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Campagnes des Tang contre les Turcs occidentaux

Les Campagnes des Tang contre les Turcs occidentaux, sont une sĂ©rie de campagnes militaires organisĂ©es durant le VIIe siĂšcle par la dynastie chinoise des Tang, contre le Khaganat des Turcs Occidentaux, une des branches du peuple GöktĂŒrk. Les premiers conflits sont le rĂ©sultat d'une intervention des Tang dans la rivalitĂ© qui oppose les deux branches du peuple des GöktĂŒrks : les Turcs Occidentaux et les Turcs Orientaux. À ce moment-lĂ , les Tang cherchent juste Ă  maintenir cette division pour affaiblir les deux camps. Les hostilitĂ©s prennent une autre dimension pendant le rĂšgne de Tang Taizong, qui lance des expĂ©ditions dans les RĂ©gions de l'Ouest (è„żćŸŸ)[1] contre Gaochang en 640, Karachahr en 644 et 648, et Kucha en 648.

Campagnes des Tang contre les Turcs occidentaux
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Cartes des opérations militaires lors des campagnes des Tang contre les Turcs occidentaux
Informations générales
Date 640 - 712
Lieu RĂ©gions de l'Ouest
Issue Victoire des Tang, fondation du Protectorat Général pour Pacifier L'Ouest
Forces en présence
Variables suivant les expéditions et les bataillesVariables
Pertes
TrÚs élevéesTrÚs élevées

Les guerres contre les Turcs occidentaux continuent sous le rĂšgne de l'empereur Tang Gaozong, et le Khaganat finit par ĂȘtre annexĂ© aprĂšs la victoire du gĂ©nĂ©ral Su Dingfang contre le qaghan Ashina Helu (en) en 657. Les Turcs occidentaux tentent bien de prendre le contrĂŽle du Bassin du Tarim en 670 et 677, mais ils sont repoussĂ©s par les Tang. En 712, le second Khaganat Turc dĂ©fait les Turcs occidentaux, qui sont divisĂ©s et affaiblis, puis absorbe les tribus des vaincus.

Les zones contrĂŽlĂ©es par la Chine des Tang sont dĂšs lors imprĂ©gnĂ©es par l'influence culturelle chinoise; mais aussi par celle des troupes turques au service des Tang, qui stationnent dans la rĂ©gion. À la fin de la campagne de 657, la dynastie Tang a atteint sa plus grande Ă©tendue. AprĂšs cette date, les Turcs, les TibĂ©tains, les Arabes et les Tang vont s'affronter pour le contrĂŽle de l'Asie centrale, ce jusqu’à l'effondrement de la dynastie chinoise au Xe siĂšcle.

Situation des turcs avant le début des campagnes

À la suite d'une guerre civile, le peuple turc des GöktĂŒrk se sĂ©pare en deux branches: le Khaganat des Turcs occidentaux et le Khaganat des Turcs orientaux. AlliĂ©s de l'Empire byzantin, les Turcs occidentaux se retrouvent embourbĂ©s dans les conflits entre Byzance et les Sassanides. Mais trĂšs vite, ils tirent profit du dĂ©clin des Turc orientaux pour s'Ă©tendre et s'emparer des territoires de ces derniers[2].

Premiers conflits

En 619, l'empereur Tang Gaozu, le prĂ©dĂ©cesseur de Tang Taizong, autorise l'assassinat d'un qaghan des Turcs occidentaux par leurs "frĂšres ennemis", les Turcs orientaux. L’assassinat a lieu le de la mĂȘme annĂ©e[3]. À cette Ă©poque, les relations entre les Tang et les Turcs ne se sont pas encore dĂ©gradĂ©es, les Turcs orientaux Ă©tant les suzerains des Tang de 618 Ă  620. AprĂšs cette date, il y a un renversement d'alliance au profit des Turcs occidentaux et tout au long du rĂšgne du qaghan Tong Yabghu (618-628), ces derniers sont trĂšs proches des Tang.

Les relations se tendent aprÚs la mort de Tong Yabghu et pendant le rÚgne de l'empereur Taizong. En 641, ce dernier fomente une guerre civile entre les différentes confédérations de tribus des Turcs occidentaux, en soutenant le qaghan Isbara Yabghu. En agissant ainsi, il applique une stratégie chinoise connue sous le nom de "utiliser des barbares pour contrÎler des barbares.". Malheureusement pour eux, les Tang n'ont pas choisi le bon chef turc, car c'est le qaghan Tu-lu qui va sortir vainqueur du conflit. AprÚs avoir envahi les royaumes des oasis contrÎlés par Isbara Yabghu, il assassine son rival et unifie à son profit le Khaganat des Turcs occidentaux[4].

AprĂšs cette rĂ©unification, Tu-Lu commence Ă  organiser des raids contre les villes chinoises. En 642, l'empereur Tang Taizong intervient une fois de plus dans les affaires internes des Turcs en aidant des opposants Ă  Tu-Lu qui se rĂ©voltent. Pour ĂȘtre prĂ©cis, ce sont les tribus turques rĂ©voltĂ©es qui demandent de l'aide Ă  Taizong en envoyant des messagers Ă  Chang'an. L'empereur chinois leur rĂ©pond en intronisant un nouveau qaghan, Irbis seguy. Ce dernier rĂ©ussit Ă  chasser Tu-Lu du pouvoir et prendre le contrĂŽle de toutes les tribus turques, pendant que l'ancien qaghan s’enfuit en exil[4].

La cour de Tang et les Turcs occidentaux commencent alors Ă  nĂ©gocier le contrĂŽle des cinq royaumes des oasis du Bassin du Tarim. De son cĂŽtĂ©, Irbis seguy cherche renforcer ses liens avec les Tang Ă  travers un mariage royal avec une princesse Tang. Mais les nĂ©gociations achoppent sur un problĂšme de taille : bien que ces royaumes soient des vassaux des Turcs, Irbis Seguy n'a pas le pouvoir de simplement les cĂ©der au Tang[5]. Les Ă©changes diplomatiques ne mĂšnent Ă  rien et s’arrĂȘtent lorsque Taizong commence son invasion du bassin du Tarim[4].

les campagnes contre les royaumes des oasis

La campagne contre Karakhoja

ContrĂŽlĂ© de maniĂšre sporadique par les dynasties chinoises prĂ©cĂ©dentes, le royaume de Karakhoja a une importante population chinoise[6]. Il est fortement influencĂ© par la culture chinoise et de tous les royaumes des oasis, il est le plus proche de la Chine des Tang. Karakhoja est gouvernĂ© depuis 498 par le clan Qu, qui est Ă  la tĂȘte du plus sinisĂ© des royaumes du bassin du Tarim[7]. Pendant le rĂšgne des Qu, le chinois est la langue Ă©crite officielle de Karakhoja, les classiques chinois sont enseignĂ©s aux Ă©tudiants et la bureaucratie gouvernementale est basĂ©e sur la structure politique de la Chine impĂ©riale[6].

Lorsque le qaghan Tu-lu arrive au pouvoir en 638, il offre Ă  Karakhoja la protection militaire des Turcs occidentaux, ce qui revient Ă  faire du royaume son vassal. Avec le soutien des Turcs occidentaux, Karakhoja bloque la route commerciale de la route de la soie, qui relie la Chine des Tang Ă  l'Asie centrale. À la base, ce blocus vise surtout le royaume voisin de Karachahr, qui est en train de dĂ©velopper une route commerciale directe avec la Chine pour contourner Karakhoja. Mais finalement, c'est la Chine qui rĂ©agit et l'empereur Taizong lance contre Karakhoja une campagne militaire dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Hou Junji. L'armĂ©e atteint Karakhoja en 640 et inflige une dĂ©faite Ă©crasante aux armĂ©es du royaume; aidĂ© en cela par le fait que les troupes des Turcs occidentaux envoyĂ©es pour dĂ©fendre Karakhoja s'enfuient pendant que les soldats des Tang approchent[8]. Le fils de Qu Wentai, le roi de Karakhoja, capitule et l'ancien royaume est annexĂ©[6].

Les ruines de Karakhoja

À la suite de cette annexion, l'ancien royaume de Karakhoja est placĂ© sous l'administration directe des Tang et est rĂ©organisĂ© comme une prĂ©fecture. Karakhoja est intĂ©grĂ©e dans le protectorat d'Anxi, ou Protectorat gĂ©nĂ©ral pour pacifier l'Ouest, qui est Ă©tabli pour gouverner les RĂ©gions de l'Ouest[6]. Peu de temps aprĂšs la conquĂȘte, un recensement de la population est effectuĂ© pour mettre en Ɠuvre le , qui doit obligatoirement ĂȘtre mis en place dans toutes les prĂ©fectures chinoises[9]. C'est grĂące Ă  cela que l'on sait qu'en 640 on trouve 8 000 mĂ©nages et 37 700 habitants dans la capitale de l'ex-royaume[10].

La chute et l'annexion de Karakhoja provoque soupçons et inquiétude au sein du royaume de Karachahr[11]. Se sentant menacé par les troupes chinoises stationnées dans la région, Karachahr choisi de s'allier avec les Turcs occidentaux[12]. Les Tang ripostent en lançant une série de campagnes militaires contre ce royaume[11].

Les campagnes contre Karachahr

Pourtant, au dĂ©but, rien ne semblait indiquer qu'il y aurait un conflit entre la Chine et Karachahr. En effet, en 632, ce royaume choisit de verser un tribut Ă  la Chine des Tang[12], la mĂȘme annĂ©e que les royaumes de Kachgar et Khotan et trois ans avant celui de Yarkand[13]. Par contre, si le royaume de Karakhoja Ă©tait sinisĂ©, celui de Karachahr est influencĂ© par la culture persane, le Bouddhisme et la culture grĂ©co-bouddhiste des royaumes afghans[14].

Les relations entre la Chine et les rois de Karachahr ne se dĂ©gradent vraiment qu’aprĂšs l'annexion de Karakhoja et l'installation d'une garnison chinoise sur place[12]. La situation et son Ă©volution sont assez ironiques, puisque c'est le blocus de Karachahr par Karakhoja qui a servi de prĂ©texte Ă  cette annexion. C'est donc une intervention militaire chinoise visant, officiellement, Ă  aider Karacharh, qui finit par dĂ©clencher un conflit entre les deux pays.

La campagne de 644

En 644 Karachahr arrĂȘte de verser un tribut aux Tang et devient un alliĂ© des Turcs occidentaux, qui Ă©taient dĂ©jĂ  les suzerains du royaume avant 632. Pour sceller cette alliance, un mariage royal est organisĂ© entre les deux familles rĂ©gnantes. Le royaume de Kucha, qui est Ă©galement un vassal des Tang, se joint Ă  la rĂ©volte de Karachahr, car eux aussi ont peur que la Chine ne s'Ă©tende dans la rĂ©gion Ă  leurs dĂ©pens. Tang Taizong riposte en envoyant une armĂ©e dirigĂ©e par Guo Xiaoke, le protecteur-gĂ©nĂ©ral du Protectorat d'Anxi, pour mater la rĂ©bellion[12]. Long Lipozhun, un frĂšre du roi de Karachahr, fait dĂ©fection au profit des Tang et guide les troupes de Xiaoke. Ce dernier organise une attaque surprise, en prenant un chemin dĂ©tournĂ© pour marcher sur la ville avant de lancer une attaque Ă  l'aube[11]. Karachahr tombe entre les mains des Tang et le roi Long Tuqizhi est capturĂ© par les troupes chinoises aprĂšs avoir fouillĂ© les douves qui entourent la ville. Guo Xiaoke fait de Long Lipozhun le nouveau roi de la citĂ© et repart avec son armĂ©e vers Karakhoja, avec Long Tuqizhi comme prisonnier. De leur cĂŽtĂ©, les Turcs occidentaux envoient 5 000 cavaliers pour aider Karachahr, mais ces renforts arrivent trois jours aprĂšs le dĂ©part de Guo. Les Turcs s'emparent de la ville et de Long Lipozhun, avant de se lancer Ă  la poursuite des Chinois. Ils rattrapent l'armĂ©e de Guo Xiaoke, mais sont vaincus par les troupes des Tang. L'un des dirigeants des Turcs Occidentaux envoie ensuite un Tudun (en) pour diriger Karachahr, mais ce dernier quitte la ville aprĂšs avoir reçu des menaces de Tang Taizong. Finalement, livrĂ©s Ă  eux-mĂȘmes, les habitants de Karachahr choisissent Xue Apo'anazhi, un cousin de Long Lipozhun, comme nouveau roi et restent des vassaux des Turcs occidentaux.

La campagne de 648

Les Tang rĂ©agissent en envoyant une nouvelle armĂ©e, commandĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Ashina She'er, un membre de la famille royale du clan turc des Ashina. She'er part attaquer Kucha, l'autre ville rebelle, en 648, avec une armĂ©e composĂ©e de 100 000 cavaliers, des soldats auxiliaires appartenant aux Tiele. AprĂšs avoir divisĂ©e son armĂ©e en cinq colonnes[15], She'er contourne Karachahr et marche sur son objectif en traversant la Dzoungarie, ce qui va lui permettre d'attaquer Kucha par le nord. Mais cet endroit est le territoire des Chuyue (Chigil?) et des Chumi, deux tribus turques alliĂ©es de Kucha qui attaquent les Chinois. Ces tribus sont balayĂ©es par She'er, qui entre ensuite dans le bassin du Tarim. Bien que l'expĂ©dition des Tang ne vise pas directement Karachahr, le roi Apo'anazhi fuit sa capitale et tente d'Ă©chapper aux forces Tang en partant vers l'est de Kucha, dans l'espoir d'y trouver une position plus facile Ă  dĂ©fendre. Sa fuite s’achĂšve par un Ă©chec, car les soldats d'Ashina She'er le poursuivent, le capturent et l'exĂ©cutent. AprĂšs cela, les Tang prennent Ă  nouveau le contrĂŽle de Karachahr et installent sur le trĂŽne Xiannazhun, un cousin Pro-Tang de Long Lipozhun[12].

Lorsque le siÚge du Protectorat d'Anxi est déplacé de Karakhoja à Kucha en 658 ou 659, Karasahr devient l'une des quatre garnisons que les Tang installent pour contrÎler la région, les trois autres étant Kucha, Khotan, et Kashgar. Cependant, les sources existantes ne permettent pas de savoir avec certitude si des troupes Tang étaient stationnées à Karasahr entre 648 et 658.

La campagne contre Kucha

AprĂšs la prise de Karachahr, Ashina She'er revient Ă  sa mission initiale et marche sur Kucha, qui est dĂ©fendue par 50 000 soldats[11]. Ashina She'er dĂ©cide de leur tendre un piĂšge pour Ă©viter de devoir soutenir un siĂšge interminable. Il envoie un groupe de 1 000 cavaliers devant les murs de la ville, qui sert de leurre. Les troupes kuchiennes attaquent ce petit groupe et le poursuivent lorsque les cavaliers commencent Ă  se replier. Un peu plus loin, les Kuchiens tombent dans une embuscade et sont attaquĂ©s par des troupes Tang bien plus nombreuses. Vaincus, les soldats de Kucha sont obligĂ©s de battre en retraite et de se rĂ©fugier Ă  Aksou, un autre royaume du bassin du Tarim. She'er fait prisonnier le roi de la citĂ©, aprĂšs un siĂšge de 40 jours qui s’achĂšve avec la reddition des troupes de Kucha le . Un des officiers d'Ashina She'er, agissant en tant que diplomate, avait rĂ©ussi Ă  persuader les chefs de la rĂ©gion de se rendre au lieu de riposter[16], ce qui, combinĂ© Ă  la prĂ©cĂ©dente dĂ©faite, a contraint Kucha Ă  se rendre.

Une fois la ville passĂ©e dans le giron chinois, Guo Xiaoke est nommĂ© Ă  Kucha comme Protecteur GĂ©nĂ©ral du Protectorat gĂ©nĂ©ral pour pacifier l'Ouest[17]. Le siĂšge du Protectorat GĂ©nĂ©ral est donc dĂ©placĂ© de Karakhoja, son emplacement d'origine, Ă  Kucha. Alors q'Ashina Ă©tait Ă  la poursuite du roi de Kucha, Nali, un seigneur kuchĂ©en, est parti demander l'aide des Turcs occidentaux[18]. Ceux-ci rĂ©pondent Ă  l'appel et aident les soldats de Kucha Ă  chasser les Chinois de la ville, Xiaoke finissant par ĂȘtre assassinĂ©[18]. La riposte des Tang ne se fait pas attendre et Ashina She'en retourne Ă  Kucha, s'empare de cinq des villes du Royaume et force les autres villes Ă  se rendre. Le contrĂŽle de Tang sur le royaume Ă©tant rĂ©tabli[13], les autoritĂ©s chinoises font monter sur le trĂŽne un frĂšre de l'ancien roi, qui Ă©tait jusqu'alors un Yabgu ou vice-roi, qui se reconnait comme Ă©tant un sujet de l'Empire Tang[18].

AprĂšs avoir fait Ă©riger une stĂšle pour commĂ©morer leur victoire, les Tang emmĂšnent Haripushpa, l'ancien roi de Kucha, et les principaux gĂ©nĂ©raux de son armĂ©e jusqu'Ă  la capitale des Tang, comme prisonniers[19]. Selon la loi en vigueur sous les Tang, la peine capitale est la punition pour toute forme de rĂ©bellion[20]. Mais l'empereur Tang Taizong offre son pardon au roi et le lui rend sa libertĂ© aprĂšs qu'il a participĂ© Ă  un rituel de vĂ©nĂ©ration des ancĂȘtres de l'empereur. Taizong dĂ©cerne Ă©galement au roi le grade de Grand Commandant de l'ArmĂ©e pour les Gardes Militants de la Gauche[19]. Les gĂ©nĂ©raux kuchĂ©ens sont Ă©galement graciĂ©s et reçoivent aussi des titres[19].

Buste d'un bodhisattva de Kucha, VIIe-VIIe siĂšcles.

Dans le bassin du Tarim, Ashina She'er est moins magnanime que son empereur. En effet, en représailles pour la mort de Guo Xiaoke, il ordonne l'exécution de 11000 Kuchéens par décapitation. Les chroniques de l'époque indiquent qu' «il a détruit cinq grandes villes et avec elles de nombreuses myriades d'hommes et de femmes... les terres de l'Occident ont été saisis de terreur[18].» AprÚs la défaite de Kucha, Ashina envoie une petite force de cavalerie légÚre, commandée par le lieutenant Xue Wanbei à Khotan, un autre royaume des oasis qui est alors gouverné par le roi Yuchi Fushexin. La simple menace d'une invasion suffit à persuader le roi de se rendre personnellement à la Cour des Tang[21]. Il faut noter que, malgré, ou à cause de, ce voyage et cette soumission personnelle, aucune garnison Tang n'est envoyée à Khotan.

L'ancien roi de Kucha et ses généraux restent à la Cour des Tang jusqu'en 650, date à laquelle ils sont renvoyés à Kucha aprÚs qu'il est devenu clair que le vide politique créé par leur absence a fait sombrer le royaume dans un état de guerre civile et d'anarchie.

Campagne contre les Turcs Occidentaux

Le conflit direct entre les Tang et les Turcs ne commence véritablement que lorsque Ashina Helu (en), un ancien général des Tang en poste dans le Gansu, s'enfuit vers l'Ouest et s'autoproclame qaghan des Turcs occidentaux[22]. AprÚs avoir unifié les tribus turques en un seul khaganat[15], Helu envahit les royaumes du bassin du Tarim et lance des attaques fréquentes contre les villes frontaliÚres des Tang[22]. L'empereur Tang Gaozong, le fils et successeur de Taizong, réagit en envoyant une armée, commandée par Su Dingfang, combattre les Turcs occidentaux.

10 000 cavaliers ouĂŻghours participent Ă  cette campagne en tant qu'alliĂ©s des Tang[16]. Ils sont de facto sous les ordres de Porun, un chef ouĂŻghour mis au pouvoir par l'empereur Taizong, qui supervise la cavalerie de l'armĂ©e en tant que vice-commandant. L'armĂ©e est commandĂ©e par le Protecteur-GĂ©nĂ©ral et le Vice-Protecteur-GĂ©nĂ©ral de Yaran, les deux administrateurs du protectorat de Yaran[23]. L'armĂ©e part d'Ordos en mars et traverse plus de 3 000 km de steppes et de dĂ©sert, sans s'arrĂȘter dans les royaumes des oasis pour se ravitailler[24]. Sur le trajet, des tribus comme les Chumkun et les Su envoient des hommes supplĂ©mentaires rejoindre l'armĂ©e chinoise[25]. Les troupes atteignent la rĂ©gion correspondant actuellement au Kirghizistan en novembre, ce qui les oblige Ă  endurer les rudes conditions hivernales[26].

Ashina Helu rĂ©agit en levant une armĂ©e pour combattre cette invasion et confie le commandement des divisions protĂ©geant les flancs de l'armĂ©e turque Ă  Ashina Mishe (en) et Ashina Buzhen (en), deux de ses rivaux[16]. Les deux armĂ©es s'affrontent lors de la bataille de la riviĂšre Irtych (en), un cours d'eau (Irtych) de la rĂ©gion de l'AltaĂŻ, durant laquelle Su Dingfang dĂ©fait l'armĂ©e de 100 000 cavaliers de Ashina Helu (en). Ce dernier est pris au dĂ©pourvu par une embuscade tendue par Su et ses troupes subissent de trĂšs lourdes pertes[25]. Le qaghan tente de fuir Ă  Tachkent, mais il est capturĂ© le lendemain de sa dĂ©faite et envoyĂ© Ă  la capitale des Tang comme prisonnier. À la suite de la capture de leur qaghan, les autres tribus des Turcs occidentaux se rendent[27][25]. Tout comme son pĂšre l'avait fait avec Haripushpa, Gaozong gracie Helu, mais ce dernier n'a pas le temps de profiter de sa libertĂ© retrouvĂ©e, car il meurt l'annĂ©e suivante[28].

Les campagnes ultérieures

La dissolution des Khaganats met fin à l'unité des tribus des Turcs occidentaux. En 670, une tribu des Turcs occidentaux alliée à l'empire du Tibet envahit le bassin du Tarim, ce qui oblige les Tang à abandonner de nouveau le protectorat d'Anxi et à se replier sur Tourfan. Les Chinois reprennent le contrÎle des royaumes des Oasis entre 673 et 675, et le protectorat est rétabli[29].

En 677, les Turcs occidentaux et leurs alliĂ©s tibĂ©tains mĂšnent une deuxiĂšme expĂ©dition militaire contre les Tang dans le bassin du Tarim. Mais cette fois-ci, leur conquĂȘte Ă©choue, car ils sont repoussĂ©s par les Tang et vaincus en 679. Les Chinois capturent le chef des Turcs occidentaux et annexent Tokmak, qui est transformĂ© en base militaire[30].

En 682, Elterich fonde le Second Empire Turc Ă  la suite d'une rĂ©volte et prend le titre d'Ilterish Qaghan. À peine arrivĂ© au pouvoir, il multiplie les attaques contre la Chine des Tang, puis entre 687 et 691, il soumet les OuĂŻghours et les Neuf Oghuz, d'autres confĂ©dĂ©rations de tribus turques, avant de s'installer aux sources de l'Orkhon. Il meurt en 692 et c'est son frĂšre qui lui succĂšde sous le nom de Kapaghan Qaghan. Ce dernier continue d'attaquer les Chinois et d'agrandir le territoire du Khaganat. En 712, Kul-tĂ©gin (en), le fils d'Ilterish et neveu du qaghan, dĂ©fait ce qu'il reste des Turcs occidentaux, qui sont alors membres de la confĂ©dĂ©ration Turgis. DĂ©finitivement vaincus, les Turcs occidentaux sont absorbĂ©s par le nouvel empire[31].

Impact historique

Durant toute l'existence du Protectorat gĂ©nĂ©ral pour pacifier l'Ouest, et mĂȘme durant les siĂšcles qui suivent sa chute, les Tangs vont fortement influencer les peuples d'Asie centrale dans le domaine de l'art, du commerce et de la politique. Ainsi, les monnaies chinoises restent utilisĂ©e dans la rĂ©gion correspondant au Xinjiang, mĂȘme aprĂšs que les Tang se soient retirĂ©s d'Asie centrale[32]. L'art d'Asie centrale a adoptĂ© beaucoup d'Ă©lĂ©ments stylistiques provenant de l'art chinois des Tang, comme les cĂ©ramiques Sancai tricolores[33]. Selon les sources chinoises, mĂȘme aprĂšs la chute de la dynastie Tang, les États et hommes politiques turcs continuent de valoriser les liens avec les cours des dynasties du Nord de la Chine, pour en tirer une forme de prestige. Toujours sur le plan politique, les khans des Qarakhan et des Kara-Khitans portent des titres comme Tabghach ou Khitay, dont les noms sont tirĂ©s de ceux des royaumes du Nord de la Chine[34]. Enfin, des influences architecturales Tang sont visibles dans l'architecture bouddhiste de Dunhuang[35].

Controverse sur la disparition de la culture indoeuropéenne au Xinjiang

Pour certains historiens, comme René Grousset et Howard J.Wechsler, les campagnes des Tang marquent la fin du Xinjiang indo-européen, car c'est à ce moment que les influences linguistiques et culturelles turques se seraient propagées en Asie centrale[13][18]. La Chine des Tang serait responsable de l'afflux de migrants turcs, en raison du grand nombre de Turcs qui ont servi dans l'armée chinoise comme soldats et généraux pendant les expéditions militaires de la dynastie[34][18][36].

Cette thÚse ne fait pas l'unanimité et est combattue par d'autres historiens, comme Edward H.Schafer (en) (1913-1991) : la culture indo-européenne de Kucha a prospéré au cours des VIIe et VIIIe siÚcles, la musique kuchéenne étant populaire dans la capitale Tang, en partie en raison de l'arrivée de musiciens Kuchéens à la cour des Tang[37]. Schafer voit la turquification du bassin du Tarim comme un développement ultérieur, qui a lieu aprÚs la fin de la dynastie Tang et n'a aucun rapport avec le protectorat que les Tang avaient instauré dans le bassin du Tarim.

Notes et références

  1. C'est le nom que les Chinois donnent Ă  l'Ă©poque Ă  l'Asie centrale
  2. Wechsler 1979, p. 223.
  3. Benn 2002, p. 138.
  4. Wechsler 1979, p. 224.
  5. Golden, Introduction 135. Selon les sources historiques chinoises, le mariage n'a jamais eu lieu à cause de l'ingérence d'Illig qaghan,le Qaghan des Turcs Orientaux, dont le territoire se trouvait entre celui d'Irbis seguy et celui des Tang, qui se sentait menacé par les conséquences de ce mariage.Zizhi Tongjian, vol. 192.
  6. Hansen 2012, p. 91.
  7. Wechsler 1979, p. 224-225.
  8. Wechsler 1979, p. 225.
  9. Hansen 2012, p. 91-92.
  10. Hansen 2012, p. 92.
  11. Grousset 1970, p. 99.
  12. Wechsler 1979, p. 226.
  13. Wechsler 1979, p. 228.
  14. Grousset 1970, p. 96–99.
  15. Skaff 2009, p. 181.
  16. Skaff 2009, p. 183.
  17. Wechsler 1979, p. 226-228.
  18. Grousset 1970, p. 100.
  19. Eckfeld 2005, p. 25.
  20. Skaff 2009, p. 285.
  21. Grousset 1970, p. 101.
  22. Twitchett 2000, p. 116.
  23. Skaff 2012, p. 249.
  24. Skaff 2009, p. 189.
  25. Skaff 2009, p. 184.
  26. Grousset 1970, p. 102.
  27. Twitchett et Wechsler 1979, p. 280.
  28. Skaff 2009, p. 284–286.
  29. Twitchett et Wechsler 1979, p. 285–286.
  30. Twitchett et Wechsler 1979, p. 286.
  31. Beckwith 2009, p. 131.
  32. Millward 2007, p. 41–42.
  33. Millward 2007, p. 41.
  34. Millward 2007, p. 42.
  35. Findley 2004, p. 41.
  36. Millward 2007, p. 41-42.
  37. Schafer 1963, p. 52.

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