Accueil🇫🇷Chercher

Despotisme légal

Le despotisme légal est la doctrine politique des physiocrates, développée en 1767 par Lemercier de La Rivière dans son traité L'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques.

L'Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767), traité majeur du "despotisme légal".

DĂ©finition

Un gouvernement monarchique

Les physiocrates se prononcent de façon unanime en faveur d'un régime politique monarchiste. Conformément à la théorie de Jean Bodin, ils considèrent que le pouvoir ne peut être exercé que par un souverain absolu. Ils s'opposent ainsi aux gouvernements mixtes, républicains ou arbitraires.

Un gouvernement soumis aux lois naturelles

Le rĂ´le du souverain physiocratique est de faire respecter les lois naturelles supĂ©rieures que sont par exemple la libertĂ©, la propriĂ©tĂ© et la sĂ»retĂ©, en les traduisant en normes positives. Le « despote lĂ©gal Â» s'oppose alors au « despote arbitraire » qui se sert de sa supĂ©rioritĂ© pour opprimer en Ă©dictant des lois positives non conformes aux lois de la nature. Dans la mesure oĂą le pouvoir souverain respecte le droit naturel, il doit ĂŞtre exercĂ© par une autoritĂ© unique (un despote au sens propre du mot). La sĂ©paration des pouvoirs conçue par Montesquieu est donc considĂ©rĂ©e comme « funeste Â». Comme l'exprime François Quesnay, le chef de l'Ă©cole physiocratique, dans le Despotisme de la Chine, le despote est le seul Ă  pouvoir ĂŞtre « unique et impartial »[1].

Un gouvernement encadré par les magistrats

Dans la thĂ©orie du despotisme lĂ©gal, l'activitĂ© lĂ©gislative du prince n'est pas libre. Elle est encadrĂ©e dans un cadre lĂ©galiste et jusnaturaliste. ObligĂ© de respecter les lois de l'ordre naturel, le souverain est contrĂ´lĂ© par les magistrats judiciaires. Lemercier de La Rivière, dans L'ordre naturel et essentiel des sociĂ©tĂ©s politiques, propose ainsi un contrĂ´le a priori des « lois Ă  faire Â» et un contrĂ´le a posteriori des « lois faites Â»[2]. Ă€ ce titre, les physiocrates apparaissent comme les prĂ©curseurs du contrĂ´le moderne de constitutionnalitĂ© des lois.

RĂ©ception

Une doctrine majeure du siècle des Lumières

La doctrine du despotisme s'est largement diffusé en France et en Europe grâce au succès de librairie de L'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques de Lemercier de La Rivière mais également grâce aux multiples critiques du livre. Outre son accueil par la République des Lettres, l'ouvrage est lu par de nombreux princes comme le margrave Charles-Frédéric de Bade ou Catherine II de Russie. En Suède, il marque profondément le futur roi Gustave III et constitue une des principales sources d'inspiration de son coup d'état d'.

« Despotisme légal » : une terminologie controversée

L'expression « despotisme légal » a été immédiatement critiquée par les autres philosophes des Lumières. Jean-Jacques Rousseau écrit par exemple au marquis de Mirabeau : « Monsieur, quoi qu'il arrive, ne me parlez plus de votre Despotisme légal. Je ne saurais le goûter ni même l'entendre ; et je ne vois là que deux mots contradictoires, qui réunis ne signifient rien pour moi »[3]. De son côté, Voltaire affirme : « On avait employé dans un grand nombre d’ouvrages des expressions bizarres, comme celles de despotisme légal, pour exprimer le gouvernement d’un souverain absolu qui conformerait toutes ses volontés aux principes démontrés de l’économie politique »[4]. Dans le cadre de l'État limité prôné par les physiocrates le despote légal est supposé n'être que le garant de la propriété privée et de la liberté du commerce, ce qui explique aisément l'aversion d'un Rousseau ou d'un Voltaire à ce despotisme.

Toutefois d'autres philosophes proches des encyclopédistes, notamment Mably et Galiani, ont jugé qu'en pratique, les limites strictes que les physiocrates entendaient fixer au pouvoir politique étaient inconciliables avec son caractère despotique, bien que toutefois celui-ci en reste un, du fait de l'unicité du pouvoir, donc du risque inhérent de l'arbitraire naturel du despote[5]. Le concept est donc bien à lire sous un cadre non-républicain[6]. La chose publique, la res-publica, s'opposant naturellement à ce despotisme légal qui fait de l’État et d'un territoire une propriété privée res-privata. Le mot despotisme est d'ailleurs ici bien choisi, puisqu'il s'agit clairement d'un monarchisme (gouvernement d'un seul) et de surcroît dynastique, soit l'antithèse radicale du républicanisme et de la démocratie.

NĂ©anmoins, puisque ce despote est lui-mĂŞme soumis Ă  la loi naturelle et que son seul rĂ´le lĂ©gitime est de faire respecter les droits naturels des individus, cette notion de « despotisme lĂ©gal Â» est cohĂ©rente avec le concept libĂ©ral d'État de droit ou d'État limitĂ© (Montesquieu) et très Ă©loignĂ© de l'acception courante du mot « despotisme Â».

Bibliographie

  • Anthony Mergey, L'État des physiocrates : autoritĂ© et dĂ©centralisation, Aix-en-Provence, PUAM, 2010, 586 p.
  • Georges Weulersse, Le mouvement physiocratique en France (1756-1770), Paris, FĂ©lix Alcan, 1910, xxxiv, 617, 768 p., 2 vols.

Notes

  1. "Despotisme de la Chine", François Quesnay et la physiocratie, Paris, INED, 1958, p. 919
  2. Anthony Mergey, L'Etat des physiocrates : autorité et décentralisation, Aix-en-Provence, PUAM, , 586 p.
  3. Jean-Jacques Rousseau, Lettre Ă  Mirabeau, juillet 1767.
  4. Voltaire, L'homme aux quarante Ă©cus,
  5. Voir notamment Charbit, Yves, « The Political Failure of an Economic Theory: Physiocracy », dans Population, English Edition, INED, 2002
  6. Edern de Barros, « L’Anthropologie de Condillac et Mably : L’affirmation d’une théorie républicaine de l’État contre le « despotisme légal » des économistes », Droit & Philosophie, no 12 : La théorie de l’État au défi de l’anthropologie,‎ (lire en ligne)
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.