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Espace nucléaire

En mathĂ©matiques, et plus prĂ©cisĂ©ment en analyse, un espace nuclĂ©aire est un espace vectoriel topologique possĂ©dant certaines propriĂ©tĂ©s analogues Ă  celles des espaces de dimension finie. Leur topologie peut ĂȘtre dĂ©finie par une famille de semi-normes dont la taille des boules unitĂ©s dĂ©croit rapidement. Les espaces vectoriels dont les Ă©lĂ©ments sont « lisses » en un certain sens sont souvent des espaces nuclĂ©aires ; un exemple typique est celui des fonctions rĂ©guliĂšres sur une variĂ©tĂ© compacte. Bien que leur dĂ©finition soit notoirement dĂ©licate Ă  manipuler, cette classe d'espaces est importante en analyse fonctionnelle.

Une grande partie de la théorie des espaces nucléaires fut développée par Alexandre Grothendieck dans le cadre de sa thÚse et présentée au séminaire Nicolas Bourbaki en 1952[1], puis publiée en 1955[2].

DĂ©finitions

Les trois définitions qui suivent sont toutes équivalentes. Certains auteurs utilisent une définition plus restrictive, en demandant que l'espace soit également un espace de Fréchet, c'est-à-dire qu'il soit complet et que sa topologie soit définie par une famille dénombrable de semi-normes.

On rappelle d'abord qu'un espace vectoriel topologique localement convexe V a une topologie dĂ©finie par une famille de semi-normes. Pour toute semi-norme, la boule unitĂ© fermĂ©e est un voisinage de 0 fermĂ©, convexe et symĂ©trique ; rĂ©ciproquement, tout voisinage de 0 ayant ces propriĂ©tĂ©s est la boule unitĂ© d'une certaine semi-norme (pour des espaces vectoriels complexes, la condition « ĂȘtre symĂ©trique » doit ĂȘtre remplacĂ©e par « ĂȘtre Ă©quilibrĂ© »). Si p est une semi-norme sur V, on note Vp l'espace de Banach obtenu en quotientant et complĂ©tant V pour cette semi-norme p. Il existe une application canonique (non nĂ©cessairement injective) de V vers Vp.

Définition 1 : Un espace nucléaire est un espace vectoriel topologique localement convexe tel que pour toute semi-norme continue p, il existe une semi-norme continue q plus grande telle que l'application canonique de Vq vers Vp soit nucléaire (en)[3].

Cela revient essentiellement à dire qu'étant donné la boule unité d'une semi-norme, on peut trouver une autre semi-norme dont la boule unité est contenue dans celle-ci, et est « beaucoup plus petite », ou encore que tout voisinage de 0 contient un voisinage « beaucoup plus petit ». Il n'est pas nécessaire de vérifier cette condition pour toutes les semi-normes, mais seulement pour un ensemble engendrant la topologie, c'est-à-dire pour une prébase pour la topologie.

Cette dĂ©finition utilisant les espaces de Banach peut ĂȘtre rĂ©Ă©crite en termes d'espaces de Hilbert, ce qui la rend plus maniable car sur un tel espace, les opĂ©rateurs nuclĂ©aires ne sont autres que les opĂ©rateurs Ă  trace[4] : on dit que la semi-norme p est une semi-norme hilbertienne si Vp est un espace de Hilbert, ce qui revient Ă  dire que p provient d'une forme bilinĂ©aire symĂ©trique (ou d'une forme hermitienne) positive (mais non nĂ©cessairement dĂ©finie) sur V. Or pour tout espace nuclĂ©aire au sens de la dĂ©finition 1 ci-dessus, les semi-normes qui dĂ©finissent la topologie peuvent ĂȘtre choisies hilbertiennes[5]. On a alors la

Définition 2 : Un espace nucléaire est un espace vectoriel topologique dont la topologie est définie par une famille de semi-normes hilbertiennes, et telle que pour chaque semi-norme p de cette famille, il en existe une q plus grande, pour laquelle l'application canonique de Vq vers Vp est un opérateur à trace.

Grothendieck utilise une définition plus intrinsÚque (et plus proche du langage des catégories) :

DĂ©finition 3 : Un espace nuclĂ©aire est un espace vectoriel topologique localement convexe A tel que, pour tout espace vectoriel topologique localement convexe B, l'application canonique du produit tensoriel topologique (en) projectif de A et de B vers leur produit tensoriel topologique est un isomorphisme, donnant donc lieu au mĂȘme complĂ©tĂ© .

Il suffit en fait que cette condition soit vĂ©rifiĂ©e pour tous les espaces de Banach B, et mĂȘme pour l'unique espace de Banach ℓ1 des sĂ©ries absolument convergentes.

Exemples

  • Un espace vectoriel normĂ© est nuclĂ©aire si et seulement s'il est de dimension finie (si : parce que tous les opĂ©rateurs sur un espace de dimension finie sont nuclĂ©aires ; seulement si : Ă  cause du thĂ©orĂšme de compacitĂ© de Riesz).
  • L'exemple le plus simple d'un espace nuclĂ©aire de dimension infinie est l'espace C des suites Ă  dĂ©croissance rapide (les c=(c0, c1, 
) telles que la suite p(n)cn soit bornĂ©e pour tout polynĂŽme p). Pour tout rĂ©el s, on peut y dĂ©finir une norme ||·||s par : ||c||s = sup |cn|ns. Notant Cs le complĂ©tĂ© de C pour cette norme, il y a une application naturelle de Cs vers Ct si s≄t, et elle est nuclĂ©aire si s>t+1, essentiellement parce que la sĂ©rie ÎŁnt−s est alors absolument convergente. En particulier, pour chaque norme ||·||t, on peut donc trouver une autre norme ||·||t+2 telle que l'application de Ct+2 vers Ct soit nuclĂ©aire, et l'espace C est donc bien nuclĂ©aire.
  • L'espace des fonctions lisses (de classe C∞) sur une variĂ©tĂ© compacte est nuclĂ©aire.
  • L'espace de Schwartz des fonctions lisses sur ℝn dont les dĂ©rivĂ©es de tout ordre sont Ă  dĂ©croissance rapide est un espace nuclĂ©aire.
  • L'espace des fonctions entiĂšres sur le plan complexe est nuclĂ©aire.

Propriétés

En un certain sens, les espaces nucléaires sont trÚs semblables aux espaces de dimension finie, et partagent beaucoup de leurs propriétés. Ainsi :

Des mesures cylindriques (en) sont souvent faciles Ă  construire sur des espaces vectoriels topologiques quelconques, mais elles ne sont pas utilisables en pratique, parce qu'elles ne sont, en gĂ©nĂ©ral, mĂȘme pas dĂ©nombrablement additives. En revanche, toute mesure cylindrique sur le dual d'un espace de FrĂ©chet nuclĂ©aire se prolonge (naturellement) en une mesure de Radon.

Le théorÚme de Bochner-Minlos

On dit qu'une fonctionnelle continue C sur un espace nucléaire A est une fonctionnelle caractéristique si C(0) = 1 et si, pour toutes suites finies de complexes et de vecteurs de A, j = 1, 
 , n, on a

Étant donnĂ© une fonctionnelle caractĂ©ristique sur A, le thĂ©orĂšme de Bochner-Minlos (dĂ» Ă  Salomon Bochner et Robert Adol'fovich Minlos (en)) garantit l'existence et l'unicitĂ© d'une mesure de probabilitĂ© ÎŒ sur l'espace dual A' , telle que

Ceci étend la transformée de Fourier inverse aux espaces nucléaires.

En particulier, si A est l'espace nuclĂ©aire , oĂč les Hk sont des espaces de Hilbert, le thĂ©orĂšme de Bochner-Minlos garantit l'existence d'une mesure de probabilitĂ© ayant pour fonction caractĂ©ristique , c'est-Ă -dire l'existence de la mesure de Gauss sur l'espace dual ; cette mesure s'appelle la mesure de bruit blanc . Si A est l'espace de Schwartz, l'Ă©lĂ©ment alĂ©atoire correspondant est une distribution alĂ©atoire.

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l’article de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Nuclear space » (voir la liste des auteurs).
  1. A. Grothendieck, « Produits tensoriels topologiques et espaces nuclĂ©aires », SĂ©minaire Bourbaki, vol. 2 (1951-1954),‎ , p. 193-200 (lire en ligne).
  2. A. Grothendieck, « Produits tensoriels topologiques et espaces nuclĂ©aires », Mem. Am. Math. Soc., vol. 16,‎ .
  3. Un opĂ©rateur linĂ©aire A : V → W entre deux espaces de Banach est dit nuclĂ©aire s'il peut s'Ă©crire avec (le dual topologique de V) et .
  4. Un opĂ©rateur bornĂ© A : V → W entre deux espaces de Hilbert est dit Ă  trace si , oĂč est une base hilbertienne de V.
  5. (en) Helmut H. Schaefer (de), Topological Vector Spaces, New York, Springer, coll. « GTM » (no 3), , 2e Ă©d. (ISBN 978-0-387-98726-2, lire en ligne), p. 102.
  6. Il s'agit du dual topologique, muni de la topologie de la convergence uniforme sur toute partie bornée de l'espace.

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) I. M. Gel'fand et Naum Vilenkin, Generalized Functions - vol. 4 : Applications of harmonic analysis, (OCLC 310816279)
  • (en) Takeyuki Hida et Si Si, Lectures on White Noise Functionals, World Scientific Publishing, 2008 (ISBN 978-981-256-052-0)
  • (en) T. R. Johansen, « The Bochner-Minlos Theorem for nuclear spaces and an abstract white noise space », 2003, pdf
  • (en) G. L. Litvinov, « Nuclear space », dans Michiel Hazewinkel, EncyclopĂŠdia of Mathematics, Springer, (ISBN 978-1556080104, lire en ligne)
  • (en) Albrecht Pietsch (de), Nuclear locally convex spaces, Berlin, New York, Springer, coll. « Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete (en) » (no 66), (1re Ă©d. 1965), 192 p. (ISBN 978-0-387-05644-9)
  • (en) A. P. Robertson et W. J. Robertson, Topological vector spaces, CUP, coll. « Cambridge Tracts in Mathematics » (no 53), , p. 141
  • (en) François Treves, Topological Vector Spaces, Distributions and Kernels, Dover Publications, , 565 p. (ISBN 978-0-486-45352-1 et 0-486-45352-9, lire en ligne)

Articles connexes

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