Accueil🇫🇷Chercher

Esprit nouveau

L'« esprit nouveau Â» est une expression employĂ©e en 1894 par Eugène Spuller pour dĂ©signer la politique religieuse conciliatrice alors envisagĂ©e par le gouvernement rĂ©publicain opportuniste français. Elle marque une Ă©tape importante dans la recomposition du paysage politique français Ă  la veille de l'affaire Dreyfus.

Caricature de l'anticlérical Pépin pour Le Grelot du accusant Sadi Carnot, Casimir-Périer et Spuller de renier au profit du pape l'anticléricalisme du programme républicain de Gambetta.

Contexte

Dans la première moitiĂ© des annĂ©es 1880, sous l'inspiration de LĂ©on Gambetta et la direction de Jules Ferry, les rĂ©publicains menèrent une politique de laĂŻcisation qui accentua leur opposition aux partis de la droite monarchiste plus ou moins attachĂ©s au principe de l'alliance du trĂ´ne et de l'autel. Après la chute de Ferry et la poussĂ©e des droites aux Ă©lections lĂ©gislatives de 1885, certains rĂ©publicains modĂ©rĂ©s dit « opportunistes » furent tentĂ©s de chercher l'appui d'une partie des conservateurs. Ainsi, le , Maurice Rouvier forma un gouvernement fondĂ© sur une majoritĂ© « ouverte Ă  ceux qui, acceptant la RĂ©publique, [voulaient] y entrer sans arrière-pensĂ©e ». Le portefeuille des Cultes avait Ă©tĂ© confiĂ© Ă  Eugène Spuller, qui avait saluĂ©, dans La RĂ©publique française, l'expĂ©rience de la « droite rĂ©publicaine Â» tentĂ©e par Edgar Raoul-Duval. Le gouvernement Rouvier tomba cependant en dĂ©cembre. Le boulangisme, en se dĂ©clarant favorable Ă  une « pacification religieuse » pour obtenir l'appui de la droite catholique, en recevant le soutien (surtout financier) des monarchistes et en suscitant contre lui une politique de concentration rĂ©publicaine, ajourna momentanĂ©ment les tentatives d'apaisement.

Ă€ partir de 1893, les opportunistes ne craignaient plus les tentatives monarchistes et envisageaient l'abandon de la politique de concentration rĂ©publicaine qui les associait aux radicaux. Face Ă  la montĂ©e de l'extrĂŞme gauche, ils cherchaient Ă  constituer une nouvelle majoritĂ© de dĂ©fense sociale. Il se tournèrent alors vers le centre-droit rĂ©cemment formĂ© par les « ralliĂ©s Â», ces catholiques ayant suivi l'appel du pape LĂ©on XIII Ă  accepter les institutions de la RĂ©publique pour mieux pouvoir lutter contre les mesures anticlĂ©ricales.

Sans renier la politique de laïcisation menée du temps de Jules Ferry (qui venait de mourir), le président du Conseil et ministre de l'Intérieur et des Cultes Charles Dupuy loua ainsi « les conseils partis de Rome dans une pensée élevée d'apaisement » et proposa de « régler les rapports de la société civile et religieuse dans un large esprit de tolérance » (discours de Toulouse).

La séance du 3 mars 1894 à la Chambre des députés

Après les Ă©lections de l'Ă©tĂ© 1893, qui virent le maintien de la majoritĂ© relative des rĂ©publicains opportunistes (ou « progressistes Â») mais aussi la progression des socialistes, Jean Casimir-Perier forma un gouvernement de tendance « centriste Â» et persista dans la politique d'apaisement Ă  l'Ă©gard des catholiques ralliĂ©s.

Lors de la séance du à la Chambre des députés, le catholique libéral Denys Cochin interrogea le ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, Eugène Spuller, sur un arrêté du maire de Saint-Denis qui interdisait les cérémonies religieuses sur la voie publique ainsi que l'exhibition d'emblèmes religieux aux funérailles.

Après avoir rappelé que le Conseil d’État avait annulé la dernière partie de cet arrêté, Spuller laissa entendre que le gouvernement s'était également opposé au caractère anti-libéral et oppressif de cette mesure. Continuant à expliquer la position du gouvernement, le ministre annonça que celui-ci ferait prévaloir, dans les questions religieuses, un « esprit de tolérance », et que les députés pouvaient compter à la fois « sur la vigilance du gouvernement pour maintenir les droits de l’État, et sur l'esprit nouveau qui l'anime et qui tend à réconcilier tous les citoyens dans la société française ».

Applaudie par une partie des progressistes et des ralliĂ©s, cette dĂ©claration fut immĂ©diatement attaquĂ©e par les radicaux, dont le chef, Henri Brisson, exigea de nouvelles explications, tandis que RenĂ© Goblet dĂ©nonça un « pacte avec l’Église ». Spuller, appuyĂ© par Casimir-PĂ©rier, leur rĂ©pondit en assumant son positionnement « opportuniste Â» et en mettant en avant l'Ă©volution du dĂ©bat politique depuis les dĂ©buts de la Troisième RĂ©publique : la lutte contre l’Église catholique pouvait cesser, celle-ci ayant Ă©voluĂ© vers la dĂ©mocratie et ne servant plus « de lien aux partis de monarchie ».

Malgré les protestations de l'extrême gauche radicale et socialiste, la Chambre vota la confiance au gouvernement par 280 voix (dont un tiers des ralliés) contre 120.

Réactions et conséquences

Cet « esprit nouveau Â» affichĂ© par le gouvernement et acceptĂ© par la majoritĂ© parlementaire fut très mal accueilli par l'extrĂŞme gauche. En effet, les radicaux l'interprĂ©taient comme une abdication face au clĂ©ricalisme et les socialistes y voyaient la volontĂ© de « faire la paix Ă  droite pour faire la guerre Ă  gauche » (Millerand).

Il fut Ă©galement accueilli avec scepticisme et mĂ©pris par l'extrĂŞme droite « rĂ©fractaire Â» au ralliement, dont un orateur, Baudry d'Asson, rappela une loi rĂ©cente sur la comptabilitĂ© des conseils de fabrique pour accuser le gouvernement de poursuivre une politique de persĂ©cution Ă  l'encontre des catholiques.

Enfin, l'« esprit nouveau Â» ainsi que la rupture avec les radicaux suscitèrent des rĂ©ticences au sein mĂŞme du parti opportuniste, dont se dĂ©tacha le groupe de l'Union progressiste dirigĂ© par Gustave Isambert.

Cependant, la majoritĂ© « centriste Â» tint bon : malgrĂ© la chute de son gouvernement le sur une question n'ayant pas de rapport avec sa politique religieuse, Casimir-PĂ©rier fut Ă©lu le mois suivant Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique, et après sa dĂ©mission, en 1895, c'est un autre partisan de l'esprit nouveau, FĂ©lix Faure, qui fut choisi pour lui succĂ©der. Si les Ă©phĂ©mères et fragiles gouvernements Ribot et Bourgeois tournèrent momentanĂ©ment le dos Ă  la politique d'apaisement et s'attirèrent ainsi les foudres de la droite catholique, le durable gouvernement MĂ©line qui leur succĂ©da fut caractĂ©risĂ© par son refus de l'anticlĂ©ricalisme (qualifiĂ© de « tactique des radicaux pour tromper la faim des Ă©lecteurs »), sa rupture avec la gauche et l'ouverture de sa majoritĂ© aux ralliĂ©s.

Cette politique fut condamnĂ©e en 1897 par le radical LĂ©on Bourgeois : « L’Église s'infiltre partout. […] C'est Ă  Rome qu'aux prochaines Ă©lections se dresseront les listes panachĂ©es destinĂ©es Ă  former Ă  la Chambre une majoritĂ© de droite » (discours de Château-Thierry).

C'est finalement l'affaire Dreyfus qui raviva les conflits religieux et entraîna, entre 1898 et 1902, la scission des républicains modérés. Rejetés dans l'opposition par la constitution du Bloc des gauches autour du progressiste Waldeck-Rousseau, les partisans de l'esprit nouveau furent à l'origine du premier parti politique de la droite républicaine, la Fédération républicaine (1903).

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième RĂ©publique, 1870-1940, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire » (no 73), , 445 p. (ISBN 2-02-006777-3, prĂ©sentation en ligne), p. 156-173.
  • AndrĂ© Daniel, L'AnnĂ©e politique 1894, 21e annĂ©e, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1895, p. 56-68 et 72-75.

Articles connexes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.