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Joseph DĂ©jacque

Joseph Déjacque (né à Paris le et mort à Gentilly le [1]) est un militant et écrivain anarchiste. Il a créé le néologisme « libertaire », par opposition à libéral, dans son pamphlet De l'Être-Humain mâle et femelle - Lettre à P. J. Proudhon publié en 1857 à La Nouvelle-Orléans.

Joseph DĂ©jacque
Biographie
Naissance
Décès
(Ă  43 ans)
Gentilly
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Association internationale (d)
Ĺ’uvres principales

« Ouvrier-poète » selon un modèle né dans les milieux saints-simoniens de la monarchie de Juillet et authentique prolétaire, Joseph Déjacque a écrit lors d'un long exil en Europe puis aux États-Unis à la suite du coup d’État du 2 décembre 1851 une œuvre abondante et emportée.

À partir de 1858, il a publié ses textes lui-même, dans Le Libertaire, Journal du mouvement social dont 27 numéros paraissent à New York jusqu'en 1861, en dépit des difficultés financières de l'auteur-éditeur. Ouvrier décorateur, colleur de papier peint, Déjacque en est l'unique contributeur, tenant, en des colonnes serrées et une plume farouche, la chronique de l'actualité politique et sociale de son temps : compétitions et luttes des grandes Nations en Europe et triomphe de l'autoritarisme de carnaval, du bonapartiste bourgeois, en France, campagne antiesclavagistes de John Brown, prélude à la guerre de sécession, misères et illusions de la multitude d'immigrant qu'il côtoie en Amérique. Omniprésent, le sort des ouvriers dans les grandes villes industrielles des deux rives, les « esclaves » du capitalisme. Il y publie aussi en feuilleton divers textes théoriques et polémiques et une utopie, « L'Humanisphère : Utopie anarchique » qui est resté son texte le plus lu, le seul à avoir connu plusieurs éditions au XXe siècle. Ignoré dans son pays d'origine malgré le succès du mot qu'il a inventé, Joseph Déjacque suscite un nouvel intérêt depuis que l'ensemble de son œuvre est disponible sur internet.

Biographie

Les années de formation, de l'enfance à l'exil

Né en 1821, Joseph Déjacque grandit orphelin de père, élevé par sa mère, lingère. Il entre en 1834 comme apprenti, il devient, en 1839, commis de vente dans un commerce de papiers-peints. Mais, en 1841, il s'engage dans la Marine, il découvre l'Orient mais aussi l'autoritarisme militaire. De retour à la vie civile en 1843, il exerce comme commis de magasin, mais son indépendance d'esprit s'accommode mal de l'autorité patronale.

En 1847, il commence à s'intéresser aux idées socialistes, compose des poèmes dans lesquels il appelle à la destruction de toute autorité par la violence, et collabore au journal L'Atelier[2], un journal écrit par des ouvriers pour des ouvriers qui prône le socialisme[3].

Inscrit le aux Ateliers nationaux[4], Joseph Déjacque assiste à l'insurrection de juin 1848. Il est membre du Club des Femmes fondé en avec comme présidente Eugénie Niboyet[5], il collabore également au journal impulsé par les militantes de ce club : La Voix des femmes, mené par Jeanne Deroin et Pauline Roland[6]. Arrêté, bien qu'il n' ait pas participé directement à l'insurrection, il est transporté à Cherbourg, ramené à Paris, libéré en mars ou avril 1849, puis emprisonné de nouveau[7].

En aoĂ»t 1851, il publie son premier recueil de poĂ©sies, « Les LazarĂ©ennes, fables et poĂ©sies sociales ». Le gouvernement de Louis-NapolĂ©on Bonaparte fait saisir l'ouvrage[7] et poursuivre auteur et imprimeur pour « excitations Ă  la haine et au mĂ©pris du gouvernement de la RĂ©publique, Ă  la haine et au mĂ©pris des citoyens les uns contre les autres, enfin l'apologie de faits qualifiĂ©s crimes par la loi pĂ©nale ». La destruction du livre est ordonnĂ©e par arrĂŞt de la cour d'assises de la Seine le . Joseph DĂ©jacque est condamnĂ© Ă  deux ans de prison[8] et 2 000 francs d'amende, son imprimeur, J-B Prosper BeaulĂ©, Ă  six mois de prison et 2 000 francs d'amende[9]. Pour Ă©chapper Ă  cette condamnation Joseph DĂ©jacque se rĂ©fugie d'abord Ă  Bruxelles puis Ă  Londres, oĂą il se lie Ă  Gustave Lefrançais avec qui il fonde une sociĂ©tĂ© d'entraide ouvrière La Sociale, avant de rejoindre la petite communautĂ© de proscrits regroupĂ©s Ă  Jersey.

Le , il prononce un discours lors de l'enterrement de Louise Julien, une proscrite du Belleville populaire, morte dans la misère, prenant la parole après Victor Hugo qui avait été désigné par l'assemblée générale des proscrits.

Un Libertaire Ă  New York

Le Libertaire, Journal du mouvement social, New-York, no 25, 17 août 1860.

Installé à New York à partir de 1854, durablement marqué par la défaite de 1848, Joseph Déjacque dénonce violemment dans ses écrits l'injustice de la société dans laquelle il vit et en particulier l'exploitation et les conditions de vies misérables des prolétaires et appelle à la révolution sociale. Ses réflexions sur l'existence individuelle dans le monde industriel et capitaliste l'amène à élaborer aussi une théorie originale de l'universalité et à prôner une politique anarchiste intransigeante qu'il expose notamment dans L’Humanisphère, utopie anarchique, (New-York, 1857) et à travers divers autres textes qu'il publie dans son journal Le Libertaire dont 27 numéros paraissent à New York de à [10].

Anarchiste intransigeant, Joseph Déjacque rejette tout système de représentation ou de délégation politique qui conduirait l'individu à abdiquer sa volonté en laissant un autre s'exprimer à sa place, refus qui, selon ses propres déclarations, a motivé son intervention en réponse à Victor Hugo et qu'il développe dans La question révolutionnaire écrite à Jersey et publiée à son arrivée à New York en 1854. Partisan de la plus complète liberté qu'il nomme « souveraineté individuelle », dans un monde sans exploitation, Joseph Déjacque est connu aussi pour avoir, parmi les premiers, réclamé notamment dans De l'Être-Humain mâle et femelle, en réponse à la misogynie de Proudhon[11], la parité totale pour les femmes.

En 1855, il signe le manifeste inaugural de l'Association internationale fondée à Londres[6]. Cette association réunit des socialistes français, des communistes allemands, des chartistes anglais, ainsi que des socialistes polonais, elle est considérée comme une préfiguration de l'Association internationale des travailleurs [12], elle s'implante aussi aux États-Unis grâce aux réfugiés français: Joseph Déjacque donc, mais aussi Claude Pelletier et Frédéric Tuefferd et d'autres.

Le retour

« Voile au vent ! fils de la pensée,
Marcheurs dont l’âme est le gréement
Voile au vent, et flamme hissée ! !

— L’idéal... c’est le mouvement. »

Le Libertaire, no 27, janvier 1861[13]

Alors que débute la Guerre de Sécession, Déjacque publie un dernier numéro du Libertaire en avec un appel pressant : « La Question Américaine : l'irrépressible conflit » dans lequel il exhorte le peuple américain, qu'il aimerait « moins religieux et plus socialiste », à défendre la liberté et la République contre les « Jésuites, les esclavagistes », « les absolutistes », « contre les ennemis nocturnes, [...] les autoritaires » qui sont à sa porte.

Si, lui, « homme libre du globe, et [se] considérant partout comme dans [sa] patrie » offre encore ses services, on sent de la lassitude dans le rappel de ses avertissements précédents : cet affrontement qu'il a prévu va certes conduire à l'abolition de l'esclavage des noirs que Déjacque, a toujours combattu depuis son arrivée en Amérique, en ayant constaté lui-même les ravages lors de ses séjours à La Nouvelle-Orléans, mais il pressent que les masses américaines empreintes de religiosité et avides de saisir les promesses du nouveau monde ne sont pas prête pour se libérer de l'autre esclavage qu'il dénonce, celui du capitalisme.

En 1861, en cette première année de la guerre de sécession, il va en fait profiter de la loi d'amnistie qui vient d'être promulguée pour rentrer en France. Il ne publie plus rien et les dernières années de son existence sont obscures.

« Il est mort, fou de misère, à Paris en 1864 », note juste Gustave Lefrançais dans ses Souvenirs d’un révolutionnaire.

Citations

  • « Le Libertaire n’a de patrie que la patrie universelle. Il est l’ennemi des bornes : bornes-frontières des nations, propriĂ©tĂ© d’État ; bornes-frontières des champs, des maisons, des ateliers, propriĂ©tĂ© particulière ; bornes-frontières de la famille, propriĂ©tĂ© maritale et paternelle. Pour lui, l’HumanitĂ© est un seul et mĂŞme corps dont tous les membres ont un mĂŞme et Ă©gal droit Ă  leur libre et entier dĂ©veloppement, qu’ils soient les fils d’un continent ou d’un autre, qu’ils appartiennent Ă  l’un ou l’autre sexe, Ă  telle ou telle autre race.
    De religion, il n’en a aucune ; il est protestant contre toutes. Il professe la négation de Dieu et de l’âme ; il est athée et matérialiste, attendu qu’il affirme l’unité universelle et le progrès infini ; et que l’unité ne peut exister, ni individuellement, ni universellement, avec la matière esclave de l’esprit et l’esprit oppresseur de la matière, comme le progrès non plus ne peut être infiniment perfectible s’il est limité par cette autre borne ou barrière où les humanicides ont tracé avec du sang et de la boue le nom de Dieu. »
    , Le Libertaire, no 1, .
  • « Il y a assez longtemps qu’on Ă©pelle l’idĂ©e sociale, il serait temps de la dire couramment ; de la publier sans hĂ©sitation. Tâchons donc, une bonne fois, de nous dĂ©faire de ces rĂ©miniscences thĂ©istes et bourgeoises, d’oublier Ă  jamais ce catĂ©chisme politique et libĂ©ral que force nous a Ă©tĂ© de balbutier dans notre jeunesse, mais que nous devons dĂ©sapprendre et dĂ©savouer Ă  l’âge de raison. Opposons au libĂ©ralisme le libertarisme, au verbe politique l’incarnation sociale. », Lettre aux Mandarins de France, Le Libertaire, no 7, .
  • « Bien des gens, je le sais, parlent de la libertĂ© sans la comprendre, ils n’en ont ni la science ni mĂŞme le sentiment. Ils ne voient jamais dans la dĂ©molition de l’autoritĂ© rĂ©gnante qu’une substitution de nom ou de personne ; ils n’imaginent pas qu’une sociĂ©tĂ© puisse fonctionner sans maĂ®tres ni valets, sans chefs ni soldats ; ils sont pareils, en cela, Ă  ces rĂ©acteurs qui disent : « Il y a toujours eu des riches et des pauvres, il y en aura toujours. Que deviendrait le pauvre sans le riche ? il mourrait de faim ! » Les dĂ©magogues ne disent pas tout Ă  fait cela, mais ils disent : « Il y a toujours eu des gouvernants et des gouvernĂ©s, il y en aura toujours. Que deviendrait le peuple sans gouvernement ? Il croupirait dans l’esclavage » Tous ces antiquaires-lĂ , les rouges et les blancs, sont un peu compères et compagnons ; l’anarchie, le libertarisme, bouleverse leur misĂ©rable entendement, entendement encombrĂ© de prĂ©jugĂ©s ignares, de niaises vanitĂ©s, de crĂ©tinisme. », L'AutoritĂ©, la dictature, Le Libertaire, no 12, .

Ĺ’uvres

A bas les chefs !, Champ libre, réédition de 1979.
  • La proclamation de la RĂ©publique, 1848, texte intĂ©gral.
  • Aux ci-devant dynastiques, aux tartufes du peuple et de la libertĂ©, 1848, texte intĂ©gral.
  • Les LazarĂ©ennes, fables et poĂ©sies sociales, Paris, Chez l'Auteur, 37 rue Descartes, In-8. 47 p., 1851
  • « Discours prononcĂ© le sur la tombe de Louise Julien, proscrite », Almanach des Femmes, Women's Almanach for 1854, Londres-Jersey, 1853-1854, texte intĂ©gral.
  • La question rĂ©volutionnaire, New-York, 1854, texte intĂ©gral.
  • De l'ĂŞtre-humain mâle et femelle. Lettre Ă  P.J. Proudhon, La Nouvelle-OrlĂ©ans, 1857, texte intĂ©gral.
  • Les LazarĂ©ennes, deuxième Ă©dition, Nouvelle-OrlĂ©ans, 1857.
  • BĂ©ranger au pilori, La Nouvelle-OrlĂ©ans, 1857, texte intĂ©gral.
  • L'Humanisphère, utopie anarchique, New-York, 1858 [lire en ligne].
  • Lettre Ă  Pierre VĂ©sinier, 1861, texte intĂ©gral.
  • Le Libertaire, Journal du mouvement social, New-York, Ă  , 27 n° de 4 pages, texte intĂ©gral.
  • Ă€ bas les chefs !, Les Temps Nouveaux, no 61, 1912, [lire en ligne].
  • Ă€ bas les chefs !, textes Ă©tablis et prĂ©sentĂ©s par Valentin Pelosse, coll. Classiques de la Subversion, Paris, Éditions Champ libre, 1971, rĂ©Ă©ditĂ© en 1979.
    Ce volume contient : La question révolutionnaire, L'Humanisphère, À bas les chefs !, La libération des Noirs américains.
  • Ă€ bas les chefs ! Ă©crits libertaires (1847-1863), La Fabrique, 2016.

Audio

Bibliographie

  • Claude Guillon, La parole à… Joseph DĂ©jacque, , texte intĂ©gral.
  • Luc Nemeth, Joseph DĂ©jacque, ou : une radicalitĂ© qui faisait peur, 2019, texte intĂ©gral.
  • Michel Cordillot, La Sociale en AmĂ©rique. Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis, Paris, Ă©d. de l'Atelier, 2002, page 141.
  • Caroline Sordia, Joseph DĂ©jacque, Ă€ bas les chefs ! Écrits libertaires (1847-1863), Lectures, Les comptes rendus, 2016, lire en ligne.
  • (en) Robert Graham, Anarchism : A Documentary History of Libertarian Ideas, From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939), volume I, Black Rose Books, 2005, texte intĂ©gral.
  • Thomas Bouchet (dir.) et Patrick Samzun (dir.), Libertaire ! : essais sur l’écriture, la pensĂ©e et la vie de Joseph DĂ©jacque (1821-1865), Besançon, Presses universitaires de Franche-ComtĂ©, coll. « Cahiers de la Maison des sciences de l'homme Ledoux » (no 38), , 270 p. (ISBN 978-2-84867-669-2, SUDOC 242237665).

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Acte de décès à Gentilly, n° 718, vue 175/211.
  2. L'Éphéméride anarchiste : notice biographique.
  3. François Jarrige (dir.), Marie Lauricella (dir.) et al., « Un Forum pour la classe ouvrière. L'expérience de L'Atelier », Quand les socialistes inventaient l'avenir, La Découverte,‎ , p. 226-238 (lire en ligne)
  4. Valentin Pelosse, Joseph Déjacque, À bas les chefs !, Champ libre, coll. « Classiques de la Subversion », Paris, 1971
  5. Alphonse Lucas, « FEMMES (Club des) », Les clubs et les clubistes : histoire complète, critique et anecdotique des clubs et des comités électoraux fondés à Paris depuis la révolution de 1848,‎
  6. « DÉJACQUE Joseph [Dictionnaire des anarchistes] - Maitron », sur maitron-en-ligne.univ-paris1.fr (consulté le )
  7. Gaetano Manfredonia, La chanson anarchiste en France des origines Ă  1914, Paris, L'Harmattan, 1997
  8. L'Éphéméride anarchiste : notice.
  9. Fernand Drujon, Catalogue des ouvrages écrits et dessins de toute nature poursuivis, supprimés ou condamnés depuis le 21 octobre 1814 jusqu'au 31 juillet 1877, E. Rouveyre, Paris, 1879, p. 218-219
  10. L'Éphéméride anarchiste : Le Libertaire.
  11. Jouve print services), Les mĂŞmes droits : face Ă  la misogynie proudhonienne, Paris, Luc Nemeth, , 61 p. (ISBN 978-2-9537372-2-6, OCLC 946649064, lire en ligne)
  12. Fabrice Bensimon, « L'Internationale des travailleurs », Romantisme,‎ (lire en ligne)
  13. Le Libertaire, no 27, janvier 1861
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