Communisme sexuel
Le communisme sexuel est la collectivisation de la sexualité. Cette pratique se distingue de la polygamie et de la polyandrie qui concernent les rapports d'un individu avec plusieurs partenaires, alors que le communisme sexuel implique une relation collective. Cette expérience est pratiquée par certains groupes prônant l'amour libre et est parfois associée à l'éducation collective des enfants. Le communisme sexuel vise à garantir la solidarité et l'égalité entre les indivividus dans l'accès à la sexualité. Il n'est pas nécessairement synonyme de sexualité de groupe. Alors que la sexualité de groupe est une relation ponctuelle entre un petit nombre de personnes, le communisme sexuel concerne l'organisation de la sexualité à l'échelle de la société ou d'une communauté. En ce sens, lorsqu'il s'agit d'une relation égalitaire, la sexualité de groupe peut parfois être considérée comme une forme de communisme sexuel à l'échelle microscopique[1]. L'élément-clef du communisme sexuel est la rotation des partenaires. Dans une communauté pratiquant le communisme sexuel, chaque individu a des relations sexuelles avec tous les membres de la communauté du sexe opposé.
Socrate est le premier philosophe à avoir théorisé le communisme sexuel au Ve siècle av. J.-C. Dans le livre V de La République de Platon, Socrate expose ainsi sa vision de la société idéale : "Les femmes de nos guerriers seront communes toutes à tous : aucune d'elles n'habitera en particulier avec aucun d'eux; de même les enfants seront communs, et les parents ne connaîtront pas leurs enfants ni ceux-ci leurs parents."[2]. Le communisme sexuel est pratiqué en Corse par les Giovannali, de 1310 à 1364[3].
En 1808, Charles Fourier propose la création d'un service sexuel public[4]. Au XIXe siècle, le militant anarchiste Joseph Déjacque (1821-1865) prône également le communisme sexuel[5]. A la même époque, aux Etats-Unis, la communauté d'Oneida pratique une forme de collectivisation de la sexualité dans l'Etat de New-York, de 1848 à 1881[6]. Fondée par John Humphrey Noyes, la communauté d'Oneida est un groupe chrétien se référant à la théologie perfectionniste. Pour les membres de cette communauté, c'est le retour de Jésus sur Terre qui ordonne aux Chrétiens d'abandonner le mariage traditionnel. Il s'agit de vivre désormais selon les règles du royaume de Dieu, dans lequel le mariage et la famille n'existent pas.
Au XXe siècle, la notion de communisme sexuel est utilisée par Marcel Mauss pour décrire le mode de vie des Inuits en Arctique et au Canada[7]. Marcel Mauss étudie la sexualité des Inuits dans un "Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos" publié en 1905[8]. Il présente le communisme sexuel comme "la forme de communion la plus intime qui soit"[9]. Le communisme sexuel des Inuits consiste en un échange de femmes organisé à différentes périodes de l'année, le plus souvent à l'occasion de grandes fêtes rituelles, notamment lors de la célébration du solstice d'hiver[10]. Marcel Mauss remarque que l'échange de femmes ne concerne pas que les Inuits et est attesté dans les autres groupes eskimos.
En 1934, E. Armand publie un ouvrage intitulé La Révolution sexuelle et la camaraderie amoureuse[11]. Le concept de camaraderie amoureuse développé par E. Armand est une forme de solidarité sexuelle entre anarchistes. Pour Armand, les relations sexuelles ne sont pas nécessairement des rapports de séduction réciproques. Ils peuvent être également des services que l'on rend pour satisfaire les désirs de l'autre. Ces services entre camarades doivent reposer sur le consentement mutuel.
Au XXIe siècle, au Danemark et aux Pays-Bas, les services sexuels aux handicapés sont remboursés par la sécurité sociale[12]. En 2012, en France, Marcela Iacub reprend la proposition de Charles Fourier et appelle à son tour à la création d'un service public sexuel gratuit : "Tout un chacun devrait pouvoir offrir ses services de temps en temps tout en sachant qu’un jour chacun pourrait aussi y faire appel"[13].
Références
- Radu Clit, La Sexualité collective de la révolution bolchévique à nos jours, Editions du Cygne, 2007.
- Platon, La République, Livre V, p. 457.
- Michel Casta, "Les Giovannali, lieu de mémoire de la dissidence en Corse", in Religion et politique dans les sociétés du Midi, CTHS, 2002.
- Tobie Nathan in Olivia Gesbert, "Quelle sexualité la société permet-elle aux handicapés ?", La Grande Table, France Culture, 12 mars 2013.
- Irène Pereira, "Les dialogues de pédagogies radicales : de la différence entre libéral et libertaire", Les Cahiers de pédagogies radicales, 01/08/2020.
- Lawrence Foster, "Free Love and Community: John Humphrey Noyes and the Oneida Perfectionists", in Donald Pitzer, America's Communal Utopias, University of North Carolina Press, 1997, pp. 253–278.
- Bernard Saladin d'Anglure, "La part du chamane ou le communisme sexuel inuit dans l'Arctique central canadien", Journal de la société des américanistes, n°75, 1989, pp. 132-171.
- Marcel Mauss, "Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos, étude de morphologie sociale", L'Année sociologique, tome IX, 1904-1905.
- Ibid., p. 47.
- Ibid., p. 55.
- E. Armand, La Révolution sexuelle et la camaraderie amoureuse, Critique et Raison, 1934.
- Morgane Rubetti, "Handicap: ces pays où l’assistance sexuelle est encadrée, voire remboursée", Le Figaro, 14/02/2020.
- Marcela Iacub, "Pour un service public du sexe", Libération, 28 septembre 2012.