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Chambres et couloirs de la pyramide de Khéops

La distribution des chambres et couloirs de la pyramide de Khéops[1] est, du point de vue architectural, absolument originale et innovante : la voûte en chevrons est utilisée pour la premiÚre fois et à trois reprises, et la construction de la grande galerie établit le record de la plus grande longueur de voûte en encorbellement jamais réalisée.

Description de l'Égypte : la grande galerie de KhĂ©ops, vers 1799.

Trois couloirs, trois chambres

Voici d’abord, en rĂ©sumĂ©, comment se prĂ©sente la distribution interne de la pyramide :

  • depuis l’entrĂ©e (1), un couloir descendant (4) de cent-cinq mĂštres conduit Ă  la chambre souterraine (5) creusĂ©e dans la masse rocheuse ;
  • un couloir ascendant de quarante mĂštres (6), s’embranchant sur le prĂ©cĂ©dent par le plafond (3), aboutit, au bas de la grande galerie, Ă  l’embranchement du couloir horizontal de trente-huit mĂštres (8) qui mĂšne Ă  la chambre de la reine (7) ;
  • la grande galerie (9), longue de quarante-sept mĂštres, conduit Ă  la chambre du roi (10), par l’intermĂ©diaire de la chambre des herses (11) ;

À cela s’ajoute un trĂšs long « puits ou boyau de service » (12) de cinquante-huit mĂštres, trĂšs Ă©troit, qui mĂšne verticalement du bas de la grande galerie au bas du couloir descendant.

Explorations et récits anciens

Il est probable que la pyramide fut visitĂ©e dĂšs l'Ancien Empire, par des pilleurs de tombes qui forcĂšrent tous les accĂšs et s’emparĂšrent de tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur. Ces premiers aventuriers ne nous ont pas laissĂ© de rĂ©cits de leurs explorations.

Ensuite, ni HĂ©rodote (Ve siĂšcle avant notre Ăšre), ni Diodore de Sicile (Ier siĂšcle avant notre Ăšre), qui dĂ©crivent pourtant les monuments de Gizeh, ne donnent de description des amĂ©nagements intĂ©rieurs de la pyramide de KhĂ©ops, lesquels Ă©taient probablement inaccessibles durant toute l’antiquitĂ© grĂ©co-romaine. Le gĂ©ographe Strabon, qui vivait Ă  l’époque d’Auguste, mentionne seulement l’existence d’une porte d’entrĂ©e levante.

Plus prĂšs de nous, le baron d’Anglure, en 1395, voulut tenter l’exploration : il trouva des carriers occupĂ©s Ă  dĂ©chausser les pierres du revĂȘtement. Il s’approcha de l’entrĂ©e, qui avait Ă©tĂ© murĂ©e « pour ce que l’en y avoit coustume de fayre faulces monnoyes » : il se la fit ouvrir, mais renonça finalement Ă  l’exploration des couloirs, car, nous dit-il, « c’est ung lieu molt obscur et mal flairant pour les bestes qui y habitent ».

À partir du XVIe siĂšcle, les rĂ©cits des voyageurs se font plus nombreux : ils notent la poursuite de l’exploitation des pierres du revĂȘtement, et certains poussent dĂ©sormais la visite de la pyramide jusqu’à la chambre supĂ©rieure.

Dessin extrait de la Pyramidographia de John Greaves (1646)

La premiĂšre Ă©tude scientifique substantielle de la grande pyramide et de ses amĂ©nagements intĂ©rieurs est due au professeur anglais John Greaves en 1646, qui mesura les chambres et couloirs et dĂ©crivit tout autant qu’il put, jusqu’à la chambre du roi. Des traductions françaises de cette Pyramidographie parurent en 1663 et 1696.

BenoĂźt de Maillet, Consul de France en Égypte Ă  la fin du XVIIe siĂšcle, nous donne aussi un dessin presque complet de la distribution intĂ©rieure : les deux chambres du roi et de la reine, les couloirs supĂ©rieurs y sont correctement figurĂ©s, ainsi que les amorces supĂ©rieures du couloir descendant et du puits de service. Mais les parties infĂ©rieures de ces deux couloirs Ă©tant obstruĂ©es, il ne put visiter les installations souterraines.

Les descriptions Ă  caractĂšre vĂ©ritablement scientifique, au sens moderne, apparaissent Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle, ouvrant la porte aux recherches des savants de l’ExpĂ©dition d’Égypte[2].

Description de la distribution intérieure

L'entrée de la pyramide

L'entrée d'origine : chevrons, linteaux

L'entrĂ©e de la pyramide prĂ©sente aujourd’hui l’aspect d’une immense brĂšche couverte de chevrons Ă©normes, situĂ©e sur la face nord, le sol Ă  hauteur de la quinziĂšme assise, culminant Ă  hauteur de la trente-deuxiĂšme et dĂ©saxĂ©e de sept mĂštres vers l’est.

La pierre amovible tenant lieu de porte

Le gĂ©ographe grec Strabon, qui visita l’Égypte du temps d'Auguste, mentionne l'existence d’une pierre amovible dans le parement extĂ©rieur. Cette « pierre qui peut s'enlever (Î»ÎŻÎžÎżÎœ ጐΟαÎčρέσÎčÎŒÎżÎœ[3]), et, qui une fois enlevĂ©e, laisse voir l'entrĂ©e d'une galerie tortueuse ou syringe, aboutissant au tombeau »[4], depuis longtemps disparue, est sans doute Ă  rapprocher des vestiges du dispositif – gonds horizontaux, encastrement dans le plafond - visible Ă  l’entrĂ©e nord de la pyramide de Dahchour-sud (« rhomboĂŻdale »). Il n'en subsiste Ă  Gizeh aucune trace, puisque de nombreuses pierres de l'entrĂ©e ont Ă©tĂ© enlevĂ©es, probablement au Moyen Âge, de toute Ă©vidence pour vĂ©rifier si cette structure gigantesque ne recelait aucun autre couloir ou cavitĂ©.

Les chevrons

Les chevrons de l’entrĂ©e, doublĂ©s en hauteur, sont les premiers connus dans l’histoire de l’architecture. Ce sont des monolithes de calcaire qui, selon toute apparence, ne jouent ici qu’un rĂŽle de dĂ©charge, comme ceux de la chambre du roi, et non vraiment de couverture, comme ceux de la chambre de la reine. Ils sont constituĂ©s d’élĂ©ments monolithes pesant chacun une dizaine de tonnes.

Le principe de la couverture en chevrons, ayant sans doute donnĂ© satisfaction dĂšs cette premiĂšre expĂ©rience, sera repris aussitĂŽt (si l’on admet que la construction de la pyramide s'est effectuĂ©e par couches horizontales) dans la chambre de la reine, situĂ©e juste au mĂȘme niveau, puis un peu plus tard dans la chambre du roi, puis dans nombre de pyramides Ă  venir.

Sur le bord supĂ©rieur ouest se trouve une inscription hiĂ©roglyphique presque disparue, datant du XIXe siĂšcle et exĂ©cutĂ©e par l'Ă©gyptologue allemand Karl Richard Lepsius en hommage au roi de Prusse FrĂ©dĂ©ric-Guillaume IV, dĂ©nommĂ© pour l'occasion « Roi de Haute et Basse-Égypte, fils de RĂȘ, douĂ© de vie Ă©ternellement ».

Ensuite, et jusqu'Ă  nos jours, on n’aura plus guĂšre recours Ă  cette technique de couverture titanesque. Hors d'Égypte, on en relĂšve un autre exemple en mer ÉgĂ©e : le monument connu sous le nom d'« antre du Cynthe », situĂ© au pied du mont Kynthos, sur l’üle de DĂ©los, est couvert de lourds chevrons de pierre, probablement Ă  l'imitation des monuments Ă©gyptiens.

Les linteaux

Trois dalles successives dressĂ©es presque Ă  la verticale forment une sĂ©rie de linteaux surplombant l’entrĂ©e. Ils ne mesurent pas moins de 3,70 m de large, 2,70 m de haut et 0,90 m d’épaisseur, ce qui en fait des monolithes de vingt Ă  vingt-cinq tonnes, hissĂ©s au niveau de la quinziĂšme assise. Tels qu’ils sont, ces linteaux paraissent trĂšs surdimensionnĂ©s pour ne protĂ©ger que l’étroit couloir descendant large de 1,05 m et haut de 1,20 m.

On peut s’étonner que les explorateurs de la pyramide s’en soient tenus lĂ  dans leurs investigations concernant l’entrĂ©e : mais c’est un fait, une fois la porte arrachĂ©e, et avec elle les premiers Ă©lĂ©ments des chevrons et les pierres de l’entrĂ©e, jamais personne n’a pu soulever ou percer ces Ă©normes dalles verticales situĂ©es sous les chevrons, au-dessus du couloir.

Pour l’anecdote, leur face la plus visible fut « ornĂ©e » par des membres de l’expĂ©dition d’Égypte d’une pensĂ©e (orthographe d’époque) empruntĂ©e Ă  l’abbĂ© Jacques Delille :

« Leur masse indestructible / a fatigué le tems »

— Delille, Jardins, 1782.

Nous sommes redevables au mĂȘme abbĂ© Delille de mots non moins solennels et dĂ©finitifs inscrits Ă  l’entrĂ©e des catacombes de Paris.

PercĂ©e d’Al-Mamoun

Percée d'Al-Mamoun : cheminement à travers le libage
Jonction de la percée d'Al-Mamoun avec le couloir ascendant

Cette entrĂ©e secondaire est connue de tous les visiteurs actuels, puisque c’est par elle qu’on pĂ©nĂštre normalement de nos jours. Elle est attribuĂ©e au calife Al-Mamoun (dĂ©but du IXe siĂšcle). Cette trouĂ©e est d’un grand intĂ©rĂȘt pour les observateurs, puisqu’elle rĂ©vĂšle, sur plus de trente mĂštres, la structure interne brute de la pyramide : d’abord la maçonnerie noble, puis, en profondeur, un remplissage beaucoup plus grossier.

Depuis l’orifice, situĂ© juste dans l’axe de la pyramide, on traverse ainsi sept couches de maçonnerie de pierres Ă©normes appartenant aux sixiĂšme et septiĂšme assises, du type de toute la maçonnerie soignĂ©e de calcaire nummulitique visible de l’extĂ©rieur de la pyramide. Puis on atteint la zone du libage, oĂč les blocs sont de forme moins dĂ©finie, d’aspect plus ou moins ovoĂŻde ou cyclopĂ©en, avec des interstices pouvant atteindre dix Ă  quinze centimĂštres. Le sol est aplani et le plafond lui-mĂȘme apparaĂźt assez bien horizontal. La course se termine par un virage Ă  gauche pour rejoindre le couloir ascendant. Au total, le tunnel atteint une longueur d’environ trente-cinq mĂštres. La progression, entiĂšrement Ă  l’horizontale, est facile : on se tient debout sans difficultĂ© et la qualitĂ© de l’air est encore trĂšs acceptable.

La percĂ©e d’Al-Mamoun est mentionnĂ©e dans la Description de l'Égypte de l’expĂ©dition de Bonaparte par le dessinateur Dominique Vivant Denon, sans l'appeler ainsi mais « couloir inachevĂ© creusĂ© Ă  l'horizontale par les pillards ». ObstruĂ©e, elle ne dĂ©bouchait plus Ă  l’extĂ©rieur Ă  cette Ă©poque. Son dĂ©bouchĂ© intĂ©rieur sur le couloir ascendant (au niveau des blocs bouchons) a Ă©tĂ© aperçu et Ă©tudiĂ© par Denon et l'Ă©quipe des savants français aprĂšs ĂȘtre passĂ© par la descenderie.

Sape de liaison des couloirs descendant et ascendant

Pour accĂ©der aux appartements supĂ©rieurs, ces savants empruntĂšrent donc forcĂ©ment une trĂšs ancienne sape quasi verticale remontant probablement aux premiers pilleurs de tombes, qui relie, de maniĂšre trĂšs abrupte, le couloir descendant au couloir ascendant, en contournant les trois blocs bouchons. C’était, avant la percĂ©e d’Al-Mamoun, et durant la pĂ©riode de son oubli, le seul accĂšs au couloir ascendant.

Le couloir descendant

Couloir descendant : vue vers l'entrée
Plan de la chambre souterraine (1910)
La chambre souterraine (1910)
La chambre souterraine (1910)

Depuis l’entrĂ©e de la pyramide, le cheminement de 105 m ou 200 coudĂ©es, appelĂ© « la descenderie », n’est pas particuliĂšrement aisĂ©, il faut parcourir un couloir d’une hauteur sous plafond de 1,205 m et de largeur 1,05 m en descente de 26° (soit une pente de 1/2) sur la quasi-totalitĂ© de la longueur. Il se divise en deux sections, « le couloir descendant », maçonnĂ©, long de 62 coudĂ©es (48 coudĂ©es de l'extĂ©rieur jusqu'Ă  la jonction du couloir ascendant de 2 coudĂ©es de largeur, puis 12 coudĂ©es), et la « syringe »[5], longue de 138 coudĂ©es, creusĂ©e dans le roc (8 coudĂ©es creusĂ©es depuis le socle rocheux ou pivot au-dessus du niveau zĂ©ro, puis 130 coudĂ©es depuis le niveau zĂ©ro) descendant vers le couloir nord qui mĂšne au local souterrain.


Cheminement maçonné

À partir de l’entrĂ©e d’origine normalement au niveau du parement de la pyramide, plus loin de la grille de fermeture actuelle, la descente inclinĂ©e d'un angle de 26°26'46" ayant une pente de 50 %, commence par 25,20 m (48 coudĂ©es) de couloir descendant revĂȘtu de toutes parts de calcaire fin blanc de Tourah. Puis, juste aprĂšs l’embranchement de 1,05 m (2 coudĂ©es) du couloir ascendant (jonction par le plafond, Ă  travers lequel on voit la face Nord la plus avancĂ©e du bloc bouchon de granite), l’ouvrage de maçonnerie continue sur 6,3 m (12 coudĂ©es) avant d'entamer la « syringe » creusĂ©e de 4,20 m (8 coudĂ©es) jusqu'au niveau zĂ©ro (pivot naturel du socle rocheux), puis 68,25 m (130 coudĂ©es) pour atteindre le couloir nord Ă  la profondeur de 30,45 m (58 coudĂ©es).

Cheminement dans la masse rocheuse

Il laisse place Ă  un cheminement de mĂȘme section et de mĂȘme pente, encore plus monotone, puisque cette fois percĂ© tout d’un bloc Ă  travers la masse rocheuse du plateau de Gizeh, sur une longueur de 72,45 m (138 coudĂ©es). On peut tout au plus remarquer quelques fissures dans la roche.

AprĂšs 8,925 m (17 coudĂ©es) du couloir nord horizontal du local souterrain, le visiteur, arrivĂ© Ă  destination, peut enfin se redresser.

La chambre souterraine

La chambre souterraine se prĂ©sente d’emblĂ©e comme trĂšs vaste (14 Ă— 8 m) et relativement basse (3,5 m de hauteur), mais inachevĂ©e. Elle prĂ©sente l’aspect d’une carriĂšre Ă  l’état brut, comportant mĂȘme, Ă  partir du sol, des pans entiers non encore abattus. Selon une interprĂ©tation, cette salle reprĂ©senterait l'antichambre souterraine du mastaba ou de la chambre souterraine du roi, finalement non rĂ©alisĂ©e grĂące Ă  la longĂ©vitĂ© du roi. En cas de nĂ©cessitĂ©, si le roi Ă©tait mort prĂ©cocement avant la construction de la chambre de la reine, ce local aurait pu ĂȘtre achevĂ© en une semaine ; la chambre du roi aurait Ă©tĂ© creusĂ©e de l'autre cotĂ© du couloir sud et la pyramide serait tronquĂ©e sous forme d'un Ă©norme mastaba.

Puits vertical

Le major-gĂ©nĂ©ral britannique Howard Vyse, au dĂ©but du XIXe siĂšcle (en 1837), fit creuser dans le sol de la chambre inachevĂ©e un puits profond de 11,60 m juste devant le dĂ©part du couloir sud, peut-ĂȘtre dans l’intention de trouver la mystĂ©rieuse Ăźle souterraine Ă©voquĂ©e par HĂ©rodote (2, 124). Ce puits, dangereux et inutile, a Ă©tĂ© rĂ©cemment partiellement rebouchĂ© en laissant une fosse entourĂ©e de garde-fou. Il reste dans la chambre trois anciens amas ou massifs datant de l'Ă©poque de la construction, contre le mur ouest.

Prolongement horizontal en cul-de-sac

On remarque au fond du local, vers le sud, un couloir horizontal : il s’enfonce dans la roche sur seize mĂštres, puis s’interrompt brusquement car on en a arrĂȘtĂ© le creusement et on a entamĂ© la construction de la pyramide.

Le couloir ascendant

Entrée du couloir ascendant : embranchement par le plafond du couloir descendant montrant la face du bouchon no 1
AccĂšs au couloir ascendant (1910)
Blocs bouchons no 2 et 3
Bloc bouchon no 3 et accĂšs au couloir ascendant
Couloir ascendant : cheminement Ă  travers les assises horizontales

L’accĂšs au couloir ascendant menant aux deux chambres supĂ©rieures peut se faire Ă  partir du couloir descendant (par l’intermĂ©diaire de la sape de liaison dĂ©crite ci-dessus) ou, bien plus commodĂ©ment et de maniĂšre habituelle, par la trouĂ©e d’Al-Mamoun.

Embranchement sur la descenderie

L’embranchement d’origine, par le plafond du couloir descendant, apparaĂźt comme extravagant aux yeux des architectes modernes. Cette jonction, malcommode mais aussi mal rĂ©alisĂ©e, rĂ©vĂšle l’accĂšs aux appartements supĂ©rieurs de maniĂšre irrĂ©mĂ©diable. Le sol et le plafond conservent de profondes traces d’agrandissement du passage, forcĂ©ment avant la fermeture dĂ©finitive par les trois blocs. De plus, rien n’empĂȘche de contourner ces blocs de granite en creusant Ă  travers le calcaire.

Cheminement Ă  travers les assises horizontales

Dans une premiĂšre section, au niveau et au-dessus des blocs granite, le couloir ascendant prĂ©sente, Ă©trangement, des parois non pas soigneusement dressĂ©es, mais au contraire grossiĂšrement creusĂ©es Ă  travers de gros Ă©lĂ©ments horizontaux de calcaire d’assez mauvaise qualitĂ© : la plupart des auteurs admettent donc que la dĂ©cision fut prise d’amĂ©nager ce couloir (et donc tout ce qui est au-dessus), alors qu’au moins trois assises avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© construites au-dessus du plateau.

  • Les « trois blocs granite »

Les trois blocs de granite rouge sont visibles sur une face latĂ©rale : ils sont en bon Ă©tat, presque jointifs. Seul le plus en amont d’entre eux a Ă©tĂ© fortement entamĂ© dans sa partie supĂ©rieure par les pilleurs d'un mĂštre en perdant 0,67 m. Les faces latĂ©rales ouest sont assez bien dĂ©gagĂ©es pour qu’on puisse avoir une vue prĂ©cise de chaque bloc. Les deux derniers blocs sont semblables et ont une longueur de 1,67 m ; largeur de 1,04 m et hauteur de 1,195 m ; le premier bloc trapĂ©zoĂŻdal long de 1,57 m, large de grande base B = 0,97 m petite base b = 0,64 m et hauteur 1,195 m. Ce dernier ne prĂ©sente aucun jeu avec les parois du couloir contre les deux dernier blocs qui ont un jeu de 1 cm en hauteur et en largeur (couloir ascendant large de 1,05 m (2 coudĂ©es) et haut de 2,205 m) et doivent par consĂ©quent peser plus de cinq tonnes chacun (masse volumique = env. 2,6). Le premier et le deuxiĂšme bloc sont sĂ©parĂ©s par un interstice de dix centimĂštres, tandis que le troisiĂšme est parvenu au contact du deuxiĂšme. Il faut bien admettre que les deux dernier blocs ayant tĂȘtes arrondies orientĂ©es vers le nord ont Ă©tĂ© mis en attente dans la grande galerie avant leur descente dĂ©finitive (le premier bloc ayant une tĂȘte arrondie dirigĂ©e au sens inverse vers le sud improbable de glisser dans le couloir ascendant). On ne peut ĂȘtre qu’étonnĂ© devant les risques, la brutalitĂ©, l’incommoditĂ© de ce systĂšme de fermeture si difficile Ă  contrĂŽler, dont le fonctionnement ne pouvait ĂȘtre qu’incertain et le rĂ©sultat alĂ©atoire.

Cheminement appareillé

Les trois assises horizontales franchies, le couloir, toujours en pente de 26°, de 1,05 m de large (deux coudĂ©es) et 1,205 m de haut, prĂ©sente des parements maçonnĂ©s plus lisses, Ă  la disposition complexe, avec de nombreuses pierres trapĂ©zoĂŻdales et surtout trois « blocs ceintures » rĂ©guliĂšrement espacĂ©s, trĂšs remarquables, qui ont retenu depuis longtemps l’attention des commentateurs. Cette section mĂ©rite la plus grande attention.

  • Les trois « blocs ceintures »

L’égyptologue allemand Ludwig Borchardt, en 1922, interprĂ©ta chacun de ces blocs verticaux comme la limite d’une nouvelle tranche de maçonnerie et y vit la preuve de la construction de la pyramide par degrĂ©s. Or, on s’aperçoit que ces « blocs ceintures » de la pyramide de KhĂ©ops sont rigoureusement verticaux, ne prĂ©sentant pas le « fruit » (inclinaison de la paroi) constatĂ© sur toutes les pyramides contemporaines dont les parois des degrĂ©s sont apparents, par exemple celle de MeĂŻdoum (qui, en grande partie Ă©croulĂ©e, montre clairement sa structure) ou bien celle de MykĂ©rinos (dont les degrĂ©s sont visibles Ă  travers la grande brĂšche de la face nord), ou encore les pyramides satellites Ă  degrĂ©s prĂ©sentes sur le plateau de Gizeh.

Gilles Dormion montre qu’il doit plutĂŽt s’agir d’un ensemble de trois herses rebouchĂ©es, en sens alternĂ© (droite, gauche, droite), auquel on aurait finalement renoncĂ©, pour une raison inconnue, au profit du hasardeux systĂšme des blocs bouchons. Chaque « bloc ceinture » est constituĂ© de deux pierres seulement, creusĂ©es en U : cet assemblage singulier ne comporte donc que deux joints horizontaux dans les parois verticales, et aucun au niveau des angles, du sol ou du plafond. Il remarque Ă©galement en avant de chacun des « blocs ceintures » les traces bien caractĂ©risĂ©es d’un trĂšs probable dispositif de maintien des herses en position ouverte, patiemment rebouchĂ© par l’insertion de petites pierres trĂšs prĂ©cisĂ©ment ajustĂ©es.

John Shae Perring, ingénieur, égyptologue, anthropologue de nationalité britannique, a, durant sa collaboration avec Richard William Howard Vyse, étudié et dessiné le circuit de la grande pyramide. Le dispositif de fermeture des herses figure sur ses planches publié en 1837.

Vito Maragioglio, architecte et égyptologue italien, dont ses principales études, en collaboration avec Celeste Rinaldi, portent sur l'architecture des pyramides égyptiennes et plus particuliÚrement les pyramides de la région memphite. Leurs comptes rendus sont encore aujourd'hui les références absolues en matiÚre d'architecture des pyramides. Leurs plans de l'architecture interne de la grande pyramide sont bien détaillés, montrant clairement les herses, leurs positions, leurs mécanismes de fixation et leurs dispositifs de calage.

Les schĂ©mas de Borchardt montrant des tranches internes, inlassablement repris par beaucoup de manuels scolaires et guides touristiques encore en cours, ne semblent donc plus d’actualitĂ©. En l’état des connaissances, ni la structure interne en degrĂ©s de la pyramide de KhĂ©ops, ni encore moins une Ă©ventuelle structure en tranches verticales disposĂ©es comme « la chair d’un oignon » (selon l’expression de Georges Goyon), ne peuvent ĂȘtre dĂ©montrĂ©es.


Le couloir horizontal

Le couloir horizontal, d’une longueur de 38 mĂštres, dĂ©pourvu de systĂšme de fermeture, s’embranche depuis le bas de la grande galerie et mĂšne Ă  la chambre mĂ©diane dite « de la reine ». L’étroitesse du passage, large de deux coudĂ©es (1,05 m), sous un plafond trĂšs bas (1,17 m), et le manque d’air, ne facilitent pas l’observation des parois, pourtant des plus intĂ©ressantes. Comme ses deux prĂ©dĂ©cesseurs, ce couloir prĂ©sente deux sections bien distinctes.

PremiÚre section anormalement appareillée

La premiĂšre moitiĂ© du parcours offre des parois Ă  deux assises dont les Ă©lĂ©ments rĂ©guliers sont symĂ©triques des deux cĂŽtĂ©s du couloir et dont les joints verticaux sont, sans exception, superposĂ©s, ce qui est tout Ă  fait singulier et contraire Ă  la plus Ă©lĂ©mentaire de toutes les rĂšgles de l’art. Ces joints verticaux, de largeur variable (jusqu’à 1 cm), sont bouchĂ©s au plĂątre. Selon plusieurs auteurs, il est possible que des magasins, achevĂ©s ou non, soient situĂ©s derriĂšre ces parois dont aucune, curieusement, ne porte de trace d’effraction. C’est aussi dans ce secteur que fut percĂ© le sondage EDF qui, en 1987, donna du sable.

DeuxiÚme section à maçonnerie normale

Les parois se rĂ©duisent ensuite Ă  une seule assise, sans rĂ©gularitĂ© ni symĂ©trie. Enfin, dans les derniers mĂštres, le haut dallage qui, jusqu’ici, constituait le sol (hauteur : 1 coudĂ©e), s’interrompt brusquement : la hauteur du couloir (1,70 m) devient alors moins Ă©prouvante pour les visiteurs, et les parois passent Ă  deux assises normalement appareillĂ©es (joints verticaux alternĂ©s). Dans cette zone, deux sapes dans le sol, rebouchĂ©es, montrent que des recherches ont Ă©tĂ© entreprises par le passĂ©, sans doute par Vyse et Perring.

La chambre de la reine

Axonométrie (gravure de Franck Monnier)

La « chambre de la reine », qui mesure 5,7 Ă— 5,2 m, se trouve sur l'axe Est-Ouest de la pyramide et frĂŽle Ă  un mĂštre prĂšs l'axe Nord-Sud. Elle est en bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral et semble achevĂ©e. Seul le sol prĂ©sente un aspect tourmentĂ©.

La voûte à chevrons

Le plafond montre une voĂ»te en chevrons, formĂ©e de douze Ă©lĂ©ments monolithes, en excellent Ă©tat. Une sape a Ă©tĂ© pratiquĂ©e par Perring sous l’un de ces Ă©lĂ©ments de chevrons, jusqu’à rencontrer son extrĂ©mitĂ©, au bout de 2,60 m de creusement. On peut imaginer que les chevrons ont Ă©tĂ© au moins doublĂ©s, comme partout ailleurs, mais on n’a aucun moyen de le vĂ©rifier. L'intrados de la voĂ»te fut peut-ĂȘtre peint en bleu[6], prĂ©figurant ainsi les futures chambres voĂ»tĂ©es et dĂ©corĂ©es d'un ciel Ă©toilĂ© de la VIe dynastie (pyramide d'Ounas).

Les conduits de ventilation
Conduit de ventilation de la chambre de la reine (1910)
Deux des reliques de Dixon, de la taille d'un outil : une sphĂšre de stane (granbite ou dolĂ©rite) de sept centimĂštres de diamĂštre et un crochet en mĂ©tal. Le morceau de bois du Liban de douze centimĂštres — conservĂ© intĂšgre plusieurs millĂ©naires — s'est dĂ©sagrĂ©gĂ© en Angleterre.

Les prĂ©tendus « conduits de ventilation » de la chambre de la reine n’ont Ă©tĂ© dĂ©couverts qu’en 1872, par l'ingĂ©nieur britannique Waynman Dixon[7]. Ils n’étaient alors mĂȘme pas ouverts sur la salle : c’est Dixon qui, auscultant les murs, brisa de chaque cĂŽtĂ© la mince cloison d’une dizaine de centimĂštres d’épaisseur laissĂ©e occultĂ©e par les constructeurs. Il trouva quelques objets laissĂ©s lĂ  par les ouvriers de KhĂ©ops : une boule de granite — ou de dolĂ©rite —, un double crochet de cuivre emmanchĂ© et un morceau de bois de cĂšdre, aujourd'hui exposĂ©s au British Museum[8]. Pour la postĂ©ritĂ©, il inscrivit sur la paroi son nom et la date de sa dĂ©couverte.

Les conduits ont été explorés de bout en bout, au cours des années 1990, par des mini-robots télécommandés munis de caméras vidéo, dans des conditions aussi difficiles que spectaculaires, lors de deux campagnes successives largement relayées par les médias.

La premiĂšre exploration, menĂ©e par l’ingĂ©nieur allemand Rudolf Gantenbrink, qui mit au point spĂ©cialement pour l’occasion un robot tĂ©lĂ©commandĂ© Ă  chenillettes, nommĂ© « Projet Upuaut » (prononcer « Ou-pou-a-out »), porta essentiellement sur le conduit sud : aprĂšs un court trajet horizontal, sa pente est constante et le trajet, entiĂšrement rectiligne, se termine par un bouchon de calcaire pourvu d’élĂ©ments de cuivre sans doute identifiables Ă  des poignĂ©es de manutention. Gantenbrink explora aussi le dĂ©but du conduit nord, et put Ă©tablir que celui-ci se trouvait dĂ©viĂ© vers la gauche aprĂšs quelques mĂštres (sans doute pour Ă©viter la grande galerie), avant de retrouver un trajet rectiligne vers le nord.

Une seconde Ă©quipe, dirigĂ©e par Zahi Hawass, explora ce conduit nord, cette fois jusqu’au fond, Ă  l’aide d’un autre robot tĂ©lĂ©commandĂ© muni d’une perceuse et d’un endoscope. On aboutit Ă  un bouchon de calcaire semblable au premier, comportant les mĂȘmes Ă©lĂ©ments mĂ©talliques. On perça donc ce bouchon, et on ne put entrevoir que du libage, aprĂšs un vide de dix-huit centimĂštres (ou quarante centimĂštres, selon d’autres sources).

Les deux conduits de la chambre de la reine sont inclinĂ©s d'un angle de 45° avec une pente de 100 %, de section carrĂ©e trĂšs Ă©troite pour l'aĂ©ration de vingt centimĂštres ; ils s’élĂšvent jusqu’à hauteur de la derniĂšre chambre de dĂ©charge de la chambre du roi.

La niche latérale à encorbellements
Niche de la chambre de la reine avec grille d'accĂšs au local technique et Ă  la sape

À gauche, dans la paroi, cĂŽtĂ© est, de la chambre de la reine, on remarque une haute niche Ă  quatre encorbellements, qui monte les six assises du mur sous les deux assises de la voĂ»te du plafond et comporte dans sa partie infĂ©rieure une cavitĂ© carrĂ©e normalement fermĂ©e par une grille. Gilles Dormion, chargĂ© en 1988, avec son confrĂšre Jean-Yves Verd'hur, de superviser la ventilation de la Grande Pyramide, eut l’occasion de l'Ă©tudier. Cette cavitĂ© possĂšde un Ă©troit conduit construit de 0,84 m de haut, 1,08 m de large, 6,30 m de long aprĂšs la niche de 1,57 m de large, 1,04 m d'Ă©paisseur, prolongĂ© par une sape de 9 m pratiquĂ©e de longue date Ă  travers le libage, de toute Ă©vidence par des chercheurs de trĂ©sor persĂ©vĂ©rants et fortement motivĂ©s.

La pierre d’entrĂ©e, disparue, a Ă©tĂ© dĂ©chaussĂ©e, sans mĂ©nagement et aprĂšs bien des efforts, Ă  l’aide d’outils glissĂ©s Ă  droite et dans la partie haute, laissant des traces de dĂ©gagement trĂšs profondes dans les pierres voisines. Les quelques mĂštres laissĂ©s libres par les bĂątisseurs n’avaient jamais beaucoup retenu l’attention des commentateurs : Gilles Dormion a observĂ©, au niveau du sol, des indices tel un trou de 12 x 11 cm bien axĂ© qui lui laissent supposer qu'il y a un lien avec un systĂšme technique au-dessous de cette Ă©trange installation.

Le sol

Le sol trĂšs tourmentĂ© de la chambre de la reine a fait l’objet d’une analyse tout aussi minutieuse de la part de l’architecte français, qui a relevĂ© sur toute la surface de trĂšs nombreux indices d’une cavitĂ© sous-adjacente probable. Gilles Dormion a dĂ©couvert de nouvelles cavitĂ©s dans la pyramide de MeĂŻdoum, ses dĂ©ductions ne demandent plus qu’à ĂȘtre vĂ©rifiĂ©es par une campagne d’investigations scientifiques officielles. Zahi Hawass a refusĂ© la demande de Gilles Dormion pour la raison qu'il est architecte et non pas archĂ©ologue ou Ă©gyptologue.

La grande galerie

Palier inférieur de la grande galerie avec l'issue du couloir ascendant et l'accÚs au couloir horizontal
Grande galerie

La grande galerie de KhĂ©ops est l’une des plus grandes rĂ©ussites de l’architecture mondiale : malgrĂ© sa petite largeur et sa moyenne hauteur, c’est la plus longue voĂ»te en encorbellement jamais construite avec la difficultĂ© de son inclinaison. Sa conception fut excellente hormis toutes les sĂ©quelles techniques, puisque, malgrĂ© son anciennetĂ©, elle ne donne aucun signe de fatigue. De plus, la qualitĂ© de ses finitions, son poli, ses joints impalpables n’en finissent pas de susciter l’admiration de tous ceux qui ont eu la chance de la visiter. Mais elle demeure grandement intrigante, puisque personne ne sait au juste dans quel but, technique ou religieux, une salle si remarquable a pu ĂȘtre construite. Peut-ĂȘtre a-t-elle jouĂ© un rĂŽle technique comme rampe interne inclinĂ©e durant la construction de la grande pyramide.

La voûte en encorbellement

Le principe de construction de la « voĂ»te en encorbellement » est de rĂ©trĂ©cir vers le haut, Ă  chaque assise construite, la largeur entre les parois : en l’occurrence, sept assises en encorbellement se superposent ici, chacune avançant d’une palme.

Ce n’est pas la premiĂšre fois que les architectes Ă©gyptiens construisent une grande salle en encorbellement : ils ont derriĂšre eux les expĂ©riences — d’ailleurs pas forcĂ©ment trĂšs concluantes — des pyramides de MeĂŻdoum et de Dahchour. À MeĂŻdoum et Ă  Dahchour-Nord (la pyramide rouge), les encorbellements ne concernent que les parois latĂ©rales. À Dahchour-Sud (pyramide rhomboĂŻdale), ils s’appliquent aussi aux murs des extrĂ©mitĂ©s (photos dans Lauer, op. cit.). C’est cette derniĂšre disposition qui, ayant apportĂ© plus de satisfaction technique ou simplement esthĂ©tique, est reprise ici, mais sur une toute autre Ă©chelle, sur une longueur inusitĂ©e et, de plus, en pente, trĂšs sensiblement dans le prolongement du couloir ascendant.

Mesures de la grande galerie :

  • Longueur : 47,85 m
  • Hauteur : 8,505 m (mesure verticale)
  • Nombre d’encorbellements : 7
  • Nombre d’assises : 10
  • Largeur au sol : 4 coudĂ©es = 2,10 m
    • couloir central : 1,06 m
    • banquettes : 0,52 m
  • Largeur au plafond : 1,05 m (2 coudĂ©es)
  • Pente : env. 26°16'10" (1 : 2)
Le plafond

Le plafond, contrairement Ă  celui des chambres de Dahchour-nord et sud, oĂč les encorbellements se prolongent vers le haut jusqu’à se toucher, est ici constituĂ© de dalles d’une largeur de deux coudĂ©es (1,05 m) s’appuyant individuellement sur des encoches en dents de scie, hautes d’une palme, sans doute pour Ă©viter tout glissement. Cette technique, reposant sur le principe de la voĂ»te en encorbellement mais sur plan inclinĂ©, est ici hĂ©ritĂ©e de la pyramide sud Ă  Dahchour oĂč elle fut appliquĂ©e sur les deux couloirs descendants. On ne dispose d’aucune possibilitĂ© d’observation au-dessus de ces dalles, mĂȘme par les sapes des extrĂ©mitĂ©s de la galerie.

Les parois d’extrĂ©mitĂ©s

Les parois des extrĂ©mitĂ©s sont elles aussi en encorbellements, ce qui contribue sans doute Ă  la stabilitĂ© de l’ensemble, mais bien plus encore Ă  son esthĂ©tique. La paroi de l’extrĂ©mitĂ© supĂ©rieure suit avec une parfaite rĂ©gularitĂ© les encorbellements latĂ©raux. Gilles Dormion relĂšve qu’il en est tout autrement pour la paroi de l’extrĂ©mitĂ© infĂ©rieure, qui comporte des irrĂ©gularitĂ©s et des rattrapages rĂ©vĂ©lateurs d’un changement de projet.

Le sol

Le couloir central de 1,06 m de large est flanquĂ© de deux banquettes de cinquante-deux centimĂštres chacune, et d'une coudĂ©e de hauteur (1 coudĂ©e = 52,50 cm).

À l’entrĂ©e de la galerie, il faut escalader ces banquettes pour progresser, car la partie centrale est Ă©vidĂ©e en palier pour laisser le passage au couloir horizontal. Un plancher mobile, soutenu par des poutres, a dĂ» jadis recouvrir cet Ă©videment central.

Le sol du couloir central de la grande galerie ne comporte pas de marches, mais des encoches qui y ont été ménagées durant la construction, destinées à faciliter la progression, comme on peut le constater sur les photos anciennes. Ce sol est depuis longtemps protégé par un plancher, sur toute sa longueur.

Les banquettes suivent la mĂȘme pente que le couloir central ; elles sont jalonnĂ©es de mortaises, de stries et cavitĂ©s latĂ©rales qui ne manquent pas d’attirer l’attention.

Les mortaises et les rainures de la grande galerie
Palier de la grande galerie ; mortaises sur les banquettes (1910)

De trĂšs intrigantes cavitĂ©s, de forme parallĂ©lĂ©pipĂšde rectangle inclinĂ©, sont visibles tout au long de la galerie : ce sont vingt-huit paires de mortaises creusĂ©es dans les banquettes, amĂ©nagĂ©es conjointement Ă  vingt-cinq paires de cavitĂ©s murales: niches rebouchĂ©es par un bloc taillĂ© avec soin, scellĂ© au plĂątre. Ce bouchon manque parfois, laissant voir la forme biseautĂ©e de la cavitĂ© d’origine. On remarque aussi des rainures rectangulaires peu profondes : stries, creusĂ©es dans les bouchons et dĂ©bordant largement sur les parois, inclinĂ©es selon la pente de la galerie, exĂ©cutĂ©es assez grossiĂšrement, mais avec grande rĂ©gularitĂ©. Tout cela montre bien deux utilisations successives, Ă  caractĂšre technique.

De plus, Ă  mi-hauteur de la galerie et sur toute la longueur de celle-ci, juste au-dessus de quinze centimĂštres du dĂ©but du troisiĂšme encorbellement, deux rainures longitudinales, de faible profondeur et d'environ quinze centimĂštres de hauteur, se font face sur les parois. Leur exĂ©cution grossiĂšre, visiblement effectuĂ©e en toute hĂąte, s’affirme plus encore vers le haut de la galerie, oĂč elles ont Ă©tĂ© creusĂ©es sans aucun soin ni mĂ©nagement. La plupart des auteurs y voient le vestige d’un plancher Ă  mi-hauteur de la galerie. Ils mettent cette plate-forme en relation avec les mortaises des banquettes et les cavitĂ©s murales.

À quoi la grande galerie a-t-elle pu servir ?

On peut lire un peu partout que la grande galerie a servi Ă  entreposer les blocs bouchons avant la fermeture de la pyramide. Georges Goyon imagine mĂȘme un mĂ©canisme de poutres engagĂ©es dans les mortaises pour retenir ces bouchons. Mais Ă©tait-il besoin d’une galerie de cinquante mĂštres, si haute et magnifique pour, en fin de compte, stocker seulement les trois blocs de granite encore visibles au bas du couloir ascendant ?

On peut aussi supposer l’accomplissement de quelque rite funĂ©raire solennel ou Ă©sotĂ©rique que, par dĂ©finition, nous ne pouvons connaĂźtre. Jean-Philippe Lauer Ă©voque[2], pour mĂ©moire, comment certains astrologues (Charles Piazzi Smyth en tĂȘte) ont voulu voir dans les mesures de la pyramide les prĂ©dictions d’évĂ©nements historiques majeurs. Une autre famille d’hypothĂšses, tenant compte de la pente des couloirs, voudrait voir dans la pyramide un observatoire pointĂ© sur telle ou telle Ă©toile, de prĂ©fĂ©rence sur la polaire de l’époque, ou sur Sirius. Mais il est autrement simple de considĂ©rer que la pente de 26° (de tous les couloirs), correspond en fait Ă  50 % (on monte de un lorsqu’on avance de deux).

Escaladons maintenant le « grand degrĂ© », sorte de palier de 0,90 m de haut, qui ferme le couloir central de la grande galerie et donne accĂšs au couloir des herses.

La chambre des herses

AccÚs au local des herses ; au premier plan, le grand degré

AprĂšs les funĂ©railles, l’accĂšs Ă  la chambre du roi a Ă©tĂ© fermĂ© par un systĂšme de triple herse : systĂšme de bouchage tirĂ© des connaissances des Ă©gyptiens en irrigation (inutile de reboucher aprĂšs un bouchon), dont les traces et le mĂ©canisme sont encore bien visibles. L'interprĂ©tation de ce local des herses, essentiellement constituĂ© de granite, reste encore inconnue et difficile. Son entrĂ©e prĂ©sente une Ă©norme entaille en V inversĂ©, environ trois mĂštres de long, comme l'entaille en V sur le bord du palier supĂ©rieur donnant sur le couloir central de la grande galerie. Ces entailles s'ajoutent aux multiples traces techniques laissĂ©es par les bĂątisseurs : encoches, mortaises, banquettes, niches, stries, cavitĂ©s, rainures, marches, mini-banquettes, trous, Ă©largissement, etc.

Les deux herses soudées superposées

Les visiteurs doivent d’abord passer sous une dalle verticale massive, assez peu rassurante, composĂ©e de deux herses de granite superposĂ©s, soudĂ©es l'une Ă  l'autre, fixĂ©es aux deux murs latĂ©raux des herses et suspendues dans leur rainure, qu’on pourrait prendre pour une unique herse, si ce n’était que ce dispositif ne peut glisser vers le bas : il n’a pas Ă©tĂ© conçu pour ĂȘtre mobile, mais plutĂŽt pour avoir un rĂŽle technique encore inconnu. Les deux herses fixes laissent un espace entre l'entrĂ©e de l'antichambre et le dispositif des trois herses mobiles. Chaque herse pĂšse 2,5 tonnes, d'Ă©paisseur 52,50 cm (1 coudĂ©e), et glissant dans des rainures espacĂ©es de nervures de deux palmes (15 cm) d’épaisseur.

Les rainures et les deux murs latéraux des herses

Les herses, Ă  l’exception de deux fragments quasi certains, localisĂ©s par les anciens Ă©gyptologues ont disparu. Mais les rainures et quelques nervures de manƓuvre nous sont heureusement parvenues. Nous savons donc que ce sont trois herses de granite successives de 2,5 tonnes chacune, glissĂ©es dans la rainure, sĂ©parĂ©es de quinze centimĂštres (l'Ă©paisseur des nervures), qui ont Ă©tĂ© dĂ©foncĂ©es par les pilleurs. Les rainures Ă©taient taillĂ©es dans deux murs latĂ©raux en granite : murs des herses, n’atteignant pas le plafond de l'antichambre.

La chambre du roi

Chambre du roi

L’entrĂ©e est basse : il faut Ă  nouveau se pencher pour accĂ©der Ă  cette ultime chambre sĂ©pulcrale. Le parement est entiĂšrement fait de grands blocs de granite, du sol au plafond. Il s’agit, de l’avis gĂ©nĂ©ral, de granite rouge de SyĂšne qui peut apparaĂźtre au visiteur trĂšs sombre, sinon noir. La salle est vaste et haute de plafond.

Jean-Philippe Lauer rappelle les dimensions de la chambre : dix par vingt coudĂ©es (une coudĂ©e = 0,525 m). La hauteur ne donne pas un nombre juste de coudĂ©es (11,142 coudĂ©es, mais Lauer a Ă©tabli que celle-ci avait Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©e par la mesure des petits cĂŽtĂ©s, dont la diagonale est Ă©gale Ă  quinze coudĂ©es (relation 2 × 3 × 4 entre ces mesures).

Les plans des deux architectes italiens rĂ©fĂ©rences de tous les Ă©gyptologues Vito Maragioglio et Celeste Rinaldi donnent la hauteur mesure facile Ă  effectuer du sol au plafond dans la chambre du roi de 5,84 m.

Les parois sont bien polies, mais on voit d’emblĂ©e que, contrairement aux autres chambres et couloirs, l’ensemble a grandement souffert : de multiples fissures, que l’on pourrait aussi bien qualifier de dislocation gĂ©nĂ©rale (Georges Goyon), peuvent ĂȘtre constatĂ©es un peu partout sur les parois, mais plus encore sur les poutres du plafond.

Le sarcophage

Le sarcophage occupe le fond de la chambre : il est en assez mauvais Ă©tat et a Ă©tĂ© visiblement trĂšs malmenĂ© au cours des Ăąges. C’est une grande cuve parallĂ©lĂ©pipĂ©dique d'une masse de trois tonnes (Ă  l'origine d'un bloc de six tonnes qu'on a taillĂ©), rĂ©alisĂ©e d’une seule piĂšce (monolithe), dans un granite d’apparence plus claire que celui des murs. Les commentateurs ont depuis longtemps dĂ©crit une rainure trapĂ©zoĂŻdale sur trois cĂŽtĂ©s, destinĂ©e Ă  maintenir un couvercle glissant horizontalement, aujourd’hui disparu. De petits cylindriques verticaux ont probablement reçu des goupilles pour verrouiller le couvercle de maniĂšre dĂ©finitive par simple gravitĂ©.

Le sarcophage de KhĂ©phren prĂ©sente les mĂȘmes dispositions mĂ©caniques : couvercle Ă  rainures trapĂ©zoĂŻdales, logements cylindriques des clavettes[2] - [9].

Le sarcophage de Khéops a visiblement été forcé de la maniÚre la plus violente. Il a aussi été déplacé, sans doute pour examiner le sol au-dessous ; à droite, on remarque un bloc de granite et des sapes faites par Vyse en 1837.

Le sol
Chambre du roi : conduit de ventilation, entrée (1910)

Le sol est fait de grandes dalles de mĂȘme matiĂšre que tout le reste de la salle, disposĂ©es en six bandes parallĂšles transversales. Il a Ă©galement subi des sapes par Vyse.

Les parois

Les murs sont composés de cinq assises de granite en trÚs grand appareil trÚs soigné. Le mur sud a souffert plus encore que les trois autres.

Les conduits de ventilation

Des « conduits de ventilation », similaires Ă  ceux dĂ©jĂ  vus dans la chambre de la reine, prennent naissance l’un en face de l’autre, au-dessus de la premiĂšre assise et non loin de l’entrĂ©e de la chambre. Leurs dĂ©bouchĂ©s extĂ©rieurs sur les faces nord et sud furent dĂ©couverts par Richard William Howard Vyse, J.R. Hill (remplaçant Giovanni Battista Caviglia) et John Shae Perring en 1837. Ils furent immĂ©diatement dĂ©gagĂ©s, ce qui rĂ©tablit une certaine ventilation dans la pyramide[2]. Le conduit sud, aprĂšs un bref trajet horizontal, monte tout droit jusqu’à l’air libre, tandis que le conduit nord a une forme plus tourmentĂ©e : au sortir de la chambre, il est rapidement dĂ©viĂ© vers la gauche, tout comme son homologue de la chambre de la reine, de façon Ă  Ă©viter les abords de la chambre des herses et de la grande galerie.

Aucune camĂ©ra vidĂ©o, semble-t-il, ne les a encore visitĂ©s. Mais il est certain que rien n’obstrue ces conduits dans leur longue course : Georges Goyon raconte qu’il y introduisit jadis des oranges depuis l’extĂ©rieur ; elles parvinrent Ă  bon port dans la chambre du roi, sans rencontrer d’obstacle.

De puissants ventilateurs Ă©lectriques sont aujourd’hui installĂ©s sur ces conduits.

Le plafond
Axonométrie (gravure de Franck Monnier)

Le plafond est constituĂ© de neuf Ă©normes poutres monolithes de granite, jointives et parfaitement polies. Le volume de chacune d’elles est connu avec exactitude, puisque leur face supĂ©rieure, laissĂ©e Ă  l’état brut, peut ĂȘtre retrouvĂ©e dans la premiĂšre chambre de dĂ©charge.

Toutes ces poutres sont lĂ©zardĂ©es, cisaillĂ©es mĂȘme, ne tenant que par la pression latĂ©rale, et les fissures ont Ă©tĂ© masquĂ©es Ă  l’enduit, sans doute dĂšs l’accident, ce qui semble un mode de rĂ©paration bien illusoire. Les commentateurs pensent que les graves dĂ©rangements de la chambre se sont produits dĂšs qu’elle fut surchargĂ©e des assises supĂ©rieures de la pyramide. Ils font aussi remarquer au plafond des traces rectangulaires sombres, Ă  espaces rĂ©guliers : Dormion pense qu’il s’agit des traces laissĂ©es par de puissants Ă©tais destinĂ©s Ă  Ă©viter l’écroulement de la salle. Un tel dispositif d’étayage avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mis en place en de semblables circonstances Ă  l’intĂ©rieur d’une des grandes chambres de Dahchour-sud (pyramide rhomboĂŻdale).

Les chambres de décharge et la voûte à chevrons

Il existe une sape (accessible par une Ă©chelle) partant du haut de la grande galerie et donnant accĂšs Ă  la premiĂšre chambre de dĂ©charge. Elle a Ă©tĂ© percĂ©e horizontalement, avec soin et sans tĂątonnements, par le chemin le plus direct, certainement par les bĂątisseurs eux-mĂȘmes, Ă  la suite d’un accident.

Une autre sape, celle-ci verticale, prolongeant la premiÚre, conduit aux quatre chambres de décharge supérieures. Elle est imputable au colonel Vyse qui la fit percer en 1837[2].

Chacune des cinq chambres superposĂ©es a un sol et un plafond constituĂ©s de poutres de granite. Ces poutres sont bien Ă©quarries Ă  la base (faces visibles au plafond de la chambre du roi et des chambres de dĂ©charge), tandis que leurs parties supĂ©rieures (sol des chambres de dĂ©charge) ont Ă©tĂ© laissĂ©es brutes d’extraction. Ces cinq chambres portent toutes un nom : successivement du bas vers le haut, la chambre de Davison, la chambre de Wellington, la chambre de Nelson, la chambre de Lady Arbuthnot et la chambre de Campbell. La premiĂšre chambre porte le nom de son dĂ©couvreur, les quatre suivantes portent les noms des amis de leur dĂ©couvreur : Richard William Howard Vyse. Les chambres sont extrĂȘmement basses, mais il est vrai qu’elles n’ont pas Ă©tĂ© conçues pour qu’on puisse y sĂ©journer. Leur rĂŽle de dĂ©charge a souvent Ă©tĂ© discutĂ©, et l’ensemble de cette structure unique est qualifiĂ© d’extravagant par beaucoup d’architectes contemporains.

La derniĂšre chambre de dĂ©charge est couverte d’énormes chevrons, Ă  comparer Ă  ceux de l’entrĂ©e et de la chambre de la reine ; on peut supposer que ce dispositif gigantesque se trouve ici doublĂ©, ou mĂȘme triplĂ©, comme il l’est ailleurs. Vyse et Perring y ont relevĂ© une sĂ©rie d'inscriptions hiĂ©roglyphiques Ă  la peinture rouge (la seule de toute la pyramide), mentionnant le nom « Khoufou »).

Toutes les poutres des chambres de dĂ©charge prĂ©sentent le mĂȘme type de brisures profondes, dues Ă  un phĂ©nomĂšne de torsion, ou consĂ©quence d'une sĂ©rie d'explosion Ă  la poudre noire durant trois mois et demi exĂ©cutĂ©e par Vyse en 1837 depuis le nord la chambre de Davison vers le haut ; les chevrons de la derniĂšre chambre de Campbell de dĂ©charge sont eux-mĂȘmes nettement Ă©cartĂ©s (environ cinq centimĂštres). Gilles Dormion attribue l’accident Ă  la surcharge, ayant entraĂźnĂ© un glissement soudain de toute la partie sud.

Des calculs faciles Ă  Ă©tablir (masse volumique = 2,7) montrent que ces grosses pierres, poutres et Ă©lĂ©ments de chevrons (en tout, sans doute une centaine de monolithes Ă©levĂ©s Ă  une hauteur de 70 m) pĂšsent environ quarante tonnes pour la plupart, et jusqu’à prĂšs de soixante-dix tonnes pour les Ă©lĂ©ments les plus volumineux[2]. Ce sont les pierres les plus lourdes que l’on connaisse dans tout le monument.

Le boyau ou puits de service

AccÚs supérieur au boyau
AccÚs supérieur au boyau
Intérieur de la grotte (1910)
Plan de la grotte, par J. et M. Edgar (1910)

En partant du haut, le puits ou boyau de service relie, de maniĂšre trĂšs verticale et aprĂšs six changements de pente (quatre souterrains creusĂ©s : trois avant la grotte et un Ă  travers elle, deux dans la maçonnerie sous forme de sape), le bas de la grande galerie Ă  la partie infĂ©rieure du couloir descendant, prĂšs du couloir nord de la chambre souterraine. Son dĂ©gagement fut commencĂ© par Coutelle et Le PĂšre en 1801, et achevĂ© par Caviglia en 1817[10]. D’une longueur de cinquante-huit mĂštres, le boyau de service livre un Ă©troit passage de section carrĂ©e ne dĂ©passant pas 65 Ă— 68 cm de cĂŽtĂ©[11]. L’exploration ne peut se faire qu’à l’aide d’une corde : Lauer rapporte le souvenir cuisant d’un voyageur allemand qui, en 1588, fut conduit par erreur dans l’ascension de ce goulet vertigineux par un guide casse-cou ou inexpĂ©rimentĂ© : enfin parvenu Ă  la grande galerie, le malheureux, Ă©puisĂ©, terrorisĂ©, ne voulut plus rien visiter[12] !

La section percée dans la maçonnerie

De l’extrĂ©mitĂ© supĂ©rieure, le puits de service prend naissance dans une ouverture rectangulaire soigneusement creusĂ©e Ă  la verticale, qui donne Ă  un conduit rectangulaire horizontal au bas de la grande galerie, dans la banquette ouest prĂšs du mur. Le boyau descend verticalement Ă  travers la maçonnerie, puis oblique un peu vers le sud pour rejoindre la grotte.

La grotte

Ce que l’on nomme ainsi est une cavitĂ© de plusieurs mĂštres, de forme quelconque non gĂ©omĂ©trique en voyant les coupes longitudinale et transversale de son croquis semble naturelle, situĂ©e Ă  sept mĂštres juste sous la septiĂšme assise de la pyramide (la partie maçonnĂ©e sur le socle rocheux nivelĂ© pivot central), dans la masse rocheuse qui apparaĂźt au plafond. Elle est traversĂ©e verticalement par le puits de service, qui passe par une sorte de cheminĂ©e constituĂ©e d’une maçonnerie de petites pierres, trĂšs probablement amenĂ©es par l’un des orifices du puits et jointes au plĂątre[13]. Un bloc de granite notĂ© dans son croquis y a Ă©tĂ© posĂ© pour un Ă©ventuel bouchage.

La section inférieure creusée dans la masse rocheuse

Pour Georges Goyon, l’ouvrier n’a pu percer le puits, vu l’exiguĂŻtĂ©, autrement qu’au-dessus de sa tĂȘte, les dĂ©blais s’évacuant alors d’eux-mĂȘmes. Il note aussi l’aspect de « grignotage » des parois et les encoches mĂ©nagĂ©es pour les pieds.

Gilles Dormion pense au contraire que, sur toute cette longue section, le puits a Ă©tĂ© creusĂ© vers le bas. Il note la qualitĂ© gĂ©nĂ©rale du travail et constate la prĂ©sence d’encoches de trĂšs faible profondeur, opposĂ©es en diagonale dans les encoignures, destinĂ©es Ă  faciliter la progression, mais insuffisantes pour maintenir trĂšs longtemps un ouvrier au travail, non encordĂ©, creusant au-dessus de sa tĂȘte et donc suspendu au-dessus du vide.

Quoi qu’il en soit, il faut imaginer la difficultĂ© extrĂȘme de ce travail harassant effectuĂ© avec prĂ©cision, presque Ă  la verticale, par un unique ouvrier, coincĂ© dans une interminable cheminĂ©e carrĂ©e de soixante-huit centimĂštres de cĂŽtĂ©, maniant entre ses pieds (ou au-dessus de sa tĂȘte) des outils de cuivre et de dolĂ©rite, Ă  la lueur fuligineuse d’une lampe Ă  huile ou Ă  graisse, sans aucune circulation d’air et par une tempĂ©rature insupportable.

Tout travail dans le puits est des plus Ă©prouvants, comme en tĂ©moigne le dĂ©gagement du conduit vers le bas, entrepris par Caviglia en 1817, qui dut ĂȘtre abandonnĂ© Ă  cause du manque d’aĂ©ration. Celui-ci ne fut menĂ© Ă  bien que par la redĂ©couverte, la mĂȘme annĂ©e, toujours par Caviglia, du dĂ©bouchĂ© infĂ©rieur, par lequel fut enfin rĂ©tablie une circulation d’air[2].

Le puits de service rejoint le couloir descendant par une ouverture de cÎté, nettement plus logique que la jonction par le plafond des deux couloirs descendant et ascendant.

Le problĂšme du puits de service

La finalité et la chronologie du puits de service posent toute une série de questions.

Georges Goyon estime que le puits de service a été creusé par des voleurs, peu aprÚs les funérailles.

Beaucoup de commentateurs pensent, tout au contraire, que le puits a servi d’échappatoire aux ouvriers qui avaient libĂ©rĂ© les bouchons emmagasinĂ©s dans la grande galerie en vue d’occulter l’accĂšs aux chambres supĂ©rieures, et s’étaient donc trouvĂ©s enfermĂ©s dans le sĂ©pulcre.

Gilles Dormion, observant l’aspect de ce puits, est d’avis qu’il est l’Ɠuvre de carriers professionnels : peut-on imaginer que des voleurs aient pris soin de donner Ă  leur trouĂ©e un aspect aussi lisse et parfaitement rectiligne ? Le soin apportĂ© au creusement de l’orifice supĂ©rieur, dĂ©coupĂ© dans la banquette de la grande galerie, va dans le mĂȘme sens : en cet endroit, ce sont bien des tailleurs de pierre de mĂ©tier, non des pilleurs de tombes, qui ont percĂ© cet accĂšs rectangulaire, par le haut et avec tout le soin requis.

Selon Gilles Dormion, le percement du puits a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© en deux phases et pour deux utilisations bien distinctes : d’abord la partie infĂ©rieure creusĂ©e dans le roc, pour l’évacuation des dĂ©blais des appartements souterrains ; puis, bien plus tard, la jonction avec la grande galerie, pour l’évacuation des ouvriers.

Hypothùses sur la localisation d’autres salles et couloirs

Si l’on veut pousser plus loin la rĂ©flexion, il n’est pas absurde d’envisager l’existence de cavitĂ©s inconnues par des dĂ©ductions logiques pouvant, un jour, dĂ©boucher sur des dĂ©couvertes.

Couloir horizontal reliant l’entrĂ©e de la pyramide au palier de la grande galerie

On peut remarquer qu’un couloir horizontal direct entre l’entrĂ©e de la pyramide et le couloir horizontal actuel aurait pu grandement faciliter l’accĂšs aux chambres supĂ©rieures, ainsi que les cĂ©rĂ©monies des funĂ©railles ; les immenses dalles verticales sous les chevrons de l’entrĂ©e, la paroi infĂ©rieure anormale de la grande galerie constituent des Ă©lĂ©ments intrigants, allant dans ce sens.

Salle ou local technique au-dessus de la chambre des herses

Gilles Dormion envisage la possibilitĂ© d’installations techniques, prĂ©vues et finalement abandonnĂ©es, au-dessus de la chambre des herses. AntĂ©rieurement, il avait dĂ©jĂ  Ă©mis l’hypothĂšse d’une chambre situĂ©e dans cette rĂ©gion de la pyramide.

Couloir ou systÚme de décharge au-dessus de la grande galerie

Un vide ou un systÚme de décharge au-dessus du plafond de la grande galerie expliquerait son excellent état jusque dans ses parties hautes.

Salle au-dessous de la chambre de la reine

Il s’agit d’une hypothĂšse de Gilles Dormion, traitĂ©e trĂšs en dĂ©tail dans son livre citĂ© en rĂ©fĂ©rence.

PiÚces à cÎté de la grande galerie

Il s'agit de l'hypothÚse développée par les archéologues Francine Darmon et Jacques Bardot. L'accÚs se ferait à partir du couloir horizontal menant à la chambre de la Reine[14].

Salles accolées à la chambre du roi

Il s'agit de l'hypothÚse soutenue par Jean-Pierre Houdin, architecte français. Se basant sur les études architecturales de Khéops et en les comparant aux autres pyramides, il en déduit la présence de deux antichambres. Un premier couloir permettrait de rejoindre l'entrée de la pyramide et un second la chambre du roi[14].

Sur le nivellement du plateau rocheux

On a constatĂ©, au moins depuis l’expĂ©dition d’Égypte, que la hauteur de la limite entre les Ă©lĂ©ments creusĂ©s dans la roche et la construction maçonnĂ©e est variable en chacun des points oĂč l’on y a accĂšs : si la plate-forme extĂ©rieure sert de niveau de rĂ©fĂ©rence, la limite entre la roche et la maçonnerie dans le couloir descendant est Ă  +5,50 m, tandis que la mĂȘme limite dans le puits de service (plafond de la « grotte ») est Ă  +7,00 m environ. (d’aprĂšs les plans de Gilles Dormion[13])

On voit donc que le plateau n’a pas Ă©tĂ© entiĂšrement aplani avant la construction du monument, mais que des Ă©lĂ©ments du socle rocheux ont Ă©tĂ© conservĂ©s dans la mesure du possible, Ă©conomisant d’autant la masse de matĂ©riaux des premiĂšres assises.

Chronologie de la construction des salles et couloirs

Plan d’ensemble ou plan Ă©volutif ?

Deux thĂšses s’affrontent Ă  propos du plan prĂ©Ă©tabli ou non de la distribution des appartements de KhĂ©ops.

Certains spĂ©cialistes, comme Zahi Hawass et l’égyptologue allemand Rainer Stadelmann, se fondent sur le principe qu'une architecture aussi grandiose ne peut ĂȘtre le fruit de manipulations architecturales hasardeuses et pensent que l’ensemble des trois salles avec tous leurs accĂšs a Ă©tĂ© prĂ©vu dĂšs l’origine de maniĂšre globale.

D'autres auteurs, comme Ludwig Borchardt, Jean-Philippe Lauer, Georges Goyon, Gilles Dormion, sont d’avis que les bĂątisseurs ont changĂ© plusieurs fois de plan, essayant d’amĂ©liorer chaque fois leur nouvelle rĂ©alisation par rapport Ă  la prĂ©cĂ©dente : on doit alors comprendre les pyramides comme l’Ɠuvre d’hommes ayant un goĂ»t trĂšs affirmĂ© pour la recherche et l’expĂ©rimentation architecturales.

Essai de reconstitution de la chronologie

1re phase = couloir descendant et chambre souterraine
  • amĂ©nagement et nivellement du plateau rocheux
  • dĂ©termination de l’orientation de la base et du couloir descendant
  • creusement du couloir descendant et de la partie creusĂ©e du puits de service[13]
  • creusement de la chambre infĂ©rieure et de son couloir de prolongement
  • construction des premiĂšres assises de la pyramide et de la partie maçonnĂ©e du couloir descendant
2e phase = couloir ascendant
  • creusement du bas du couloir ascendant Ă  travers trois assises dĂ©jĂ  construites
  • construction de la partie supĂ©rieure de ce couloir ascendant en mĂȘme temps que la construction des nouvelles assises
  • amĂ©nagement des trois herses (« blocs ceintures ») du couloir ascendant[13]
  • achĂšvement de la partie maçonnĂ©e du couloir descendant
3e phase = couloir horizontal et chambre de la reine
  • construction simultanĂ©e de la premiĂšre tranche du couloir horizontal, des magasins (supposĂ©s) attenant Ă  celui-ci, de la seconde tranche du couloir et de la chambre de la reine
  • achĂšvement de l’entrĂ©e de la pyramide et de ses chevrons de dĂ©charge
  • mise en attente de la porte mobile
  • construction des conduits de ventilation de la chambre de la reine Ă  mesure de l’élĂ©vation des assises
4e phase = grande galerie et chambre du roi
  • rebouchage des magasins (supposĂ©s) du couloir horizontal
  • construction de la grande galerie
  • construction simultanĂ©e de la chambre des herses, de la chambre du roi et de ses conduits de ventilation
  • rebouchage des herses (« blocs ceintures ») du couloir ascendant[13]
  • mise en attente des trois bouchons de granite
  • construction des chambres de dĂ©charge et mise en place des chevrons
  • abandon des conduits de ventilation de la chambre de la reine
  • creusement de la partie supĂ©rieure du puits de service Ă  travers la maçonnerie
  • achĂšvement de la pyramide
5e phase = l’accident et ses effets immĂ©diats
  • l’accident survient : dislocation soudaine de la chambre du roi par surcharge et glissement
  • Ă©valuation des dĂ©gĂąts : creusement de la sape d’accĂšs Ă  la premiĂšre chambre de dĂ©charge
  • travaux de prĂ©servation : bouchage des fissures, mise en place des Ă©tais dans la chambre du roi et dans la grande galerie[13]
  • recherche de la meilleure solution pour la sĂ©pulture dĂ©finitive
6e phase = les funérailles
  • funĂ©railles : le roi est enseveli en un endroit amĂ©nagĂ© Ă  cet effet
  • descente des herses et des bouchons
  • Ă©vacuation des ouvriers par le puits de service
  • comblement au moins partiel du couloir descendant
  • fermeture de la pyramide

Opérations menées aprÚs les funérailles

DĂšs l’AntiquitĂ©

L'idée que la pyramide ait été violée avant le Moyen Empire semble admise. Mais le déroulement des opérations menées par les spoliateurs, bien que trÚs probable, reste purement conjectural[15] - [16] - [17].

  • violation de la porte mobile
  • dĂ©blaiement du couloir descendant
  • exploration par le puits de service
  • percement de la sape de contournement des bouchons
  • dĂ©chaussement de la pierre de fermeture de la salle des herses
  • dĂ©foncement des herses
  • exploration et sape de la niche de la chambre de la reine
  • rĂ©cupĂ©ration de tout le mobilier et des Ă©tais
Au Moyen Âge
Au XVIIIe siĂšcle
  • redĂ©couverte de la sape menant Ă  la premiĂšre chambre de dĂ©charge (Davison, 1765)
Au XIXe siĂšcle
  • dĂ©gagement des couloirs et du puits (Caviglia, 1817)
  • creusement de sapes dans toutes les chambres (par Vyse et Perring, principalement)
  • creusement de la sape conduisant aux quatre chambres de dĂ©charge supĂ©rieures (Vyse, 1837)
  • ouverture des conduits de ventilation de la chambre de la reine (Dixon, 1872)

Notes et références

  1. KhĂ©ops ou ChĂ©ops ? La forme « KhĂ©ops » est apparue sous l'influence de la transcription du nom Ă©gyptien du roi, « Khoufou » ; mais le mot « ChĂ©ops », couramment utilisĂ© dans de nombreuses langues modernes, est directement hĂ©ritĂ© des auteurs grecs (HĂ©rodote en tĂȘte) : il suit donc les rĂšgles d'orthographe des mots transcrits du grec ancien (voir Romanisation du grec).
  2. Lauer
  3. Strabon, XVII, 33, l. 35-36, BNF Gallica
  4. Traduction d'Amédée Tardieu, sur mediterranees.net
  5. définition sur Universalis ; définition du TLFi
  6. André Pochan, L'énigme de la grande pyramide, Robert Laffont, , 334 p. (ISBN 978-2-86391-183-9 et 286391183X, présentation en ligne, lire en ligne), p. 46
    Avec son toit en dos d'ùne qui semble avoir été coloré en bleu... [aucune source n'est donnée]
  7. (en) Sur les découvertes de Waynman Dixon, article dans Discussions in Egyptology, Oxford, Volume 50, 2001.
  8. photo : (en) The Dixon Relics
  9. dessin d’Hölscher
  10. Jean-Philippe Lauer, Le MystĂšre des pyramides, p. 52.
  11. Goyon
  12. Jean-Philippe Lauer, Le MystĂšre des pyramides, p. 30.
  13. Dormion
  14. Émile Rausher, KhĂ©ops : les nouvelles hypothĂšses, mensuel Science et Vie no 1125, juin 2011, p. 85.
  15. Lauer, p. 25, citant lui-mĂȘme Strabon, Petrie et Reisner.
  16. Pochan, p. 52, citant Petrie, qui situe l'événement vers les VIIe-Xe dynasties
  17. Dormion, p. 52, donne la date de -2150 comme probabilité.

Bibliographie

  • Strabon (trad. Pascal Charvet), Le Voyage en Égypte, vol. XVII, 1, Paris, Nil Ă©ditions, (lire en ligne), p. 33-34
    Nombreuses notes et illustrations, avec des annexes sur les civilisations antiques ;
  • Jean-Philippe Lauer, Le MystĂšre des pyramides, Presses de la CitĂ©,
    Le grand égyptologue français fait le tour des études et théories sur les pyramides, sans omettre de proposer les siennes. Préface de Jean Leclant et bibliographie trÚs complÚte ;
  • Georges Goyon, Le Secret des bĂątisseurs des grandes pyramides : KhĂ©ops, Pygmalion, 1977 et 1990
    PrĂ©face de Christiane Desroches Noblecourt ; livre classique qui pose beaucoup de questions et tente, autant que possible, d’y apporter des rĂ©ponses ;
  • Gilles Dormion, La Chambre de ChĂ©ops, Fayard,
    L’architecte français fait part de ses observations minutieuses et de ses dĂ©ductions concernant la construction et l’utilisation des couloirs et salles connus, ainsi que de la probabilitĂ© d’autres cavitĂ©s dont l’existence ne demande qu’à ĂȘtre confirmĂ©e par une campagne officielle. 30 pages de plans dĂ©taillĂ©s, de qualitĂ© professionnelle. PrĂ©face trĂšs nourrie de Nicolas Grimal;
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