Accueil🇫🇷Chercher

Censure sous le régime de Vichy

La censure sous le régime de Vichy en France, du fait tant des autorités d’occupation que du régime de Vichy, était organisée de façon très sévère, touchant tous les domaines de la production culturelle et réprimant les infractions aux délits de presse ou d’opinion.

La presse

Avant l’invasion de mai 1940, un contrôle préventif des imprimés était déjà mis en place depuis le . Le "Commissariat général à l'information" créé avant la déclaration de guerre et dirigé par des civils, Jean Giraudoux, Ludovic-Oscar Frossard et Jean Prouvost va évoluer et sa direction opérationnelle sera confiée aux militaires du Deuxième bureau. En , il fut créé un ministère de l'information à la tête duquel il place Ludovic-Oscar Frossard puis Jean Giraudoux.

Après l'armistice du , les Allemands adoptent une ordonnance qui installe la censure, très sévère (du 18 décembre 1942). La confection et la distribution de tracts sont punies des travaux forcés, de l’emprisonnement ou de mort.

En zone sud, le rĂ©gime de Vichy interdit toute publication et diffusion de tracts clandestins par la loi du 3 septembre 1940. La presse autorisĂ©e Ă  l’interdiction d'employer la formule « le gouvernement de Vichy Â» car il n'y a selon lui qu'un seul gouvernement, « le gouvernement français Â». Les quotidiens parisiens repliĂ©s en zone sud sont touchĂ©s par les pĂ©nuries de papier, qui entraĂ®nent une baisse de la pagination et de la diffusion[1]. La presse est globalement rationnĂ©e : de 315 millions de tonnes de matières premières consommĂ©es en 1938, on passe Ă  138 millions en 1940, pour tomber Ă  65 millions, soit cinq fois moins, en 1943[2]. Les subventions des autoritĂ©s allemandes ou de Vichy Ă©quilibrent les comptes d'exploitation en Ă©change d'un encadrement très ferme de la presse.

En zone nord, sous contrĂ´le allemand, l'ordonnance du 18 octobre 1940 impose aux personnes souhaitant fonder un journal de fournir des preuves de leur "aryanitĂ©" depuis au moins trois gĂ©nĂ©rations[3]. Puis c'est l'ordonnance du 10 janvier 1943, qui dispose qu'est « dĂ©fendue toute publication qui nuit au prestige du Reich allemand, qui est prĂ©judiciable Ă  l'ordre et au calme dans les territoires occupĂ©s ou qui met en danger les troupes d'occupation[4] Â». Les autoritĂ©s françaises collaborent dès la rencontre de Montoire : l’arrĂŞtĂ© du PrĂ©fet de Police du 24 octobre 1940 Ă©dicte que la dĂ©couverte de tracts clandestins sur le territoire d'une commune du dĂ©partement de la Seine entraĂ®nera l'internement administratif de communistes notoirement connus.

La censure oblige de nombreux journaux à choisir ouvertement la collaboration, et à écrire ainsi une page noire de l'Histoire de la presse écrite. Le contrôle passe par la censure quotidienne, les fermetures de journaux et la répartition du peu de papier disponible au travers du Comité d'organisation des industries, arts et commerces du livre (COIACL). 39 publications parisiennes se replient en Zone Sud en 1940, notamment : L'Action Française, Le Petit Journal, Le Temps, Le Figaro, La Croix, Gringoire. Après novembre 1942, un certain nombre de journaux se sabordent : le Temps, Le Figaro, Le Progrès. Ceux qui persistent à publier après l’invasion de la zone sud seront considérés comme compromis et interdits à la Libération.

Le Journal clandestin de Pierre Limagne[5], journaliste Ă  La Croix, qui relève scrupuleusement les consignes de la censure, met en Ă©vidence que celles-ci se partagent Ă  peu près Ă©galement entre interdiction et obligations[6]. Censure et propagande s’entremĂŞlent : les informations obligatoires « prĂ©fabriquĂ©es », en moyenne quatre ou cinq par jour, sont extrĂŞmement dĂ©taillĂ©es : le nombre de colonnes ou demi-colonnes, la place du titre et la dimension de ses caractères sont imposĂ©s. Dès le dĂ©but du rĂ©gime, la note du 22 novembre 1940 oblige Ă  publier quotidiennement un article Ă  la louange de la collaboration. En sens inverse, les interdictions sont « aussi diverses que souvent saugrenues ». Elles s’appliquent Ă  toutes les publications mĂŞme non gĂ©nĂ©ralistes, comme les « semaines religieuses » distribuĂ©es par les Ă©vĂŞchĂ©s, qui peuvent encore au dĂ©but de l’occupation prĂ©senter le nazisme comme anti-chrĂ©tien, mais doivent ensuite rapidement Ă©voquer ces sujets Ă  demi-mot[7] - [8].

Avec l’évolution sur le front, le décalage des nouvelles imposées avec la réalité devient de plus en plus flagrant. Le 15 août 1944, jour où la police se mettra en grève (4 jours avant l’insurrection parisienne, 9 jours avant l’entrée de la division blindée du général Leclerc), Paris-Midi publie ainsi les informations de « 10h30 : Il apparaîtra bientôt que les Anglo-américains qui ont fait annoncer par leur service de propagande qu’ils étaient au seuil de la victoire sur le front de l’Ouest ce sont lourdement trompés »[9].

La masse et la variété de la presse clandestine sont une originalité de la Résistance française. Les journaux ont tiré à près de 100 millions d'exemplaires pendant les 4 années d'occupation (1200 titres environ), sans compter les centaines de millions de tracts, les brochures, les affichettes, les papillons[10]. Ainsi, Combat tirera certains numéros jusqu’à 300 000 exemplaires.

Les journalistes et diffuseurs des journaux clandestins arrivant à être publiés et distribués sous le manteau risquaient leur vie. Sur 1200 travailleurs du livre résistants, 400 ont été tués — abattus, décapités, déportés, fusillés. Ainsi Boris Vildé, André Burgard ont été pourchassés dès le début de l’occupation, arrêtés puis exécutés.

L'Ă©dition de livres

Après la dĂ©faite et avec l’arrivĂ©e de l’occupant dans la capitale, deux maisons d’édition sont immĂ©diatement fermĂ©es Ă  cause de leurs publications expressĂ©ment anti-nazies de la pĂ©riode d’avant-guerre : les Éditions DenoĂ«l et les Éditions Sorlot. Un bureau de la censure est crĂ©Ă© sous la direction de la PropagandaAbteilung, qui devait notamment s’occuper de l’édition, le « Gruppe Schrifttum ». Il Ă©tablit une liste de 143 textes non dĂ©sirables et un peu plus de 20 000 livres sont confisquĂ©s dans un raid des soldats allemands contre les librairies de Paris le [11].

Un nouveau raid, de plus grande ampleur, est lancĂ© le : 70 Ă©diteurs sont visitĂ©s, 713 382 livres saisis, 11 maisons d’édition fermĂ©es[12]. Certains Ă©diteurs, menĂ©s par Bernard Grasset, se dĂ©clarent prĂŞts Ă  nĂ©gocier afin de permettre une reprise au minimum de l’activitĂ© Ă©ditoriale. Une convention d’auto-censure est signĂ©e par le prĂ©sident du syndicat des Ă©diteurs et du Cercle de la Librairie, RenĂ© Philippon: ils sont libres de publier, Ă  condition de censurer eux-mĂŞmes tout ce qui est susceptible de nuire aux intĂ©rĂŞts allemands. Jusqu’en , elle a permis de poursuivre l'Ă©dition d'une partie des livres, les autoritĂ©s allemandes en profitant pour dĂ©clarer que c’était les Ă©diteurs eux-mĂŞmes qui avaient « assaini » leur littĂ©rature.

Les Allemands crĂ©ent parallèlement un « comitĂ© d'organisation des industries, des arts et du commerce du livre Â», le [13]. Certaines maisons d'Ă©dition, comme Larousse, parviennent Ă  rĂ©sister aux difficultĂ©s et mĂŞme Ă  Ă©tendre leur importance Entre 1942 et 1945, l'entreprise opte pour une stratĂ©gie de rachat d'autres sociĂ©tĂ©s en France et met en place un vĂ©ritable rĂ©seau[14].

Gaston Gallimard est fustigé par la presse collaborationniste car sa maison d’édition a le plus de titres dans la liste de 1060 livres interdits par l'ambassadeur allemand à Paris, Otto Abetz[12]. La presse accuse Gallimard et la Nouvelle Revue française (NRF), dirigée par Jean Paulhan, d’avoir contribué à la « décadence » et à l’« enjuivement » de la littérature française. Calmann-Lévy et Ferenczi sont « aryanisées » et rebaptisées « Éditions Balzac » et « Éditions du Livre moderne », tandis que les Éditions Denoël deviennent les « Nouvelles Éditions françaises ». L’activité clandestine est très réduite, à l'exception des Éditions de Minuit aux tirages et aux paginations très restreints : leur plus fort tirage a été "Lune noire", de John Steinbeck. Le , une « Commission d’épuration de l’édition » est créée, animée par Jean-Paul Sartre, Pierre Seghers et Vercors[15].

La radio

Deux radios sont autorisées : Radio Paris et la Radiodiffusion nationale (Radio Vichy). L'article 14 de la convention d'armistice prévoit la cessation immédiate de toutes les émissions et impose une règlementation spéciale à la reprise en zone non occupée.

Les cinq postes émetteurs de Radio Paris sont mis à la disposition de l'occupant par Vichy, bien que leur personnel soit français et rémunéré par le gouvernement[13]. Ce sont les émetteurs les plus puissants et la radio se fait entendre aussi au nord de la zone non occupée[16] - [10]. Les autorités militaires interdisent immédiatement l'écoute des stations étrangères de radio ainsi que la diffusion délibérée des nouvelles des stations étrangères[17].

Radio Vichy, organe officiel de l’État français, dispose de moyens techniques inférieurs. En octobre 1940, un accord avec les Allemands lui permet de diffuser deux communiqués par jour sur Radio Paris.

Les deux stations sont avant tout des moyens de propagande diffusant les mêmes thèmes que la presse écrite, mais diffuse celle-ci soit directement soit plus subtilement dans certaines émissions « grand public ». Elles tentent d'attirer à elles les plus grands noms de la culture française, à l'avantage de Radio-Paris. Mais après 1941, la radicalisation politique et idéologique le dispute au souci de l'audience.

A Vichy, la censure et la propagande se mêlent intimement, en s'appuyant sur les articles de la presse écrite qui reçoit elle-même des consignes d'informations obligatoires. La propagande fut orientée selon quatre axes majeurs : 1. l'exaltation de la personne hors du commun du Maréchal ; 2. la présentation du grand projet de la Révolution Nationale ; 3. l'accent mis sur les résultats bénéfiques de la collaboration d'État ; 4. la défense de la légitimité du régime, menacé par le bolchevisme et ses hommes de paille, au premier rang desquels de Gaulle[18].

A partir du printemps 42, Radio-Vichy s'aligne de façon croissante sur Radio-Paris et après 1943, la propagande prend, à Paris comme à Vichy, un ton extrêmement violent. Jean Hérold-Paquis, dans une émission intitulée « Avertissement sans frais » sur Radio Paris signalait aux auditeurs et, par conséquent, aux Allemands, l'activité de certains patriotes. Philippe Henriot, secrétaire d'État à l'Information à Vichy, y parle chaque jour avec une grande éloquence et se lance dans une guerre des ondes avec Pierre Dac de la BBC.

Il n'y a pas d'Ă©metteurs clandestins de la RĂ©sistance car ce sont des installations trop lourdes Ă  mettre en place et trop facilement repĂ©rables. Les Français de toute catĂ©gorie Ă©coutent la BBC en plusieurs langues, au micro de laquelle Pierre Dac chante la ritournelle de Jean OberlĂ© « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand » sur l'air de la Cucaracha. Au dĂ©but de l'annĂ©e 1942, dans sa Chronique de Vichy, Maurice Martin du Gard (petit-cousin du romancier Roger) note que les Français ne peuvent plus se passer des informations de la BBC : « C'est devenu une habitude, simple curiositĂ© ou besoin quasi physique : on prend Londres après dĂ®ner, "Les Français parlent aux Français" qu'un savant brouillage rĂ©vèle. On peut mettre sa montre Ă  l'heure en entendant ce bruit dans les couloirs de l'hĂ´tel ». Selon les auteurs Countet, «  C’est moins le rejet d'une propagande terne et traditionnelle que la lassitude engendrĂ©e par les hommes de Vichy Ă©pris de mĂ©lancolie et d'autoflagellation, qui pousse les Français Ă  se mettre Ă  l'Ă©coute de Londres (...) Par ailleurs la qualitĂ© des informations anglaises contribue au succès grandissant : les Britanniques rĂ©alisent eux-mĂŞmes les dix minutes d'informations quotidiennes lues par les speakers français et ils ne dissimulent ni leurs Ă©checs militaires ni leurs difficultĂ©s - connues sur le continent grâce Ă  la propagande nazie, ce qui rend plus crĂ©dible l'annonce des succès »[19].

Références

  1. L'Argent nazi à la conquête de la presse française, par Pierre-Marie Dioudonnat (1981).
  2. http://tpe-medias-secondeguerremondiale.e-monsite.com/rubrique,la-prise-de-controle-des-media,1042067.html
  3. La presse écrite en France au XXe siècle, par Laurent Martin, page 104, éditions Le Livre de poche
  4. La presse écrite en France au XXe siècle, par Laurent Martin, page 105, éditions Le Livre de poche
  5. Éphémérides de quatre années tragiques : 1940-1944, Lavilledieu,
  6. Pierre Bonnassie, « Recension de l’ouvrage de Limagne (Pierre), Éphémérides de quatre années tragiques, 1940-1944, 3 vol. (t. I, De Bordeaux à Bir- Hakeim ; t. II, De Stalingrad à Messine ; t. III, Les assauts contre la forteresse Europe), Lavilledieu (Ardèche), Éditions de Candide, 1987, 2194 », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 104, N°199-200,‎ , p. 503-504 (lire en ligne)
  7. Langlois Claude, « Le régime de Vichy et le clergé d'après les Semaines religieuses des diocèses de la zone libre », Revue française de science politique, n°4,‎ , p. 750-774 (lire en ligne)
  8. Ibidem : voir par exemple la consigne N63 du 2 août 1940 qui interdit tout écrit selon lequel la France est entré en guerre pour la défense d’un système idéologique ou philosophique, comme lia civilisation chrétienne ou la révolution française.
  9. « 10h30 », Paris-Midi,‎ , p. 1 (lire en ligne)
  10. Réseau Canopé, « Presse et radio, 1940-1944, Musée de la Résistance nationale », sur https://www.reseau-canope.fr, (consulté le )
  11. L’édition française sous l’Occupation (1940-44), par Anton Ridderstad, Université de Stockholm, 17 août 2002.
  12. Romansk Forum
  13. Fabula, Atelier littéraire : Culture, presse et entreprise sous l'Occupation
  14. Culture, presse et entreprise sous l'Occupation : vecteurs d'idées, médiateurs d'information ? Colloque des jeudi 27 et vendredi 28 mars 2008 (Abbaye d'Ardenne).
  15. Pierre Assouline, L’épuration des intellectuels, Éditions Complexe, Bruxelles, 1985.
  16. Jean-Paul Grémy, Les sondages clandestins de la Résistance en France occupée au début de l’année 1944, (lire en ligne), Chapitre 5. : Les émissions de la B.B.C, p.11
  17. Ordre du chef de l'administration militaire en France du 14 août 1940, après l'introduction du droit pénal allemand en territoire occupé dès le 10 mai 1940.
  18. Jean-Pierre Azéma (avec Olivier Wieworka), Vichy, 1940-1944, , p. 143
  19. Jean-Paul Cointet et Michèle Cointet, La France à Londres: renaissance d'un Etat (1940-1943), , P. 96
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.