  16. Jean-Luc Froissart, op. cit., , p. 170.
  17. DĂ©compte construction et plans des bĂątiments, bibliothĂšque Forney, Fonds Peignot, B4/D3. L'opĂ©ration donne lieu Ă  une manƓuvre financiĂšre de Marie Laporte-Peignot, la propre mĂšre de Georges Peignot : elle achĂšte les terrains, fait construire, loue et
 revend Ă  ses enfants (regroupĂ©s dans G. Peignot & Fils) par un accord spĂ©cial de l’assemblĂ©e du 12 mars 1913. BibliothĂšque Forney, Fonds Peignot, B4/D1, B4/D2, B4/D3, B4/D4, B4/D5.
  18. « 6.9.1902. Le paquebot Lorraine emporte pour New York, Chicago, mes deux fils Robert et Lucien
 », Marie Laporte-Peignot, Souvenirs, Paris, (bibliothĂšque Forney, Fonds Peignot).
  19. Conçus dans l'air du temps, les caractÚres Auriol sont pourtant décriés par la famille. Ils apporteront encore une clientÚle alors que le Grasset s'essoufflera. Cf. Jean-Luc Froissart, op. cit., , p. 150-151.
  20. Associer dans ce Specimen la beautĂ© formelle des mises en pages de Thibaudeau et l’utilitĂ© matĂ©rielle d’un catalogue commercial est audacieux, mais jugĂ© de maniĂšre extrĂȘmement Ă©logieuse par la profession : « vĂ©ritable monument d’art typographique », dit-on ici ; « M. Peignot s’est constituĂ© un peu le rĂ©novateur de la typographie », commente-t-on lĂ  ; etc. Cf. Jean-Luc Froissart, op. cit., , p. 156 et revue de presse (bibliothĂšque Forney, Fonds Peignot, B13/D).
  21. Cf. « Planche XXX. Gazette du bon ton », « Planches XXXI et XXXIII. CaractÚres Cochin », « Planche XXXII. La plaquette Cochin ». Jean-Luc Froissart, op. cit., , annexe.
  22. « Les bilboquets sont ordinairement de petits ouvrages de ville, tels que cartes, avis, factures, tĂȘtes de lettres et autres objets de fantaisie. » Manuel pratique et abrĂ©gĂ© de la typographie française, par Brun (M., Marcelin-AimĂ©) .
  23. Pour mieux connaĂźtre les avantages et les dĂ©fauts de ces nouvelles machines, Georges Peignot fit l’acquisition d’un exemplaire pour son entreprise et proposa Ă  sa clientĂšle de la composition Ă  façon. La guerre ne permit pas de tirer des conclusions et, lors de la fusion avec Deberny, on perdit de vue le danger qui allait frapper.
  24. Cf. Lettres de Bernard Naudin Ă  Georges Peignot, au sujet de son caractĂšre, 1 Ɠuvre originale dĂ©dicacĂ©e (bibliothĂšque Forney, Fonds Peignot, B13/D)
  25. « Les Hommes du 43e RIC > 1915 > Septembre 1915 ».
  26. Lucien a recherchĂ© son frĂšre sur le champ de bataille et auprĂšs des tĂ©moins pendant plus d’un mois. Cf. Lettres adressĂ©es de Lucien Peignot Ă  Charles Peignot (bibliothĂšque Forney, Fonds Peignot, B3/D).
  27. Décorations de Georges, volontaire dans le régiment de son frÚre André, tué (bibliothÚque Forney, Fonds Peignot, B1/D).
  28. Louis Barthou, « Lettres Ă  un jeune Français : XXV. La contagion sublime », Les Annales politiques et littĂ©raires, no 1727,‎ , p. 112–113 (lire en ligne).
  29. Ambroise Rendu, Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, Paris, Imprimerie municipale, (lire en ligne), p. 3019-3020
  30. « La Grande Guerre au musĂ©e de la LĂ©gion d’honneur | La grande chancellerie », sur www.legiondhonneur.fr (consultĂ© le )
  31. « RÉCAPITULATIF HISTOIRE DES ARTS 3e : LE RELIQUAIRE DES FRÈRES PEIGNOT », sur college-jeanvilar-villetaneuse.fr,
  32. Stephen Heller, « The Man Behind the Face », Print, no 40,‎ , p. 61.

Bibliographie

  • Centre d'Ă©tudes et de recherches typographiques (CÉRT, ouvrage collectif), De plomb, d’encre et de lumiĂšre : essai sur la typographie & la communication Ă©crite, Paris, Imprimerie nationale, , 343 p.
  • Jacques Couvreur, « L'Ă©popĂ©e de la famille Peignot », Bulletin de la SociĂ©tĂ© historique & archivistique du XVe arrondissement de Paris, no 28.
  • Jean-Luc Froissart, L’Or, l’ñme et les cendres du plomb. L'Ă©popĂ©e des Peignot, 1815-1983, Paris, librairie TekhnĂȘ, , 400 p. (ISBN 2952283605)
  • Alan Marshall, Du plomb Ă  la lumiĂšre. La Lumitype-Photon et la naissance des industries graphiques modernes, Paris, Éditeur MSH, , 432 p.
  • Lydia Michalitsianos, Peignot : The Typeface, UMBC Advanced Type Press, (lire en ligne).

Articles connexes

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